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La machine de Marly

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La machine de Marly fut l’un des systèmes hydrauliques les plus élaborés du XVIIe siècle. Témoignant des prouesses technologiques de son temps, elle fut longtemps considérée comme la huitième merveille du monde, jusqu’à sa destruction en 1817.

Emmanuelle BOULAY
La machine de Marly par Pierre-Denis Martin, 1723
h2o – août 2012
Ce mécanisme unique et dispendieux
Devait par sa nature éblouir tous les yeux […]
La science hydraulique était à son enfance ;
Le progrès qu’elle a fait jusqu’à nous est immense.”

Ch. Véron
Le Palais de Marly-le-Roi et la machine de Marly ; les thermes et l'hôtel de Cluny, Versailles, 1869. Texte destiné à Monsieur Cornuau, conseiller d’État, préfet Seine-et-Oise.

 

Versailles, ancien relais de chasse de Louis XIII, où s’établirent peu à peu dès 1668 la cour et le gouvernement, devint résidence royale en 1682. Dès 1663, des fêtes en plein air étaient organisées à Versailles. Les jardins étaient alors réaménagés, et enrichis à partir de 1666 par de grands jets d’eau, pour parfaire la beauté et la puissance des lieux. Or Versailles fut bâti sur un plateau marécageux à 157 mètres au dessus de la Seine, loin de tout point d’eau. Il devint alors nécessaire de trouver le moyen d’alimenter les bassins et les fontaines et cela en continu. Quelques idées furent menées à terme mais les réserves étaient encore insuffisantes. En 1678, une alternative fut envisagée, celle de monter les eaux de la Seine le long de la colline de Marly et d’y faire construire des réservoirs. Le ministre des finances, Jean-Baptiste Colbert, fit appel à plusieurs savants afin de mener à bien cette entreprise. Ce fut un Liégeois du nom d’Arnold de Ville qui répondit à l’offre en proposant une machine hydraulique, inspirée de la machine de Modave. Le concepteur n’était autre que Rennequin Sualem, qui contribua également à la mise en œuvre de la machine de Marly. Cette dernière refoulait les eaux de la Seine sur une hauteur de 160 mètres environ vers l’aqueduc de Louveciennes, menant aux réservoirs de Marly et de Versailles. Mues par la force du fleuve, les roues de la machine, actionnaient des pompes à l’aide de manivelles et de balanciers, transformant ainsi le mouvement rotatif des roues en mouvement alternatif. Ce système hydraulique, utilisant la force motrice de l’eau, était à l’origine utilisé dans la région de Liège, pour extraire l’eau des mines. Cette machine fut l’objet de nombreuses curiosités de par sa complexité mais aussi de par sa taille : 64 mètres de longueur et 67 mètres de large. Elle fut construite entre 1681 et 1684, et 4 millions de livres furent dépensées pour sa construction et son entretien lors de ses 133 années de fonctionnement.


Avant la machine de Marly…
Les premiers travaux d’adduction

Au cours du chantier de Versailles, divers travaux d’adduction s’y sont succédés afin d’accroître les réserves en eau, initialement manquante à Versailles, au vu de la configuration des lieux : "sans eau, sans terre, parce que tout y est sable mouvant et marécage" (Saint-Simon, Mémoires du Duc de Saint-Simon, 1715). Les premiers travaux d’adduction commencèrent en 1639, par la création d’un étang artificiel, celui de Clagny (Fig.1.7) : des levées de terre furent érigées afin d’augmenter la capacité de l’étang. Une pompe créée par Claude Denis, ingénieur fontainier, permettait de prélever l’eau de l’étang pour en approvisionner les jardins et les communs. Toutefois en 1664, les travaux de Le Nôtre (creusement de bassins et de rondeaux) nécessitaient une nouvelle pompe plus puissante. Ainsi Denis Jolly, qui était en charge de la pompe du Pont-Neuf à Paris, créa un système constitué de huit pompes mues par deux manèges à chevaux, qui permettait de remonter les eaux le long d'un réservoir de plomb. La tour dite "la Tour d’eau" (Fig.1.8), fut conçue par Le Vau pour abriter au rez-de-chaussée le système de pompage et au premier étage le réservoir de plomb construit par le fontainier François Francine. Un débit de 600 m3 d’eau par jour arrivait dans le réservoir, et pour améliorer ce débit, le mécanisme fut renforcé en 1666 par des moulins à vent avec des chaînes à godets. Afin d’éviter l’assèchement de l’étang de Clagny, un aqueduc fut construit en 1671 pour retourner les eaux usées vers l’étang. Aidées d’un moulin à vent, les eaux usées étaient pompées dans le Grand Canal pour ensuite être véhiculées via l’aqueduc.

 201208_marly_etangs_vign.jpg Fig.1 – Plan général des étangs et rigoles de Versailles,
Archives départementales des Yvelines.


En 1664, un bâtiment à arcades fut construit pour soutenir un réservoir d’une capacité de 580 m3, qui deviendra deux ans plus tard la grotte de Thétis. Trois réservoirs de glaise d’une capacité de 5 000 m3 furent installés en 1667, à côté de la grotte pour permettre d’allonger la durée des jeux d’eau.

En 1668, les eaux prélevées dans l’étang de Clagny ne suffisaient plus au vu des nombreux aménagements réalisés au cours du chantier. Il fut alors entrepris de capter les eaux de la Bièvre en créant un étang artificiel, celui du Val. Les eaux prélevées dans l’étang étaient acheminées vers des moulins à vent via un aqueduc. Ces moulins à vent comme à Clagny permettaient de faire graviter les eaux vers des réservoirs, situés 24 mètres plus haut que ceux du château. En 1670, un autre dispositif fut utilisé, le moulin de Launay (Fig.1.9). Les eaux de la Bièvre, dérivées par un canal, actionnaient une roue de 20 mètres de diamètre, commandant des pompes à l’aide de bielles et de manivelles. Les eaux étaient alors refoulées jusqu’aux réservoirs de Satory (Fig.1.3), pour s’écouler vers les réservoirs de glaise.

Le système de pompage créé par Denis Jolly fut amélioré en 1674, par l’ajout de chevaux (trois au lieu d’un seul par manège), et de pompes. Ainsi, douze pompes à piston prélevaient jusqu’à 2 920 m3 par jour. Ce système fut appelé par la suite "la Grande Pompe". Malgré tous les travaux réalisés pour augmenter les réserves en eau, cela ne suffisait par pour faire jouer toutes les fontaines.

L’ingénieur Pierre-Paul Riquet, concepteur du Canal du Midi, proposa en 1674 de dériver la Loire à Briare, à une centaine de kilomètres de Versailles. Le projet devait coûter 2 400 000 livres… Pour s’assurer de la faisabilité d’une telle réalisation, Colbert demanda à l’abbé Picard, membre de l’Académie des Sciences, de faire des mesures précises de nivellement. Ce dernier qui avait développé une lunette topographique à visée optique, nivela le terrain et démontra que le projet était voué à l’échec dans la mesure où il n’y avait aucune pente susceptible d’amener les eaux vers les réservoirs du plateau de Satory.

Toutefois, une alternative se présenta. L’abbé Picard découvrit lors de ses mesures précédentes que le plateau de Trappes était plus élevé que le château de Versailles. Il suggéra alors de créer des étangs artificiels afin de recueillir les eaux de pluie. Dès 1675, l’installation de retenues d’eau permit de créer les étangs de Trappes (actuellement étang de Saint-Quentin-en-Yvelines), Bois d’Arcy et Bois-Robert (Fig.1.10 à 12), dits les étangs supérieurs. Les digues étaient constituées d’une avancée en maçonnerie pour éviter la vase et protéger les vannes. Les travaux s’achevèrent en 1677, et c’est seulement en 1680 que les eaux des étangs supérieurs arrivèrent au château de Versailles. Auparavant, il fallut construire un tunnel sous la montagne de Satory, dont le schéma fut proposé par l’abbé picard en 1677. Les premières installations furent alors peu à peu mises hors service, voire détruites : les réserves venant de l’étang de Clagny furent utilisées jusqu’aux environs de 1680 et les eaux de la Bièvre jusqu’en 1688. Dès 1674, il fut aussi entrepris de capter les eaux des étangs supérieurs situés autour de Rambouillet (de la Tour, de Corbet, de Hollande, de Saint-Hubert…) (Fig.1. 17 à 24).

Puis, on vint capter les eaux des étangs inférieurs (Saclay, Orsigny, Trou-Salé, Prés-clos et Villiers) (Fig.1.13 à 16) nouvellement créés en 1679, sous la direction de Thomas Gobert, ingénieur géographe et intendant des bâtiments. La traversée des eaux, des étangs inférieurs vers les réservoirs de Colbert (45 000 m3) (Fig.1.4) au sud du château, se faisait par des tuyaux comportant un siphon, soutenus par une charpente en bois. Et pour améliorer l’étanchéité du réseau, un aqueduc en maçonnerie dit "du Buc" fut construit en 1683, avec des arcades longues de 580 mètres et hautes de 45 mètres.

Les travaux d’adduction n’ont jamais cessé d’être entrepris afin de s’assurer un approvisionnement conséquent, même si cela revenait toujours à pomper de plus en plus loin en région parisienne. Mais l’exploitation des étangs ne suffisait pas : Gobert avait estimé en 1682, que les réserves en eau pouvaient assurer seulement 250 jours de fonctionnement par an. Ainsi une alternative s’imposait, pomper les eaux de la Seine à l’aide de "la Machine de Marly". 


La machine, son fonctionnement

La machine fut composée de 14 roues (le nombre 14 représentait le roi) de 12 mètres de diamètre, en bois de chêne, entourées chacune de 24 aubes en temps normal et de 36 aubes en basses eaux. Les roues tournaient à l’aide de la force motrice de l’eau. La rivière était en partie barrée par la machine et par une digue pour élever les eaux (Fig.1.2 et Fig.2.A), améliorant la rotation des roues. Les îles furent reliées entre elles par des digues afin de créer un chenal continu. Un des deux bras, la "Rivière Neuve" était utilisé pour le passage des bateaux, l’autre pour le fonctionnement de la machine (Fig.1.3 et 4).

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201208_marly_14_roues_vign.jpg Fig.1 – Vue générale de la Machine de Marly, Nicolas de Fer, 1715.

Fig. 2 – Plan des 14 roues et des mouvements de transmission, Archives départementales des Yvelines.


La machine reposait sur un ensemble de pieux disposés en parallèle et maintenus par un blocage de pierre (Fig.3.20). Les treize roues étaient disposées en deux rangées, et la quatorzième roue vers l’arrière de la machine. En période de crue, le nombre d’aubes était réduit pour éviter que les roues ne tournent trop vite et de ce fait, ne se brisent. Une grille à l’avant de la machine était disposée pour la protéger des glaces (Fig.3.11) et Vauban fit construire en amont une estacade en biais (un brise-glace) pour faire dévier les blocs de glace vers la grande digue et non vers la machine.

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Fig.3 – Coupe de la Machine de Marly, Nicolas de Fer, 1715.

 
Ces roues à l’aide d’un mécanisme de "Bielles-Manivelles" (Fig.4.2 et 3), actionnaient les pompes de rivière en fer "fondu" de 15 à 20 centimètres de diamètre (Fig.4.7 et 8). Les pistons en bois, mesuraient 1,30 mètres de longueur. La transmission du mouvement rotatif des roues en mouvements verticaux alternés se faisait par l’intermédiaire de varlets. La bielle en mouvement actionnait le "varlet" (Fig.4.17) qui lui-même actionnait le "varlet couché" (Fig.4.16), et enfin les pistons.

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Fig.4 – Fonctionnement du système de pompage en rivière, Archives départementales des Yvelines.

 

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Profil du puisard des Petits-Chevalets à mi-côte, XVIIe siècle, Archives départementales des Yvelines.
Maquette de la machine de Marly, XVIIIe siècle, Musée des Arts et Métiers, Paris.


La capacité des pompes en rivière ne permettait pas d’élever l’eau d’un seul jet vers le haut de la colline de Marly, c’est pourquoi l’ascension de l’eau se faisait en trois étapes. L’eau pompée en rivière arrivait vers le premier puisard (Fig.1.6), à 50 mètres au dessus de la Seine, sur une longueur de 200 mètres. Ensuite, l’eau était acheminée vers un deuxième puisard (Fig.1.8) sur une hauteur de 52 mètres, soit à une distance de 430 mètres du premier puisard. L’eau arrivait par la suite au réservoir situé à 57 mètres au dessus du deuxième puisard. L’eau parcourait donc 1 200 mètres, de la Seine vers le réservoir en haut de la colline de Marly.

Les puisards étaient reliés par un système de tringles en fer (chaînes et balanciers) (Fig.2.J et Fig.5.A&B.7). Mû par le mouvement des roues, ce système actionnait les pompes situées dans les puisards. Des varlets permettaient de transformer le mouvement rotatif des roues en mouvement longitudinal alterné (celui des tringles). La Bielle transmettait le mouvement au "varlet" (Fig.5.A&B.5), puis aux "varlets horizontaux" (Fig.5.A&B.6) et enfin aux tringles. Le long de la colline, étaient installés des chevalets afin de supporter le système des tringles. On appelait les "petits chevalets", ceux situés à mi-côte, et les "grands chevalets", ceux allant vers le deuxième puisard.

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Fig.5.A – Vue arrière de la roue, l’entrée de la Seine se faisant vers l’avant de la roue.
Fig.5.B – Vue du dessus de la roue.
Fig.5.C – Profil d’un puisard, B.F. de Bélidor.

 
Les roues actionnaient dans l’ensemble 221 pompes pour acheminer les eaux vers l’aqueduc de Louveciennes (Fig.1.11). Les six roues de la première rangée mettaient en mouvement 12 corps de pompes soit 48 pompes. Chaque corps de pompes était constitué de quatre pompes à pistons. La quatorzième roue actionnait 4 corps de pompes soit  8 pompes à pistons. Ainsi, 64 pompes (Fig.2.I) refoulaient les eaux vers le premier puisard, ce dernier disposant au total de 78 pompes. L’eau pompée arrivait à un réservoir (bassin) (Fig.1.7) et vers le premier puisard constitué de deux ensembles : l’un composé de 48 pompes et l’autre de 30 pompes. Ces dernières refoulaient l’eau jusqu’au deuxième puisard constitué de 79 pompes. La machine comportait au total 259 pompes dont 32 pompes auxiliaires (lutte contre les incendies, élévation des eaux de sources captées sur le coteau).

La construction de la machine avait nécessité 85 000 tonnes de bois, 17 000 tonnes de fer, 850 tonnes d’acier et de plomb. Le bois était en partie utilisé pour la fabrication des roues, des chevalets et autres mécanismes permettant le transfert des énergies vers les pompes. Divers travaux tels que l’endiguement de la Seine avaient nécessité une quantité importante de bois. Ce dernier était importé de la forêt de Compiègne et de Prunay, près de Rouen. Les tuyaux en fonte provenaient des forges de Nivernais et de Champagne ; les chaînes, les pompes et les buses de Liège ; le plomb d’Angleterre et le cuivre de Suède. Ce dernier recouvrait les rouages permettant de supporter les chaînes. Le plomb était réservé à la fabrication des canalisations. Du cuir était également importé de Liège et servait de joints pour permettre l’étanchéité des tuyaux. 


La machine et ses concepteurs

La machine de Marly était une invention issue de deux hommes, originaires du pays de Liège : Arnold de Ville (1653-1722) et Rennequin Sualem (1645-1708). Fils de Winand de Ville, bourgmestre et maître de forge de Huy, Arnold de Ville fit ses études au collège des Jésuites à Paris et obtint sa licence en droit en 1674 à l’université de Louvain. Il répondit avec succès en 1675 à l’appel d’offre proposé par le ministre Colbert. Il réalisa au préalable sous la demande du roi, un modèle réduit de la machine au niveau du moulin de Palfour, situé en contrebas du château de Saint-Germain. Ce modèle réduit n’était autre que la réplique de la machine de Modave. Constituée d’une seule roue (12 mètres de diamètre) et de quatre pompes, la machine élevait les eaux du Hoyoux – 1 – sur une hauteur d’environ 40 mètres vers le château et les jardins de Modave. Le château appartenait au comte de Marchin – 2, ami d’Arnold de Ville – 3.

La construction du modèle réduit démarra en juin 1679 pour s'achever à la fin de l'année 1680 et coûta environ 9 000 livres. Mis en route avec succès, il fut alors entrepris de construire la machine de Marly dès l’année suivante. Rennequin Sualem, inventeur de la machine de Modave, n’avait que 33 ans lorsqu’il se mit au service de monsieur de Ville. Il travaillait alors pour les industries minières de la région Wallon, et était en charge de la construction et de l’entretien des machines d’exhaure. On le disait illettré mais fort bon technicien. Il fut d’ailleurs longtemps considéré comme le seul penseur de la machine de Marly et sur sa tombe était écrit "Cy gissent honorables personnes, Sieur Rennequin Sualem, seul inventeur de la machine de Marli, […]". Sans la technicité de Rennequin Sualem, la machine n’aurait probablement pas vu le jour, mais sans le concours d’Arnold de Ville, aucun marché n’aurait été obtenu, au vu du statut social de Rennequin Sualem.

Arnold de Ville fit appel à un dénommé Jean Siane Dupont, ingénieur spécialisé dans les ouvrages en charpente, pour dessiner les plans de la machine. Moins reconnu, il occupa néanmoins une place importante dans la conception de la Machine. À la mort de son père en 1698, Arnold de Ville lui avait légué les forges familiales du Huy, pour le remercier de sa collaboration.

Au cours des cinq premières années de construction, le roi Louis XIV venait sur le chantier s’enquérir de l’avancement des travaux. Le 16 juin 1684, accompagné de son fils le Grand Dauphin, il assistait aux premiers tours des roues et le 10 août de l’année suivante, au fonctionnement intégral de la machine de Marly. Le 14 novembre 1685, l’eau arrivait jusqu’aux réservoirs de Montbauron. Satisfait, le roi gratifia Arnold de Ville de 100 000 livres, en plus de sa pension annuelle de 6 000 livres. Rennequin Sualem, officiellement nommé "Ingénieur du roi", n’obtenait alors que 1800 livres par an. De Ville disposait d’un logement de fonction en bordure du quai de Seine, et emménagea ensuite dans un pavillon situé en haut de la colline – 4. Le roi nomma De Ville "Gouverneur de la machine" et lui donna le titre de "Baron du Saint-Empire". Il perçut alors 12 000 livres de gages et obtint la résidence de Modave en 1706.

1. Le Hoyoux est une rivière située en Belgique.
2. Fils de Jean-Gaspard-Ferdinand de Marchin, comte de Granville (1601-1673). Son père fut l’un des principaux aides de camp du Grand Condé, meneur de la Fronde des Princes. Contrairement à son père, le comte fit allégeance au roi de France et sa brillante carrière militaire lui valut le titre de Maréchal de France.
3. Arnold de Ville, ami du comte de Marchin, connaissait l’existence d’une telle machine et c’est ce qui l’avait conduit à se présenter devant le roi en 1675.
4. Le pavillon fut offert par Louis XV à sa favorite, la comtesse du Barry en 1769.


De Marly à Versailles

En 1685, les eaux de la Seine parvenaient enfin en haut de la colline, et remontaient le long d’une tour en bois afin d’y être stockées. Cette dernière fut construite pour assurer provisoirement la mise en charge des eaux et permettre à celles-ci de s’écouler vers les réservoirs de Marly. La conception de cet ouvrage fut confiée à l’architecte Robert de Cotte, principal collaborateur et beau-frère de Jules Hardouin-Mansart – 5. Un réservoir était placé en haut de la tour, ce qui nécessitait une étude et une conception de l’ouvrage approfondies car l’ouvrage devait être particulièrement stable. Des rigoles furent construites afin de faire parvenir l’eau de la tour vers les étangs des Gressets pour alimenter Versailles.

Édifiée en 1681, la tour fut démontée quatre ans plus tard. Un aqueduc – 6 – avait été construit pour stocker et acheminer les eaux vers Versailles. Monsieur Cassini, directeur de l’Observatoire royal de Paris, pria le ministre Louvois (successeur de Colbert en 1683) d’obtenir la permission du roi de faire transporter la tour à l’Observatoire. Il estimait que grâce à cette tour, il pouvait accéder à une atmosphère "plus claire" et par conséquent à une meilleure observation des étoiles. Il obtint satisfaction le 1er mars 1685 et la tour fut remontée en 1688. Ce fut une opération longue et couteuse de près de 11 000 livres.

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L'Observatoire de Paris et la Tour de Marly.


La réalisation de l’aqueduc fut attribuée à Jules Hardouin-Mansart, et à son collaborateur Robert de Cotte. Toutefois, aucun document (devis, plans, marchés) ne nous permettrait aujourd’hui de le certifier. De Ville serait en réalité à l’origine du projet car en 1683, il proposa au marquis de Louvois, de construire "un pont […] depuis la tour de pierre jusqu’au dessus de la hauteur qui en est voysines"7, de "60 pieds de hault sur 800 toises de long"8. Le chantier fut ouvert en 1684, et dirigé par deux entrepreneurs Jean Bailly et Louis Rocher, en charge à cette même époque des principaux travaux du château de Marly.

L’œuvre était constituée de 36 arches sur une longueur de 643 mètres. La tour de la machine (Fig.1.2), dite aussi la "Tour du Levant" mesurait environ 23 mètres et la tour du couchant (Fig.1.3) environ 13 mètres de hauteur par rapport au sol. L’aqueduc présentait une pente de 1,5 mm/mètre. L’eau coulait à l’air libre dans un canal en plomb de 1 mètre de large et de 2 mètres de profondeur. En amont, l’eau était forcée dans des conduites pour parvenir vers la tour du levant. Des joints en cuir de vache maintenus par des coins en bois permettaient l’étanchéité des tuyaux. Les travaux coutèrent 25 000 livres rien que pour la construction de l’aqueduc.

Un réservoir dit le "Regard du Jongleur" (Fig.1.4), fut construit pour permettre la répartition de l’eau dans les différents réservoirs (Fig.1.5 à 7) qui alimentaient soit Versailles, soit le château de Marly. Il était prévu initialement de prolonger l’aqueduc jusqu’au réservoir du regard mais le roi Louis XIV estimait qu’il contrariait la perspective de son château.  Des conduites en siphon furent alors installées pour relier la tour du couchant et le Regard du Jongleur. L’eau des réservoirs (excepté ceux de Marly) arrivait vers le "Pavillon des Filtres" en haut de la côte de Picardie via un aqueduc souterrain pour être ensuite redirigée vers les réservoirs Montbauron, puis ceux du château de Versailles.

5. Jules Hardouin-Mansart (1646-1708) fut  "Premier architecte du roi" en 1681 et surintendant des bâtiments du roi en 1699. Il fut anobli en 1682, et devint comte de Sagonne en 1699.  Il fut l’architecte et l’administrateur du Château de Marly.
6. Différents noms lui furent attribués : l’aqueduc "de la Tour", "de la Machine", "de Marly"… Aujourd’hui, il est connu sous le nom de l’aqueduc "de Louveciennes". 
7. R. Masson et Th. Sarmant, Architecture et Beaux-Arts à l’apogée du règne de Louis XIV, Édition critique de la correspondance du marquis de Louvois, surintendant des Bâtiments du roi, arts et manufactures de France, 1683-1691, t. II, éd. Comité des travaux historique et scientifiques, 2007, S.H.A.T, A1 696, fol 693.
8. Louvois, Mémoire pour parler au roy, 26 octobre 1684, éd. Th. Sarmant, S.H.A.T, A1 718, fol 517.
201208_marly_hardouinmansart_vign.jpg Fig.1 – Situation géographique des aqueducs et des réservoirs, plan aquerellé,
Archives départementales des Yvelines.


Du rêve à la chute

Les travaux avaient nécessité des dépenses considérables, approchant les deux millions de livres, comprenant les travaux annexes tels que l’endiguement de la Seine, le terrassement etc. Dès 1685, la machine fonctionnait jour et nuit pour alimenter les réservoirs. Elle nécessitait donc une surveillance et un entretien continus. Véritable prouesse technologique de son temps, la machine avait néanmoins quelques défauts de fonctionnement. Les roues étaient soumises à de fortes pressions et cédaient fréquemment. Les frottements entre les différents mécanismes étaient nombreux, et ralentissaient la production si bien que la machine ne dépassait pas le quart de sa capacité théorique. La charpenterie et la rénovation des ouvrages en fer, constituaient des dépenses fréquentes et correspondaient respectivement au cinquième et au tiers des dépenses annuelles. À partir de 1689, le paiement des employés représentait un tiers du coût annuel, ce qui constituait une part importante des dépenses pour l’entretien.

Durant le règne de Louis XIV, la machine ne produisait pas suffisamment d’eau pour alimenter Versailles. Le débit était de moins de 2 000 m3/jour contrairement au 4 000 m3/jour produits en 1685. Ainsi, la quasi-totalité de la production servait à l’alimentation des fontaines de Marly, et à l’usage uniquement de quelques privilégiés à Versailles. Entre 1714 et 1716, les réserves en eau manquaient, si bien que durant les dernières années du règne de Louis XIV, les fontaines ne fonctionnaient plus.

En 1717, le régent Philippe d’Orléans et sa cour s’établirent à Paris, laissant la machine dépérir par manque d’entretien. Ce ne fut qu’en 1722, que Louis XV retourna vivre à Versailles principalement pour les plaisirs de la chasse et que la machine retrouva toute son utilité – 9. Elle ne fournissait toutefois pas autant d’eau que sous le règne de Louis XIV. Dès 1739, le roi ne participant guère plus aux activités de la chasse, la machine fut alors reléguée à un autre usage, celui d’alimenter en eau potable les habitants de Versailles.

Durant ces 133 années de fonctionnement, la machine perdit ainsi en efficacité. En 1798, le débit produit était de 625 m3/jour, et n’allait pas au-delà de 200 m3/jour en 1803. Malgré les dépenses prévues pour son entretien, elle présentait un tel état de délabrement, qu’en 1793, un décret de la Convention avait été signé ordonnant sa démolition. Toutefois, elle ne fut démolie qu’en 1817, attendant qu’on la remplace par d’autres machines plus performantes.

Un technicien de Clamecy du nom de Brunet avait proposé un dispositif utilisant un "réservoir d’air". Ce dernier permettait d’amortir la pression de l’eau dans les conduites, car à l’origine la pression était telle que les tuyaux cédaient. Ce dispositif fonctionna quelques temps mais en 1806, le réservoir éclata car sa capacité d’emmagasinement était insuffisante. Toutefois, il permit de montrer qu’il était possible d’élever les eaux d’un seul jet, sans reprise. En 1807, deux ingénieurs (les frères Périer) proposaient l’utilisation de machines à vapeur. Toutefois son coût étant trop élevé, le projet fut abandonné.  Par la suite, il fut envisagé d’utiliser une seule machine à vapeur utilisant une "pompe à feu". Elle fut conçue par l’ingénieur Louis Martin et l’architecte François-Charles Cécile. Leur système devait améliorer le rendement du mécanisme de pompage à deux roues – 10. Le 24 août 1817, la machine de Marly fut définitivement arrêtée, et le lendemain, la machine à vapeur d’une puissance de 65 chevaux était mise en service. La machine de Cécile et Martin fonctionna jusqu’en 1859. Elle possédait un moteur assez puissant mais loin d’être suffisant, d’autant plus qu’elle consommait une quantité importante de charbon, soit 10 tonnes par jour. Il fallait donc reconsidérer une nouvelle machine. Un projet fut retenu celui de l’ingénieur Dufrayer. Il reprenait le principe des anciennes grandes roues avec un mécanisme moins complexe, et plus facile à l’entretien. Les roues comportaient une ossature métallisée, avec 64 aubes en bois d’orme à leur extrémité. Par un système de bielle-manivelle, ces roues entraînaient 24 pompes horizontales en fonte. Les roues tournaient selon une vitesse de rotation de 3 tours par minute. La machine produisait 20 000 m3/jour. Un grand bâtiment de 58 mètres de long et  21 mètres de large abritait les 6 grandes roues en fer de 12 mètres de diamètre et de 4,50 mètres de largeur. Ces roues pesaient environ 120 tonnes.

Dès 1880, de nouvelles  technologies plus performantes (les pompes diesels et électriques) permettaient de capter les nappes souterraines, et non plus les eaux de surface comme ce qui se faisait au cours des siècles précédents. À partir de 1896, l’eau captée dans les nappes servait à l’alimentation en eau potable. En 1963, la machine de Dufrayer fut arrêtée, en partie pour la remplacer par un système d’électro-pompes.

Quoiqu'il en soit, la première machine de Marly restera le symbole d'une prouesse historique et technique.

Il n’existe peut-être pas de machine qui ait eu une réputation aussi colossale que l’ancienne machine de Marly. Son aspect gigantesque, sa complication apparente, le bruit extraordinaire produit par son mécanisme que l’on entendait depuis le bord de la Seine jusqu’au haut de la montagne de Louveciennes, tout engin sans cette immense machine était fait pour étonner les regards et frapper l’imagination de la foule."

J.A. Le Roi, 1864 – 11

9. Le roi demeura au château de Versailles, mais aussi à Marly, pour y pratiquer les plaisirs de la chasse. 
10. Les deux roues utilisées pour la machine de Cécile Martin sont celles de l’ancienne machine de Marly, les deux dernières roues encore utilisables.
11. J.A. Le Roi, conservateur de la bibliothèque de Versailles, correspondant de l’instruction publique pour les travaux historique, Curiosité historique sur Louis XIII, Louis XIV, Louis XV, Mme de Maintenon, Mme de Pompadour, Mme du Barry, etc., Paris, 1864, pp. 118-119. 
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Bougival, Intérieur de la machine élévatoire des eaux de Marly, 1ère moitié du XXe siècle , carte-postale, Collection du musée de l'ÎIe-de-France, Domaine de Sceaux.
La machine de Marly à Bougival, 1939, timbre-poste dessiné et gravé par Henry Cheffier, Musée-Promenade.

 

ResSources
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