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Dessin de tracé de fleuve

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Les toilettes
Une question de dignité

Mots clés : assainissement, toilettes, dignité, droit, coopération décentralisée
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Dossier de
COALITION EAU
  
May 2009
Index du dossier
1. Une question de dignité
2. L'ampleur de la crise
3. La réalité là-bas... et ici
4. 2008, année internationale
5. La coopération décentralisée
6. Annecy-le-Vieux et Dori
7. SIAAP et Vorniceni
8. Les partenaires de l'expo
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LA RÉALITÉ LÀ-BAS... ET ICI

 

Le manque d’accès à l’assainissement touche près de 41 % de la population mondiale. La situation est particulièrement préoccupante en Afrique subsaharienne, où le taux d’accès à l’assainissement est le plus faible : 63 % des habitants n’ont pas accès aux dispositifs d’assainissement de base, particulièrement en milieu rural. Dans d’autres proportions, cette crise touche aussi certains pays européens voisins où l’accès à l’assainissement n’est pas un dossier réglé. En France enfi n, certaines populations n’ont pas accès à des toilettes. Il est utile de rappeler brièvement quelle est la situation à ces différents échelons…

La réalité là-bas, en Afrique

La crise de l’assainissement en Afrique touche 6 habitants sur 10 – En Afrique subsaharienne, seuls 37 % des habitants ont accès à l’assainissement. Dans certains de ces pays, en raison d’une augmentation de 85 % de la population urbaine entre 1990 et 2004 et malgré les efforts fournis, le nombre de ménages urbains n’ayant pas accès à l’eau potable ou à l’assainissement aurait doublé depuis 1990 (Source : Atteindre l’OMD relatif à l’eau potable et à l’assainissement, le défi urbain et rural de la décennie, OMS et UNICEF). En l’absence de toilettes, les populations sont contraintes de se "soulager" à l’extérieur de leurs habitations, dans le milieu naturel. La proximité de ces excréments expose les populations à de nombreux risques sanitaires, au prix de vies humaines. En Afrique, toutes les heures, 115 personnes meurent de maladies liées à un assainissement défectueux, aux problèmes d’hygiène ou à de l’eau contaminée (Source : faits et chiffres sur l’assainissement, site Internet de l’OMS). L’ampleur de la crise est telle qu’il est impératif d’envisager des interventions nationales. Les projets ponctuels ne suffi ront pas à résoudre les impacts sanitaires colossaux du manque d’accès à l’assainissement de base et à l’hygiène. La mise en place de vastes plans nationaux pour la réalisation d’infrastructures sanitaires est indispensable. De plus, elle ne suffit pas à elle seule pour susciter, au niveau des individus, une prise de conscience des impacts sanitaires : la promotion de meilleures pratiques d’hygiène et d’assainissement de base est une exigence de santé publique et une nécessité pour améliorer la santé et la qualité de vie des communautés, notamment en zone rurale.

Quelle est la réalité d’un quotidien sans toilettes ? – La réalité d’un quotidien sans ouvrages d’assainissement signifie la défécation en plein air et l’absence de système d’évacuation des eaux usées. En cas de dispositif d’assainissement, le problème n’est pas réglé s’il est inadéquat. Illustration basique : souvent, les excréments sont déposés dans une fosse sèche dont le fond est rarement bétonné. Et si l’implantation de l’ouvrage n’a pas tenu compte de certaines normes (éloignement des puits), les excréments contenus dans la fosse peuvent, par infiltration souterraine, polluer les nappes phréatiques dans lesquelles est puisée l’eau pour la consommation humaine.

En Afrique subsaharienne, les disparités d’accès à l’assainissement sont particulièrement importantes entre le milieu urbain et rural, avec une différence de 29 points, respectivement 55 % et 26 % en 2002 (Source : Objectif 7 Assurer un environnement durable, ONU).

En milieu rural, peu de personnes ont conscience qu’une défaillance en matière d’assainissement est source de nombreuses maladies. L’absence d’accès à l’assainissement est d’abord ressentie comme un problème nuisant à l’intimité plutôt qu’un problème sanitaire. Les individus peuvent être contraints de se lever à l’aube afin de trouver un endroit pour déféquer à l’abri des regards, parfois très éloigné, de traverser les champs, les voies ferrées, et les routes dans l’obscurité au risque d’être agressés ou attaqués par des animaux (morsures de reptiles par exemple), ou de se retenir parfois toute la journée pour attendre l’obscurité du soir, plus propice pour se cacher.

Dans les villes Les structures d’assainissement sont très marginales. Traditionnellement, elles se résument à un système de fosse sans couvercle où les excréments sont stockés. Les excrétas sont en contact avec les êtres humains par l’intermédiaire des mouches. Lorsque la fosse est pleine, elle est vidangée. Les boues de vidange sont rejetées sans traitement dans des décharges publiques à l’intérieur des villes ou dans des lieux périphériques en plein air. Ces sites de rejet sont le plus souvent à proximité des lieux de vie humaine ou de sources d’eau, ce qui engendre d’importants problèmes localement. Ces problèmes prennent d’autant plus d’ampleur face à une croissance démographique importante en milieu urbain et à des infrastructures souvent vétustes ou en voie de dégradation. À Kibéra, plus grand bidonville d’Afrique subsaharienne situé au centre de Nairobi, les habitants n’ont pour la plupart pas accès à l’assainissement : ni toilettes privées ni toilettes publiques. Ce défi cit contraint les habitants à déféquer dans des sacs en plastique qu’ils jettent ensuite dans des fossés ou en bordure de route. C’est ce qu’on appelle là-bas les "toilettes volantes". Lorsqu’il existe un système d’assainissement, il s’agit la plupart du temps de latrines à fosse. Dans certains endroits, 150 personnes doivent partager une même latrine, ce qui ne permet ni de s’isoler ni d’assurer les conditions basiques de sécurité et d’hygiène. Ces latrines sont souvent mal entretenues, et les fosses peu profondes débordent dès qu’il pleut. Les habitants de ce bidonville n’ont pas les ressources suffi santes pour mettre en place un système d’assainissement : la construction de latrines à fosse coûte environ 45 dollars US, soit deux mois de salaire minimum. Parallèlement, la municipalité de Nairobi ne fournit pas de services d’assainissement à Kibéra. Rappelons ici que selon le PNUD, les chiffres fournis par le gouvernement kenyan au titre des OMD indiquent que 99 % de la population de Nairobi dispose d’un système d’assainissement, chiffre qu’il qualifie "d’invraisemblablement élevé" (Source : Rapport mondial sur le développement humain, PNUD, 2006).

La réalité à nos portes, en Europe

À 2 heures de France, des millions d’européens n’ont pas accès aux toilettes – L’assainissement est un sujet souvent oublié dans les anciens pays du bloc soviétique. Pourtant, il est loin d’être anecdotique dans les pays d’Europe orientale. Si de façon générale, les résultats en matière d’accès à l’assainissement dans les pays d’Europe de l’est sont meilleurs que la moyenne des pays à revenu faible ou intermédiaire, il reste de sérieux efforts à fournir. Selon les données les plus récentes, sur les quelques 877 millions de personnes qui vivent dans la Région européenne, telle que défi nie par l’OMS, environ 85 millions d’habitants (10 %) ne bénéfi cient pas encore d’un assainissement de bonne qualité, et cette situation n’a pratiquement pas évolué ou s’est détériorée dans certaines zones. Ces conditions médiocres ou inexistantes d’assainissement ont les mêmes répercussions qu’en Afrique : elles tuent. Selon une estimation de l’OMS, 13 500 Européens de moins de 14 ans meurent chaque année suite à des maladies notamment liées à des problèmes hydriques (Source : Une eau plus potable et un meilleur assainissement préviendraient des millions de cas de maladies hydriques chaque année dans les pays européens, OMS Bureau régional de l’Europe, communiqué de presse 2005). Les maladies d’origine hydrique et dues à une mauvaise hygiène représentent une lourde charge: en 2005, 166 000 cas ont été notifiés dans la région européenne.

La réalité d’un quotidien sans toilettes dans les zones rurales d’Europe – La propagation de maladies transmises par l’eau est particulièrement fréquente en Europe de l’Est. Et la situation est encore plus grave dans les zones rurales. Dans la plupart des pays de cette région, c’est en moyenne 20 % de la population qui vit dans les zones rurales. Les chiffres relatifs aux taux de raccordement en milieu rural sont parlants: c’est plus de la moitié de la population qui ne dispose pas d’un approvisionnement fi able en eau potable et/ou de systèmes d’assainissement adéquats. Le système d’assainissement de base se résume à de simples latrines de fortune, non étanches, et la plupart des excrétas humains et "eaux grises" (eaux usées d’origine domestique) sont déversés directement dans la nature, ce qui engendre des impacts lourds sur l’environnement et augmente les risques de contamination des puits utilisés pour collecter l’eau servant à la consommation humaine. De plus, comme en ville, quand un système d’assainissement existe, il se dégrade faute d’entretien. Le délabrement des infrastructures est un frein majeur au développement rural. Les moyens d’investissement sont faibles, et on constate très souvent un manque de compétences locales pour élaborer les solutions techniques. Même dans les pays récemment entrés dans l’Union Européenne, les problèmes persistent. En Bulgarie par exemple, les systèmes d’adduction d’eau sont relativement bien développés et desservent la quasi totalité des populations. En revanche, dans les zones rurales où vit environ 15 % de la population, les systèmes de collecte et de traitement des eaux usées sont quasi inexistants. Faute de système permettant de mettre les excréments à l’écart de tout contact avec les humains, ils s’exposent à une contamination de leur environnement et de leur eau, avec des répercussions directes sur la santé et les conditions de vie.

La réalité ici, en France

En France, pays riche qui apparaît dans les statistiques comme fournissant un accès à l’assainissement à 100 % de sa population, certaines populations n’ont pourtant pas accès à des toilettes. Ce n’est que très occasionnellement que l’assainissement fait l’actualité en France. Exceptionnellement, début 2008, les médias se faisaient le relai d’un rapport annuel de l’Observatoire national de la sécurité des établissements (ONS) et rapportaient que les WC utilisés par les enfants dans certaines écoles étaient mal entretenus, mal nettoyés, et manquaient d’intimité, obligeant les élèves à attendre de rentrer chez eux pour se rendre aux toilettes. Avec une prise de risque importante : infections urinaires, constipations voire incontinences futures.

Des populations exclues de l’accès aux toilettes – La question des exclus des toilettes ne fait pas la Une des journaux. Et pourtant, la France compte aussi ses exclus des toilettes : ils sont en minorité et souffrent pour la plupart d’autres exclusions, celle de l’accès à des toilettes n’en étant qu’une parmi d’autres. La situation des personnes handicapées est ainsi loin d’être réglée. Si des efforts sont fournis pour développer des cabines adaptées aux contraintes de déplacement des personnes à mobilité réduite, il n’existe pas encore de réfl exe automatique de mise aux normes pour faciliter cet accès. De même, dans nos villes, les personnes sans domicile fixe sont souvent contraintes de déféquer dans la rue. Si ce n’est pas sous nos yeux, c’est derrière des buissons, ou au mieux dans les toilettes publiques lorsqu’elles sont gratuites. Dans les centres d’urgence, les toilettes sont dans un état encore plus préoccupant que celui de nos écoles (trop peu nombreuses par rapport aux besoins, sales, mal odorantes, etc.).

Des Français privés d’assainissement – D’autres situations inacceptables persistent en France, dont on n’entend pas souvent parler : l’accès à l’assainissement pour les habitants des DOM-TOM. À Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, malgré un plan élaboré en 1986 pour résoudre le problème d’accès à l’assainissement, la situation est jugée préoccupante. Dans un rapport, la Chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie a mis en cause une mauvaise mise en œuvre du plan par la municipalité et dénoncé les impacts environnementaux. L’exécution du plan de 1986 est jugée "insuffisante et désordonnée" (Source : Rapport d’observations défi nitives établi à la suite du contrôle des comptes et de l’examen de gestion de la commune de Nouméa, Chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie, 2007). En 20 ans, la commune de Nouméa n’a réalisé qu’une seule station d’épuration supplémentaire, pour les quartiers , alors que dans le même temps la ville a connu une urbanisation galopante (27 000 habitants supplémentaires). Le système d’assainissement est pratiquement inexistant, vétuste et mal adapté à la densité de la population, et les eaux usées continuent de se déverser dans la mer.

Le quotidien d’un Rrom dans un bidonville de la région parisienne – Les populations Rroms vivent parfois dans une extrême précarité. Un des problèmes majeurs rencontrés dans les campements de Rroms de la région parisienne est l’absence ou l’insuffi sance, dans certains cas, d’infrastructures sanitaires de base, et notamment de toilettes. Plus la concentration de population est importante, plus le problème sanitaire lié à l’absence de toilettes est critique. Le bidonville "Chemin Vert" était situé sur la commune d’Aubervilliers, en Seine Saint-Denis. Environ 250 personnes vivaient sur ce campement installé sur un terrain vague. Les habitants ont construit à leur arrivée 4 toilettes de fortune (une fosse creusée dans le sol et recouverte d’une palette en guise de plancher) : 2 toilettes pour les hommes et 2 pour les femmes, soit une pour 62 personnes. A titre d’éclairage, les normes de l’OMS en matière d’assainissement sont 1 toilette pour 25 personnes maximum. Les 4 toilettes existantes étaient dans un état d’insalubrité extrême et 2 de ces toilettes ont dû être très rapidement condamnées car les fosses débordaient. Est-il utile de rappeler ici quels peuvent être les impacts sanitaires pour les habitants de ce campement, et plus particulièrement pour les enfants ? Ce bidonville existait jusqu’en 2006. Il ne s’agit que d’un exemple, mais ces populations rencontrent souvent de tels problèmes d’accès à l’assainissement sur les campements qu’elles occupent.