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Dessin de tracé de fleuve

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Algérie – L'affaire OKN32
Or noir, eaux profondes, pollution secrète

Mots clés : Algérie, forage, Ouargla pollution des nappes, Total
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L’effondrement d’un forage réalisé par Total en 1978 menace de polluer les eaux de Ouargla, l’un des plus grands oasis sahariens.

 

par Boris RAZON
magazine DON QUICHOTTE DE LA MANCHA
105, rue du Faubourg-Saint-Denis 75010 Paris – Illustration Lalu Création
H2o – juillet-août 1999

 

S’il est un pays où la pénurie d’eau commence à menacer, c’est bien l’Algérie où les zones arides constituent plus de 90 % du territoire. Avec des ressources en eau renouvelable de moins de 1 000 m3 d’eau douce par habitant soit le seuil minimum calculé par l’Unesco, l’Algérie fait partie des terres du globe les plus sèches dans les prochaines années. Or, depuis plus de 12 ans, une pollution d’eau sans précédent fait planer des risques de disparition sur Ouargla, l’un des plus grands oasis sahariens, mais aussi sur la nappe d’eau profonde dite du "Sahara Septentrional". Cet aquifère de 800 000 à 900 000 km2 (près de 2 fois la surface de la France), partagé entre l’Algérie, la Libye et la Tunisie, se trouve à une profondeur de 1 000 à 2 000 mètres environ et est constitué d’une "eau fossile" car son temps de renouvellement est si long que les experts considèrent qu’il s’agit d’une eau non renouvelable. La cause de cette pollution est limpide : un forage pétrolier qui a mal tourné. L’histoire commence en 1978 à Haoud Berkaoui, en plein Sahara. Dans ce no man’s land de poussière et de roche où le soleil darde sur la terre ocre, on ne s’installe que pour deux raisons : l’eau des oasis et le pétrole des sous-sols. L’oasis c’est la palmeraie de Ouargla, à 30 km d’Haoud Berkaoui, une petite ville connue pour la qualité de ses dattes. L’agriculture a pu s’y développer grâce à la présence d’une nappe d’eau peu profonde dans laquelle toute la ville puise. Pour le pétrole, route vers Hassi Messaoud, ainsi nommé parce qu’un beau jour, en 1910, un nomade du nom de Messaoud décida d’y creuser un puits (Hassi). Mais si le nom est resté, la fortune d’Hassi Messaoud provient d’autres puits : les forages pétroliers réalisés depuis 1956, date à laquelle on y découvrit de l’or noir. Depuis, Hassi Messaoud est devenue une ville aux allures frustes, constituée de bungalows préfabriqués ou de petits immeubles en dur où vivent les salariés de la Sonatrach (la compagnie de pétrole nationale algérienne).

En dehors de cette ville née de la course à l’énergie, c’est le désert à perte d’horizon surmonté au loin de longues tiges grises : les forages pétroliers qui parsèment la région et assurent environ 50 % de la production nationale.

Des conséquences très graves pour la région

Des hydrologues du monde entier ont été consultés, des cabinets spécialisés aussi, mais, en 1999, rien n’a changé. La situation a même empiré. Les dernières études sont plus qu’inquiétantes : le cratère a doublé de taille, il fait désormais 600 mètres par 260 et sa progression est estimée à près d’un mètre par an. Les failles alentours se sont agrandies et selon Jean Margat, hydrologue de renom, chargé par l’Algérie d’étudier le problème à la fin des années 1980 : "La Sonatrach craint fortement que la cavité ne se propage très très loin". Des tassements de terrains conséquents ont été observés sur plusieurs kilomètres dans les environs et de nouvelles failles menacent de se créer. Mais le pire, c’est la pollution des eaux : en 1993, la nappe profonde, ressource vitale pour le Sahara s’écoulait vers la surface à un débit de 2 500 à 3 000 m3 par heure. C’est le débit d’une grosse rivière souterraine ou le débit moyen du fleuve Le Var. Et cette eau qui remonte rapidement vers la surface en passant par le sel présente à son affleurement au milieu du cratère un taux de sel de 275 g par litre, l’équivalent de la Mer Morte. Or cette eau saumâtre en contact avec l’aquifère de surface progresse lentement mais sûrement vers l’est. Les projections les plus timorées de la Sonatrach font état d’une salinisation des eaux de surface de Ouargla de 20 g/l d’ici 100 ans si rien ne bouge. Cela en fait tout simplement une eau inutilisable. Pire, la nappe profonde (dont les hydrologues de l’UNESCO reconnaissent qu’elle constitue une réserve unique pour l’Algérie et les pays environnants) s’épuise de plus en plus rapidement. OKN 32 compte pour environ 16 % de l’épuisement total de l’aquifère albo-barrémien (nappe profonde). Jean Margat s’émeut de ces chiffres : "Si l’aquifère profond ne risque pas grand chose parce qu’il est d’une superficie énorme, cette déperdition d’eau est un vrai problème localement et associée à la salinisation énorme de l’aquifère de surface, elle peut avoir des conséquences extrêmement graves pour la région." Le ton est donné et pourtant le problème demeure, le cratère s’agrandit et l’eau de la région est menacée…

Mais que fait la Sonatrach ?

Comme Haoud Berkaoui est une zone pétrolière, tous les accès y sont extrêmement contrôlés. Il y a donc un véritable déficit d’information et d’action sur l’affaire. Depuis 1995 et surtout février 1996, date à laquelle le GIA a menacé dans un communiqué de presse de s’en prendre aux travailleurs du secteur des hydrocarbures en Algérie, la zone d’Haoud Berkaoui fait partie des quatre "zones d’exclusion" créées par le gouvernement et surveillées en permanence par l’armée. Aussi s’agit-il probablement de l’un des coins les plus sûrs de l’Algérie. Une base militaire est située non loin du cratère et la zone est interdite de vol. Cependant la Sonatrach a fait appel à des compagnies étrangères pour trouver une solution au problème… mais sur la base de données anciennes. Ainsi Peter Goode, vice-président d’IPM, un des derniers prestataires de services à avoir été contactés, explique "Je me suis rendu à Haoud Berkaoui en octobre 1998 afin de connaître les dernières mesures concernant le débit de la nappe profonde et le taux de sel dans l’eau mais je n’ai rien obtenu, c’était trop compliqué." Dans ses observations, il émet néanmoins de sérieux doutes : "Le long de la route qui mène à Haoud Berkaoui, il y avait des traînées blanches de sel et des plantations, des arbres pourris et asséchés. Je ne suis pas tout à fait en mesure de dire si c’était l’effet de la salinisation des eaux ou de la sécheresse." Peut-on penser que toutes les données concernant OKN 32 sont faussées ? IPM fait partie des trois cabinets de prestataires de service qui ont été contactés à ce jour pour trouver des solutions au problème de l’écoulement des eaux et des effondrements de terrain qui menacent les autres puits. "Les travaux d’OKN 32 devraient être financés par la Banque Mondiale qui se préoccupe énormément du problème. Mais elle refuse de donner l’argent directement à la Sonatrach de peur qu’elle l’utilise à d’autres fins ; elle attend donc qu’une solution viable lui soit proposée et elle donnera l’argent directement au prestataire de service" commente un spécialiste qui préfère garder l’anonymat. Il est vrai que des propositions fantasques ont été avancées. Il semble qu’un cabinet russe intégré dans l’appel d’offres de la Sonatrach ait proposé de faire exploser une légère charge nucléaire dans le cratère afin de vitrifier la zone et de mettre fin au problème. Le hic c’est que les radiations se seraient étendues sur plus de 30 kilomètres et auraient contaminé Ouargla et ses environs. D’autres propositions plus sérieuses viseraient à injecter une substance chimique liquide à prise rapide qui résisterait à la pression et permettrait de boucher l’écoulement d’eau de la nappe profonde vers la surface. Une autre prévoirait de créer une énorme coulée de boue pour stopper le débit souterrain. Aucune de ces propositions, formulées courant 1998, n’a pour l’instant été retenue. La pollution continue son chemin. Total, dont la responsabilité est en partie engagée dans la formation du cratère considère dans un premier temps que : "c’est de l’histoire ancienne". Quelques jours plus tard, l’ex-directeur de la zone déclare : "C’est un problème très complexe. La Sonatrach ne veut pas reconnaître ses torts. Nous avions un contrat d’assistance technique avec elle et nous avons commencé à forer. Mais en descendant, nous avons fait face à une éruption d’eau. On a essayé de mettre en place des mesures de sécurité en utilisant de la baryte mais la Sonatrach s’occupait de la logistique et nous l’a livrée 15 jours trop tard. La nappe phréatique a été contaminée et les environs sont menacés." De son côté, le directeur adjoint de la communication de la Sonatrach esquive : "Je ne suis pas autorisé à parler au nom de la Sonatrach mais quand la Sonatrach estimera opportun de réagir, la Sonatrach réagira..." Officiellement, rien craindre donc. Le cratère, lui, fêtera bientôt sa treizième année et poursuit tranquillement sa croissance. .