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World Water Forum III
Les Objectifs du Millénaire sont encore lointains

Mots clés : Forum Mondial de l'Eau, Gestion intégrée des ressources en eau, Kyoto, Objectifs du Millénaire pour le Développement, OMD, partenariats public privé, PPP, politiques de l'eau, water policies, World Water Forum, WWF-3
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Dossier de
Martine LE BEC
  
February 2003
Index du dossier
1. Les Objectifs du Millénaire sont encore lointains
2. La Gestion intégrée des ressources en eau par Jean-François Donzier
3. Promouvoir les partenariats public-privé par Pierre Jacquet
4. Pour un nouveau PPP : le partenariat public-public par Riccardo Petrella
5. Le droit à l'eau au Forum de Kyoto par Henri Smets

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Promouvoir les partenariats public-privé

 

Pierre JACQUET
chef économiste à l’Agence française de développement – AFD

L’auteur remercie Olivier CHARNOZ pour sa contribution à la rédaction de cet article


Bien conçus, les partenariats public-privé (PPP) représentent l’un des débouchés les plus prometteurs de l’aide publique au développement (APD). C’est pour cette raison que chaque nouvelle conférence – Monterrey, Johannesburg, Kyoto, etc. – les a placés un peu plus au cœur de l’actualité. Leur principe ? Réunir autorités publiques et agents privés pour concevoir, financer, construire, gérer ou préserver un projet d’intérêt public. Les PPP supposent un partage de responsabilité et de propriété, entre gouvernement et secteur privé – un partage garanti par contrat de longue durée. Parmi les secteurs typiquement ou potentiellement concernés : l’eau potable, l’assainissement, les transports, les infrastructures de communication, la santé, l’éducation.

Les PPP ne sont pas une "recette" que le Nord réserve au Sud. De nombreux pays riches ont adopté cette démarche dans l’intérêt de leur propre population. Deux motivations fondamentales expliquent ce choix. D’abord la recherche d’une plus grande efficacité dans l’utilisation des fonds publics, d’un meilleur rapport qualité/prix de certains services d’intérêt commun. Pour des raisons dues à la connaissance des marchés ou à la structure des incitations, les bonnes décisions – technologiques et managériales – seront souvent plus facilement et plus rapidement prises lorsqu’un capital privé est en jeu. De là une réduction des coûts, à qualité constante, dont le contribuable entend bénéficier.

Ensuite, le secteur privé délivre le public d’une partie du risque financier lié aux investissements en infrastructures. Un recours aux capitaux privés réduit aussi le besoin d’endettement public. Certes, les autorités doivent en général garantir à l’opérateur privé une rétribution. Toutefois, dans le cas d’un PPP, ce paiement est conditionné aux résultats effectifs de l’opérateur – des résultats qui doivent se conformer à un cahier des charges précis, ce qui le distingue du service d’une dette dont la contrepartie n’est pas toujours évidente.

Ces deux familles d’arguments acquièrent une intensité particulière dans le contexte des pays en développement (PED). L’expertise technique et le capital humain drainés par le secteur privé international bénéficient d’autant plus aux pays qui en manquent structurellement. Le secteur privé local peut lui aussi jouer un grand rôle : il connaît les contraintes et les pratiques du terrain ; il est économiquement incité à contourner celles qui nuisent à la viabilité du service – contrairement, parfois, à un agent public. Enfin, les contraintes de financement qui pèsent sur les budgets des PED (suite à l’absence de classe moyenne, à la faiblesse du système fiscal ou encore à leur endettement) rendent essentiel, voire vital, l’appel aux capitaux privés.

De fait, en dépit de récents progrès, les besoins des PED en services essentiels demeurent considérables. Seuls deux êtres humains sur cinq disposent d’un accès régulier à l’eau potable ; moins de 10 % des eaux usées de la planète sont traitées ; plus de deux milliards d’individus sont privés d’électricité (75 % de la population du Ghana par exemple) ; une écrasante majorité de pays africains ne dispose même pas d’un médecin pour 10 000 habitants (quand il y en a 30, par exemple, en France). L’insuffisance des financements publics est claire. Dans le secteur de l’eau par exemple, ils couvriront au mieux 15 % des besoins en infrastructures ces prochaines années.

Associer fonds publics et privés est donc impératif – à une toute autre échelle que celle qui prévaut aujourd’hui. En 2000, près de 150 chefs d’État et de gouvernements ont adopté aux Nations unies la "Déclaration du Millénaire" – un ensemble d’objectifs mondiaux de développement à l’horizon 2015 : lutte contre l’extrême pauvreté et la faim, contre la mortalité infantile et maternelle, contre les pandémies ; promotion de l’éducation universelle, de l’égalité des sexes ; diffusion de l’accès à l’eau et à l’assainissement… Autant de croisades modernes qui nécessiteront, chaque année pendant quinze ans, un doublement de l’APD mondiale. Autant dire que les "Objectifs du Millénaire" sont durablement hors de portée des seuls fonds publics, malgré le regain d’intérêt dont l’APD bénéficie de nos jours.

Certains critiquent les PPP sous prétexte qu’ils reviendraient à "rendre service aux multinationales". Ce sont souvent les mêmes qui s’opposent à la fourniture des services de base aux populations par le secteur privé parce qu’elle représenterait un marché pour les entreprises, comme si on pouvait se passer de ces dernières. Or, les entreprises étrangères sont globalement peu présentes dans les pays pauvres. La présence de multinationales ne garantit certes pas un développement harmonieux. Mais leur absence contribue à maintenir les pays pauvres dans le piège du sous-développement.

Force est cependant de constater que les PPP ne se développent pas naturellement, du fait de l’intérêt insuffisant, précisément, des partenaires privés. Face à la montée des risques-pays, du risque de change et des sanctions infligées par les marchés financiers aux firmes qui maintiennent ce type d’exposition internationale, et suite à la grave crise argentine, les flux d’investissements privés ont en effet marqué le pas.

Comment comprendre ce reflux ? Est-il toujours l’expression de décisions informées, rationnelles, "efficaces" du point de vue économique ? Certains observateurs ont souligné par exemple que le retour sur investissement en Afrique est tellement faible qu’il est parfaitement rationnel et conforme à l’allocation optimale des ressources que son volume le soit également. Manque d’ouverture commerciale, faible capital humain, environnement risqué, infrastructures défaillantes : voilà comment s’expliquerait rationnellement le triste sort de l’Afrique sub-saharienne, repoussoir de l’investissement privé .

Cependant, la marginalisation de nombreux pays pauvres renvoie aussi à des défaillances de marché auxquelles l’APD peut apporter des réponses, notamment à travers les PPP. Prenons l’exemple de l’information imparfaite des agents – une imperfection particulièrement coûteuse pour les PED et leur développement. L’information a un coût que nul agent isolé n’a intérêt à prendre en charge seul, car elle constitue au moins en partie un bien public. La mise en place de PPP, à l’initiative d’une agence de développement et des autorités publiques, peut exercer un fort effet de signal à l’attention des investisseurs privés, et compenser ainsi le manque d’information sur le climat d’investissement et les intentions des gouvernements.

Autre exemple : les risques non-commerciaux. Risques pays, rupture des contrats, risques politiques, corruption… L'investissement direct étranger est très sensible aux conditions de la gouvernance locale. Les entreprises qui hésitent à intervenir dans les PED peuvent changer d’avis si des bailleurs de fonds (qui connaissent le terrain, les autorités publiques et dont la présence rassure) prennent en charge une partie du risque inhérent à ces géographies. Les agences d’aide peuvent proposer de nouveaux instruments de couverture, en contrepartie d’engagements précis de chacun des acteurs d’un PPP – d’où l’importance de la conditionnalité pour les pays bénéficiaires et de cahiers des charges précis et exigeants pour les entreprises. De tels partenariats peuvent mobiliser des investissements privés pour des projets d'utilité sociale.

Le succès d’un PPP dépend de façon déterminante du régulateur public. Sa défaillance et son manque d'ascendant sont souvent source de fautes trop vite imputées aux seules entreprises : iniquité sociale, tarifs fluctuants, corruption, normes sanitaires et sociales incertaines, sous-investissement. Il faut donc accorder la plus haute importance aux mécanismes de régulation. Pour arbitrer intérêts publics et contraintes privées, l’une des voies à suivre semble être la mise en place de régulateurs indépendants, au dessus de tout soupçon, comme par exemple des agences régionales.

Les agences d’aide, bilatérales et multilatérales, ont un rôle majeur à jouer pour soutenir l’effort d’aide publique au développement. Elles doivent pour cela apporter la preuve de leur efficacité. L’une de leurs responsabilités consiste à savoir mobiliser, à partir de fonds publics limités, des ressources suffisantes pour assurer la fourniture des services essentiels aux populations des pays pauvres. Les PPP fournissent un instrument particulièrement adapté, leur permettant d’associer, à chaque mise de fonds publique, la participation d’entreprises locales ou étrangères prêtes, dans le cadre d’une relation contractuelle exigeante, à prendre le risque de l’investissement. C’est ce risque, et l’espoir de profit social et privé qui l’accompagne, qui fonde toute dynamique de croissance durable. .

 

ResSources
Devarajan S, Easterly W & Pack H, Is Investment in Africa Too High or Too Low ? Macro and Micro Évidence, Working Paper 2519, Banque mondiale, novembre 1999. Voir aussi par les mêmes auteurs : Low Investment is not the Constraint on African Development, working paper 13, Center for Global Development, octobre 2002.
Collier P & Gunning J W, Explaining African Economic Performance, Working Papers 97-2.1, Centre for the Study of African Economies, University of Oxford.