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La France, vers l’adoption du tarif social de l’eau

Mots clés : France, tarification sociale de l’eau, projet de loi Engagement et Proximité
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Vers l’adoption du tarif social de l’eau par la France

Le vote en faveur du projet de loi Engagement et Proximité le 22 octobre 2019 par le Sénat devrait contribuer à résoudre le problème social de l’eau car il autorise à intervenir avant que l’usager ne soit endetté. Il sera désormais permis d’aider les ménages en situation de précarité à payer leur eau en leur versant une allocation ou en leur consentant un tarif réduit. Chaque collectivité territoriale pourra choisir son mode de tarification sociale et même ne rien entreprendre dans ce domaine.

Henri SMETSmembre de l'Académie de l'eau

H2o – octobre 2019

 

En France, le prix de l’eau et de l’assainissement varie de un à trois selon les collectivités avec pour résultat que l’eau est inabordable pour les plus démunis dans certaines collectivités. Comme l’eau est un droit de l’homme auquel chacun doit avoir accès, on pourrait décider de pratiquer un double prix pour l’eau,  c'est-à-dire un prix normal pour la majorité des usagers et un prix réduit pour la minorité d’usagers pauvres vivant dans ces collectivités. De cette manière, l’on réduirait très fortement le nombre de ménages pour qui l’eau est inabordable et l’on satisferait l’objectif adopté formellement par la France d’un accès universel à l’eau potable (ODD-6).

Le seuil d’"inabordabilité" de l’eau est généralement considéré comme étant dépassé lorsque l’eau et l’assainissement nécessaires pour un ménage coûtent plus que 3 % des ressources de ce ménage. On estime que plus d’un million de ménages en France sont dans ce cas et l’on prévoit déjà une croissance de ce nombre du fait de l’augmentation probable des factures d’eau. Pendant longtemps, on a tenté de résoudre le problème social du prix de l’eau en versant des aides aux ménages incapables de payer l’eau qu’ils avaient consommée lorsque la dette d’eau était avérée et que la demande d’aide pouvait être satisfaite. Cette aide curative versée au cas par cas devait contribuer à faciliter le paiement de l’eau ou au moins à honorer une partie de la facture. En pratique, peu de ménages pauvres bénéficiaient de cette aide car ils ne la demandaient pas (non-recours) ou encore parce que les fonds de solidarité établis dans ce but étaient insuffisants.

Le vote en faveur du projet de loi Engagement et Proximité le 22 octobre par le Sénat devrait contribuer à résoudre le problème social de l’eau car il autorise à intervenir avant que l’usager ne soit endetté. Concrètement, le Code général des collectivités territoriales autorisera des "mesures sociales visant à rendre effectif  le droit d’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans des conditions économiquement acceptables par tous" alors que ces mesures étaient interdites jusque-là. [Précision : L’article autorisant le tarif social de l‘eau (article 5 bis) dans le projet de loi Engagement et Proximité a été voté à l’unanimité. Il est fondé sur un projet du gouvernement et des amendements similaires déposés par des sénateurs appartenant à deux groupes parlementaires. Il prolonge une initiative de même nature du Sénat en 2011 et une proposition de loi votée par l’Assemblée nationale en 2016 mais pas par le Sénat. En fait, l’article voté constitue la formalisation d’une partie de la loi Brottes (2013-312) votée à titre expérimental en 2013]. Le projet de loi devrait également permettre de poursuivre les expérimentations initiées par la loi Brottes en 2013 en matière de tarification de l’eau dans près de 50 collectivités et donnera aux collectivités de très larges possibilités pour mettre en place des tarifs de l’eau de leur choix. L’aide préventive pour l’eau et le tarif social de l’eau pourront désormais être modulés selon les caractéristiques de l’usager (niveau de revenus disponibles, composition du foyer). Il sera désormais permis  d’instaurer un tarif progressif avec une première tranche de consommation gratuite.

Grâce cette nouvelle loi, il sera désormais permis d’aider les ménages en situation de précarité à payer leur eau en leur versant une allocation (chèque eau) ou en leur consentant un tarif réduit (réduction de l’abonnement et/ou de la partie variable de la facture d’eau et d’assainissement). Ces aides  préventives sont analogues à certaines allocations sociales comme l’allocation de rentrée scolaire. Chaque collectivité territoriale pourra choisir son mode de tarification sociale et même ne rien entreprendre dans ce domaine. La nouvelle aide préventive pourra être apportée de manière quasi automatique sur la base d’une liste préétablie de bénéficiaires démunis sans qu’il soit nécessaire de vérifier si le bénéficiaire a demandé une aide, s’il a consommé de l’eau ou s’il dispose d’un compteur d’eau à son nom. Cette liste de bénéficiaires pourrait être liée à la liste des titulaires du chèque énergie, du RSA socle (revenu de solidarité active) ou de la couverture maladie universelle complémentaire (CMUC) dans la collectivité ou même être établie au niveau local par le centre communal d'action sociale (CCAS). Le nombre de bénéficiaires sera nettement plus élevé que ce qui est le cas actuellement mais il n’atteindra pas un million de ménages car de nombreuses collectivités ne choisiront pas de prendre des mesures de solidarité pour lutter contre l’inabordabilité de l’eau.

Le dispositif social inclus dans la loi Engagement et Proximité implique que la collectivité territoriale supporte l’aide pour l’eau fournie aux ménages bénéficiaires domiciliés dans cette collectivité. Si l’eau est financée par  péréquation interne par le distributeur, les usagers usuels paieront pour les usagers démunis. Comme les usagers démunis sont minoritaires, l’effet du transfert de solidarité sur le prix de l’eau sera peu sensible. La collectivité peut aussi choisir de verser directement une aide au distributeur pour compenser la perte de recettes liée au double prix. Cette aide est toutefois limitée à 2 % des redevances hors taxes d’eau et d’assainissement perçues.

Le système de tarif social de l’eau permet aux collectivités territoriales de faire preuve de solidarité au sein de la collectivité même mais ne permet de corriger le fait que l’eau est plus chère dans certaines collectivités. En particulier, il n’y a pas de mécanisme de solidarité pour l’eau au niveau national comme c’est le cas pour l’énergie. Toutefois, les collectivités sont autorisées à contribuer au financement du Fonds départemental de solidarité pour le logement (FSL) qui apporte une aide aux usagers démunis du département ayant des dettes d’eau. La  contribution maximale de solidarité pour l’eau des collectivités est désormais de 2 % de l’ensemble des redevances hors taxes d’eau et d’assainissement (au lieu de 0,5 %, loi Cambon).

La tarification sociale pour un bien aussi essentiel que l’eau est déjà utilisée en France dans de nombreux secteurs tels que l’énergie, les cantines scolaires et les transports. Dans le secteur de l’eau, elle était interdite jusqu’au vote la loi alors qu’elle est en vigueur depuis de nombreuses années au Royaume-Uni, en Irlande, en Belgique, au Luxembourg, en Espagne, au Portugal et en Italie.

L’adoption du tarif social de l’eau par le Sénat (338 pour, 2 contre) devrait être suivie par un vote similaire à l’Assemblée nationale. Sauf difficultés au niveau du Conseil constitutionnel, les collectivités territoriales pourront mettre en place dès 2020 un tarif social de l’eau si elles l’estiment souhaitable. Comme le démontre l'exemple ci-dessous, l’augmentation du prix de l’eau engendrée par ce nouveau système de solidarité devrait être très faible dans la plupart de cas à condition de ne pas faire appel à une gestion trop tatillonne des aides. ▄  

 

EXEMPLE D'APPLICATION

Une aide pour l’eau de 150 euros par an est versée à 10 % des ménages d’une collectivité dans laquelle l’eau est chère

Du fait de difficultés locales et d’une faible taille, la collectivité X distribue de l’eau à un tarif nettement plus élevé que la moyenne. Elle considère que 10 % des ménages alimentés en eau dans la collectivité devraient être aidés du fait de leur niveau de précarité et du prix de l’eau.

Si les revenus d’un ménage de 2 personnes sont de 10 000 euros par UC (unité de consommation), soit 15 000 euros par an, si la facture d’eau de ce ménage atteint 4 % de ses revenus et si ce ménage reçoit une aide de 1 % de ses revenus, l’aide atteindra 150 euros par an sur une facture annuelle d’eau de 600 euros (80 m3 à 6 euros/m3 plus un abonnement de 120 euros/an).

Si les revenus moyens des ménages de la collectivité sont de 25 000 euros par an pour 2 personnes, si ces personnes consacrent 3 % de leurs revenus à l’eau (750 euros), si le nombre de bénéficiaires de l‘aide préventive pour l’eau est de 10 % du nombre de ménages, l’incidence moyenne de l’aide versée sur le prix de l’eau est de 15 euros par ménage, à comparer à une facture moyenne d’eau de 750 euros, soit 2 % du prix moyen de l’eau.

On constate que l’incidence du tarif social de l’eau sur le prix moyen de l’eau dans les collectivités volontaires sera très faible.

 

 L'auteur
Ancien fonctionnaire de l’OCDE, Henri Smets est ancien professeur invité à l’Université Paris I, membre de l’Académie de l’eau et président de l’Association pour le développement de l’économie et du droit de l’environnement (ADEDE).