BEN S’MIM
La source de la colère
La révolte de la population de Ben S’mim est emblématique pour le Maroc
mais aussi pour de nombreux pays du Sud. Le droit à la vie de toute une
communauté villageoise est mis en péril par la privatisation de l’eau
dans sa forme la plus brutale : la confiscation de la source pour…
mettre l’eau en bouteilles !
Jean-Claude OLIVA – textes
Jérômine DERIGNY – photos
H2o – novembre 2008
La commune rurale de Ben S’mim compte environ 5 000 habitants dont 3
000 dans le village même, situé à 200 kilomètres de Rabat et 70
kilomètres de Fès au Maroc, au cœur de la région montagneuse du
Moyen-Atlas. Un véritable "château d’eau" dans un pays en état de
pénurie chronique. Une richesse naturelle de plus en plus convoitée et
menacée, qui se transforme en malédiction pour la population locale…
Tout commence en 1999. L’Euro-africaine des Eaux, une société écran qui cache des intérêts marocains, commence à s’intéresser à la source du village. En 2001, un contrat est signé pour 30 ans avec l’État (qui possède 60 % de la source) : ce contrat prévoit le démarrage des travaux en 2004. Mais rien ne se fait dans les temps prévus et, en 2006, la population se mobilise, un représentant du village dénonce la situation auprès de l’ACME Maroc, une première pétition est lancée…
Début 2007, l’entrepreneur contre-attaque et parvient à signer un protocole d’accord avec huit représentants de la collectivité locale et religieuse, déclarant le projet intéressant et souhaitant faciliter son exécution. Mais les réticences demeurent très fortes au sein de la population et l’entreprise préfère laisser passer les élections législatives (le 7 septembre). Le 10 septembre 2007, les premières machines de terrassement sont installées sur les 3 hectares alloués par l’État, sous la protection d’un important dispositif de gendarmerie. Malgré cela, le 13 septembre la population se mobilise et marche sur la source. Sept personnes sont alors arrêtées, trois seront relâchées dans les heures qui suivent et quatre seront emprisonnées jusqu’au 17 octobre (et sont toujours sous la menace de poursuites judiciaires). Encore plus fort, le village est encerclé par les forces de l’ordre, les deux routes d’accès sont fermées avec interdiction de sortir sous peine d’arrestation pour les villageois ! L’électricité est coupée tous les soirs en pleine période de Ramadan pour empêcher les villageois de se réunir. Ce véritable état de siège durera jusqu’au 6 octobre.
Mais l’action de l’ACME Maroc avec d’autres associations permet de briser l’isolement de Ben S’mim. Une pétition est relancée en septembre, et relayée en France. Une déclaration commune de l’Association marocaine des droits humains – AMDH, d’ATTAC Maroc, de l’Association pour la préservation des deniers publics et de l’ACME Maroc est rendue publique le 4 octobre. Le Parti socialiste unifié apporte également son soutien à la population. Un collectif de dix avocats est constitué par les associations pour venir en aide aux villageois poursuivis en justice ; outre ceux qui ont été arrêtés, les pouvoirs publics menacent une vingtaine de jeunes de poursuites pour manifestation illégale.
Les associations organisent aussi une caravane qui peut enfin pénétrer dans le village le 7 octobre… En avril 2008, les travaux sont suspendus une nouvelle fois et une annonce officieuse d’arrêt définitif circule. Aussitôt les habitants installent une tente sur la route, à l’entrée du village. Sur l’une des banderoles, on peut lire : "les habitants remercient le roi d’avoir arrêté le projet". Mais la tente est déménagée par les forces de l’ordre et …aussitôt remise en place par les habitants. La longue lutte des villageois continue. Le statu quo demeure cependant précaire. Les travaux reprennent discrètement et Nicolas Antaki, le PDG de l’Euro-africaine des Eaux, annonce que la mise sur le marché des eaux de source pourrait commencer dès juillet 2009. D’un point de vue strictement économique, ce délai de huit ans (sans compter l’incertitude sur l’aboutissement définitif) semble bien long pour un projet : de quelle assurance bénéficie donc l’affairiste de la part de l’État marocain ?
Lundi 15 décembre 2008, quelques jours après le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, huit habitants du village de Ben S’mim sont déférés pour la douzième fois devant un tribunal à Meknès en raison de leur participation à la manifestation de septembre 2007 pour protester contre la privatisation des eaux de leur source. Huit autres habitants du même village sont aussi poursuivis pour le même motif devant un tribunal d’Azrou. L’ACME Maroc dénonce à cette occasion "une volonté délibérée de briser la résistance de cette population, en vue de lui enlever ses moyens de subsistance, dans une région où l’État n’a jamais rien fait pour sortir les habitants de la situation de pauvreté et de sous-développement dans laquelle ils sont plongés depuis l’indépendance du pays".
Quand le conflit s’élargit
Dimanche 18 janvier 2009, une nouvelle caravane de la solidarité est organisée à Ben S’mim, avec la participation de 25 associations nationales et régionales. Des associations berbères notamment, les villageois faisant partie de cette importante minorité. De très nombreux avocats des barreaux de Meknès et de Fès, et de l’Association des jeunes avocats de Khémisset ont aussi fait le déplacement. Les revendications d’arrêt définitif du projet de mise en bouteille des eaux de la source et d’arrêt des poursuites judiciaires engagées depuis le mois de septembre 2007, sont réaffirmées. Mais la contestation prend aussi une portée plus globale avec la revendication "d’une politique réelle de développement pour sortir la région de la marginalisation et de la pauvreté absolue dans lesquelles elle est plongée depuis l’indépendance du pays". (à suivre)
- Ben S’mim, la source de la colère – L'expo
La source de la colère est devenue une exposition textes et photos pour sensibiliser différents publics à la problématique de l’accès à l’eau. Une approche sociale, et documentaire sur un village marocain en lutte pour son accès à l’eau.
L’exposition raconte en texte et image le quotidien des habitants de Ben S’mim dans leur rapport à leur source, à l’eau et à la construction de l’usine d’embouteillage.
L’exposition se présente sous forme de six bâches souples maintenues et lestées par des barres d’aluminium. Elle comprend un panneau de présentation et cinq panneaux illustrant : un château d’eau en train de s’écrouler
- la source du bonheur
- la source de la révolte
- la source de la vie quotidienne
- la source de l’agriculture et de l’élevage
Images et textes de l'exposition – Formulaire de location de l'exposition
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