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World Water Forum III
Les Objectifs du Millénaire sont encore lointains

Mots clés : Forum Mondial de l'Eau, Gestion intégrée des ressources en eau, Kyoto, Objectifs du Millénaire pour le Développement, OMD, partenariats public privé, PPP, politiques de l'eau, water policies, World Water Forum, WWF-3
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Dossier de
Martine LE BEC
  
February 2003
Index du dossier
1. Les Objectifs du Millénaire sont encore lointains
2. La Gestion intégrée des ressources en eau par Jean-François Donzier
3. Promouvoir les partenariats public-privé par Pierre Jacquet
4. Pour un nouveau PPP : le partenariat public-public par Riccardo Petrella
5. Le droit à l'eau au Forum de Kyoto par Henri Smets
 

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Gestion intégrée des ressources en eau : les nouvelles orientations

 

Jean-François DONZIER
directeur général de l'Office International de l'Eau
secrétaire du Réseau International des Organismes de Bassin

 

Comme c'est déjà le cas dans des régions du monde au climat aride et comme l'ont démontré les Conférences Internationales de Paris, de La Haye et de Bonn de mars 1998 et 2000 respectivement, et décembre 2001, ainsi que le Sommet Mondial du Développement Durable de Johannesburg en août 2002, la disponibilité de ressources en eau douce continentale, en quantité et qualité suffisantes, court le risque de devenir, d'ici une génération (en 2025), un véritable enjeu de développement économique et social dans la plupart des pays de notre planète. C'est sur cette constatation que la Communauté internationale se mobilise à Kyoto, en mars 2003 pour le 3ème Forum Mondial de L'eau.

Une situation préoccupante

Si l'eau est abondante sur la terre, 97 % est de l'eau salée, stockée dans les mers et les océans.

L'eau douce est rare. Sur les 3 % d'eau douce, 70 % sont gelés dans la banquise des pôles et les glaciers des hautes montagnes. L'eau douce liquide, celle dont les hommes pourraient théoriquement disposer pour satisfaire à tous leurs besoins, ne représente donc qu'à peine 1 % de l'eau totale de notre planète et l'essentiel se trouve dans les nappes souterraines. La quantité d'eau douce disponible dans le lit des rivières, les lacs et les marais est en fait dérisoire, dont 15 % du stock mondial dans le seul bassin de l'Amazone.

Les ressources sont mal réparties. L'eau douce est en outre très irrégulièrement répartie entre les régions du monde et sujette à de très fortes irrégularités saisonnières et de grandes fluctuations inter-annuelles. Pour schématiser, ce qui est disponible, c'est en fait la quantité des précipitations qui tombent dans une "cuvette", qui est le bassin versant des fleuves et de leurs affluents, compte tenu de la "fuite" que représentent les écoulements à l'embouchure vers la mer ou l'évaporation. Les lacs naturels ou artificiels, les marais, et nappes souterraines jouent le rôle d'"éponges-réservoirs". Or ces précipitations (pluies ou neige) ne sont pas uniformes, ni dans le temps, ni sur le territoire. On sait tous qu'il y a des pays arides et des pays humides, des années sèches et des années pluvieuses, mais les variations par rapport aux moyennes annuelles sont elles-mêmes considérables. Des pluies peuvent être violentes, se concentrant sur quelques semaines par an et provoquant alors des inondations parfois meurtrières et dévastatrices dont l'essentiel du débit ne peut être stocké et retourne à l'océan, et être suivies ensuite de longs mois de sécheresse, c'est le cas du climat méditerranéen ou des zones de mousson. À l'inverse, ce n'est pas parce qu'il tombe très fréquemment un petit crachin, sur une longue période annuelle, que l'eau disponible n'est pas globalement rare comme par exemple en Europe du Nord-Ouest.

Rapportées aux populations, les ressources en eau par tête sont révélatrices des niveaux de richesse ou de pauvreté en eau des pays. Elles vont d'une extrême pauvreté avec moins de 100 m3/an/habitant, à la surabondance avec plus de 10 000 m3/an/habitant. Au-dessous du seuil de 1 000 m3/an de ressource naturelle par habitant, des tensions apparaissent entre les besoins et les ressources, notamment lorsque l'irrigation est nécessaire. Le "seuil de pénurie" se situe à 500 m3/an de ressource par tête. D'ores et déjà dans plusieurs pays la quasi-totalité des ressources naturelles renouvelables est déjà exploitée, voire outrepassée. Dans un même pays, les régions sont plus ou moins bien dotées. En Algérie par exemple, 75 % des ressources renouvelables sont concentrées sur 6 % du territoire. L'irrégularité du régime des eaux superficielles impose d'amples efforts de maîtrise par des aménagements régulateurs, mais les équipements les plus faciles, et les moins coûteux, sont déjà réalisés pour la plupart, aussi les opérations de mobilisation des eaux coûtent de plus en plus cher, tout en étant de moins en moins rentables. En outre, l'efficacité des barrages-réservoirs est réduite par la forte évaporation qui affecte les plans d'eau : par exemple, en Égypte, la perte moyenne par évaporation du barrage d'Assouan est de 12 % du débit du Nil.

La compétition est effrénée entre les usagers. L'hydroélectricité, dont le rôle régulateur en période d'inondation ou de sécheresse est indéniable, peut cependant créer localement des perturbations importantes dans le régime des eaux : détournement artificiel de débits élevés vers d'autres bassins, submersion des régions concernées par les lacs-réservoirs, évaporation intense sur les plans d'eau en périodes chaudes, limitation des débits résiduels modifiant l'écologie des cours d'eau d'aval ainsi que la vie de la faune aquatique, remontée de l'eau de mer dans les estuaires, etc. En outre, les barrages sont progressivement comblés par les alluvions produites par l'érosion des bassins versants. Mais la consommation nette de l'hydroélectricité est pourtant très faible car l'essentiel des débits turbinés est restitué à l'aval des usines de production.

Donc, c'est surtout le problème du partage de l'eau entre l'irrigation et les grandes villes qui se pose dans de nombreuses situations. L'agriculture représente de l'ordre de 75 % de la consommation mondiale et sa demande continue de croître compte tenu des impératifs de satisfaction de besoins alimentaires, qui, dans une majorité de pays émergeants ou en développement, nécessitent d'avoir recours à l'irrigation. Les villes, qui regroupent désormais une majorité de la population mondiale, vont également voir leur demande s'accroître pour faire face à leur croissance démographique et au développement industriel et parfois touristique, notamment dans les monstrueuses mégalopoles des Pays du Sud : 550 villes auront plus d'un million d'habitants en 2020.

La surexploitation des nappes d'eau souterraines peut également entraîner leur épuisement, le tarissement des rivières qu'elles alimentent, ou pire encore en zone côtière la remontée des eaux salées ou saumâtres.

La pollution des eaux augmente sensiblement. Avec le développement et la concentration des populations, les pollutions rejetées, industrielles bien sûr, mais aussi urbaines et presque partout agricoles, créent, au moins localement, des situations dangereuses pour l'hygiène et la santé humaine et empêchent la réutilisation successive de la ressource d'amont vers l'aval et dans les nappes. Le traitement des rejets, permettant la réutilisation des eaux épurées, est une nécessité, notamment dans les pays émergeants.

La production d'électricité thermique crée une forte pollution par la température avec la chaleur des eaux de refroidissement rejetée dans le milieu naturel. Les rejets concentrés des eaux usées domestiques ou des eaux toxiques industrielles non traitées ont évidemment des conséquences écologiques considérables.

Mais il faut aujourd'hui surveiller les pollutions diffuses de l'agriculture dues aux déjections des élevages et à l'emploi souvent inconsidéré des engrais chimiques et des produits de traitement phytosanitaire, dont les effets sur les rivières, et surtout les nappes, peuvent être désastreux sur le long terme. L'industrie agricole et alimentaire est source d'une très forte pollution en matière sèche et organique. C'est notamment le cas de la production du café dans certains pays.

Bien sûr, l'extraction de granulats et l'activité minière créent des perturbations énormes du régime des cours d'eau et de l'écoulement des nappes, des risques d'effondrement de terrain et d'érosion, et le traitement des minerais produit des pollutions très significatives en alluvions et en produits toxiques, tel que le mercure.

Aujourd'hui, il est fréquent dans le monde que dans des régions où l'eau n'est pourtant pas rare, son usage soit rendu impossible par la pollution. Les maladies hydriques sont également la première cause de mortalité humaine dans le monde.

On observe un gaspillage inadmissible. Mais dans la majorité des situations, les difficultés proviennent d'abord d'une absence ou d'une insuffisance d'organisation collective et d'une irresponsabilité des consommateurs. Les chiffres avancés, en moyenne mondiale, mettent en évidence des pertes par évaporation et infiltration de l'ordre de 70 % en irrigation traditionnelle. En ville, on estime à 50 % le taux mondial des fuites sur les réseaux d'eau potable. Il est bien clair qu'avant d'aller chercher à mobiliser de nouvelles ressources, la priorité est à un usage optimum des ressources actuelles : donc l'urgence est à la lutte contre les gaspillages.

Les risques naturels sont mal contrôlés. Chaque année à travers le monde les inondations font des milliers de victimes et des milliards de dollars de dégâts. Les sécheresses sont fréquentes et peuvent encore entraîner des famines locales. Enfin la déforestation sauvage et l'élevage intensif mal contrôlé conduisent à une reprise de l'érosion qui se traduit par la perte de milliers d'hectares, aggrave les pics d'inondation et de sécheresse, pollue les rivières du fait de la charge en alluvions, qui aussi colmatent les barrages et réservoirs.

Vers une crise mondiale de l'eau ? L'aridité est malheureusement incontrôlable, sauf par la réalisation de très grands systèmes de transfert d'eau à longue distance, par le prélèvement dans les nappes profondes fossiles lorsqu'il en existe ou en zones côtières par le dessalement d'eau de mer, techniques dont les coûts sont le plus souvent exorbitants. Dans ces conditions, compte tenu de l'accroissement des besoins et des pollutions, l'eau risque de devenir dans beaucoup de régions un facteur limitant du développent futur et l'objet d'âpres compétitions entre ses usagers potentiels. Ces perspectives inquiétantes ne sont pas de la science fiction : d'ores et déjà dans plusieurs pays, les besoins dépassent les ressources renouvelables annuelles et les études prospectives montrent que, sans modifications substantielles des pratiques actuelles, des situations critiques apparaîtront dès la première moitié du siècle, et ceci sur tous les continents.

Il faut donc apporter rapidement des solutions aux problèmes qui se posent ou risquent de se poser à court terme, pour être capables d'assurer une gestion intégrée et durable de l'eau, permettant à la fois :

la protection contre les risques naturels d'inondation, de sécheresse et d'érosion ;
la satisfaction des besoins rationnels et légitimes des différentes catégories d'usagers, en cohérence avec un aménagement approprié des territoires des bassins ; la préservation durable des ressources et des écosystèmes liés à l'eau.


Des solutions sont possibles

Il faut faire vite, car il y a urgence et que les solutions possibles n'auront d'effet qu'à moyens et longs termes. C'est donc tout de suite qu'il faut engager à grande échelle les réformes, parfois drastiques, nécessaires et les poursuivre avec opiniâtreté.

Les difficultés rencontrées ne sont pratiquement jamais techniques, même si des adaptations sont encore nécessaires pour les zones rurales et les quartiers urbains défavorisés, mais les principaux problèmes sont liés :

à une insuffisante connaissance des ressources, des écosystèmes et de leurs usages, ainsi que de l'économie de l'eau ;
à une mauvaise organisation des institutions à tous les niveaux, locaux, nationaux et internationaux ;
à l'absence d'une vision globale, à long terme, des ressources et des usages ;
à une insuffisante solidarité des usagers, entre l'amont et l'aval d'un bassin ou pour l'utilisation d'un même grand aquifère ;
à un manque de moyens financiers et des mécanismes permettant de les mobiliser ;
à un énorme retard dans l'éducation et dans la formation professionnelle.

Il y a, de plus en plus, accord des instances multilatérales et des pays pour concevoir une approche moderne de la gestion de l'eau, qui reposerait sur quelques grands principes communs. Cela a été en particulier la grande réussite des Conférences Internationales sur l'Eau, qui se sont tenues à Paris et La Haye en mars 1998 et 2000. Parmi ces principes désormais universellement reconnus, on peut citer :

1. Une vision globale et intégrée
2. Des responsabilités clarifiées
3. Une organisation appropriée
4. Une participation directe et active
5. La lutte contre les gaspillages et la prévention des pollutions
6. L'application du principe "utilisateur-pollueur-payeur"
7. Créer des nouvelles capacités de formation
8. Les connaissances sont insuffisantes


1. Une vision globale et intégrée, visant à la satisfaction optimale de l'ensemble des besoins légitimes, dans le respect des écosystèmes aquatiques.

D'une façon générale dans le Monde, c'est encore malheureusement une gestion éclatée entre secteurs qui prévaut (agriculture, villes, transport, hydroélectricité, industrie...), sans qu'une coordination existe entre les différentes entités administratives sur un même territoire.

Cette gestion suppose que des fonctions soient assurées en permanence de façon complémentaire et cohérente sur l’ensemble des territoires. Il s’agit :

  • de l'administration générale,
  • de la sécurité, et de la prévention des risques et de la police,
  • de la planification,
  • de la réalisation des aménagements structurants, notamment pour réguler les ressources et prévenir l’érosion,
  • de la construction des équipements individuels et collectifs, liés directement à l'utilisation de l'eau, à son économie et à son recyclage, ainsi qu’à l’épuration des rejets polluants,
  • de l'exploitation, de la maintenance et du management des infrastructures hydrauliques et des services collectifs,
  • de la recherches et des études,
  • de la formation, de l’éducation et de la sensibilisation,
  • de l'organisation des systèmes d'observation et d'information sur l'état des ressources et des milieux aquatiques et sur les usages, etc.

C'est bien l'ensemble de ces fonctions qui doivent être organisées de façon pérenne et dont le financement en investissement et en fonctionnement doit être mobilisé et garanti quelles qu'en soient les modalités.

L'ensemble de ces fonctions n'est jamais assuré par un seul organisme et le cas le plus fréquent est celui de la coexistence, dans un même territoire, de compétences et d'initiatives nombreuses, tant individuelles que collectives, tant publiques que privées.

Un consensus doit être recherché.

Il est donc indispensable d'établir de façon claire, indiscutable et transparente le rôle et les compétences de chacun.

2. Des responsabilités clarifiées.

En particulier : 1) l'administration doit définir un cadre législatif et réglementaire, les normes à satisfaire et les procédures à suivre et disposer de moyens juridiques et techniques afin de contrôler leur application sur le terrain et poursuivre les contrevenants ; 2) la décentralisation des responsabilités et des compétences est à envisager dans le cadre d'une loi générale, afin que les décisions soient prises au niveau où se posent les problèmes et en contact direct avec les usagers ; 3) il faut prévoir l'intervention des organismes publics ou associatifs et des entreprises privées chargés de la gestion collective des services d'eau, dans le cadre d'une réglementation claire. Il faut également assurer leurs activités par des contrats pluriannuels qui définissent le cahier des charges, les tarifs et les moyens de contrôle, en particulier par les autorités réglementaires compétentes et autonomes, avec des pouvoirs suffisants.

3. Une organisation appropriée à l'échelle des grands bassins versants et aquifères.

L'eau ne connaît pas les frontières, et la seule échelle de gestion cohérente est celle des bassins versants ou des aquifères, qu'ils soient nationaux ou transfrontaliers. On estime que les deux tiers des grands fleuves sont transfrontaliers, sans compter ceux partagés entre les différents États de grands pays fédéraux, sans que des accords de gestion n'aient été en général conclu entre les autorités responsables.

C'est un des principes qui fait notamment le succès du Réseau International des Organismes de Bassin (RIOB), qui regroupe déjà 149 organismes de 45 pays et dont l'Office International de l'Eau assure le Secrétariat Technique Permanent, avec l'appui des Agences de l'Eau françaises et des Ministères des Affaires Étrangères et de l’Environnement.

Il va de soi que la gestion intégrée des ressources partagées des grands fleuves transfrontaliers sera fondamentale pour l'avenir de certains pays. Il en va de même de la gestion des grands fleuves, lorsque dans des pays fédéraux les responsabilités sont partagées entre le niveau gouvernemental national et les États fédérés.

4. Une participation directe et active des diverses administrations et collectivités territoriales impliquées ainsi, et surtout, de toutes les catégories d'usagers de l'eau.

Ce principe conduit à la mise en place de "Comités de Bassin" fonctionnant en "parlements locaux de l'eau" et compétents pour à la fois :

  • coordonner les différentes initiatives,
  • élaborer les Schémas Directeurs d'Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE) indispensables à une vision cohérente sur le moyen et long terme, et leurs Programmes Prioritaires d'Intervention Pluriannuels (PPIP),
  • décider des moyens financiers à mobiliser pour réaliser les objectifs.

Il faut désigner les membres de ces instances afin qu'ils soient réellement représentatifs de toutes les catégories d'usagers de l'eau. Il faut également assurer une formation spécifique des délégués et leur fournir des informations appropriées pour qu'ils puissent assumer pleinement leurs responsabilités.

5. La lutte contre les gaspillages et la prévention des pollutions permanentes ou accidentelles

Il faut d'abord utiliser moins d'eau pour le même résultat, tant en irrigation qu'en industrie ou en ville. Cela suppose la recherche et l'introduction de nouvelles technologies et aussi la nécessité de réduire les fuites, et de recycler et d'éviter de polluer, mais surtout un effort considérable d'éducation et de transformation des comportements :

  • c'est l'école et la formation,
  • c'est aussi la responsabilisation économique, donc l'introduction de compteurs et d'une tarification, car il est bien connu que l'on se soucie plus des biens qui ont une valeur.


6. L'application du principe "utilisateur-pollueur-payeur" qui, en rendant la contribution de chacun proportionnelle à ses usages ou aux dommages qu'il cause, est la seule approche économique possible permettant de mobiliser les énormes moyens financiers nécessaires, tout en créant les conditions d'incitation économique auprès des usagers pour réduire le gaspillage et les rejets polluants.

Le recouvrement des coûts est encore trop peu répandu. Dans une majorité de pays, d'énormes réticences culturelles, voire religieuses, s'opposent à une approche industrielle et commerciale de la gestion de l'eau. Or, les investissements à consentir dans les prochaines décennies et les frais d'exploitation et de maintenance des équipements sont considérables et ne pourront pas, dans la plupart des cas, être couverts par les budgets publics nationaux ou locaux traditionnels. On estime à environ 180 milliards de dollars par an sur 25 ans les investissements indispensables pour renverser les tendances actuelles et faire face aux nombreux besoins, notamment d'assainissement.

Toutes les institutions internationales s'accordent désormais pour affirmer qu'il n'y a pas de solution au problème de l'eau en dehors de la participation financière directe des usagers et du secteur privé local. En particulier, il est important d'assurer :

  • d'une part, une réelle solidarité entre l'amont et l'aval d'un même bassin et entre les différentes catégories d'usagers de l'eau, car leurs intérêts sont liés : de nombreux usagers payant une petite contribution peuvent mobiliser des sommes considérables dans un bassin suffisamment grand et peuplé ;
  • d'autre part, une gestion économique et efficace des services collectifs des eaux, en particulier l'irrigation, l'alimentation en eau et l'assainissement domestique et industriel, de manière à satisfaire les besoins à moindre coût pour les usagers. Il faut recouvrer, en même temps, les coûts directs des services de distribution et d'épuration, ainsi que les coûts indirects d'administration et de gestion de la ressource et de protection contre les risques.

L'expérience montre que des services modernes peuvent être rendus à des coûts faibles, en tout cas raisonnables : par exemple le prix d'un mètre cube d'eau potable, englobant l'assainissement et l'épuration, les redevances et les taxes, ressort en Europe de l'Ouest à l'équivalence de celui de 2,5 litres de super carburant, d'un paquet de cigarettes ou d'une consommation de "soft drink" ou d'un café dans un bar...

Des expériences réussies menées depuis plusieurs décennies montrent que l’ensemble de ces approches financières aux modalités différentiées peuvent permettre, si elles sont mises en œuvre efficacement, de mobiliser en tout cas une part importante des sommes nécessaires à la modernisation du secteur de l’eau et à la préservation de la ressource, replacée dans une perspective à moyen et long terme définissant des objectifs réalistes.

Il est clair que les subventions publiques restent possibles, voire indispensables, en particulier pour compenser les très grandes inégalités entre situations locales ainsi que les péréquations entre les différentes catégories d'usagers, afin de tenir compte de leurs capacités contributives réelles. De même il faudrait concentrer l'aide publique internationale dans les pays les plus démunis sur des projets dont les coûts ne pourraient être équilibrés immédiatement et dont l'efficacité économique et sociale serait forte.

Dans le cadre de contrats pluriannuels, de grandes entreprises privées spécialisées peuvent apporter des compétences et des financements pour faciliter la mise en œuvre de cette gestion industrielle et commerciale des ressources en eau et des services collectifs de qualité. Ces contrats doivent garantir les capitaux investis et leur rémunération, définir les termes de référence des investissements et des prestations, préciser le prix des services et prévoir sur une durée suffisante la bonne fin d'activité.

7. Créer des nouvelles capacités de formation.

Il est indispensable de créer dans les pays des capacités suffisantes de formation professionnelle initiale et continue, notamment dans les secteurs de l'administration, de la gestion, de l'exploitation et de la maintenance ou des "relations-clientèle" avec les usagers. Compte tenu des effectifs en cause, les formations doivent être organisées sur place, dans la langue et le contexte de chaque pays et avec des formateurs locaux, et être plus orientées vers l'apprentissage pratique "au poste de travail" que vers la théorie.

La formation des agriculteurs, notamment des irrigants, est aussi à renforcer, voire à réorganiser. Si, de plus en plus, les ingénieurs de projet sont de bon niveau, les gestionnaires et les exploitants sont encore le plus souvent trop peu nombreux. La formation initiale des techniciens, ouvriers et des administratifs reste balbutiante et plus théorique que réellement pratique. La formation professionnelle continue reste à organiser.

Les décideurs doivent aussi, et peut-être surtout, être mis à même d'exercer leurs responsabilités, qu'il s'agisse d'élus nationaux ou locaux, de chefs d'entreprises, de responsables professionnels, de dirigeants d'associations ou d'ONG, un apprentissage approprié à leur situation doit être envisagé dans le secteur de l'eau, et en priorité pour les membres des comités de bassin.

8. Les connaissances sont insuffisantes.

Il n'existe encore que trop rarement des systèmes d'information – réseaux de mesures et d'analyses, banques de données – qui soient représentatifs de la qualité et de la quantité disponible des ressources en tous points et à toutes périodes, ainsi que des prélèvements et des rejets et qui soient fiables et accessibles à tous : comment bien gérer alors ce que l'on connaît si mal ?

L'amélioration des connaissances passe par la recherche, bien sûr, mais surtout par la création de ces systèmes d'information globaux et intégrés qui soient fiables et accessibles à tous, et en particulier aux membres des comités de bassin. Il s'agit également de permettre à tous les opérateurs des bassins d'avoir accès, le plus largement possible, au savoir-faire dans le domaine de l'eau, et que celui-ci soit présenté sous une forme facilement accessible et soit d'utilisation facile et compréhensible.

Conclusions

Si le chemin est encore long avant que ne soient partout appliqués les principes d'une gestion appropriée et durable des ressources, permettant la satisfaction des besoins des générations futures, cependant, la direction est aujourd'hui plus clairement définie et les solutions proposées, notamment par la Conférence Internationale de Paris en mars 1998, sont crédibles et applicables. .

 

OIEAU – Office International de l'Eau

Association déclarée d'utilité publique par Décret en Conseil d'État du 13 septembre 1991, l'Office International de l'Eau a vocation de réunir l'ensemble des organismes publics et privés impliqués dans la gestion et la protection des ressources en eau, en France, en Europe et dans le Monde (organisations de coopération multi et bilatérale, ministères, agences de bassin, collectivités territoriales, universités, grandes écoles, centres de recherche, aménageurs régionaux, distributeurs et professionnels de l'eau, industriels, fédérations professionnelles, organisations non gouvernementales ...) afin de créer un véritable réseau da partenaires. L'OIEAU compte 149 organismes adhérents. 

RIOB – Réseau International des Organismes de Bassin

Créé en 1994, le RIOB a pour objet de promouvoir, comme outil essentiel d'un développement durable, la gestion intégrée des ressources en eau par bassin hydrographique. Dans cet objectif, le RIOB s'efforce : de développer des relations permanentes, entre les organismes chargés d'une telle gestion globale, et de favoriser entre eux les échanges d'expériences et d'expertises ; de faciliter l'élaboration d'outils adaptés de gestion institutionnelle et financière, de connaissance et de suivi global des ressources en eau, d'organisation des banques de données, de préparation concertée de schémas directeurs et de programmes d'actions à moyen et long terme ; de développer l'information et la formation des élus locaux, des représentants des usagers et des différents acteurs de la gestion de l'eau, ainsi que des dirigeants et des personnels des organismes chargées de la gestion de l'eau par bassin ; d'encourager l'éducation des populations sur ces questions ; de promouvoir ces principes dans les programmes de coopération internationale ; d'évaluer les actions engagées par les organismes-membres et d'en diffuser les résultats.