Magazine H2o | 2. Le contexte historique | Le projet de développement de la rivière Tumen | Géopolitique-Conflits régionaux

Dessin de tracé de fleuve

Accueil > Urgences > Géopolitique > Le projet de développement de la rivière Tumen
logo lien vers www.lemeeb.net


Utopie ou réalité ?
Le projet de développement de la rivière Tumen

Mots clés : tigre de Sibérie, léopard de l'Amour, baie de Pos'yets, Chine, Mont Paektu, Russie, Moscou-Vladivostock, Tuman-gang, Tumen, Yalu
Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
Index du dossier
1. Le contexte géographique et écologique
2. Le contexte historique
3. Le contexte politique et économique
4. Le projet de développement et ses acteurs
5. Conclusion
6. ResSources
199902_tumen_2.jpg

Le contexte historique

 

Ce sont les traités de Nerchinsk, le 27 août 1689 et de Kiakhta,, le 21 septembre 1727, qui ont défini les frontières entre la Russie et la Chine impériale, du sud du lac de Baïkal jusqu'à la mer d'Okhotsk. À cette époque, la Chine englobait la Mongolie actuelle et tout le bassin de l'Amour. Ce tracé est resté inchangé jusqu'au 16 mai 1858, date du traité d'Aigoun par lequel la Russie obtient le droit de surveiller le territoire du nord de la rivière Yalu, occupe la ville de Khabarovsk à la jonction de la rivière Oussouri et de l'Amour et obtient en même temps la rive gauche de l'Amour. Par le traité d'Aigoun, la Chine abandonne 479 150 km2 à la Russie. Ce traité, ainsi que celui de Pékin, signés en position de faiblesse politique, ont toujours été qualifiés haut et fort par la Chine de traités inégaux.

Le traité de Pékin, conclu le 2 novembre 1860, accroît encore l'espace cédé à la Russie : il s'agit cette fois de 344 470 km2. La Russie acquiert la région de l'est de l'Oussouri jusqu'au Pacifique et fait du même coup de l'estuaire de la rivière Tumen le point de jonction entre trois pays, la Chine, la Corée - alors sous protectorat chinois depuis le XVIIème siècle - et la Russie. Jusqu'à cette date, la rivière ne séparait que la Chine et la Corée. Lors de la signature du traité, les deux parties ont eu du mal à s'entendre sur l'emplacement exact de l'embouchure : les Russes voulaient reculer la frontière de "vingt li" par rapport à l'emplacement accepté par les Chinois. Finalement le compromis se fit à mi-distance entre ces deux points, c'est-à-dire à 15 kilomètres de la mer. L'empire chinois est désormais privé de sa façade maritime de l'Est. Poursuivant son avancée vers la mer de l'Est (mer du Japon), la Russie fonde officiellement en 1860 la ville de Vladivostok, le "seigneur de l'Orient" (avant l'arrivée russe, la ville était un village chinois, du nom de Haichengwei, "baie des concombres de mer"). La Russie pousse alors la dynastie Qing à lui octroyer les zones côtières du nord de la ville, c'est-à-dire toute la province de Primorié, ou future Province maritime qui s'étend de l'estuaire de la rivière Tumen en remontant le long de la mer du Japon vers l'île de Shakalin.

En 1868, l'accord de Hunchun adoucira quelque peu le traité de Pékin en reconnaissant aux Chinois le droit de passage dans l'estuaires à condition qu'ils notifient chaque trafic aux autorités russes.

À partir de 1963, les incidents frontaliers se sont multipliés. Dès 1964, le président Mao, dans un discours aux parlementaires japonais, fait allusion aux territoires perdus. Par la suite, la Chine a périodiquement et plus ou moins ouvertement remis les questions frontalières sur la table des négociations avec la Russie, notamment après des incidents violents sur la rivière Oussouri en 1969.

La rivière Tumen traverse la province de Jilin, province lointaine, coincée entre la province frontalière de Heilonjang et le Liaoning industriel. Jilin est restée quelque peu oubliée dans son développement par le gouvernement central en raison des aléas de l'histoire : rivalité sino-soviétique, guerre de Corée, militarisme japonais. Sur les deux millions de ressortissants du "Pays du matin calme" qui vivent le long de la frontière, 63 % sont regroupés principalement dans la préfecture coréenne autonome de Yanbian. Rien d'étonnant à cette installation puisqu'au cours de l'histoire la population coréenne est allée vers le nord au-delà de Harbin. Lorsque, à partir de 1905-1906, la Corée s'est retrouvée sous protectorat japonais, puis annexée à partir de 1910 pour 35 ans, la population est passée en Mandchourie devenue, sous la férule japonaise, État de Mandchouhuo de 1932 à 1945. En 1945, 11 % de la totalité des Coréens sont installés au Japon ou en Mandchourie. Les Coréens qui vivent aujourd'hui dans la province de Jilin sont parfaitement intégrés à la population chinoise mais ils entretiennent toutefois leur culture, leur langue (la signalisation urbaine est dans les deux langues)et dans certains villages leur architecture d'origine. En Russie, la présence coréenne est antérieure à l'invasion japonaise. Pendant l'occupation japonaise, certains d'entre-eux s'étaient en plus installés du côté russe de la frontière, dans la province de Primorié, où ils ont d'abord été bien intégrés, mais à la suite d'incidents de frontière, leur situation est devenu inconfortable. Les Soviétiques craignaient quelques connivences avec les Japonais. En 1937, Staline les a déportés pour la plupart au Kazakhstan. Certains sont aujourd'hui revenus mais leur recencement est difficile.

La rivière Tumen change donc de partenaires en 1832 et devient alors frontière entre d'autres acteurs qui sont le Japon (Corée, Mandchoukouo) et la Russie. Les relations entre les Japonais et les Russes, devenus Soviétiques, dabord faites de concessions successives de la part de Moscou vis à vis des exigences de plus en plus poussées des Japonais, se tendront peit à peit et donneront lieu à des escarmouches dont une en particulier conditionne encore le bornage actuel de la frontière.

En effet, en 1938, les Soviétiques avaient commencé la construction d'une base sous-marine et d'un aéroport militaire à Pos'yets. Pos'yets est à 25 kilomètres de l'estuaire de la rivière Tumen. En réaction, les Japonais décidèrent d'occuper le plateau de Changkufeng - plateau stratégique puisqu'il domine la baie - et de barrer l'estuaire. Il s'ensuivit une bataille qui dura un mois, au lit dit Fangchuan, le point chinois le plus proche de la mer du Japon. Les morts dont le souvenir reste encore attaché à ce lieu seront nombreux : officiellement 158 du côté japonais, 236 du côté soviétique et plusieurs centaines de blessés de part et d'autre.
Les traités définissant la frontière russo-chinoise n'ont pas été très précis et les litiges frontaliers se sont multipliés. Les tentatives de résolution concentrées en particulier sur la partie terrestre de la frontière, ont abouti le 16 mai 1991, à un accord préliminaire par lequel Russes et Chinois se cèdent mutuellement du terrain. Cet accord, dont les clauses principales sont restées secrètes, a été ratifié en mars 1992 par les deux gouvernements. Il est entré en application en mai de la même année. Une commission mixte de démarcation a été chargée de procéder à l'abornement de la frontière. Pour la partie qui nous intéresse, la Russie cède à la Chine une bande de terrain de 328 hectares, situés le long de l'estuaire de la rivière Tumen, dans le district de Khasan, en bordure du lac du même nom. Cette acquisition rapproche un peu la Chine de la mer, mais ne lui en fournit pas encore l'accès. La commission de bornage devrait prochainement terminer son travail.