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Reconnaître le rôle de l’eau dans le changement climatique

Mots clés : Eau et climat, cycle, vapeur d'eau, évapotranspiration, couverture des sols, déforestation
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EAU & CLIMAT
Reconnaître le rôle de l’eau dans le changement climatique

C’est une question qui commence à peine d'être abordée. Habituellement, il est seulement dit que le réchauffement climatique a des conséquences sur le cycle de l’eau. Toutefois, dès les années 1990, des scientifiques ont mis en évidence l'existence de "rivières aériennes" dont le rôle-clé dans l'évolution du climat a été progressivement démontré. En réalité, le cycle de l’eau, avec en particulier ces courants aériens liés aux grandes forêts, est un déterminant essentiel de notre climat.

Daniel HOFNUNG
coprésident de la Coordination EAU Île-de-France
président d’ATTAC Val-de-Marne

H2o – février 2023

 

Un retour en arrière est nécessaire : dans les dernières décennies du XXe siècle, de nombreuses  publications scientifiques ont alerté sur l’apparition d’un réchauffement climatique, en l’expliquant par un réchauffement supplémentaire lié à l’effet de serre provoqué par l’augmentation sensible des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, et imputable à l’activité humaine. Cela a abouti à la rédaction de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, adoptée à New York le 6 mai 1992. Le processus des conférences des Parties (COP) a suivi, pour contrôler les  émissions de gaz à effet de serre afin d’éviter une perturbation dangereuse du système climatique.

Peu de temps après l’adoption de la convention, un tout autre aspect du climat a fait l’objet d’une publication par Reginald et Nicholas Newell le 24 décembre 1992 : il s’agissait des "rivières aériennes de vapeur" générées par la forêt d’Amazonie qui peuvent transporter au-dessus de la forêt une quantité de vapeur d’eau proche du débit du fleuve Amazone, soit 165 millions de kilogrammes par seconde. Le constat n’était pas tout à fait nouveau : en effet, dès octobre 1979, une étude basée sur la composition isotopique de l’oxygène de la vapeur d’eau montrait que l’évaporation de la forêt amazonienne y jouait un rôle dominant dans l’humidité de l’air. 

Par la suite d’autres études ont porté sur le rôle des rivières atmosphériques dans les cyclones tropicaux et dans les inondations, avec des masses d’air humide d’origine marine. Des mesures faites en 2004 à 1 000 mètres au-dessus du sol au Colorado ont montré que la rivière aérienne transportait 50 millions de litres d’eau par seconde, un débit équivalent à celui d’un tuyau de 100 mètres de large d'où l’eau jaillirait à 50 km/h. De nombreuses études ont été publiées sur les rivières aériennes, depuis les années 1990. Même si elles impliquent le cycle de l’eau, les phénomènes qu’elles décrivent restent étroitement liés au réchauffement climatique. Le cas des grandes forêts tropicales montre le rôle des arbres comme générateurs d’humidité. En 2006, Victor Gorskov et Anasatassia Makarieva ont formulé le principe  de la "pompe biotique", qui dans les rivières de vapeur au-dessus des grandes forêts (Amazonie, Congo, Sibérie)  ajoute à l’humidité produite par la forêt celle aspirée de  l’océan, générant des précipitations sur des milliers de  kilomètres, ce qui se produit uniquement en présence de forêt. Ils ont ainsi prouvé le rôle essentiel de l’arbre et des forêts pour le climat mondial. En 2007, ils ont publié à nouveau sur le sujet, cette fois non pas dans une revue scientifique russe mais dans une revue internationale. Leurs données ont été présentées par D. Sheil et al. dans Bioscience en 2009. 

Au Brésil, c’est Antonio Donato Nobre, de l’Institut national de recherche spatiale brésilien et de l’Institut national brésilien de recherche sur l’Amazonie qui a publié en 2014 "The Future Climate of Amazonia". Ses conclusions sont claires : d’une part, la forêt amazoniennne joue un rôle essentiel pour le climat de toute l’Amérique du Sud (à l’est de la cordillère des Andes, qui fait barrage) et même d’une partie de l’Amérique du Nord, en expliquant le régime des pluies, alimentées par les rivières aériennes de vapeur de la forêt, elles-mêmes dopées par la pompe biotique, et, d’autre part, la déforestation a des conséquences dramatiques, car elle tarit en partie ces rivières aériennes. C’est tout le climat de la région qui s’en ressentira, l’Amazonie pouvant se transformer progressivement en savane, et un vaste quadrilatère autour et à l’ouest de São Paulo, où est concentrée la majorité de la population et de l’activité du pays se transformerait en désert, comme cela existe en Australie à une latitude voisine.

Les publications sur le sujet se sont multipliées et une étude de plus d’une vingtaine de chercheurs des cinq continents, en 2017, a montré comment l’évapotranspiration des forêts contribue à rafraîchir le climat.

La preuve est faite que l’évolution du système climatique ne peut pas être comprise uniquement sur la base des concentrations en gaz à effet de serre dans l’atmosphère, d’autres processus sont impliqués au niveau du cycle de l’eau. Celui-ci est essentiel pour comprendre l’évolution du climat, en particulier en lien avec les grandes forêts. En conséquence, même si nous arrivions à stopper l’accroissement du taux de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, le changement climatique dû à la déforestation et à nos modes d’occupation du sol continuerait, et il transformerait des régions entières en déserts, comme le montre l’exemple de l’Amazonie.

C’est pour cette raison que le cycle de l’eau doit être absolument pris en compte comme déterminant essentiel du climat. Les mesures le concernant ne relèvent pas de "l’atténuation du changement climatique", elles solutionnent une des causes fondamentales de celui-ci. Il faut cesser de confondre réchauffement climatique et changement climatique, ce dernier étant bien plus large car incluant toutes les conséquences des modifications anthropiques au cycle de l’eau, en particulier la déforestation, et secondairement les pratiques agricoles productivistes et la  modification de la couverture des sols, en particulier liée à l’urbanisation.


Il est essentiel de revoir notre approche du cycle de l’eau,
en incluant son lien avec le climat 

Dès 2008, un groupe d’hydrologues slovaques et tchèques publiaient un ouvrage Water for the Recovery of the Climate, A New Water Paradigm, nous appelant à revoir notre approche du cycle de l'eau. Leur paradigme invite à conserver l’eau là où elle tombe et à éviter le ruissellement pour lutter contre les inondations. Ils ont dirigé un programme d’aménagement des bassins versants à l’échelle de la Slovaquie en 2010-2011, avec la réalisation de milliers de petits ouvrages pour ralentir l’écoulement et infilter l’eau de pluie.

Plus récemment, en 2021, un texte publié par le Programme des Nations unies pour l’environnement, "Travailler avec les plantes, les sols et l’eau pour rafraichir le climat et hydrater les paysages de la Terre", a mis en avant clairement le rôle du cycle de l’eau dans le climat. La réduction de la couverture végétale réduit l’évapotranspiration ce qui augmente les températures. Les grandes forêts sont les premiers générateurs de vapeur d’eau et créent les rivières volantes de vapeur qui transportent l’eau sur de longues distances. Tout ce processus est mis en cause par la déforestation et les mauvaises pratiques agricoles. Les conclusions du PNUE sont simples : si nous voulons éviter une catastrophe climatique et environnementale, nous devons immédiatement cesser la déforestation, reforester et changer de pratiques agricoles.

Très récemment, en novembre 2022, un film Le mystère des rivières aériennes en Amazonie, a montré comment la déforestation influe déjà sur la pluviométrie dans le centre du Brésil ; à la frontière avec l'Argentine, les chutes d'Iguazú qui coulaient toute l’année sont désormais à moitié à sec pendant la saison sèche. C’est bien la preuve que les conséquences de la déforestation sur le régime des pluies sont bien réelles.

Les conférences sur le climat qui se succèdent sont hélas une voie sans issue, car elle ne prennent pas pleinement en compte un déterminant essentiel de notre climat : le cycle de l’eau avec, en particulier, les courants aériens de vapeur liés aux grandes forêts. Peut-on les sauver ? La Conférence des Parties sur la biodiversité (COP15) va dans le bon sens, car elle élargit la vision à la nécessaire protection de la biodiversité. Il reste à inclure pleinement le cycle de l’eau dans les réflexions et à multiplier les recherches à ce  sujet. Nous verrons si la toute prochaine Conférence des Nations unies sur l’eau, en mars 2023, y parviendra, en toute indépendance à l'égard des multinationales dont l’intérêt a peu à voir avec la sauvegarde de la planète.  ▄ 

 

 ResSources
Tropospheric rivers? A pilot study – Reginald E. Newell, Nicholas E. Newell, Yong Zhu, Courtney Scott, Geophysical Rechearch Letters, Volume 19, Issue 24, 1992 
Recycling of water in the Amazonian basin: An isotopic study – Salati Eneas and al., Water Resources Research, Volume 15 (5), 1979
Atmospheric rivers and bombs – Yong Zhu, Reginald E. Newell, Geophysical Rechearch Letters, Volume 21, Issue 18, 1994
Rivers in the sky are flooding the world with tropical waters – Richard A. Kerr, Science, 2006
Biotic pump of atmospheric moisture, its links to global atmospheric circulation and implications for conservation of the terrestrial water cycle – V. G. Gorshkov, A. M. Makariev, Russian Academy of Sciences, Petersburg Nuclear Physics Institute, 2006
Biotic pump of atmospheric moisture as driver of the hydrological cycle on land – A. M. Makarieva and V. G. Gorshkov, Hydrology and Earth System Sciences, 11, 1013–1033, 2007
How forests attract rain: An examination of a new hypothesis – D. Sheil, D. Murdiyarso, Bioscience, Oxford Journals
Trees, forests and water: Cool insights for a hot world – D. Ellison and al., Global Environmental Change, Volume 43, Pages 51-61, 2017 
Travailler avec les plantes, les sols et l’eau pour rafraichir le climat et hydrater les paysages de la Terre 
– PNUE, 2021
Water for the recovery of the climate: A new water paradigm, A resource packet on the work of Michal Kravčík and Colleagues – Michael Pilarski, Global Earth Repair Foundation, 2023