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Privatisations
Suez Bolivie, le contrat prend l'eau

Mots clés : Aguas del Illimani, Bolivie, Cochabamba, El Alto, La Paz, Lyonnaise des Eaux, Suez
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Index du dossier
1. L'annonce du gouvernement de mettre fin aux concessions
2. L'antécédent de Cochabamba
3. Le risque de La Paz et El Alto
4. ResSources

200501_mazalto_3.jpg Vers un nouveau conflit concernant la gestion des ressources naturelles ?
Le risque de La Paz et El Alto – 2004-2005

 

La ville d’El Alto surplombe la Paz, capitale de la Bolivie. Cette grande plainte d’altitude qui culmine a plus de 3 800 mètres, est le refuge des familles ayant fui les régions minières et agricoles touchées de plein fouet par les crises économiques des décennies 1980 et 1990. En pleine expansion, El Alto est le fruit d’un exode rural incontrôlé et d’une urbanisation anarchique. La ville apparaît comme le miroir déformant du centre de la capitale, La Paz, cuvette protégée des intempéries, dans laquelle s’abrite une population plus aisée, qui profite de la disponibilité des services essentiels et de la relative douceur du climat.

En 1997, sur les recommandations de la Banque mondiale, le gouvernement de Bolivie privatisait les services de gestion de l’eau des deux villes. Le contrat prévoyait que le gouvernement ait préalablement augmenté le prix des services d’eau d’environ 25 % pour assurer à l’opérateur privé une marge bénéficiaire minimale. Le contrat de concession, d’une durée de 30 ans, a attribué le marché à un nouveau consortium, Aguas del Illimani, en majorité détenu par l’industriel français Suez Lyonnaise des eaux. Le Groupe de la Banque mondiale allait ultérieurement prendre une participation minoritaire dans le consortium par le biais d’une de ses filiales, la Société Financière Internationale (SFI).

Huit ans après la privatisation, d’importantes mobilisations populaires ont débuté courant du mois de novembre 2004 à El Alto pour dénoncer la mauvaise gestion des services d’eau dans les zones les plus pauvres de la ville. La révolte, qui s’est poursuivie jusqu’au début du mois de janvier 2005, n’est pas sans rappeler les violentes confrontations de juillet 2003 à Tiquipaya (banlieue de Cochabamba) alors que les associations de paysans remettaient en cause le marché des services d’eau accordé à la compagnie Epsa-Macoti.

Alertées par la non amélioration du service dans certaines parties de La Paz et d’El Alto et l’augmentation des tarifs pour certaines catégories d’usagers, les "associations de voisinage" se sont mobilisées afin de demander des comptes à la compagnie et au gouvernement concernant un possible non respect des conditions initiales du contrat qui engage Aguas del Illimani. Huit ans à l’issue de la privatisation, nombre de foyers (plus de 200 000 personnes selon les représentants des comités de quartiers d’El Alto) ne bénéficient toujours d’aucun service qui leur garantirait l’accès à une eau de qualité (voir l’article "El Gobierno negocia para impedir un paro cívico", La Razòn, 12-12-2004).

Ces arguments ont d’ailleurs été confortés, fin décembre 2004, par le Vice-Ministre des services de base en charge de négocier avec le groupe Aguas del Illimani : "Le contrat est inacceptable. Il laisse 200 000 personnes sans accès à l’eau. Si la compagnie est d’accord pour étendre le service, il est temps d’en parler. Si Aguas del Illimani n’est pas prête à résoudre le problème, je rejoindrai la population d’El Alto pour demander le départ de la compagnie." [Voir le site du Democracy Center]

Comme ce fût le cas à Cochabamba cinq ans auparavant, les revendications s’articulent autour de l'annulation du contrat de concession avec le consortium Aguas del Illimani. Or, face à ces menaces qui risquent d’alerter de nouveau la communauté des investisseurs sur "l’instabilité bolivienne", le gouvernement rappelait, il y a encore quelques semaines, à la population les accords bilatéraux de protection des investissements signés entre la Bolivie, la France et l’Argentine. Ces accords de commerce prévoient qu’en cas d’annulation du contrat qui lie Aguas del Illimani et la Bolivie, les investisseurs français et argentins seraient en droit de réclamer d’importantes compensassions financières à l’Etat, comme ce fût le cas avec la société Bechtel.

La démission annoncée en décembre 2004 du Superintendant, responsable pour le gouvernement de l’attribution et de la négociation des contrats de gestion des services d’eau, M. Johnny Cuellar est venue alourdir le climat social bolivien. Ses plus récentes déclarations, en conférence de presse, témoignaient de la volonté du gouvernement bolivien d’échapper à une politisation de la problématique de l’accès aux ressources en eau dans le pays. Au moment de sa démission, l’ancien superintendant déplorait, en effet, la politisation du mouvement citoyen des habitants d’El Alto en réitérant sa volonté d’échapper aux pressions politiques de "militants radicaux", alors que son mandat de base était selon lui principalement technique et non politique. Le nouveau Superintendant, M. Frantz Rojas, ancien responsable de la politique de l’eau pour la coopération allemande en Bolivie (GTZ), un des principaux acteurs bilatéraux dans le secteur de l’eau au pays, est pressenti, de part sa grande expérience, pour prendre rapidement la relève suite à cette démission aux implications économiques mais surtout politiques.

Les observateurs boliviens et internationaux mettent cependant de l’avant l’importante fracture sociale qui divise le pays. A titre d’illustration, les représentants des institutions gouvernementales et des organisations internationales souffrent actuellement d’un manque de "légitimité" auprès de la majorité de la population qui n’arrive pas s’identifier à ces "élites aisées". Reste à savoir si le gouvernement du nouveau Président Carlos Mesa réussira à mobiliser la population, les bailleurs de fonds et les élites boliviennes autour d’un nouveau modèle de gestion de l’eau qui s’inscrive réellement dans la politique de "réduction de la pauvreté" et de facilitation des conditions d’accès aux services essentiels pour les populations les plus démunies du pays. .