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Jean-Pierre ELONG MBASSI – CGLUA

Mots clés : CGLUA, UCLGA, Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique, urbanisation, Afrique
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L’urbanisation accélérée de l’Afrique augure de l’entrée du continent dans la modernité

l’interview de Jean-Pierre ELONG MBASSI
urbaniste, secrétaire général de
Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique – CGLUA

propos recueillis par Martine LE BEC
Sources Nouvelles, IRC – 3ème trimestre 2010

 

L’AFRIQUE URBAINE EN CHIFFRES

Population – Quelques 400 millions d’africains vivent en ville, soit près de 39 % de la population, contre 3 % il y a un siècle. En 2030, le continent comptera environ 760 millions de citadins (soit plus que la population de l’ensemble de l’Europe) et 1,2 milliard en 2050. L’Afrique du Nord est avec un taux de 54 % la région la plus urbanisée du continent.

Urbanisation – L’Afrique reste le moins urbanisé des continents, mais il est celui où la croissance urbaine est la plus forte (jusqu’à 7 % de plus par an). En 2000, 35 villes africaines comptaient plus de 1 million d’habitants ; elles sont 53 actuellement ; dans dix ans, elles seront plus 70.

Habitat précaire – En Afrique du Nord, 14,5 % des citadins vivent dans un logement précaire. Au sud du Sahara, cette proportion monte 62 % (contre 36 %dans l’ensemble des pays en développement), soit 165 millions de personnes. Cinq pays atteignent des chiffres record : le Soudan (94,2 % d’urbains concernés), la République centrafricaine (94,1 %), le Tchad (91,3 %), l’Angola (86,5 %) et la Guinée-Bissau (83,1 %). Le plus grand bidonville du continent est celui de Kibera, à Nairobi, qui abrite plus de 1 million d’habitants.

Services – Seuls 20 % des urbains disposent d’eau potable et moins de 10 % ont accès à un réseau d’égout.

Finances locales – Les collectivités locales d’Afrique ne disposent en moyenne que de 2 % des ressources publiques, contre 3 % en Asie, 40 % dans les pays en développement et 75 % dans l’Union Européenne.

 

Quels sont les ENJEUX DE L’URBANISATION en Afrique ?

En 2010 près de 400 millions d’Africains vivent dans une ville, soit près de 39 % de la population, contre 3 % il y a un siècle. D’ores et déjà, les citadins représentent plus de 60 % de population en Afrique du Nord, près de la moitié en Afrique centrale, 40 % en Afrique de l’Ouest et entre 30 et 35 % en Afrique de l’Est et  en Afrique australe. En 2030, le continent comptera environ 760 millions de citadins, près deux fois la population de l’Union Européenne.  Les villes africaines représentent dès à présent des opportunités économiques et de marchés très intéressantes. Cela sera encore plus le cas dans les deux prochaines décennies, ce d’autant que de nombreux experts estiment que la croissance économique des pays africains est durablement orientée vers la hausse. Dans certains pays, des taux de croissance urbaine de l’ordre de 7 % ne sont pas rares Une telle croissance représente le doublement de la population et de la superficie des agglomérations en moyenne tous les dix ans. Il s’agit d’un défi immense, que les responsables nationaux et locaux d’Afrique doivent se préparer à relever.

Cette urbanisation est donc un mouvement irréversible et correspond à un rattrapage de l’Afrique par rapport au reste du monde. En effet l’Afrique est la dernière région du monde à avoir engagé sa transition démographique, devant la faire passer de l’équilibre de la mort (beaucoup de naissances et beaucoup de décès) à l’équilibre de la vie (peu de naissances et peu de décès). On estime que la courbe ascendante de la transition démographique connaîtra son asymptote vers les années 2050. Durant cette transition démographique le nombre de naissances excède de beaucoup le nombre de décès ; tous les besoins sont en conséquence décuplés. En général aussi, dans le même temps, on assiste à une recomposition du peuplement entraînant de nombreux déplacements des populations des régions pauvres vers les régions plus riches, de l’intérieur du continent vers les zones côtières, des zones rurales vers les zones urbaines. Les densités de population s’accroissent et, avec elles, les opportunités mais aussi les risques.


Quels nouveaux MODES DE GOUVERNANCE permettront de relever ces défis ?

Dans le cas de l’Afrique, ce nouveau "paysage" du peuplement crée des difficultés dans la gouvernance, non seulement des États, mais aussi des territoires. Dans de nombreux pays, on observe que dans diverses localités, 1 habitant sur 4 ne vivait pas là dix ans auparavant. Un renouvellement aussi rapide des populations résidentes ne permet pas d’asseoir un sentiment d’appartenance suffisant pour permettre le développement d’une véritable citoyenneté et de partager une vision commune du développement de la cité. Il est difficile dans ces conditions que la représentation des populations soit ressentie comme légitime dans la durée, ce qui a pour résultat une certaine instabilité institutionnelle.

Cette instabilité institutionnelle doit être considérée comme normale dans la période historique que connaît l’Afrique. C’est dire combien les qualificatifs d’États faillis qu’on utilise parfois pour décrire généralement les pays africains font peu cas des données structurelles liées aux dynamiques démographiques et de peuplement. L’instabilité institutionnelle et cette extrême mobilité des populations entraînent parfois des poussées de xénophobie dans les zones d’accueil, où les populations dites autochtones expriment leur peur ou leur sentiment d’être envahies par populations qui ne sont pas de là, les allogènes ou allochtones, accusés de venir rompre les équilibres préexistants. La transition démographique pose donc des problèmes énormes de gouvernance et en particulier de gestion stratégique de la collectivité nationale ou locale. Dans la mesure où le peuplement des territoires n’a pas encore atteint un niveau suffisant de stabilité, il est très difficile d’élaborer un projet susceptible de mobiliser également l’ensemble de la collectivité et même d’obtenir un consensus sur la manière de gérer la transition.


Quels MOYENS doivent être engagés pour assurer cette transition ?

La question qui se pose dans le cas d’une telle instabilité institutionnelle est celle de savoir s’il vaut mieux d’abord renforcer l’État (pour donner plus de force à sa capacité de solidarité et développer ainsi le sentiment d’un destin national) ou au contraire d’abord renforcer les collectivités territoriales et donc la décentralisation (pour que grâce à la proximité, la citoyenneté locale soit, par agrégation, le ferment d’une citoyenneté nationale mieux assumée). Au cours des premières années des indépendances, la priorité a été donnée à la construction de la citoyenneté nationale, qu’on a voulu développer à toute force, à la limite dans la négation des identités et des particularismes locaux. Au cours années 1990, les États ne pouvant plus remplir tout seuls leur promesse d’accès de tous à la  modernité, ont initié d’une part, la politique de libéralisation de la vie publique et d’autre part, la politique de la décentralisation qui a consisté à transférer aux collectivités territoriales certaines compétences exercées jusque là par l’État central.  Cependant cet effort de décentralisation arrivait au plus mauvais moment, alors que les États africains sortaient d’une crise profonde des finances publiques. La plupart des pays ayant dû adopter des politiques d’ajustement structurel, les transferts de compétences aux collectivités territoriales  ne se sont pas accompagnés de la nécessaire délégation des ressources. On espère qu’aujourd’hui, avec la fin de la période de marasme et l’amélioration constatée de la situation économique et financière de la plupart des États du continent, un meilleur partage des ressources et de la dépense publiques entre l’État central et les collectivités territoriales pourra être réalisé.

On sera sans doute encore loin d’atteindre le taux de 50 % à 75 % de la dépense publique civile mise en œuvre par les collectivités territoriales au sein de l’Union Européenne. Mais si en Afrique on parvient déjà à un taux de 10 % ou 15 % en moyenne d’ici 2015, les collectivités auront e gagné des marges de manœuvre appréciables par rapport à la situation des dernières décennies.


Les INFRASTRUCTURES DE L’EAU ont-elles été correctement priorisées par les États et les collectivités ?

Lorsque les États sont dans la situation décrite ci-dessus, les priorités sont nombreuses et les acteurs de chaque secteur voudraient légitimement que celui-ci soit porté au premier rang des priorités des politiques publiques. Ceci vaut pour l’eau, comme pour l’énergie, la santé, l’éducation, l’habitat, les transports… Combien de fois n’a-t-on entendu les séminaires et ateliers sectoriels réclamer qu’au moins 10 % du budget national soient réservés à chacun de ces secteurs pour montrer la priorité que le gouvernement leur accorde ? Si l’on additionne ces 10 % pour tous les secteurs concernés, on excède largement les 100 % du budget national. Exiger comme on le fait trop souvent que les priorités des politiques publiques soient obligatoirement traduites dans les engagements budgétaires ne semble manifestement pas pertinent, même s’il est exact que  les budgets nationaux ou locaux orientent effectivement les politiques publiques.

Nul ne peut valablement soutenir que l’eau n’est pas une priorité parce qu’elle ne bénéficie pas d’un traitement privilégié dans les budgets nationaux ou locaux. L’eau est manifestement un besoin naturel : tout le monde a besoin d’eau et il n’existe guère d’activités économiques qui n’en dépendent d’une manière ou d’une autre L’eau est en conséquence priorisée de toute façon par tout le monde. Cependant la manière d’y avoir accès peut varier, d’abord en fonction des contraintes naturelles, ensuite en fonction des usages. C’est là que peuvent intervenir des choix quant aux priorités d’usage ou aux niveaux de service.

Si le besoin en eau est unanimement ressenti, tel n’est pas le cas pour l’assainissement. Or il s’agit des deux faces d’une même médaille : ne dit-on pas que l’eau est nécessaire à la vie, et que l’assainissement et l’hygiène sont la condition d’une vie humaine digne ?  Par ailleurs, la perception de la relation entre l’eau et la santé reste très faible. La Décennie d’action L’eau source de vie (2005-2015) a un impact considérable en Afrique en matière d’accès à l’eau potable. Le chaînon manquant reste l’assainissement. Pourtant si l’assainissement est laissé pour compte, cela aura tôt ou tard des conséquences dommageables sur la santé humaine et sur la qualité de la ressource en eau, L’urgence est donc à l’adoption d’approches globales et intégrées des problèmes de l’eau, approches qui doivent largement s’inspirer des démarches du développement durable, et des besoins de long terme reflétant les mutations du peuplement observées au niveau des territoires locaux mais aussi et de manière générale, au niveau des grands bassins hydrographiques.  .  

 

 ResSources
201009_elong-mbassi_cglua.gif Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique – CGLUA
United Cities and Local Governments of Africa – UCLGA

22, rue Essaiedine Hassan, Rabat – Maroc