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Dessin de tracé de fleuve

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World Water Forum II
L'eau : besoin fondamental ou droit de l'homme ?

Mots clés : Commission Mondiale de l'Eau, Eau besoin fondamental, droit à l'eau, Forum mondial de l'eau, La Haye, Gestion Intégrée des Ressources en Eau, Integrated Resources Management
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Dossier de
Martine LE BEC et Nicole MARI
  
February 2000
Index du dossier
1. Vers la consécration du droit à une eau potable ?
2. 180 millions de dollars par an, sinon...
3. Ouvrir le champ à l'action communautaire, l'interview de Ismail Serageldin
4. La Haye : le Forum de la dernière chance, l'interview de Bill Cosgrove
5. La "conquête" de l'eau par les intérêts privés, l'interview de Riccardo Petrella
6. L'eau, enjeu de premier plan pour l'Afrique

L'eau, enjeu de premier plan pour l'Afrique

 

L’or bleu est devenu le véritable défi du 21ème  siècle. Sa raréfaction agite le spectre d’une pénurie, désastreuse pour un Continent africain déjà victime de sécheresse chronique et source de conflits latents que la moindre goutte d’eau peut faire exploser.

Nicole MARI

Article publié par Continental – février 2000
Reproduction avec accord

 

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400 millions d’Africains, plus de la moitié de la population du continent, n’ont pas accès à l’eau potable, dont 108 millions en zones urbaines. À peine 36 % bénéficient d’installations d’assainissement. Pourtant, en 20 ans, près de 100 000 points d’eau ont été aménagés.
Borne fontaine en Zambie – photo MSF

 

L'eau, c’est la vie. Mais cette précieuse ressource est aujourd’hui sérieusement menacée. Si nous ne changeons pas nos comportements à son égard et notre manière de l’utiliser, nous serons confrontés à de sérieux problèmes dans un futur proche" déclarait récemment Ismail Serageldin, Président de la Commission mondiale de l’eau pour le 21ème siècle et vice-président de la Banque mondiale. Depuis 1997, l’urgence d’agir s’est imposée à tous. À cette date, a été organisé à Marrakech, au Maroc, par le Conseil mondial de l’eau et la Banque mondiale, le premier forum international de l’eau pour tirer la sonnette d’alarme et sensibiliser l’opinion sur une crise imminente. Du 17 au 22 mars prochain, la seconde édition de ce forum, qui se tient à La Haye, aux Pays-Bas, entend proposer un schéma d’aménagement mondial pour les 25 prochaines années. "Ce sera l’occasion de planifier les objectifs et de poser les conditions afin que chacun dans le monde puisse avoir accès à l’eau potable en 2025. Les enjeux sont élevés, mais nous ne pouvons pas rater cette chance de créer un monde meilleur pour nous-mêmes et pour les générations futures" affirme Mahmoud Abu-Zeid, président du Conseil mondial de l’eau et Ministre égyptien des Travaux publics et des Ressources hydrauliques. En parallèle, se déroulera la conférence ministérielle pour le développement durable des eaux dont l’objectif est de concrétiser certaines décisions prises. Une part importante de ce forum sera consacrée à des présentations de situations régionales spécifiques, notamment africaines.


Un gaspillage éhonté

Et le moins que l’on puisse dire est qu’au delà des menaces pressenties, la situation actuelle est déjà en elle-même inquiétante. Au moins un milliard d’individus n’ont pas accès à l’eau potable et la moitié de la population mondiale ne bénéficie pas des conditions d’hygiène les plus élémentaires. La pollution de l’eau est responsable de 80 % des maladies et d’un tiers des décès dans les pays en voie de développement. En cinquante ans, la quantité d’eau douce disponible par an et par habitant a diminué de moitié, passant de 16 800 m3 à 7 300 m3. Elle devrait continuer à baisser jusqu’à 4 800 m3 en 2025. En Afrique, la situation est encore plus grave. Le continent a englouti les 3/4 de ses réserves depuis 1950 et devrait perdre la moitié du quart restant d’ici 2025.

Ces chiffres alarmants cachent de grandes disparités. Il n’y a aucune commune mesure entre les régions arides et semi-arides du Sahara, du Sahel, d’Afrique de l’Est ou du Sud, notamment le Botswana et la Namibie, et les régions d’Afrique équatoriale, grand réservoir mondial d’eau douce. La République démocratique du Congo, par exemple, fait partie des dix pays totalisant plus de 60 % des ressources en eaux naturelles du monde. Le gaspillage est éhonté. L’irrigation des sols cultivés consomme 70 % des ressources en eau potable contre 23 % pour l’industrie et 8 % pour l’usage domestique. Près du 4/5 des eaux des régions saharienne et sahélienne sont utilisées pour irriguer l’agriculture de la vallée du Nil. L’eau douce est surexploitée en raison à la fois de la sécheresse chronique, de la pollution industrielle et de l’absence d’une gestion rationnelle et de moyens financiers. Le Nil, l’une des ressources les plus riches du monde, ne possède plus qu’un débit de 52 km3 contre 72 km3 en 1977 et 84 km3 en 1954. Les neuf pays riverains risquent d’être confrontés à la famine, à une pauvreté accrue et à la dégradation de leur environnement. Le lac Tchad, source d’eau la plus importante du bassin et seul lac de la zone sahélienne au sud du Sahara, est en train de disparaître. Couvrant à l’origine 350 000 km2, il s’est amenuisé à 25 000 km2 dans les années 60. Depuis, de dures sécheresses et des pompages intempestifs l’ont réduit à environ 2 000 km2. L’irrigation sur une large échelle et les activités de production et de raffinage de pétrole menacent l’écosystème et le lac lui-même. Le lac Victoria, première réserve d’eau douce d’Afrique qui dessert l’Ouganda, le Kenya et la Tanzanie, s’asphyxie sous l’effet de la pollution industrielle et naturelle avec la jacinthe d’eau.

Les pays du Maghreb doivent également faire face à de très sévères pénuries. Non seulement leurs ressources sont limitées alors que la population s’accroît fortement, mais la pollution des nappes phréatiques en surface a détérioré la qualité de l’eau. Avec des conséquences directes sur les conditions de vie des populations, notamment en matière de suffisance alimentaire. Dans les pays sub-sahariens, l’accès à l’eau potable est loin d’être généralisé. Rares sont les villages disposant de réseaux d’adduction d’eau. Même en ville, la distribution est insuffisante et l’eau n’est pas toujours buvable. Mais la pénurie des ressources n’est pas seule responsable, la mauvaise gestion et le manque de moyens financiers accentuent les problèmes. La politique de l’eau est souvent inadaptée aux réalités du terrain, les pouvoirs publics peu impliqués et l’action des différents acteurs du secteur est souvent désordonnée.

 

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93 % de la population en Érythrée, 65 % en Sierra Léone et au Mali, 50 % au Sénégal n’ont pas accès à l’eau potable.
Un Africain n’utilise, en moyenne, que 30 litres d’eau par jour contre 600 litres pour un Américain.
Borne fontaine au Rwanda – photo MSF


Des réponses communes

Face à cette situation, les états ont décidé de collaborer en partageant l’information, la technologie et l’usage pour prévenir une crise. Les pays du bassin du Nil ont lancé à Dar Es-Salaam, en février 1999, “l’Initiative pour le bassin du Nil” afin d’exploiter l’énorme potentiel du fleuve pour le bénéfice de tous. En Afrique de l’Ouest, seize pays ont développé des stratégies nationales et des partenariats pour résoudre les problèmes d’eau potable. 45 pays africains ont adopté l’Initiative 2000 pour l’eau et l’assainissement. L’objectif est de créer une vision commune de la gestion de l’eau, de mettre en œuvre des actions de coopération entre pays membres pour faire face aux carences les plus flagrantes en matière d’approvisionnement et d’assainissement. Mais les résultats sont assez décevants. Seuls 13 pays sont parvenus à installer de nouvelles infrastructures d’adduction d’eau potable avec des technologies assez peu coûteuses. Des mesures d’urgences s’imposent donc à un moment où les Africains vont, en plus, devoir payer plus cher l’eau qu’ils consomment. Sous la pression des bailleurs de fonds internationaux, le secteur hydraulique est en cours de libéralisation, ce qui va renchérir le coût de l’eau pour des populations déjà démunies. Bien plus, la rareté des pluies provoque des conflits politiques et sociaux pour la maîtrise des points d’eau, notamment en Afrique du Nord et du Sud. L’Éthiopie, le Soudan et l’Egypte se disputent l’eau du Nil, le Botswana et la Namibie celle du fleuve Okavango. Avec 70 fleuves transfrontaliers, près de 40 % de l’eau douce africaine est commune à plusieurs pays. L’eau potable est au cœur même de la croissance et du développement durable. Difficile de lutter contre la pauvreté et d’atteindre la sécurité alimentaire sans une gestion intégrée et un partage équitable de cette ressource. L’or bleu est plus que jamais l’un des défis les plus clairs que les Africains devront relever et gagner, ensemble, cette prochaine décennie. Plus qu’une priorité, c’est une question de survie. .