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Dessin de tracé de fleuve

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Tripoli, Libye – juin 2002
Eaux souterraines, les ressources cachées de la planète

Mots clés : Afrique, aquifères, atelier, eaux souterraines, gestion partagée, systèmes aquifères, Tripoli, Unesco
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Dossier de
Martine LE BEC
  
June 2002
Index du dossier
1. Eaux souterraines, les ressources cachées de la planète
2. Les ressources en eau douce, enjeu stratégique, l'interview de Alice Aureli
3. La question des aquifères, méconnue des instances internationales, l'interview de Shammy Puri
4. Pour une coopération régionale renforcée, l'interview de Omar Salem
5. Nous sommes tous gestionnaires de l'eau, l'interview de Gordon J. Young
6. ResSources
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La solution à la crise mondiale de l'eau se cache peut-être sous terre. Plus de la moitié de la population mondiale dépend déjà de réserves souterraines, pompées dans les cavités poreuses des formations rocheuses, appelées nappes phréatiques ou aquifères. Ces aquifères s'étendent parfois sur des milliers de kilomètres, ils emprisonnent une quantité d'eau suffisante pour satisfaire les besoins de toute l'humanité pendant des décennies. Si l'on imagine une piscine d'une superficie équivalente à l'Allemagne, profonde de plusieurs centaines de mètres et remplie d'une des eaux les plus pures du monde, on aura par exemple une idée des dimensions du système aquifère nubien qui s'étend sous le Sahara, entre la Libye, l'Égypte, le Tchad et le Soudan.

Pour mieux évaluer ce mystérieux capital mondial, les hydrogéologues de près de 25 pays ont mis sur pied la première étude continentale des aquifères transfrontaliers en Afrique. Ils se sont rencontrés à Tripoli (Libye) du 2 au 4 juin, dans le cadre du projet de l'UNESCO, Internationally Shared Aquifer Resources (ISARM), auquel participent plusieurs organismes internationaux, en particulier l'Association internationale des hydrogéologues (IAH), l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ainsi que la Commission économique pour l'Europe des Nations unies (UNECE).

Les ressources cachées de la planète

Comme les fleuves, les aquifères ne s'arrêtent pas aux frontières et sont souvent partagés par deux ou plusieurs pays. Mais, contrairement aux fleuves, on connaît encore très mal les aquifères partagés. Avant toute estimation précise de leurs capacités et de la qualité de leurs eaux, des investissements importants sont nécessaires rien que pour déterminer les limites de ces "aubaines" souterraines. Les gouvernements n'admettent non plus qu'avec réticence que ces aquifères – dont dépendent souvent leurs populations pour la consommation en eau potable et pour l'irrigation – puissent être partagés par d'autres pays. Le vide juridique qui caractérise le domaine favorise aussi l'incompréhension et les tensions, au point que nombreux experts redoutent une véritable "course au pompage", qui verraient certains pays se précipiter pour utiliser le plus d'eau possible, de crainte qu'un voisin plus puissant ne s'arroge des droits sur un aquifère transfrontalier grâce à des atouts financiers et techniques. De ce fait, les aquifères transfrontaliers pourraient être sources de conflits, en particulier dans les régions arides, où la concurrence pour les ressources en eau va s'intendifier dans les années à venir.

Un inventaire planétaire des aquifères transfrontaliers

Afin de désamorcer ces conflits potentiels, l'ISARM souhaite recenser les aquifères transfrontaliers et – pour la première fois – les cartographier à l'échelle planétaire, au cours des six prochaines années. L'inventaire sera établi à partir d'études régionales, telles que celle déjà réalisée en Afrique. Jusque là, l'absence de documentation sur le sujet était quasi-totale pour l'Afrique. Plus généralement, les travaux sur les eaux souterraines font cruellement défaut, alors que de nombreux pays, tels que la Mauritanie, dépendent de cette ressource pour couvrir 80 % de leurs besoins. Même dans des régions et des pays plus humides, comme le Nigeria, la population dépend de plus en plus des eaux souterraines, en raison de la grave pollution des rivières et des eaux de surface. Bien que les aquifères offrent des ressources très sûres et très fiables, en particulier dans les régions soumise à la sécheresse, ils sont néanmoins fragiles. Il est extrêmement difficile, voire impossible, de purifier un aquifère pollué par des infiltrations d'eaux usées ou de produits chimiques, dues, en général, à l'habitat, aux usines ou aux activités agricoles.
 

Les ressources cachées de l'Afrique

La nouvelle étude africaine regroupe 20 études d' aquifères transfrontaliers, dont certains n'avaient jamais été identifiés auparavant. Les experts hydrogéologues ont ainsi décidé d'approfondir leurs connaissances sur l'aquifère qui fournit l'eau à Cotonou, capitale du Bénin, et qui s'étend au-delà de la frontière avec le Togo voisin. Les deux pays ont exprimé la volonté de développer un cadre d'étude commun de cette ressource dont l'importance devrait s'accroître dans l'avenir, une baisse de la pluviométrie accompagnant le changement climatique. Selon le Béninois Felix V. Azonsi, Directeur du Département des ressources en eau (Ministère béninois de l'Hydraulique) le rythme de cette baisse est déjà de 2 % par an. Idem en Côte d'Ivoire, où il s'est avéré que l'aquifère qui fournit 80 % des besoins en eau de la population, s'étend aussi sur le Ghana. Des plans sont ici aussi en cours en vue d'une étude commune et d'une gestion partagée de cette ressource.

L'étude ISARM va marquer une étape importante dans l'étude de ces ressources souterraines. Le projet devra aussi, à l'appui avec d'une approche interdisciplinaire, mettre en lumière des techniques innovantes pour la gestion de ces ressources. D'ores et déjà, des études régionales avancées ont été conduite à travers l'UNECE pour l'Europe occidentale et orientale ; d'autres études sont en préparation pour la région euro-méditerranéenne. La Méditerranée constitue la région la plus sensible d'un point de vue politique. Ainsi, l'aquifère de la Montagne, qui s'étend entre Israël et la Cisjordanie, est au coeur d'un conflit pour l'eau entre les deux gouvernements. Israël consomme environ 85 % de la ressource, alors que l'essentiel des pluies et des eaux de surface qui l'alimentent proviennent du territoire palestinien, depuis lequel les conditions géologiques rendent le captage extrêmement difficile et onéreux. De fait, l'essentiel des eaux de bonne qualité s'écoule naturellement vers Israël où leur accès est plus aisé. Les négociations serrées qui se sont déroulées sur cette question ont été officiellement suspendues après le début de la seconde Intifada. (Au sujet du partage de l'eau au Proche-Orient, voir le dossier h2o : Guerres et paix au Proche-Orient qui présente plusieurs cartes de la région dont une carte du bassin du Jourdain avec indication du sens d'écoulement des eaux.)

Vers des conventions régionales ?

Au-delà de la compilation et de l'échange des données, destinées aux études régionales et aux inventaires, il est prévu que les représentants gouvernementaux élaborent des plans et, si possible, mettent sur pied des commissions auxquelles seront confiées la gestion commune de la ressource et la protection de l'environnement. La protection future des aquifères devrait aussi faire l'objet d'accords négociés. Les représentants gouvernementaux concernés ont ainsi reconnu la nécessité d'une concertation sur le système aquifère nubien, qui s'étend sur les territoires de plusieurs pays : Libye, Égypte, Tchad et Soudan. Ce système se compose de quatre aquifères, d'une contenance totale estimée à 120 000 kilomètres cubes d'eau "fossile", vieille de plusieurs milliers, voire de plusieurs millions d'années. Il s'agit là du lointain héritage d'une ère révolue, alors que, voici environ 10 000 ans, une luxuriante savane couvrait les étendues sahariennes. Si les pluies qui alimentaient la région ont cessé il y a près de 3 000 ans, il reste aujourd'hui ces réserves gigantesques – mais néanmoins limitées -, que le gouvernement libyen a entrepris d'exploiter depuis 1991, initiant pour cela le plus grand projet d'ingénierie civile au monde. La Grande Rivière artificielle fournit d'ores et déjà près 4,5 millions de mètres cubes d'eau par jour aux villes côtières du pays (qui abritent la majeure partie de la population), grâce à un réseau de canalisations de béton d'un diamètre de quatre mètres, soit la taille d'un tunnel ferroviaire. Cette "rivière" court sous le désert sur une longueur de plus de 4 000 kilomètres. Plusieurs groupes de défense de l'environnement ont condamné le programme. Mais pour les défenseurs du projet, la Libye qui a, comme d'autres pays, épuisé ses ressources en eau renouvelable, ne pouvait objectivement se cantonner au seul dessalement de l'eau, technologie moins productive et surtout très coûteuse.

L'exemple illustre à quel point la nouvelle initiative sur les aquifères partagés (ISARM) aura à s'employer sur la recherche d'une part, nouveaux mécanismes de coopération entre les États riverains et, d'autre part, de nouveaux équilibres entre les préoccupations sociales, éthiques et environnementales. .

 

AFRIQUE – UN CENTRE RÉGIONAL SUR LES AQUIFÈRES PARTAGÉS

Deux semaines à l'issue de l'atelier, la Libye vient d'annoncer, à l'occasion du Conseil intergouvernemental de PHI, sa décision de créer un Centre régional pour l'Afrique sur les Aquifères partagés. Cette inititative va permettre aux partenaires de l'ISARM d'obtenir sur le continent une base de connaissances aussi avancée que celle aujourd'hui disponible pour l'Europe. Le cadre devrait aussi faciliter les échanges des pays concernés et contribuer à la mise en place de standards d'évaluation des risques et de gestion. Le Centre sera placé sous les auspices de l'UNESCO et de l'OMM, Organisation météorologique mondiale.

Conférence internet sur les aquifères transfrontaliers
Du 3 juin au 15 novembre 2002, l'UNESCO/PCCP, la FAO et l'IAH tiennent une conférence Internet sur le Forum virtuel de l'eau, concernant les questions légales et institutionnelles relatives à la gestion des aquifères transfrontaliers. Pour en savoir plus ou y participer : www.unesco.org/water/