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World Water Forum III
Les Objectifs du Millénaire sont encore lointains

Mots clés : Forum Mondial de l'Eau, Gestion intégrée des ressources en eau, Kyoto, Objectifs du Millénaire pour le Développement, OMD, partenariats public privé, PPP, politiques de l'eau, water policies, World Water Forum, WWF-3
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Dossier de
Martine LE BEC
  
February 2003
Index du dossier
1. Les Objectifs du Millénaire sont encore lointains
2. La Gestion intégrée des ressources en eau par Jean-François Donzier
3. Promouvoir les partenariats public-privé par Pierre Jacquet
4. Pour un nouveau PPP : le partenariat public-public par Riccardo Petrella
5. Le droit à l'eau au Forum de Kyoto par Henri Smets

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Pour un nouveau PPP : le Partenariat Public-Public

 

Riccardo PETRELLA
professeur à l’Université Catholique de Louvain
conseiller à la Commission européenne


L’idée du partenariat public-privé

L’idée d’un partenariat public-privé (PPP) remonte au moins à la fin du 19ème siècle lorsque aux États-Unis, en pleine expansion d’un capitalisme sauvage, on privatisa le secteur des télécommunications. À cette occasion on inventa la notion de "service universel" par lequel la prestation des services communs jusqu’alors publics, était confié à des opérateurs privés – en régime "qui auraient dû être concurrentiels" – dans le cadre d’un contrat public privé où le public gardait la propriété du service, fixait les règles (en termes d’obligations, conditions, et modalités des prestations, de tarifs…) et maintenait, grâce à une autorité ad hoc, le pouvoir de contrôle sur l’exécution du contrat.

Le partenariat public privé est une des réponses préférées – notamment dans la deuxième moitié du 20ème siècle – données par les classes dirigeantes des pays occidentaux à la question de savoir quel doit être le rôle des pouvoirs publics, en particulier de l’État et des collectivités locales, dans l’économie (c’est à dire dans la fixation des règles définissant la propriété des biens et des services ainsi que les processus de décision et de gestion en matière d’allocation des ressources matérielles et immatérielles disponibles pour la production , la consommation et la protection notamment des biens et des services considérés essentiels à la vie individuelle et au vivre ensemble).

La base théorique sur laquelle se fonde le PPP relève à la fois des principes de l’économie libérale capitaliste de marché et des principes de l’économie "sociale" corporatiste. En ce qui concerne le premier groupe de principes, la thèse consiste à dire que le rôle de l’État doit être principalement un rôle d’encadrement et de régulation générale. De nos jours, cela signifie que le rôle principal de l’État serait de définir et promouvoir (y compris par exemple dans le domaine de la R&D, de l’éducation, des infrastructures de base…) l’environnement général le plus favorable au fonctionnement de l’économie capitaliste de marché, n’intervenant qu’exceptionnellement dans la vie économique pour corriger les "échecs du marché" (market failures). En ce qui concerne le deuxième groupe de principes, la conception sous-jacente affirme que chaque groupe social, chaque groupement d’intérêt doit être en mesure de s’organiser en tant que tel et qu’il revient à l‘État de favoriser la cohésion entre ces multiples corporations d’intérêt promouvant une coopération publique privée étroite.

L’ensemble de ces principes a donné naissance à de multiples formes de collaboration publique privée dans des sociétés d’économie mixte (les SEM) en France ou en Allemagne, en fonctionnement depuis plusieurs décennies, représentent l’archétype de modèle de PPP préféré, par exemple, plus près de nous, par la Banque Mondiale. Une variante de cette économie mixte qui a eu une grande diffusion en France dans le domaine des services d’eau est la privatisation de ces services fondée sur le principe de la gestion déléguée. Selon ce système, l’État garde la propriété du bien (dans ce cas l’eau) ainsi que du réseau infrastructurel de base, et délègue au privé la gestion par un contrat d’affermage ou de concession, tout en conservant – affirme-t-on – le pouvoir de contrôle politique sur la gestion.

Il y a deux arguments en faveur de ce PPP.

Primo, on doit faire une nette distinction entre propriété et gestion d’un service, la gestion pouvant, voire devant, être confiée au privé car "les privés gèrent mieux", "le privé est plus efficace", "le privé sait mieux répondre aux besoins diversifiés changeants des consommateurs". Secundo, ce qui compte pour le politique c’est de maintenir le pouvoir de contrôle sur la gestion.

L’expérience pluri-décennale française, américaine, et plus récente, britannique, démontre que les deux arguments ne tiennent pas debout. D’une part le privé est loin d’être toujours aussi efficace qu’il le prétend. Les pays scandinaves ou la Suisse montrent que le "tout public" n’a rien à envier au privé sur le plan de l’efficacité. Comme d’ailleurs on doit aussi considérer que "le tout public" n’est pas toujours un exemple de bonne gestion. D’autre part, au fil des années, dans le cadre d’un contrat de gestion d’une durée de 20 à 30 ans, le pouvoir public perd la capacité réelle de contrôle sur le privé car c’est ce dernier qui acquiert définitivement les connaissances nécessaires et indispensables sur le pan scientifique, technologique, gestionnaire et financier, sur la base desquelles on peut prendre les décisions. Formellement, le pouvoir de décision et de contrôle demeure dans le derechef des pouvoirs publics. De facto, elles en sont dépossédées.

Au-delà du débat sur l’efficacité comparée privé versus public, trois raisons m’amènent à défendre la solution du "tout public" et à proposer le rejet du PPP dans le cas des biens et des services considérés essentiels à la vie individuelle et au vivre ensemble des êtres humains.

Primo, le PPP favorise la marchandisation des biens et des services tombant sous son régime, malgré les dénégations formelles de ses promoteurs. La santé, l’éducation, l’eau pour ne mentionner que les exemples plus significatifs sont réduits à des marchandises comme le pétrole, les légumes, les loisirs. On ne peut pas marchandiser le droit à la vie et la dignité humaine.

Secundo, le PPP se traduit par la privatisation du politique, le pouvoir réel de décision en matière d’allocations des ressources passant des sujets publics à des sujets privés.

Tertio, le PPP contribue à transformer la nature de l’État et des collectivités territoriales publiques en les faisant devenir des entreprises de type privé. Même si les entreprises publiques de gestion des services d’eau gardent la majorité du capital, elles opèrent comme n’importe quelle autre entreprise capitalistique privée. De facto une collectivité locale possédant la majorité du capital d’une entreprise publique privée devient à plein titre effectif un sujet opérant dans ce marché financier compétitif et obéissant à des logiques capitalistiques financières. Elles cessent dès lors d’être un sujet collectif.

Les trois dérives graves dont ci-dessus deviennent encore plus évidentes au plan international et mondial. C’est le cas du principe de conditionnalité imposé par la Banque Mondiale à tout pays demandant un prêt. L’octroi du prêt est lié à la condition que le pays procède à la libéralisation et à la déréglementation (ce que de fait se traduit par la privatisation) du secteur pour lequel le pays obtient le crédit. Par l’imposition de ce partenariat public privé, la Banque Mondiale a favorisé au cours des 25 dernières années la prise de contrôle et la mainmise par les entreprises multinationales privées (à savoir occidentales) de la plupart des ressources naturelles d’un nombre considérable de pays d’Afrique, d’Amérique Centrale et Méridionale et d’Asie. Aux mêmes résultats ont abouti et aboutissent d’une part les mesures de libéralisation et de déréglementation des services publics conséquents à la création du Marché Unique européen de l’Union européenne et d’autre part, les négociations pour un Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) dans le cadre de l’OMC, si elles aboutissent, conformément aux objectifs affichés par l’OMC.

Il est urgent et indispensable de mettre en oeuvre un autre PPP, à savoir le Partenariat Public-Public, au plan intercommunal, inter-régional, international et mondial.

Le principe de base de cet autre PPP réside dans le fait que tous les biens et les services considérés essentiels à la vie et au vivre ensemble doivent être considérés comme des biens communs, des biens communs globaux, mondiaux et que l’accès à ces biens et services doit être reconnu comme un doit humain universel, indivisible, imprescriptible.

Dès lors, le partenariat public-public signifie qu’aucun sujet même public n’est propriétaire patrimonial à titre souverain et exclusif des biens et des services communs. Ma thèse est qu’il ne peut pas y avoir de "souveraineté communale" ni de "souveraineté nationale" dans ce domaine mais, au contraire, partage total de pouvoir de décision et de contrôle et solidarité (c’est-à-dire co-responsabilité, "in solido") entre les différents niveaux institutionnels publics. Ceci implique et impose une logique et une pratique de coopération et de partenariat entre les différents niveaux institutionnels.

Qu’il s’agisse de l’eau ou de la protection de la biodiversité, des soins de santé ou de la connaissance, de l’énergie solaire ou de l’éducation, des pensions de vieillesse ou de la culture, il ne peut pas y avoir de marché mondial mais c’est de la responsabilité des pouvoirs publics de prendre soin, garantir et valoriser dans la coopération et non pas dans la compétition, dans l’intérêt de tous (y compris les générations futures) et de l’éco-système Terre ces biens et ces services essentiels à la vie et au droit à la vie. Ce soin, cette garantie et cette valorisation ne peuvent se faire que dans le cadre d’une réelle démocratie participative même au niveau international et mondial. C’est là l’un des défis majeurs de la créativité et de l’innovation de nos sociétés pour les années à venir. En effet, les logiques de guerres commerciales, technologiques, financières, auxquelles n’échappe point la pratique du partenariat public privé, à la base de la violence qui caractérise aujourd’hui les sociétés contemporaines et le phénomène de mondialisation sont contraires à l’esprit de démocratie et de paix. .