Magazine H2o | 4. Le projet de développement et ses acteurs | Le projet de développement de la rivière Tumen | Géopolitique-Conflits régionaux

Dessin de tracé de fleuve

Accueil > Urgences > Géopolitique > Le projet de développement de la rivière Tumen
logo lien vers www.lemeeb.net


Utopie ou réalité ?
Le projet de développement de la rivière Tumen

Mots clés : tigre de Sibérie, léopard de l'Amour, baie de Pos'yets, Chine, Mont Paektu, Russie, Moscou-Vladivostock, Tuman-gang, Tumen, Yalu
Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
Index du dossier
1. Le contexte géographique et écologique
2. Le contexte historique
3. Le contexte politique et économique
4. Le projet de développement et ses acteurs
5. Conclusion
6. ResSources
199902_tumen_2.jpg

Le projet de développement et ses acteurs

 

TRADP – Tumen River Area Development Program
TREDA – Tumen River Economic Development Area

Le projet est extrêmement ambitieux. Il projette sur 20 ans, pour un financement de 30 milliards de dollars et la construction de onze ports. Il fait intervenir cinq pays (Chine, Corée du Nord, Corée du Sud, Russie, Mongolie, Japon) et une organisation internationale, le PNUD, Programme des Nations-Unies pour le Développement. Son but est d'utiliser les richesses et le savoir-faire spécifiques de chacun pour transformer l'Asir du Nord-Est en vaste zone de libre-échange attractive pour le commerce, les investisseurs du monde entier, et destinée à accroître le bien-être de la population.

Jusque-là, l'estuaire n'avait strictement aucun intérêt pour personne. Pourtant si l'on considère en dehors de la position géographique, déjà évoquée, les richesses naturelles de toute lea région (charbon, fer, pétrole, minerais de toutes sortes, produits manufacturés), l'idée jaillit, et elle a jaillit pour la première fois en 1989dans les papiers d'un chercheur de Hawaii, d'entreprendre un grand projet qui ferait de cette zone un pôle de développement et de coopération pour les pays riverains de la mer du Japon. Il s'agirait de mettre en commun, les capitaux et le savoir-faire technique de la Corée du Sud et du Japon, les ressources naturelles de la Russie, la main d'œuvre et les ressources agricole de la Chine, ainsi que les ressources naturelles et la main d'œuvre nord-coréenne.

Les Américains, qui ont des intérêts importants dans la zone, apportent leur savoir-faire et les capitaux nécessaires aux études préalables par l'intermédiaire de l'ONU. Enfin, la Mongolie, qui voit là une chance de désenclavement, s'est aussi mise sur les rangs. La synergie ainsi créée par ces alliances complémentaires devrait être capable de créer une vaste zone économique dynamique, telle une Association des Nations-Unies de l'Asie du Nord-Est (ANEAN), pendant de sa voisine l'ASEAN.

Le projet comporte trois phases de développement :

développement de l'embouchure elle-même sur une surface d'environ 1 000 km2, avec comme pôles de départ les villes de Hunchun en Chine, Najin, en Corée, Pos'yest en Russie (TREZ, Tumen River Economic Zone). Cette phase est la plus facile à développer car elle demande la participation d'investisseurs publics et privés et elle est déjà bien avancée ;
développement de l'arrière-pays avec les villes chinoise de Yanji, coréenne de Chongji et russe de Vladivostok (10 000 km2). Plus difficile car plus intégrée, cette phase comprendrait la location réciproque de terres ; elle demande la participation de gouvernements locaux ;
développement régional de l'Asie du Nord-Est sur 370 000 km2 ; elle fait naturellement intervenir les gouvernements centraux.

Bien que les obstacles soient nombreux, le climat politique plutôt tourné vers la détente et la volonté de développement économique sont somme toute propices. Cela n'empêche pas chacun des protagonistes d'avoir des idées particulières sur leur contribution, les bénéfices qu'ils peuvent en tirer, et les obstacles qui se présentent.

Ainsi, la Chine qui est la plus volontariste a déjà l'expérience de zones économiques spéciales comme celles de Shenzen, ou de Canton. Le développement de Tumen, qui en a le potentiel, serait donc copié sur des modèles déjà éprouvés et permettrait le rééquilibrage de cette région frontalière quelque peu oubliée. Les maires des villes de Yanji, Tumen et Hunchun (jumelée avec Cerritos en Californie) font preuve d'un bel optimisme et soutiennent le plan du PNUD. Ils évaluent les avantages comparés à se tourner vers la Russie et la Corée du Sud, mais n'oublient pas l'importance pour la province de Jilin des ports nord-coréens en permanence libre de glace. La province est au cœur du développement des infrastructures ferrovières et routières, lesquelles sont planifiées ou déjà en voir de développement.

La Corée du Nord est dans une situation économique désastreuse, forçant la population à survivre de rations largement insuffisantes. Le pays a un besoin urgent d'aide extérieure massive. Il est par conséquent tenté par un projet de développement à ses portes et par une coopération qui pourrait, à terme, constituer une source de bénéfices non négligeable. Selon le ministre du commerce extérieur, Pyongyang réoriente aujourd'hui sa politique et veut développer des liens étroits avec l'économie capitaliste. Mais le régime craint par dessus tout la contamination politique qui suivrait forcément la libéralisation des échanges, l'ouverture de la frontière et le bien-être relatif qui, petit à petit , transforme les esprits. Actuellement la Corée du Nord développe, elle aussi, ses propres zones économiques spéciales à quelques kilomètres de l'embouchure : la zone de Najin-Sonbong pour laquelle des entreprises internationales ont donné 100 millions de dollars.

La Corée du Sud suppose qu'un tel projet de développement, incluant tous les pays de la région, serait propice au rapprochement avec le Nord. En avril 1996, elle a débloqué un million de dollars de crédit. Son dynamisme économique la pousse à engager des capitaux dans des projets à long terme. Le marché chinois sur lequel elle est déjà bien implantée est pour elle une occasion prometteuse de développement.

La Mongolie, dernière arrivée dans le "Club", apprécierait d'avoir un débouché sur la mer pour pouvoir exporter ses ressources minières (cuivre, or, argent, uranium, charbon, etc.).

Comme la Corée du Sud, le Japon cherche de nouveaux débouchés et une main d'œuvre bon marché. Le transit vers l'Europe, à partir de la côte ouest, serait grandement raccourci (1 700 kilomètres en moins). Tokyo sait que ses capitaux sont indispensables. Cette position de bailleur de fonds pourrait à terme lui conférer une position de force sur cette partie du continent.

La Russie, quoiqu'intéressée par les bénéfices possibles et les sommes considérables qui ont été engagées, est réticente parce qu'elle craint que les retombées dont elle bénéficierait soient moins importantes que celles de la Chine. Elle craint également la concurrence évidente qui se produirait contre ses propres zones économiques spéciales – au sein desquelles on trouve le projet de grand Vladivostok et Nakhodka – et contre ses lignes ferrovières du Baïkal-Amour et du Transsibérien. La position russe dans l'Est est faible face à un monde asiatique expansif. Moscou a bien compris que la coopération économique est le moyen le plus sûr de développement stable. Lorsque l'on parle des réticences russes, il faut bien comprendre qu'il s'agit de réticences de la province maritime qui se trouve là, prise entre la politique chinoise de Moscou – politique d'ouverture qui a été annoncée par le président Gorbatchev dans son discours de Vladivostck en juillet 1986, puis dans celui de Krasnoyarsk en 1988 – et la crainte d'un voisin puissant auquel l'histoire l'a souvent confrontée. En même temps, les difficultés économiques de la Russie créent des distorsions graves dans la distribution des crédits. Les restrictions décidées pour empêcher l'immigration clandestine ont, du même coup, réduit largement les bénéfices commerciaux. En fait, la province serait presque tentée de négocier elle-même sa propre destinée, que ce soit avec le gouvernement central ou avec ses voisins immédiats.

Le 30 mai 1995, les acteurs se sont mis d'accord pour créer des commissions chargées de coordonner les initiatives en matière de commerce, investissements, infrastructures, banques, finances, protection de l'environnement et développement social ; ces commissions ne sont pas encore des instances de décision. Mais le 31 octobre de la même année, le bureau du PNUD pour le TREDA avait dépensé 3,5 millions de dollars prévus pour l'étude de faisabilité et fermé son bureau de New York pour ne garder que celui de Pékin.