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LA TRIADE D'ÉLÉPHANTINE
Si Osiris et Hâpy sont les dieux les plus souvent identifiés au Nil, le Fleuve sacré est placé sous la surveillance d’une triade de dieux protecteurs dont le culte s’est propagé à partir d’Éléphantine : Knoum, dieu-bélier de la Fécondité et de la création, gardien des Sources du Nil, et ses deux épouses, Satis, déesse protectrice des cataractes, dispensatrice des crues annuelles, et Anoukis, déesse de l’inondation.
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Khnoum – Gardien des sources du Nil, ce dieu de la première cataracte, adoré dans la haute vallée du Nil, est associé à l’eau nourricière dont il commande la crue. C’est une divinité très ancienne dont le culte, initialement local, finit par se confondre avec celui de Rê. Sur les murs du temple d’Esna, un texte gravé au 1er siècle après J.-C. raconte qu’il serait le véritable père des Hommes, la source de toute vie, façonnant Pharaon et les humains sur son tour de potier. Aidé de Ptah, dieu momiforme de la ville de Memphis, patron de la royauté et régent des fêtes jubilaires, il obéit aux ordres de Thot, dieu lunaire à tête d’ibis, patron des scribes et archiviste des dieux. Ce potier sacré utilise le limon fertile du Nil pour modeler les corps et leur insuffle ensuite le ka, l’âme. Son instrument emblématique, le tour de potier, est doté d’un mouvement de rotation évoquant à la fois les grands cycles de l’année (crues du Nil, passage des saisons…) et de l’existence humaine : naissance, vie mort, renaissance… C’est le mouvement originel de ce tour qui crée la vie. Le nom même de Khnoum vient de khnem, signifiant "construire", le Créateur, celui qui bâtit l’univers matériel et assure sa permanence et sa reproduction.
Ce dieu bénéfique à tête de bélier s’avère l’un des meilleurs amis des hommes dans la mythologie égyptienne, même si on peut toujours craindre ses caprices. Le symbole du bélier le définit comme une source de vie, communiquant son inépuisable énergie aux êtres et aux choses, animant l’humanité et l’ensemble du vivant en insufflant aux femmes l’énergie créatrice. Chaque naissance ou récolte témoigne de sa prodigieuse virilité. Dans les représentations originales de la théogamie (le mariage des dieux), il participe à la naissance du futur pharaon, engendré par un dieu qui a pris la place du roi. C’est l’Égypte, elle-même qu’il aide ainsi symboliquement à se perpétuer et à se régénérer rituellement.
Source de toute vie, Khnoum est à la fois associé au Soleil qui fait lever les récoltes et à l’eau du Nil qui les fertilise. Ses nombreux noms attestent le caractère multiple de ses attributions : "démiurge", "gouverneur des deux terres", "porteur de lumière", "gouverneur de la maison de vie", "seigneur des terres de la vie", "maison de la vie", c’est-à-dire aussi bien le corps féminin que la caverne secrète, tout en haut de la vallée du Nil, d’où jaillit périodiquement l’inondation bienfaisante.
Dieu de la Cataracte, Khnoum est adoré comme le gardien des sources du Nil, qui libère les eaux du fleuve. Son lieu d’élection est la caverne de Hâpy, à Éléphantine : c’est d’elle, selon la légende, que surgit la crue, quand Khnoum accepte de la laisser partir. Les représentations du dieu portant une croix ankh à la main et une jarre sur la tête prouvent que c’est de lui, et de lui seul, que dépend l’inondation dont il est le maître et le grand dispensateur. Khnoum joue ainsi un rôle majeur dans l’imaginaire de l’Égypte antique, tout entier centré sur le cycle régénérateur de la crue. Lui rendre un culte est fondamental : la crue arrive certes tous les ans, mais peut être plus ou moins bénéfique, plus ou moins tardive. Son retard, dans une économie sans cesse menacée de pénurie, est synonyme d’épuisement des réserves et de début de famine. Les prêtres de Khnoum, chargés du bonheur de l’Égypte entière, ont pour devoir de satisfaire un dieu dont la colère ou le mécontentement peut provoquer la famine, la ruine, voire la mort de tout un peuple. C’est pour cela que le culte du dieu de vie a perduré jusqu’aux premiers temps du christianisme. On trouve son nom dans les écrits de certaines sectes semi-chrétiennes des premiers temps de l’Église, certains prétendent même que la figure grecque du diable lui aurait emprunté quelques traits symboliques, notamment ses cornes torsadées.
Satis (ou Satet) – Déesse de la première cataracte du Nil, protectrice de la frontière du Sud et dispensatrice de la crue, son influence s’exerce sur l’Égypte entière. Coiffée de la couronne blanche du Haut Pays ornée de deux cornes d’antilope, elle connaît les gestes qui déclenchent la crue et repoussent l’ennemi hors des frontières.
Combattante inlassable, fière, puissante et ingénieuse, tout à tour femme séduisante parée de bijoux ou créature hybride à tête d’antilope, la "Reine" ou la "dame d’Éléphantine", dont le nom signifie "plus rapide qu’une flèche", tient l’Égypte entre ses mains. Protectrice, à l’origine, des frontières du Sud contre les invasions ennemies, elle tient dans son poing serré un arc et des traits. Montant la garde à la frontière de la Nubie, à l’extrême sud de l’Égypte, elle repousse l’ennemi hors du territoire et tue celui qui a l’audace de s’y aventurer. Son nom est donné au premier nome (province) de la Haute-Égypte : Ta Setet, "terre de Satis" ou "pays de l’Arc", dont la capitale Abou est l’actuelle Éléphantine. Sa réputation et sa puissance ne cessant de s’accroître, son rôle d’ange gardien s’étend à tout le royaume jusqu’à la personne de Pharaon. Certaines fresques la représentent debout derrière le souverain, une main protectrice posée sur son épaule.
Quand la déesse troque son arc contre quatre cruches d’eau, c’est que, selon le calendrier antique, une nouvelle année vient de commencer. Satis déclenche, chaque année, la crue du Nil à une date bien précise, qui correspond au lever héliaque de l’astre Sothis, l’actuel Sirius. Ce jour est celui où l’astre redevient visible à l’Orient après plusieurs mois d’éclipse. Annonçant la crue bienfaitrice, il est si important qu’il constitue le premier jour de l’année dans le calendrier égyptien et le premier jour de la saison d’Akhet (saison de l’inondation) au mois de Thot. Ce jour-là, le 19 juillet de notre calendrier, Satis pénètre dans une grotte sacrée, située au niveau des premières cataractes du Nil, qui abrite le gouffre merveilleux d’où surgit, chaque année, la crue bienfaitrice et, d’un geste, déclenche la fameuse inondation, mère de la civilisation égyptienne. Sans cette montée des eaux provoquée par Satis, le désert envahirait tout le pays, empêchant toute vie.
Le peuple sait combien son culte est essentiel puisque c’est de son bon vouloir que dépend l’abondance de la prochaine récolte. Le sceptre et la croix ankh, "signe de vie", que Satis arbore quelquefois, semble prouver que le destin de l’Égypte repose entre ses mains. Oeuvrant en priorité pour le royaume terrestre, elle fournit également l’eau utilisée pour la purification des morts et veille, à Éléphantine, sur une des jambes d’Osiris, dieu des morts, dont le corps découpé en morceaux par son frère Seth, dieu du Tonnerre et de la Guerre, a été inhumée par sa femme, la grande magicienne Isis, aux quatre coins du royaume.
Anoukis – Déesse de la région d’Éléphantine, parfois appelée Anket ou Anouket ou "fille de Rê", son nom signifie : "celle qui étreint la berge". Située géographiquement dans le sud du pays, aux abords de la première cataracte, elle contrôle la puissance des crues et, surtout, veille à ce que le Nil retourne dans son lit pendant la décrue. C’est ce rôle essentiel qui la fait vénérer par tous les Égyptiens.
Dans le calendrier de l’Égypte antique, l’année civile s’ouvre sur la "saison d’Akhet", "saison de l’inondation", qui couvre quatre mois de l’année (du 19 juillet au 15 novembre selon le calendrier actuel). Lorsque la saison d’Akhet touche à sa fin, des milliers de fidèles se rassemblent au sud sur les rives encore élargies du fleuve pour célébrer Anoukis. Sa statue prend place sur une barque cérémonielle qui, glissant d’une berge à l’autre, s’arrête devant de petits autels portatifs dressés de ci, de là, pour recevoir une multitude d’offrandes : fleurs, nourriture et boisson. Les Égyptiens entonnent des chants, exécutent des danses rituelles, priant Anoukis de ramener le Nil dans son lit au moment voulu afin de procéder aux semailles. En commandant au fleuve de s’assagir et de se retirer, la déesse anthropomorphe maintient l’équilibre de la nation. Les semailles peuvent alors commencer.
Représentée sous les traits d’une jeune femme élancée, bien faite, très coquette, vêtue à la mode égyptienne et parée de superbes bijoux, Anoukis porte une couronne formée de hautes plumes d’autruche, trahissant ses origines africaines. Originaire de Nubie, région située à la confluence des Nil Blanc et Bleu, entre le désert de Libye et la Mer Rouge, son animal sacré est la gazelle. Sa résidence favorite, l’île de Séhel où un temple lui est consacré. Incarnant parfois une mère divine allaitant le roi, un lien étroit l’unit à Pharaon, dont elle conforte le pouvoir royal. Divinité protectrice du roi et du royaume, archère accomplie, elle aide Satis à repousser les ennemis hors des frontières du Double Pays, qu’elle protége d’invasions hostiles, et Pharaon à maîtriser ses adversaires politiques et à imposer son pouvoir aux pays limitrophes.