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Dessin de tracé de fleuve

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INRA
Qualité de l'eau & des écosystèmes aquatiques

Mots clés : grands systèmes, paysages, champs - 3 échelles pour observer et réduire l'impact des activités humaines
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Index du dossier
1. Plongée dans les grands lacs alpins
2. Organisation des paysages et maîtrise des pollutions
3. Vers une utilisation raisonnée des produits phytosanitaires

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Vers une utilisation raisonnée des produits phytosanitaires

 

Quelles sont les options offertes aujourd’hui à l’agriculture pour réduire le recours aux intrants (engrais et pesticides), et ainsi préserver l’environnement et la qualité des eaux ? Les chercheurs de l’unité Agronomie du centre INRA de Versailles-Grignon développent des méthodes pour concevoir et évaluer des systèmes de culture répondant aux enjeux du développement durable. Ils ont notamment pour objectif de faire évoluer les pratiques agricoles de manière à limiter l’utilisation des intrants (pesticides, engrais) et ainsi leurs impacts sur l’environnement, en particulier sur la pollution des eaux.

À partir d’un diagnostic des pratiques agronomiques actuelles et passées, ils mobilisent différents leviers techniques pour mettre au point des systèmes de culture innovants : élaboration de stratégies défavorables au développement des bio-agresseurs (maladies, ravageurs, mauvaises herbes…), combinaison de pratiques culturales "alternatives" (protection intégrée des cultures, associations d’espèces…). Certains systèmes de culture innovants sont testés expérimentalement pour quantifier leurs performances et évaluer leur faisabilité. L’unité met en place et gère également des réseaux d’essais mettant en comparaison différents itinéraires techniques (combinaison des interventions sur une culture) chez des agriculteurs, sur blé et colza notamment.


Limiter l’utilisation des pesticides et des engrais

Pour réduire le recours aux produits phytosanitaires et les risques de pollution des eaux de surface et des nappes souterraines, les chercheurs préconisent trois principes : 1. améliorer les conditions de leur usage en utilisant la bonne dose au bon moment ; 2. introduire des pratiques "alternatives" non chimiques aux pesticides ; 3. repenser et combiner les pratiques défavorables aux bio-agresseurs. Par exemple, la lutte physique, par le travail du sol, constitue des leviers pour gérer les mauvaises herbes : déchaumage précoce (travail du sol destiné à enfouir les chaumes et restes de paille pour en favoriser la décomposition), faux semis (préparation du sol pour faire germer les mauvaises herbes et les détruire dès leur germination), désherbage mécanique… D’autres choix agronomiques peuvent réduire le risque de développement de maladies au sein de la culture : lutte biologique, choix de variétés résistantes, date et densité du semis, associations variétales et organisation paysagère, agissant comme barrage contre les maladies et les ravageurs.

Réduire l’usage de pesticides de 30 %, c’est possible sans perte de revenu pour les agriculteurs – Les dommages causés à l’environnement et à la santé humaine par les pesticides sont un sujet de préoccupation grandissant. Voilà pourquoi, lors du Grenelle de l’Environnement, la France s’est fixé pour objectif de réduire significativement l’utilisation de ces produits. Mais ceci est-il viable économiquement  pour les agriculteurs ? Des chercheurs de deux unités de l'INRA de Versailles-Grignon, Économie publique et Agronomie, ont réalisé une étude visant à répondre à cette question. À l’aide de modélisations, les chercheurs ont analysé divers scénarios selon lesquels la France pourrait modifier ses techniques agricoles afin d’atteindre cet objectif. Ils ont montré qu’il est possible, pour les grandes cultures, de réduire de 30 % l’usage de pesticides sans réduire ni la production ni le revenu des agriculteurs. Ces travaux ont été réalisés dans le cadre de l’étude Écophyto R&D menée par l’INRA.

Bien que leurs effets soient diffus et difficilement quantifiables, les pesticides contaminent l’eau et l’air et peuvent entraîner des maladies, notamment chez les agriculteurs qui les utilisent. La France est le premier pays consommateur de pesticides en Europe, et le troisième dans le monde. Lors du Grenelle de l’Environnement, en 2008, il a été décidé de réduire, si possible, de 50 % en dix ans l’utilisation de ces produits.

Afin de déterminer la faisabilité agronomique et la pertinence économique de cet objectif, les agronomes ont conçu, sur la base d’expertise et de résultats expérimentaux passés, des scénarios de pratiques culturales réduisant plus ou moins la quantité de pesticides consommée. Ce classement à cinq niveaux va de l’agriculture intensive, celle qui en utilise le plus, à l’agriculture biologique qui les proscrit. Entre ces deux extrêmes, on trouve trois niveaux intermédiaires : l’agriculture raisonnée, qui cherche à maîtriser les intrants agricoles, l’agriculture à bas niveau d’utilisation de pesticides, qui combine moyens chimiques et non-chimiques pour protéger les cultures, et enfin, l’agriculture intégrée, qui met en œuvre notamment des rotations de cultures afin de réduire les risques d’agressions biologiques.

À partir de cette typologie, un modèle de simulation économique a été construit sur une France divisée en huit grandes régions, valable pour les grandes cultures, notamment céréalières. Les simulations numériques réalisées à partir de cet outil ont permis de déterminer la meilleure distribution des cinq niveaux de mobilisation des pesticides en fonction de la culture et de la région, de façon à ne pas diminuer le revenu des agriculteurs. Ainsi, les chercheurs ont pu montrer qu’en développant l’agriculture à bas intrants, on pourrait faire chuter de 30 % l’usage des pesticides sans pour autant baisser la productivité des terres et sans réduire les marges des agriculteurs. En revanche, une baisse de 50 % de la consommation de pesticides conduirait à une baisse de 5 à 10 % de la productivité au niveau national. Pour atteindre cet objectif, il faudrait augmenter significativement la part de l’agriculture biologique et de l’agriculture intégrée.

Enfin, les chercheurs se sont intéressés aux mesures fiscales pouvant faire baisser l’usage des pesticides. Ils ont modélisé un système de taxation des pesticides et de subventions qui, associé au conseil et à la formation, pourrait convaincre les agriculteurs de raisonner leur usage de ces produits chimiques. Dans ce modèle, les recettes fiscales issues de la taxation sont intégralement reversées au secteur agricole. Ils ont ainsi montré que, pour atteindre l’objectif de 30 % de réduction, les pesticides devraient être taxés à 100 %, alors que l’objectif de 50 % de baisse d’usage des pesticides nécessitait une taxe de 180 %. Ces travaux enrichissent le débat sur l’usage des pesticides et sur la mise en place d’alternatives à l’agriculture intensive. Ils montrent qu’une réduction importante de l’utilisation des insecticides, fongicides et herbicides est un objectif tout à fait réaliste du point de vue économique.


Un exemple pour réduire les intrants : l’association graminées-légumineuses

L’association légumineuses et graminées constitue un moyen efficace d’accroître la productivité tout en réduisant les impacts environnementaux. En effet, l’utilisation optimale des deux sources d’azote, la fixation atmosphérique et la minéralisation de la matière organique du sol, liées aux phénomènes de complémentarité qui s’exercent dans les couverts plurispécifiques, permet de maintenir un niveau de production important, pour des niveaux de fertilisation azotée plus faibles, voire nuls. Par ailleurs, ces associations entraînent la diminution de certains bio-agresseurs, et donc de l’utilisation des pesticides.

Ces résultats s’expliquent par plusieurs phénomènes biologiques. Les bactéries Rhizobium vivant en symbiose avec les légumineuses assurent une fixation de l’azote atmosphérique. Les graminées, grâce à leurs racines profondes, prélèvent plus efficacement l’azote minéral et évitent son lessivage vers les nappes phréatiques. La lumière est mieux interceptée et donc moins disponible pour les mauvaises herbes. Enfin, chaque famille agit comme un barrage pour les maladies et ravageurs pouvant toucher son voisin.

 

Meligethes aeneus et colza, une sombre histoire de fleurs – Le méligèthe du colza (Meligethes aeneus F.) (Coleoptera, Nitidulidae) est un petit coléoptère noir. Au cours de son cycle de vie, lorsque la température atteint 8 °C (Meligethes aeneus F.) (Coleoptera, Nitidulidae) est un petit coléoptère noir. Au cours de son cycle de vie, lorsque la température atteint 8 °C, l’adulte sort progressivement d’hibernation pour voler, lorsque la température avoisine 15 °C, vers les zones de culture des crucifères, comme le colza. Il se nourrit alors du pollen des jeunes boutons floraux. Dès la fin mars, la femelle commence à pondre et dépose ses œufs dans les boutons floraux. La larve reste dans le bouton floral où elle se nourrit du pollen. Elle tombe ensuite sur le sol où elle se nymphose dans une coque terreuse. Vers la fin juin, avant récolte, l’adulte de seconde génération émerge du sol des parcelles de colza. Il va alors se nourrir d’inflorescences de différentes plantes avant d’entrer en hivernation à la fin de l’été. Le méligèthe du colza est un des ravageurs les plus importants du colza d’hiver, présent dans les principales régions du monde où cette plante est cultivée. En se nourrissant du pollen contenu dans les boutons floraux, il entraîne leur destruction et l’impossibilité pour la plante de produire un fruit. Les attaques de méligèthes peuvent entrainer des pertes de rendement allant jusqu’à 40 %.
Les résistances actuelles aux principales matières actives entrainent une relative inefficacité de la lutte chimique contre Meligethes aeneus et impliquent une diversification des méthodes de lutte.

 

Comment améliorer la protection intégrée du colza contre les attaques d’un coléoptère ravageur ? – Gérer les populations d’insectes ravageurs de colza permet de concilier production économique et protection de l’environnement. Des chercheurs de l’INRA ont récemment mis en évidence l’importance du paysage et de la gestion des cultures sur l’abondance des méligèthes, un coléoptère ravageur du colza, et les dégâts occasionnés aux plantes. Leurs travaux annoncent de nouvelles pistes de gestion des populations d’insectes ravageurs au travers de la pratique et des habitats non cultivés sur le territoire.

Concevoir des systèmes de culture qui minimisent l’usage de produits phytosanitaires en optimisant les régulations biologiques passe par une bonne connaissance de la biologie des agresseurs considérés dans leur milieu de vie. Les chercheurs de l’INRA de Versailles-Grignon et leurs collègues d'AgroParisTech ont ainsi analysé l’influence des pratiques agricoles et du contexte paysager sur les attaques de méligèthes (Meligethes aeneus Fabr.), l’un des principaux insectes ravageurs du colza d’hiver (Brassica napus L.) en Europe. Ils ont conduit une étude de grande envergure (2 ans d’étude, 42 parcelles) et développé une approche exploratoire multi-échelle allant de la plante, comme siège de la reproduction au paysage, comme lieu de vie de l’insecte.

Les travaux des scientifiques ont mis en évidence que l’abondance de forêt et prairies, dans un rayon allant de 1 500 mètres à 2 000 mètres autour de la parcelle de colza, détermine la densité et les dégâts de méligèthes. Cet effet positif important provient du rôle majeur joué par les habitats semi-naturels, et particulièrement des forêts, sur l’hivernation des méligèthes auxquels elles offrent le gite dans les couches superficielles de leur sol. Ils ont également révélé l’importance de la gestion de la culture sur les dégâts de méligèthes. Plus précisément, l’état physiologique de la plante et les conditions de développement de la culture conditionnent la capacité de la plante à produire et à remplir de nouveaux organes reproducteurs (boutons floraux, fleurs, siliques, graines) pour compenser la perte de boutons floraux occasionnée par le ravageur. Parmi de nombreux éléments, l’état de nutrition azotée de la plante, lié à la disponibilité en azote dans le sol, est un facteur déterminant. Ces travaux soulignent la nécessité de prendre en compte à la fois les pratiques agricoles et la structure du paysage pour comprendre les dynamiques de populations et les interactions trophiques dans les agroécosystèmes.

Enfin, l’ensemble des résultats et des connaissances produites dans ce travail permet de formuler de nouvelles pistes de gestion des populations de méligèthes utilisant la régulation naturelle afin de concilier développement économique et protection de l’environnement dans le cadre de la protection intégrée des cultures. Les perspectives de ce travail se poursuivent vers la modélisation de ces effets à l’échelle du paysage afin d’identifier les moyens de contrôler ce bioagresseur en manipulant les pratiques et les habitats non cultivés sur le territoire. .

 

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ResSources
Centre INRA de Versailles-Grignon
Unité mixte de recherche INRA-AgroParisTech
Département scientifique Environnement et Agronomie
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Département scientifique Sciences sociales, Agriculture et Alimentation, Espace et Environnement
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Jacquet F., Butault J.-P., Guichard L., An economic analysis of the possibility of reducing pesticides in French fields crops, Ecological Economics, mai 2011.
 
Rusch A. et al., Effect of crop management and landscape context on insect pest populations and crop damage, Agric. Ecosyst. Environ. (2011), doi. 10.1016/j.agee.2011.05.004.

INRA – L'eau, recherches pour une ressource vitale