AGRIVOLTAÏSME
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Résumé – Face à la pression croissante sur les terres agricoles, un dilemme s’impose : faut-il produire de la nourriture ou de l’électricité ? L’agrivoltaïsme propose de dépasser ce choix en combinant les deux usages : des panneaux photovoltaïques installés au-dessus des cultures permettent de générer de l’énergie tout en continuant à exploiter les champs. Une équipe de chercheurs menée par Lia Rapella a publié en 2025 une étude dans Agricultural and Forest Meteorology. Les scientifiques ont développé un modèle informatique capable de simuler l’impact des panneaux sur les cultures et sur l’eau à grande échelle. Ils ont testé deux configurations (panneaux mobiles suivant le soleil, contre le soleil et panneaux fixes inclinés) dans deux régions européennes contrastées : l’Espagne méditerranéenne et les Pays-Bas tempérés. Les résultats révèlent un fort contraste. En Espagne, l’agrivoltaïsme améliore la productivité agricole, surtout en année sèche. L’ombre des panneaux réduit le stress hydrique, limite l’évaporation et augmente l’efficacité d’usage de l’eau. Le rendement global des terres, combinant production alimentaire et production d’énergie, est supérieur à celui obtenu par des usages séparés. Dans le nord de l’Europe, en revanche, l’ombre des panneaux limite la photosynthèse dans un climat déjà peu ensoleillé. Les rendements agricoles diminuent et les bénéfices hydriques sont minimes, l’eau étant abondante. Ces résultats montrent que l’agrivoltaïsme n’est pas une solution universelle. Il se révèle particulièrement adapté aux climats secs et ensoleillés, où il protège les cultures et optimise l’usage des ressources. Dans les régions plus humides, il conserve un intérêt stratégique : produire de l’énergie renouvelable sans réduire la surface agricole. En somme, l’agrivoltaïsme pourrait devenir l’un des piliers d’une agriculture durable, mais son succès dépendra de son adaptation aux conditions locales. |
Dans un monde où la population croît sans cesse et où les besoins en nourriture et en énergie augmentent simultanément, la question de l’usage des terres agricoles se pose avec une intensité nouvelle. Les décideurs comme les scientifiques se demandent s’il faut réserver ces espaces aux cultures destinées à l’alimentation ou bien y déployer des infrastructures énergétiques, comme les champs de panneaux photovoltaïques, indispensables à la transition énergétique. Jusqu’à présent, cette opposition semblait difficilement évitable. Mais une solution originale, qui fait de plus en plus parler d’elle, propose de dépasser ce dilemme : l’agrivoltaïsme.
L’agrivoltaïsme consiste à installer des panneaux solaires sur des terres agricoles tout en permettant la poursuite des cultures. Les parcelles deviennent alors à la fois productrices de nourriture et d’électricité. Cette double vocation séduit, car elle promet de répondre simultanément aux défis de la sécurité alimentaire et de la production d’énergie renouvelable, tout en limitant la compétition pour les sols. Mais la question demeure : ce modèle hybride fonctionne-t-il partout et dans toutes les conditions ? Les bénéfices sont-ils systématiques ou dépendent-ils des climats, des cultures et des aménagements ?
C’est précisément à ces questions qu’a tenté de répondre une équipe de chercheurs français dans une étude publiée à l'été 2025 dans la revue Agricultural and Forest Meteorology. Un outil de simulation inédit a été développé afin d’évaluer à grande échelle l’effet des systèmes agrivoltaïques sur les cultures, l’eau et l’énergie. Leurs résultats mettent en lumière une réalité nuancée : si l’agrivoltaïsme peut représenter une solution particulièrement pertinente dans certaines régions, il peut en revanche s’avérer moins avantageux, voire contre-productif, dans d’autres.
Contexte : le nexus Eau-Énergie-Alimentation-Écosystèmes
Pour comprendre l’intérêt de l’agrivoltaïsme, il est nécessaire de revenir à la notion de nexus Eau-Énergie-Alimentation-Écosystèmes, souvent désignée par l’acronyme anglais WEFE. Ce concept rappelle que l’eau, l’énergie, la production alimentaire et la préservation des écosystèmes sont étroitement liés. L’agriculture consomme d’énormes quantités d’eau et dépend directement du climat, mais elle est aussi indispensable pour nourrir l’humanité. La production énergétique, notamment solaire, exige également de vastes surfaces. Enfin, les écosystèmes doivent être préservés pour garantir la biodiversité et le bon fonctionnement du cycle global de l’eau et du carbone.
L’agrivoltaïsme se situe précisément à l’intersection de ces quatre dimensions. L’ombre des panneaux peut réduire l’évaporation des sols et protéger les plantes contre la chaleur, ce qui améliore l’usage de l’eau. Dans le même temps, les panneaux produisent de l’électricité renouvelable, sans retirer les terres de la production agricole. Enfin, en modifiant le microclimat, ils peuvent aider à rendre les cultures plus résilientes face aux extrêmes climatiques, tout en maintenant la fertilité des sols.
Jusqu’ici, la plupart des recherches sur l’agrivoltaïsme étaient menées à petite échelle, sur des parcelles expérimentales. Ces travaux ont permis de comprendre les effets de configurations particulières de panneaux sur certaines cultures. Mais pour planifier des politiques agricoles et énergétiques, il est indispensable de disposer d’évaluations à grande échelle, qui intègrent la diversité des climats et des paysages. C’est ce qu’a permis cette étude.
Résultats principaux de l’étude
Les chercheurs ont intégré dans le modèle de surface ORCHIDEE [Organising Carbon and Hydrology In Dynamic Ecosystems – Institut Pierre Simon Laplace, IPSL], incluant les processus hydriques et le fonctionnement de la végétation, un module simulant l’effet de panneaux solaires, en considérant trois configurations : des panneaux mobiles qui suivent la trajectoire du soleil ("Sun Tracking", ST), qui vont contre la trajectoire du soleil ("Sun Anti-Tracking", SAT), et des panneaux fixes inclinés. Ils ont appliqué ces configurations à deux contextes climatiques contrastés : la péninsule Ibérique, marquée par un climat méditerranéen sec et ensoleillé, et les Pays-Bas, caractérisés par un climat plus humide et moins lumineux. Les simulations concernaient deux grands types de cultures : les plantes de type C3 comme le blé, le riz ou le soja, et les plantes de type C4 comme le maïs ou le sorgho. [nota – Les plantes C3, qui sont les plus courantes, utilisent la voie de la photosynthèse C3 où le dioxyde de carbone est fixé une fois pour produire un composé à trois carbones ; ces plantes sont plus efficaces dans les conditions de température modérée et d'humidité élevée. Les plantes C4 utilisent pour leur part la voie de la photosynthèse C4, où le dioxyde de carbone est fixé deux fois pour produire un composé à quatre carbones. Elles sont plus efficaces dans les conditions de température élevée et de faible humidité.]
Trois dimensions du nexus ont été étudiées. La première concerne le lien entre climat et alimentation, à travers la productivité nette des cultures. La deuxième porte sur l’efficacité de l’usage de l’eau, paramètre crucial dans les régions arides. La troisième explore la synergie entre agriculture et énergie grâce au rendement équivalent des terres, indicateur qui combine la production agricole et la production photovoltaïque.
La figure 1 de l’article illustre l’impact sur la productivité agricole. Dans la péninsule Ibérique, l’agrivoltaïsme améliore nettement les rendements, surtout en année sèche. La configuration "Sun Tracking" est la plus efficace, car l’ombre partielle protège les plantes du stress thermique et hydrique. Les cultures de type C3 voient leur productivité augmenter de près de 40 % dans certaines conditions. À l’inverse, aux Pays-Bas, l’ombre des panneaux réduit la photosynthèse et entraîne une baisse de rendement. Ce qui est bénéfique sous un climat méditerranéen devient donc défavorable sous un climat océanique humide.
La figure 2 présente l’efficacité d’utilisation de l’eau. En Espagne, les panneaux améliorent considérablement l’efficacité hydrique, car les plantes maintiennent une photosynthèse élevée tout en transpirant moins. L’ombre réduit l’évaporation du sol et protège les feuilles du rayonnement excessif, ce qui permet de produire davantage de biomasse par litre d’eau utilisé. Aux Pays-Bas, les bénéfices sont faibles, car l’eau y est abondante et l’agrivoltaïsme ne change pas fondamentalement la donne.
La figure 3 montre le rendement équivalent des terres. Cet indicateur dépasse largement 1 dans la péninsule Ibérique, ce qui signifie que la combinaison agriculture-énergie est plus efficace que les deux usages séparés. Les résultats sont particulièrement marqués pour les cultures C3 en année sèche. Aux Pays-Bas, le rendement équivalent est proche de 1, parfois légèrement inférieur, ce qui indique que l’intérêt se limite surtout à la possibilité de produire de l’énergie sans sacrifier de surfaces agricoles.
Implications pour l’Europe et au-delà
Ces résultats mettent en lumière une réalité essentielle : il n’existe pas de recette universelle. Dans les régions sèches et ensoleillées, comme le sud de l’Europe, le Maghreb, le Moyen-Orient ou certaines zones d’Asie et d’Amérique, l’agrivoltaïsme apparaît comme une innovation prometteuse. Il permet de protéger les cultures contre les canicules et la sécheresse, d’économiser l’eau et de maximiser la valeur des terres. Dans les régions plus humides et nuageuses, comme l’Europe du Nord ou le Canada, ses bénéfices agricoles sont limités. L’agrivoltaïsme conserve malgré tout un intérêt, car il permet de produire de l’électricité renouvelable sans réduire les surfaces cultivées, ce qui est crucial dans des pays densément peuplés. Cette diversité de résultats appelle à des stratégies différenciées. Les configurations de panneaux doivent être adaptées aux climats et aux cultures. Les décideurs doivent intégrer ces résultats dans leurs politiques agricoles et énergétiques, en tenant compte des compromis entre production alimentaire, énergie et préservation des ressources en eau.
Conclusion
L’agrivoltaïsme incarne la complexité de la transition écologique. Il ne suffit pas d’additionner des solutions dites vertes, il faut les adapter aux réalités locales et aux conditions climatiques. L’étude montre que l’agrivoltaïsme peut, dans certaines régions, représenter une réponse puissante aux défis conjoints de l’eau, de l’énergie et de l’alimentation. Dans d’autres, son intérêt se limite au gain foncier et à la production d’énergie renouvelable. En définitive, cette recherche nous invite à penser l’usage des terres de manière plus intelligente, partagée et résiliente. Elle rappelle que la durabilité ne se décrète pas de manière uniforme, mais qu’elle se construit en fonction des contextes et des choix collectifs. L’agrivoltaïsme n’est pas une solution miracle, mais il pourrait devenir, s’il est bien pensé, l’un des piliers d’une agriculture et d’une énergie compatibles avec les grands défis du XXIe siècle. ▄