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Les PPP pour les services d’eau urbains

Mots clés : partenariats public-privé, PPP, eau, assainissement, services urbains, pays en développement, bilan, performances, enseignements
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PARTENARIATS PUBLIC-PRIVÉ POUR LES SERVICES D'EAU URBAINS
Retour sur 15 années d'expériences dans les pays en développement

Philippe MARIN
spécialiste senior Eau et Assainissement
région MENA – Banque mondiale

images Martine Le Bec & Martin Seidl
H2o – mars 2011

 

Dans les années 1990, beaucoup de pays ont engagé des réformes ambitieuses de leurs services d’eau et d’assainissement urbains, prévoyant souvent de déléguer la gestion des services à des exploitants privés selon des modalités contractuelles variables. Ces partenariats public-privé (PPP) devaient permettre de remettre sur pied des compagnies publiques des eaux peu performantes en apportant de nouvelles compétences, des ressources financières et une orientation plus commerciale. Depuis 1990, plus de 260 marchés ont été attribués à des exploitants privés pour la gestion de services urbains d’eau et d’assainissement dans 61 pays en développement (PED).


Les PPP dans le secteur de l’eau : un sujet controversé

Les PPP du secteur de l’eau ont suscité des controverses, notamment ces dernières années après la résiliation de plusieurs contrats qui a fait grand bruit et amené à s’interroger sur le bien-fondé de cette approche dans les pays en développement. Du fait du manque de données sur les populations desservies et sur la qualité des services fournis, il était difficile d’évaluer la contribution des PPP à ces pays. Le débat s’est parfois situé davantage sur le terrain de l’idéologie que sur celui des résultats objectifs, et le bilan factuel de nombreux PPP n’a jamais été analysé dans le détail.

Aujourd’hui, environ 7 % de la population urbaine du monde en développement bénéficie de services d’eau fournis par des opérateurs privées. En l’absence de données objectives, il est difficile d’apprécier l’intérêt des PPP pour améliorer les performances des services d’eau dans les pays en développement et en transition. Pour pallier à cette situation, la Banque mondiale a réalisé entre 2007 et 2009 une vaste analyse de la performance des PPP dans les services d’eau urbains des pays en voie de développement, dont la version française a été publiée en 2010. [Voir encart ResSources]


Après deux décennies : le temps du bilan ?

L’étude de la Banque mondiale sur les PPP dans le secteur l’eau a englobé les pays en développement ou en transition. Pour rassembler les données, elle a mobilisé pendant deux  années de nombreux experts de la banque et plus de 15 consultants. Son objectif n’est pas d’analyser sur la gestion privée est supérieure (ou non) à la gestion publique, mais de voir si les PPP sont une option viable (ou non) pour aider à réformer les services d’eau peu performants des PED, sur la base d’indicateurs de performance objectifs.

Le cadre de l’étude – L'étude s’intéresse aux partenariats dans lesquels l’exploitation des services est déléguée à un opérateur privé, et exclut par conséquent les projets de type BOT (construction-exploitation-transfert) ainsi que les contrats de service. Pour répondre à la définition de "services urbains", n'ont été retenus que les projets de PPP desservant plus de 25 000 personnes, avec au moins 5 ans de données opérationnelles (3 ans pour les contrats de gestion).

L’étude analyse les réalisations de plus de 65 projets PPP du secteur, soit un échantillon couvrant une population totale d’environ 100 millions de personnes – soit près de la moitié de la population urbaine ayant été desservie par des compagnies des eaux privées à un moment quelconque entre 1990 et 2007. Cet échantillon représente, par la taille de la population desservie, près de 80 % des PPP conclus pour la gestion de services d’eau urbain avant 2003.

Les performances sont analysées selon quatre dimensions : l’accès (accroissement de la couverture), la qualité du service, l’efficacité opérationnelle, et le niveau des tarifs. L’étude s’intéresse aux améliorations nettes et à l’impact réel pour les populations concernées (comparaison "avant-après"), et non pas à la réalisation des objectifs contractuels. Au vu des succès et des échecs enregistrés, des conclusions sont tirées sur la façon dont les États peuvent mieux tirer profit de l’initiative privée pour améliorer les services d’eau et d’assainissement aux populations dans le monde en développement.


Quelle a été la performance des PPP dans les services d’eau urbains ?

L'évolution du marché et les annulations de contrats – Entre 1991 et 2000, la population desservie par des compagnies privées dans des pays en développement ou en transition n’a pas cessé de progresser, passant de six millions à 94 millions. Le nombre de pays en développement ou en transition ayant des PPP en cours dans le secteur de l’eau est passé de 4 à 38. Toutefois, des problèmes ont commencé à apparaître à la fin des années 1990, et le rythme de signature de nouveaux PPP s’est ralenti.

 

1992-2000 – Les PPP, nouvelle "formule magique".
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Dans la pratique, on constate toutefois que sur plus de 260 contrats attribués depuis 1990, 84 % étaient encore actifs fin 2007, et seulement 9 % avaient été résiliés avant l’échéance prévue. La plupart des annulations se sont produites en Afrique subsaharienne  et quelques-unes aussi (sur des contrats importants) en Amérique latine – en Bolivie (Cochabamba, la Paz – El Alto) et en Argentine (Tucuman, Buenos Aires, Santa Fe). De nombreux pays ont aussi abandonné l’expérience des PPP pour revenir à une gestion purement publique (comme par exemple le Venezuela et la Bolivie) 

Faut-il en conclure que l’approche des PPP serait foncièrement inadaptée aux PED ou simplement que ce sont là seulement quelques arbres cachant la masse des partenariats réussis ?

En réalité, la plupart des annulations en Afrique subsaharienne ont concerné des compagnies combinant les services d'eau et d'électricité : seulement deux partenariats public-privé de ce type sont encore en place alors que 60 % des PPP pour les seuls services d’eau sont encore en place. Par ailleurs les annulations de contrats en Argentine  ont surtout témoigné de l'échec du modèle de concession s’appuyant à l’époque sur la convertibilité du Peso (alors que les emprunts étaient réalisés en devises).

On note, depuis 2002, moins de nouveaux contrats signés chaque années, et ces  nouveaux contrats sont aussi davantage concentrés sur quelques pays (c'est notamment le cas, en Amérique latine, de la Colombie ou du Chili). Mais de vastes pays tels que l’Algérie, la Chine, la Malaisie et la Fédération de Russie ont par ailleurs commencé à faire largement appel au secteur privé pour leurs services de distribution d’eau. La situation est donc plus nuancée qu'il n'y paraît. Au total, la population desservie par les opérateurs privés de services d’eau dans les pays en développement et les pays émergents n’a en fait pas cesser d’augmenter, pour dépasser les 160 millions de personnes fin 2007 (contre 94 millions en 2000).

 

Depuis 2001 – Une situation mitigée,
mais les PPP ne sont pas en recul.
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L'impact des PPP sur l’accès à l’eau potable – L’impact des PPP sur l’accès à un réseau d’eau potable a été analysé à la fois pour les concessions (où les investissements sont financés en majorité par le partenaire privé) et pour les contrats d’affermage (où ils sont financés principalement par le partenaire public). Globalement, on estime que les PPP du secteur de l’eau ont permis à plus de 24 millions d’habitants de pays en développement d’avoir accès à un réseau d’eau potable depuis 1990 – un résultat loin d’être négligeable. Certains PPP, comme par exemple au Sénégal, en Côte d’Ivoire et à Carthagène (Colombie) ont obtenu des résultats remarquables.

Le bilan global des concessions est cependant mitigé sur le plan de l’accroissement de la couverture du service. Les 30 grandes concessions examinées ont permis à environ 17 millions de personnes d’avoir accès à un réseau d’eau, mais bon nombre de ces concessions n’ont pas investi le montant de financement privé qui était prévu à l’origine, et n’ont pas toujours atteint leurs objectifs contractuels de couverture. Dans beaucoup de cas, les meilleurs résultats ont été obtenus par des concessions où les fonds privés étaient en fait complétés par un financement public (cela a été le cas en Colombie, mais aussi à Guayaquil en Équateur et à Cordoba en Argentine).

Les performances des contrats de type affermage se sont révélées en général plus satisfaisantes. En Afrique subsaharienne, l’approche de l’affermage, dans laquelle une société de patrimoine réalise les investissements, a donné d’excellents résultats au Sénégal en termes d’extension de l’accès. Le cas de la Côte d’Ivoire mérite d’être signalé : près de trois millions de personnes ont gagné l’accès à l’eau courante depuis 1990 – avec des branchements entièrement financés par les recettes de facturation, sans aucun financement de l’État.

 

Côte d'Ivoire – Passant de 3,4 millions à 7,4 millions,
la population disposant d'un accès à l'eau potable a doublé en l'espace de 10 ans
350 000 branchements sociaux ont été réalisés.
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L'impact des PPP sur la qualité du service – Les PPP du secteur de l’eau ont souvent amélioré sensiblement la qualité du service, en particulier en diminuant le rationnement de l’eau. Le rationnement est probablement le problème de qualité numéro un pour beaucoup de compagnies des eaux dans les PED. Sans continuité du service, il n’est pas possible de garantir les normes de potabilité de l’eau en raison du risque d’infiltration dans les canalisations. Les ménages pauvres, qui vivent souvent aux extrémités des réseaux de distribution, là où la pression est plus faible, et qui n’ont pas les moyens d’installer des solutions de rechange (puits privés, réservoirs de toit, filtres), pâtissent davantage que les autres du rationnement. Une fois que le rationnement de l’eau est devenu la norme, il est très difficile de revenir en arrière. Les à-coups fréquents de la pression de distribution accélèrent la détérioration du réseau, et toute tentative d’augmenter la pression moyenne provoque davantage de ruptures de canalisations et de fuites d’eau. Dans ce contexte, il est remarquable de constater que de nombreux PPP partis d’une situation de rationnement d’eau sont parvenus à améliorer la continuité du service et que certains ont même réussi à rétablir un service continu.

 

Continuité du service – Amélioration sensible dans 10 cas sur 12 où les coupures d'eau constituaient un problème majeur.
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La Colombie offre un bon exemple de succès, où des exploitants privés ont pu améliorer la continuité du service dans un grand nombre de villes malgré des installations souvent vétustes au départ. Des opérateurs privés ont également diminué le rationnement de l’eau en Afrique de l’Ouest (en Guinée, au Gabon, au Niger et au Sénégal). Plusieurs contrats de gestion ont aussi permis d’obtenir des progrès notables, malgré leur courte durée. Mais il faut mentionner aussi que tous les PPP n’ont pas abouti à une meilleure continuité du service. Ainsi, à Manille (Philippines), le concessionnaire de la zone Ouest n’a pas réussi à améliorer le service, alors que celui de la zone Est y est parvenu.

 

Colombie – La réduction des coupures d'eau est allée de pair avec des subventions pour accélérer la réhabilitation des systèmes.
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L'impact des PPP sur l’efficacité opérationnelle
– Un objectif majeur des pouvoirs publics lorsqu’ils font appel à des opérateurs privés est d’améliorer l’efficacité opérationnelle des services d’eau. Bien que multiforme, cette efficacité peut globalement être représentée par trois grands indicateurs : le niveau de pertes en eau, le taux de recouvrement des factures et la productivité du travail.

Pertes en eau. Une compagnie des eaux bien gérée s’efforce toujours de réduire ses pertes en eau. Des études multi-pays récentes d’Andrés, Guasch, Haven et Foster (2008) et de Gassner, Popov et Pushak (2008b) ont montré que les opérateurs privés obtenaient de bons résultats sur ce plan. Venant confirmer leurs conclusions, la présente étude constate que de nombreux opérateurs privés ont réussi à diminuer les pertes en eau, notamment en Afrique de l’Ouest, au Brésil, en Colombie, au Maroc et à Manille-Est (Philippines). Dans certains cas, les opérateurs privés ont même fait descendre à moins de 15 % le pourcentage d’eau non facturée (NRW), un taux du même ordre que ceux des compagnies les plus performantes des pays développés.

Néanmoins, parmi les PPP examinés, tous n’ont pas conduit à une réduction significative des pertes en eau. Aucun progrès notable n’a été constaté par exemple à Guayaquil (Équateur), à Maputo (Mozambique) et à Manille-Ouest (Philippines), où le NRW est resté très élevé (plus de 50 %). Dans plusieurs pays, dont l’Argentine, l’évolution des pertes en eau est difficile à chiffrer car une grande partie des clients résidentiels sont facturés sur la base d’estimations de consommation et non pas de leur consommation réelle. Enfin, moins de la moitié des contrats de gestion étudiés ont montré des progrès appréciables. 

 

PPP et réductions des pertes en eau – Le cas du Maroc.
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Recouvrement des factures. Les compagnies des eaux peu performantes présentent souvent des taux médiocres de recouvrement des factures, d’une part car les moyens affectés au recouvrement sont insuffisants, d’autre part car les usagers sont souvent peu disposés à payer pour un service de mauvaise qualité. Le recouvrement des factures est un domaine dans lequel on s’attend habituellement à ce que les opérateurs privés soient efficaces, du fait des incitations financières évidentes. La présente étude a effectivement constaté que, dans la plupart des cas, l’introduction d’un opérateur privé conduisait à des taux de recouvrement sensiblement supérieurs. C’est la dimension pour laquelle la contribution des contrats de gestion a été la plus régulièrement positive puisque tous les projets de l’échantillon ont obtenu des améliorations importantes.

Productivité du travail. De nombreux éléments montrent que l’introduction d’opérateurs privés entraîne des améliorations de la productivité du travail (mesurée en nombre d’employés pour mille clients). Cela a le plus souvent été obtenues à la fois par des réductions d’effectifs et par l’augmentation du nombre de clients. En Amérique latine, les PPP ont souvent été accompagnés de licenciements importants au démarrage, allant de 20 à 65 % des effectifs initiaux, mais il semble que beaucoup de compagnies concernées étaient initialement en sureffectif. En revanche en Afrique, l’amélioration de la productivité a le plus souvent été réalisée sans licenciements massifs. D’une façon générale et en dehors du problème de sureffectif, les licenciements étaient souvent motivés par la nécessité de modifier le profil général des employés pour recruter du personnel plus qualifié. Il faut aussi noter que l’étude n’a pas été en mesure d’analyser l’impact sur le personnel conservé ou recruté en termes de salaires et conditions de travail.

 

PPP et productivité du travail – Les PPP ont parfois été associés à des réductions importantes d'effectifs (Amérique latine), mais pas toujours (Afrique).
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Efficacité globale. Si l’on examine ces trois indicateurs de performances combinés, l’efficacité opérationnelle s’avère être le domaine dans lequel l’apport des opérateurs privés a été le plus systématiquement positif. Pour avoir une vision plus complète de l’impact d’un PPP sur l’efficacité opérationnelle, il aurait fallu procéder à une analyse financière détaillée de chaque projet, ce qui dépassait le cadre de cette étude. Quelques conclusions générales se dégagent néanmoins.

Il est difficile de se prononcer sur l’efficacité globale des concessionnaires, car ils assurent à la fois l’exploitation et les investissements, et l’efficacité de ces derniers n’a pas été examinée dans cette étude. Dans le cas spécifique de Manille, une analyse détaillée par l’agence de régulation a démontré que le concessionnaire de la zone Est avait amélioré sensiblement l’efficacité opérationnelle, contrairement à celui de la zone Ouest. En ce qui concerne l’Argentine, l’apport des concessionnaires en la matière n’est pas établi.

Dans le cas des contrats d’affermage, l’efficacité opérationnelle des opérateurs privés est plus facile à évaluer dans la mesure où la responsabilité des opérations et des investissements est divisée entre les deux partenaires privé et public. Des informations détaillées disponibles sur ce type de projets au Sénégal et à Carthagène (Colombie) ont montré que des gains très nets avaient été obtenus sur le plan de l’efficacité opérationnelle, qui ont été répercutés par la suite sur les consommateurs par des baisses de tarifs en valeur réelle.

Les contrats de gestion ne comportent qu’un transfert limité de compétences aux opérateurs privés, qui ont peu de marge de manœuvre sur les ressources humaines de la compagnie des eaux. Dans la plupart des cas de contrats examinés, des améliorations importantes ont été notées au niveau de l’efficacité – mesurée au moyen de l’indice d’efficacité globale (l’eau facturée et payée rapportée à l’eau produite, une mesure qui combine la réduction des pertes en eau et l’amélioration du recouvrement des factures).

 

Gains globaux d'efficacité – Le cas du Sénégal (affermage)
et de Johannesburg (contrat de gestion).
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L'impact des PPP sur les tarifs – Dans les PED, la plupart des compagnies publiques de distribution d’eau peu performantes ont des tarifs très inférieurs aux niveaux de récupération des coûts ; relever ces tarifs est souvent un composant nécessaire des réformes visant à assurer la viabilité financière de l’entreprise, quel que soit le mode de gestion choisi. En pratique, l’impact potentiel d’un PPP sur les tarifs de l’eau dépend de l’écart séparant le tarif initial du niveau de récupération des coûts, et des gains d’efficacité réalisables par l’opérateur privé – deux facteurs qui varient en sens inverse et peuvent être très élevés dans les pays en développement.

L’évolution des tarifs pour un certain nombre de PPP a été analysée dans le cadre de la présente étude. Le plus souvent, les tarifs ont augmenté avec la mise en place d’un PPP, mais les raisons de ces augmentations, ainsi que leur bien-fondé, n’ont pas pu être analysées. L’incidence des PPP sur les tarifs est très difficile à juger car elle est largement dépendante des politiques tarifaires en vigueur. Une hausse de tarifs n’est pas forcément une mauvaise chose pour la population lorsqu’elle s’accompagne d’un meilleur accès à de meilleurs services, comme cela s’est produit dans beaucoup de cas. Dans bon nombre de pays en développement, les tarifs bas de l’eau profitent principalement à la classe moyenne ayant accès à l’eau courante, et pénalisent les citadins pauvres qui, eux, ne l’ont pas et sont contraints d’acheter une eau souvent de moins bonne qualité et/ou plus chère auprès d’autres sources. Parmi les ménages pauvres ayant gagné l’accès à un réseau d’eau potable grâce à des PPP, un grand nombre payaient probablement leur eau plus cher avant. Il faut noter également que dans quelques cas, les opérateurs privés ont obtenu des gains d’efficacité suffisamment importants pour permettre une baisse significative des tarifs en valeur réelle après plusieurs années.

Pour l’essentiel, les données relatives à l’impact des PPP sur les tarifs que l’on peut trouver dans la littérature ne sont pas non plus probantes. Les coûts sont fortement influencés par des facteurs locaux, par exemple la disponibilité d’eau brute, et il est difficile de comparer les niveaux de tarifs entre des compagnies privées et publiques du fait du cadre juridique et fiscal différent dans lequel elles opèrent. Dans une étude récente, Gassner, Popov et Pushak (2008a) ont utilisé un échantillon très large (plus de 1000 services d’eau urbains, en gestion publique ou privée) afin de neutraliser les nombreux facteurs exogènes. Ils n’ont trouvé aucune différence significative de niveau tarifaire moyen entre des compagnies des eaux publiques et privées comparables.


Six enseignements-clés

Enseignement 1
Les PPP sont une option valable pour réformer les services d’eau déficients des pays en voie de développement… mais c’est une option parmi d’autres
– Les opérateurs privés sont capables de réaliser des améliorations spectaculaires, en qualité de service et efficacité opérationnelle. Mais cela ne marche pas toujours ! Des schémas complexes, élaborés dans des contextes eux-mêmes difficiles peuvent contrarier les performances.  Souvent, le succès est dû autant au partenaire public qu’à l’opérateur privé : c'est là sans doute le secret des bonnes alliances. Le succès des PPP ne doivent pas non plus faire oublier que l'amélioration des performances sous une gestion publique est également possible (l'Ouganda et le Burkina Faso en fournissent l'exemple)… et également difficile.

Enseignement 2
Le mode de développement des PPP dans les pays en développement  a changé
– Une nouvelle génération d’opérateurs privés apparaît, venue des pays en développement et des pays émergents, et qui assure une large part de la croissance du marché depuis 2001. Ces "nouveaux" opérateurs privés apportent de nouvelles perspectives aux PPP dans le secteur. En 2007, les opérateurs privés issus des pays en développement et transition représentaient 40 % du marché et plus de 67 millions de personnes desservies, et on recensait 30 opérateurs privés desservant plus de 400 000 personnes chacun dans des pays aussi divers que la Colombie, le Brésil, l’Argentine, Le Chili, les Philippines, la Russie ou la Malaisie, Plusieurs de ces PPP impliquant des opérateurs privés nationaux ont donné de bons résultats. Non seulement les nouveaux venus génèrent une concurrence extrêmement nécessaire dans ce secteur, mais ils sont peut-être parfois plus à même de gérer les différents risques inhérents aux services d’eau urbains. Leur compréhension de la culture locale peut leur permettre d’établir plus facilement un partenariat durable avec les autorités locales et de mieux atténuer les risques politiques. Ils sont aussi probablement mieux armés que leurs concurrents internationaux pour desservir les petites communes, où les besoins sont considérables.

Enseignement 3
Considérer les PPP avant tout comme un outil pour accéder aux financements privés (face aux besoins énormes des PED) s’est avéré une erreur
– Le modèle de la concession s’est avéré viable dans quelques pays, par exemple aux Philippines (Manille), au Brésil ou au Maroc ; en réalité  dans les économies les plus avancées, là où les financements à long terme en monnaie locale sont aujourd’hui disponibles. A contrario, le modèle apparaît inadapté pour de nombreux pays en développement, là où le risque pays est fort, la capacité institutionnelle faible et où s'impose la nécessité d’emprunter en devises (avec un risque de change considérable). On note d’ailleurs que de nombreux PPP ayant réussi combinent en fait gestion privée et financement public, ceci à travers différents montages : affermage, sociétés mixtes, concessions subventionnées.

Enseignement 4
La principale contribution des opérateurs privés dans les PPP porte sur l’amélioration de la qualité de service et de l’efficacité opérationnelle
–La conclusion antérieure ne doit pas faire penser que les opérateurs privés n’ont pas d’impact sur l’accès aux financements. Bien au contraire, l’amélioration de qualité de service et de l'efficacité opérationnelle a un impact essentiel sur la viabilité financière, mais cet impact s'exerce de manière indirecte. Un meilleur service entraîne un meilleur recouvrement des factures et la population accepte mieux les hausses tarifaires, qui sont en même temps limitées par les gains d’efficacité opérationnelle, conduisant à une meilleure capacité d’emprunt et d’investissement pour le service d’eau concerné – indépendamment du fait que ces financements soient de source publique ou privée. Le vrai enjeu d’un PPP n’est pas d’obtenir des fonds privés, mais de mettre en place les bonnes incitations contractuelles pour favoriser les gains d’efficacité opérationnelle, et de bien prévoir comment ces gains sont répartis équitablement entre les partenaires. Dès lors, la question de la source des financements devient secondaire, dépendant plutôt du coût relatif des fonds publics ou privés disponibles.

En définitive, le débat entre financement public et financement privé est un faux débat. Tous les prêts sont in fine remboursés par la population, soit sur la facture d'eau, soit sur l'impôt. Les services publics des pays développés se financent eux-mêmes auprès du secteur privé depuis des décennies, en s'adressant aux banques ou au marché obligataire. Dans tous les cas, l'important est d’améliorer l’accès aux financements et de trouver le "mix" optimal entre les différentes sources de financement possibles.

Enseignement 5
Le partenaire public est essentiel dans le succès d’un PPP
– Un PPP n’est pas une "privatisation" : l’État ne se défausse pas de son obligation de s’assurer que la population à accès à un service d’eau de qualité, il "fait faire" tout en gardant le contrôle au travers d’un contrat détaillé. Les PPP réussis sont ceux où la puissance publique s’est "impliquée" pleinement : le Sénégal avec une société de patrimoine efficace et un fort soutien budgétaire de l’État ; la Colombie avec des subventions pour accélérer le progrès et limiter l’impact tarifaire ; ou encore Manille avec un réajustement tarifaire octroyé en 2003 par le régulateur fournissent de bons exemples de concertation. La bonne supervision est celle qui consiste à contrôler efficacement sans vouloir prendre la place de l’opérateur, responsable de la gestion "au jour le jour" des services.

Enseignement 6
Les objectifs et les contraintes sociales doivent être explicitement incorporés dans la conception des réformes PPP
– Le bilan des PPP en matière de lutte contre la pauvreté est mitigé. Les PPP peuvent amener des bénéfices tangibles pour la société dans son ensemble, grâce notamment aux gains d’efficacité, mais cela ne veut pas dire que les pauvres en bénéficient automatiquement. Des gains nets ont été réalisés par exemple à Cartagena, à Guayaquil, à Manille ou au Sénégal ; mais le plus souvent les enquêtes de type households surveys font défaut pour pouvoir évaluer précisément l’impact pour les ménages pauvres. De toute évidence, certains projets PPP n’avaient aussi pas été conçus avec une approche "pro-poor" comme dans le cas  de Cochabamba en Bolivie.

En regard des attentes (exagérées) des années 1990, les PPP n’ont pas apporté une réponse suffisante pour atteindre à eux seuls les Objectifs du millénaire pour le développement (ODM). Les PPP ne peuvent de toute évidence être un instrument de politique sociale, et doivent s’intégrer pour être efficace dans la lutte contre la pauvreté dans le cadre de réforme plus vaste. Les PPP les plus performants (et durables) sont d'ailleurs ceux qui ont explicitement reconnus les coûts des objectifs sociaux (non récupérables par le tarif de l’eau), et les ont financés via les pouvoirs publics ou les donneurs.


En conclusion
Vers un débat plus objectif

On note ces dernières années une évolution des rôles et modalités contractuelles, avec l’apparition de nouveau acteurs. Au delà des contrats PPP classiques de type gestion déléguée, parfois trop complexe ou risquées pour les économies en développement, de nombreuses compagnies des eaux publiques des PED font dorénavant appel au secteur privé par des pratiques qui ne constituent pas une délégation de service public mais qui ouvrent la voie à des formes nouvelles, plus larges, de participation du secteur privé. Il s’agit par exemple d’autres modalités de fourniture de compétences opérationnelles, notamment de contrats de service avec paiement basés sur les résultats, ou des accords de sous-traitance étendus.

Dans les pays plus avancés, le secteur privé est aussi en train d’acquérir un nouveau rôle de bailleur de fonds auprès des compagnies de service public, avec, outre le financement de projets BOT, le développement récent de l’accès aux emprunts non-souverains ou la vente d’actions au moment d’introductions en Bourse. Enfin, des compagnies des eaux publiques commencent à rechercher des contrats de gestion déléguée ou d’autres types en dehors de leur secteur géographique, où ils agissent contractuellement en partenaires privés.

Du fait de toutes ces évolutions, les frontières traditionnelles entre le public et le privé s’estompent progressivement et le marché tend à devenir plus dynamique et concurrentiel, offrant aux responsables gouvernementaux un plus grand choix de solutions pour améliorer la qualité du service d’eau et d’assainissement fournis à leurs populations.

Les secteurs privés et publics ont beaucoup à apporter, et sous de multiples formes. Pour  relever les immenses défis auxquels les services urbains de l’eau sont confrontés dans les pays en développement, les responsables politiques ont besoin de mobiliser toute l’aide possible. Le moment est peut-être venu d’élargir la notion de partenariat pour englober tous les acteurs, sans en exclure aucun.

Peut-on dépasser le dogmatisme du débat "Public contre Privé" ? La société des eaux de la Havane à Cuba est gérée depuis 2000 par l’opérateur privé Agbar à travers un PPP conclu il y a maintenant dix ans... Et ça fonctionne.

Le SEUL vrai objectif reste d'améliorer l’accès à un service d’eau potable de qualité pour tous !  .  

 

 ResSources
201103_logo_banquemondiale.gif Document intégral de l'étude
pdf Partenariats Public-Privé pour les Services d'Eau Urbains – Bilan des Expériences dans les Pays en Développement, Philippe Marin, Série "Tendances et Orientations" Numéro 8, PPIAF-Banque mondiale.
La version originale en anglais a été publiée en 2009.


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