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Dessin de tracé de fleuve

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Contes de l’eau et de la pluie

Mots clés : Asie, Europe, contes soufis, ermite Unicorne, légendes juives, maîtres du Tamuld, Nasr Eddin Hodja, Tiki
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Index du dossier
1. Dix Malices de Nasr Eddin Hodja
2. Six Contes soufis
3. Six Légendes juives
4. Trois Contes d'Asie et du Pacifique

200803_contes_1.jpgCONTES DE L’EAU ET DE LA PLUIE

L’eau de sagesse coule dans les contes et légendes du monde entier d’où nous avons tiré ces quelques histoires d’eau, de pluie, de larmes, de rire et de magie, suintantes d’humour, de malice et de générosité. De l’Europe à l’Asie, des légendes juives aux contes soufis, vous côtoierez l’impertinent Nasr Eddin Hodja, héros légendaire, célèbre dans tout le monde musulman pour sa malice et son irrévérence, mais aussi les sagaces rabbis, maîtres du Tamuld, l’ermite japonais Unicorne qui a emprisonné les dragons de la pluie ou encore Tiki, fils du soleil, qui donna sa vie pour que jaillisse des eaux l’île de Tahiti…

Si vous voulez savoir pourquoi la pluie ne tombe pas, comment la faire tomber, qui est responsable de la sécheresse, quel est le prix de l’eau et celui de l’amitié… abreuvez-vous de ces quelques gouttes de vérité pure, sérieuses, drôles ou absurdes.

molécules de bonheur rassemblées par Nicole MARIh2o – mars 2008

 

Dix Malices de Nasr Eddin Hodja

Sublimes paroles et idioties de Nasr Eddin Hodja
Phébus Libretto

 

La pluie et la Djellaba

Cette année-là, le ciel restait insensible. Aucune goutte d’eau ne tombait. La rivière était complètement à sec et les puits étaient des pièges à rats. La situation devenait très critique.
Un matin, les vieux du village se rassemblent et décident d’aller voir Nasr Eddin Hodja pour lui demander de consulter ses livres et de chercher un moyen ou une prière pour faire enfin tomber la pluie.
Nasr Eddin leur répond qu’il connaît un moyen infaillible pour faire éclater les orages et inonder la terre.
- Dis-nous lequel et nous serons prêts à faire tout ce que tu demandes.
- Allez me remplir une bassine avec de l’eau propre.
- Mais nous venons te voir parce que nous n’avons plus d’eau.
- Je vous connais bien, chacun de vous a caché un peu d’eau dans une jarre. Allez remplir ma bassine si vous voulez que la pluie tombe.
Effectivement, les gens avaient encore un peu d’eau en réserve qu’ils hésitaient à boire.
Les vieux prennent la bassine, font le tour des maisons pour la remplir et reviennent à petits pas, en faisant attention à ne pas perdre une goutte du précieux liquide.
Le Hodja enlève sa djellaba sale, la trempe dans l’eau limpide, ajoute du savon et se met à frotter. Les gens, étonnés, commencent à crier leur indignation. Certains, même, menacent l’insolent avec leurs bâtons :
- Honte sur toi, Nasr Eddin ! Impie ! Fils de chien ! Nos enfants n’ont même plus de quoi boire et toi, tu as l’audace de faire ta lessive ! 
Mais Nasr Eddin vide sa bassine et la tend aux hommes :
- Au lieu de perdre votre temps à crier, allez me la remplir encore une fois.
- Mais tu es devenu complètement fou ! Tu viens de gaspiller les dernières gouttes d’eau que nous avions.
- Je vous connais mieux que vous ne le pensez. Je sais que vous avez gardé un peu d’eau au fond de vos jarres. Si vous voulez la pluie, allez me remplir cette bassine.
En maugréant, les hommes prennent la bassine, la remplissent avec les dernières gouttes qui restent tout au fond de leurs jarres et la ramènent à Nasr Eddin Hodja.
Toujours absorbé par sa tâche, Nasr Eddin rince sa djellaba et va l’étendre sur la corde à linge. Soudain, le ciel s’assombrit, les nuages arrivent de partout au-dessus du village, l’orage éclate et la pluie se met à tomber abondamment.
- Mais tu es un vrai magicien ! lui disent les vieux du village.
- Pas du tout. J’ai seulement remarqué qu’il pleut chaque fois que je lave ma djellaba et que je la mets à sécher.

Faiseur de pluie

Un jour, Nasr Eddin entreprend de laver lui-même son linge à la rivière. Muni d’un gros morceau de savon, de son baquet et de sa brosse, il frotte et rince comme une vraie lavandière. Puis, il met son linge à sécher dans le champ, à même le sol. Mais, malheureusement, presque aussitôt éclate un orage : draps, serviettes, chemises, tout est maculé de boue, tout est à relaver.
Le lendemain, Nasr Eddin rachète du savon et recommence le travail, mais de nouveau, l’orage éclate. Le surlendemain, même chose.
Le quatrième jour, alors que Nasr Eddin est toujours à l’ouvrage, un de ses amis s’approche :
- Regarde bien, lui crie le Hodja, qui n’est pourtant qu’à trois pas de lui, j’utilise du fromage pour laver.
- Et cela fait-il du linge propre ? lui demande l’autre, étonné.
- Je me moque de la propreté, je veux du linge sec, hurle Nasr Eddin.
- Je n’aurais jamais pensé que du fromage fût capable de mousser autant, reprend l’autre, de plus en plus interloqué.
- Mais tais-toi donc, imbécile ! conclut Nasr Eddin à voix basse.

Ablution

L’heure de la prière arrive au moment où Nasr Eddin atteint le bord d’une rivière. Il procède soigneusement à l’ablution rituelle et il a presque fini quand, d’un mouvement maladroit, il laisse échapper sa babouche, que le courant emporte. Levant alors la tête vers le ciel, il crie :
- Reprends ton ablution et rends-moi ma babouche !

Remplir une cruche

Khadidja demande à son mari d’aller au puits chercher de l’eau. Nasr Eddin prend la première cruche qui lui tombe sous la main et se met en devoir de la remplir. Mais il a beau y déverser seau sur seau, elle absorbe toujours l’eau.
Au bout d’un moment, son épouse s’impatiente :
- Nasr Eddin, dépêche-toi un peu ! Il ne faut pas tout ce temps pour remplir une cruche !
- Je n’aurais jamais cru qu’elle contenait autant, répond le Hodja. J’y ai déjà mis dix seaux !
Khadidja le rejoint au puits, sûre qu’un détail échappe à son mari.
- Regarde donc ! Cette cruche n’a pas de fond. Tu es vraiment stupide !
- Ô, fille de chien ! Stupide toi-même ! C’est au col qu’on sait que la cruche est pleine. Le fond n’a rien à voir là-dedans.

La punition

Nasr Eddin sort sur le pas de sa porte en tenant une cruche, mais se rendre à la fontaine de la ville par cette chaleur est une corvée.
Il avise une petite fille qui passe par là et lui demande d’aller lui chercher de l’eau.
- Surtout ne casse pas la cruche, lui recommande-t-il.
Là-dessus, il lui assène une paire de gifles bien sonores. La petite se met à pleurer et son voisin, qui a vu la scène, est furieux d’une telle brutalité.
- Qu’Allah te maudisse, Nasr Eddin ! Il n’y a pas d’être plus vil que toi !
- Dis-moi, toi qui fais le censeur : à quoi servent les gifles quand la cruche est cassée ?

Avec l’eau, sait-on jamais ?

Nasr Eddin est allé au lac d’Akshébir, distant d’une bonne heure de marche. Il s’est assis sur la rive et fouette vigoureusement l’eau de son bâton. Un berger, intrigué par ce comportement, s’approche pour lui demander ce qu’il fait.
- Ce que je fais, tu le vois, répond Nasr Eddin, je baratte l’eau du lac.
- Dans quel but ?
- Dans quel but baratte-t-on, selon toi ? Pour faire du beurre, nigaud !
- Nigaud, toi-même ! On ne fait pas du beurre en barattant de l’eau !
- Écoute-moi bien : même avec du lait, on n’est jamais sûr d’y arriver. Alors, j’essaye l’eau pour voir. Sait-on jamais ?

Une belle prise

De la berge de la rivière, un promeneur voit l’eau agitée de remous, comme si un gros poisson se débattait. Il appelle au secours des pêcheurs tout proches qui parviennent, à l’aide de leurs gaffes, à remonter un filet qui emprisonne Nasr Eddin en personne !
C’est miracle, il ne semble pas tout à fait noyé. On l’allonge dans l’herbe et peu à peu, après avoir recraché une jolie quantité d’eau, Nasr Eddin reprend ses esprits.
- Que faisais-tu là-dedans, mon vieux ? lui demande-t-on tout de suite. Tu auras sans doute trébuché…
- Pas du tout, répond péniblement le Hodja, j’étais en train de pêcher, et j’étais si captivé par cette pêche que j’ai fini par croire que j’étais moi-même un poisson. Alors, j’ai plongé…
- Et par bonheur, il y avait un filet ! Cela nous a permis de te sortir de là.
- Ah ! Ne me parlez pas de ce maudit filet ! C’est lui qui m’a empêché de rejoindre le banc dont je faisais partie.

Attaque de grêle et contre-attaque

Le ciel s’est soudain gâté, et bientôt un orage de grêle s’abat sur le champ où travaille Nasr Eddin. Celui-ci court à la maison, mais, juste au moment où il va franchir le seuil, il reçoit sur son crâne tout nu un énorme grêlon qui l’assomme à demi. Furieux, il se précipite dans l’étable et, après beaucoup d’efforts, réussit à rouler dehors une grosse meule de pierre, tandis que la tempête continue de faire rage.
- Allah, je Te parle ! s’écrie-t-il en bravant les éléments. C’est très facile de profiter de ce que je n’ai pas mon turban pour m’attaquer. Mais envoie donc un grêlon sur cette meule, Tu vas voir ce qu’elle va en faire !

Il faut préciser où

Nasr Eddin se promène avec un ami le long de la rivière lorsque celui-ci s’écrie :
- Oh, les poissons, Nasr Eddin ! Regarde, il y a un banc de poissons qui passe !
Le Hodja s’arrête aussitôt, regarde autour de lui, scrute le ciel…
- Je ne vois rien, dit-il.
- Les poissons, Nasr Eddin ! s’impatiente l’autre. Là, dans l’eau !
- Ah, dans l’eau ! Il fallait le dire tout de suite au lieu de me laisser chercher pendant des heures !

Cet idiot de lac

Il va faire une belle journée de printemps et Nasr Eddin décide d’aller pêcher à la ligne. Il s’installe sur le bord du lac. Il a de la chance : ça mord, à tel point qu’à midi, son panier est déjà à moitié rempli d’ablettes. Il éprouve alors le besoin de faire une petite sieste à l’ombre d’un arbre.
Tandis qu’il dort, deux galopins, qui ont tout vu du fourré où ils étaient cachés, s’approche à pas de loup, s’emparent du panier et détalent à toutes jambes. Lorsque Nasr Eddin revient près de la rive, il constate tout de suite la disparition de son panier et invective rudement le lac :
- Dis donc, toi, je t’ai pris tes poissons, tu me les a repris, c’est de bonne guerre. Mais le panier, qu’est-ce que tu vas en faire, idiot ?