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Dessin de tracé de fleuve

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La Verna – Saint-Engrâce
Un barrage au centre de la Terre

Mots clés : Pyrénées, La Verna, gouffre de la Pierre Saint-Martin, Saint-Engrâce, barrage, centrale hydroélectique, Électrabel, Shem, Suez
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Dossier de
Martine LE BEC
  
March 2008
Index du dossier
1. Un barrage au centre de la Terre
2. Une cavité souterraine devenue centrale électrique
3. ResSources... souterraines

Une cavité souterraine devenue centrale électrique 

 

Il faut d'abord monter jusqu'à Sainte-Engrâce, un village éclaté en deux morceaux avec d'un côté, l'église de XIème siècle, de l'autre, sa mairie, son tabac et son café. Partant de là, on rejoint le barrage sur lequel la SHEM exploite déjà deux usines hydroélectriques, construites en 1917 et 1953, avant d'atteindre un peu plus haut la nouvelle unité, évidemment baptisée La Verna. C'est là qu'il faut abandonner le car, pour prendre les 4x4. Quatre kilomètres de lacets et quelques centaines de mètres plus haut, nous arrivons à l'entrée du tunnel. 660 mètres seulement marqués par deux ou trois bifurcations, et parfaitement renforcés et nous arrivons sur balcon. Il fait noir et c'est d'abord le bruit assourdissant du torrent qui nous remplit. Formé d'immenses rochers, le balcon est comme posé à mi-hauteur de la salle, une salle énorme dans laquelle pourraient s'empiler six cathédrales Notre-Dame de Paris...

Exploré par Eugène Fournier et Édouard-Alfred Martel dès la fin du 19ème siècle, le massif acquiert sa notoriété avec la découverte, en 1950, par Georges Lépineux du gouffre de la Pierre Saint-Martin, qui constituera le premier accès à la rivière Saint-Vincent. En 1951, cette verticale de 310 mètres, la plus grande du monde à l'époque, est descendue par Georges Lépineux, Marcel Loubens et Haroun Tazieff  l'aide d'un treuil conçu par Max Cosyns, physicien belge. En 1952, une expédition de grande ampleur, prévue à laquelle participe encore Haroun Tazieff tourne au drame : un serre-câble se dévisse, Loubens fait une chute de 15 mètres au cours de sa remontée et décède au fond du gouffre. Le corps est enterré sur place, et ne sera ramené à la surface que deux ans plus tard. Ce drame au fond du gouffre le plus profond du monde est relayé par la presse mondiale et sera relaté par Tazieff dans son livre Le Gouffre de la Pierre Saint-Martin. Une plaque située au fond du gouffre commémore le drame.

Jacques Labeyrie a l'idée d'un aménagement hydraulique sur le site. C'était avant même la découverte, en 1953 par une équipe de spéléologues lyonnais, de l'immense salle de La Verna, traversée six mois de l'année par la rivière souterraine. En 1956, EDF s'intéresse au site et entreprend la construction d'un tunnel de 660 mètres de long, devant permettre de rejoindre la salle où sera effectué le captage. À l'époque, l'opérateur historique est en pleine frénésie de construction de barrages hydrauliques, mais le site ne délivre pas la capacité de production électrique escomptée et EDF renonce à son projet en 1960. Le tunnel ne sera plus dès lors emprunté que par les spéléologues, jusqu'en 2006.

Le projet est alors repris par la SHEM, Société Hydroélectrique du Midi – filiale de la SNCF, qui a été reprise en 2006 par Électrabel, du groupe Suez. La société, qui compte 50 usines hydroélectriques dans le Massif Central et les Pyrénées, opére depuis longue date dans la région. C'est aussi sûrement cette ancienneté qui a permis à l'opérateur d'obtenir l'agrément des représentants locaux, élus et associatifs. Les collectivités y ont vu la possibilité d'ouvrir le site au tourisme ; "Grâce au projet de La Verna, la rivière de Sainte-Engrâce a retrouvé une seconde vie en laissant place à nouveau à la faune et à la flore", renchérit Clément Bosom, président de l'Association agréée de pêche et de protection du milieu aquatique du Pays de Soule. Et pour Jean-François Godard, conseiller technique pour le Comité départemental de spéléologie Pyrénées-Atlantiques, "ce projet est une occasion formidable de démontrer encore une fois que la spéléologie et ses passionnés contribuent au progrès et en l’occurrence celui de l’énergie". Sans le soutien de ces passionnés, aucun barrage n'aurait pu être envisagé ; les ingénieurs de la SHEM en étaient conscients.

De fait, tout a été fait pour inséréer au mieux le projet dans environnement. Aucune grosse machine n'a pu pénétrer dans la salle de la Verna. Béton, sable, poutrelles en acier ont donc été acheminés à la main ou sur de petits chariots. Une passerelle qui donne accès à la prise d'eau a été construite le long de la falaise. Elle est elle-même longée par la conduite forcée de 60 centimètres de diamètre,  suit sous terre le chemin de la galerie jadis creusée par EDF. À sa sortie de tunnel, c'est toujours enterrée que la conduite plonge dans la vallée jusque la nouvelle usine, située à 900 mètres en contrebas.

Les travaux ont débuté en 2006 et les premiers essais ont été opérés en décembre dernier. L'unité, qui a été couplée pour la première fois au réseau en janvier, met dorénavant ses 4 MW de puissance, rapidement mobilisables, au service d'une demande de pointe. L'énergie qu'elle produit recevra aussi dès cette année la certification verte TÜV EE-02. L'investissement – très minoré à cause des travaux d'infrastructures initialement réalisés par EDF – s'est élèvé à 6 millions d'euros ; il sera amorti sur dix ans.

D'ici là, vous aurez peut-être déjà visité le site qui devrait assez rapidement être ouvert au public. En avant-première, quelques visites ont été organisées les 5 et 6 avril dans le cadre de la Semaine du Développement Durable. Le Son & Lumière est prêt. .