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Dessin de tracé de fleuve

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Eau marchande
Comment l'eau courante est devenue une marchandise

Mots clés : associations syndicales hydrauliques, bassin hydraulique, eau courante, eau marchande, énergie hydraulique, houille blanche, marchandise, processus de marchandisation
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Index du dossier
1. Introduction
2. Tout est déjà joué avant les années 1960
3. Un processus de marchandisation qui s'articule en deux phases
4. À la Révolution, l'eau commence à devenir une valeur sûre
5. Les eaux courantes, facteurs du développement agricole : le cas des dessèchements
6. Le fractionnement des usages utiles : la mise en place de filières (1840-1860)
7. Au milieu du 19ème siècle, l'eau devient un outil
8. Un découpage territorial inédit : les associations syndicales hydrauliques
9. Vers la fétichisation marchande sous la IIIème République
10. L'énergie hydraulique devient un bien marchand (1880-1920)
11. Une nouvelle territorialisation : le bassin hydraulique
12. Conclusion

EAU MARCHANDE

Comment l'eau courante est devenue une marchandise

 

Jean-Paul HAGHE
géographe – maître de conférences à l'IUFM de Rouen

article extrait de sa thèse Les eaux courantes et l'État en France 1789-1920
Du contrôle institutionnel à la fétichisation marchande

soutenue sous la direction de Marcel RONCAYOLO
École des Hautes Sciences en Sciences Sociales – EHESS, 1998
H2o – avril 1999

images d'archives transmises par l'auteur ou extraites de l'ouvrage
L'eau de Paris, Marc Gaillard, Photographies Claude Abron et  Archives – Éditions Martelle

 

Dans nos sociétés contemporaines, certains éléments de la nature tels l'air ou l'énergie solaire échappent encore à l'appropriation privée et au commerce, mais ce n'est plus le cas de l'eau qui est devenue un objet politique et économique majeur.

La même molécule d'eau sera considérée différemment selon les diverses étapes de son cycle ; lorsqu'elle se trouve dans l'atmosphère, les océans ou compose les êtres vivants, elle reste encore un élément sans valeur marchande, mais dans son cycle terrestre elle est devenue un objet appropriable ayant un prix ; elle est intégrée au marché. Ainsi, "l'eau courante" devient une marchandise. Elle apparaît même aux grands groupes industriels qui la distribuent et l'assainissent comme l'un des principaux marchés du 21ème siècle. Selon la Banque Mondiale, il faudrait investir 180 milliards de dollars par an pour éviter une crise majeure en 2025.

Face aux réticences des usagers à accepter cette évolution marchande, faut-il leur répondre "qu'il serait temps de considérer l'eau comme une denrée négociable au même titre que le pétrole, le bois ou le charbon et de la faire payer cher parce qu'elle n'est pas inépuisable."

L'application du référent monétaire aux utilisations des eaux courantes est toujours présentée par les experts comme étant incontournable. Dans les pays développés, ce référent régule l'ensemble des rapports qu'entretiennent entre eux usagers, riverains, groupes industriels, puissance publique (par le prix et le coût, les taxes et les subventions) ; partout, il domine largement les exposés des spécialistes qui dirigent l'anthropisation du milieu aquatique terrestre.

Cette situation qui est présentée comme fatale fait pourtant l'objet d'analyses critiques, mais les enquêtes et les recherches universitaires portent surtout sur les conséquences de cette marchandisation ; ses origines et son développement historique sont rarement analysés par les spécialistes de l'eau.

C'est pourquoi il nous a paru indispensable, pour comprendre ce qu'est l'eau dans notre société, d'effectuer au préalable un long retour sur le passé ; nous examinerons dans le cadre de la France, quels ont été les processus intellectuels et sociaux qui ont conduit à l'intégration des eaux courantes au marché ?