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France, Ressource en eau
De la difficulté de concilier les échelles de territoires et de temps

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Dossier de
la rédaction de H2o
  
29/03/2023

200 personnes ont assisté à la Matinée de l’eau organisée par Les Canalisateurs Auvergne et Les Canalisateurs du Sud-Est (Rhône-Alpes) le 22 mars à Bourg-Argental (Loire). Cet événement, dont c’était la 2ème édition, s’inscrivait dans le cadre de la Journée mondiale de l’eau et se déclinait simultanément dans 15 régions de France, sous la bannière "Les Canalisateurs, acteurs pour la planète".

Le contexte a été posé dès l’introduction de cette matinée par Stéphane Graupner, délégué régional Rhône-Alpes des Canalisateurs. Les données climatiques et météorologiques de ces dernières années, et derniers mois, donnent un signal d’alarme fort. Une sécheresse de l’été 2022 sans précédent en France, un hiver 2022-2023 tout aussi sec, enchaînant plus de 30 jours sans pluie, des niveaux de nappes phréatiques inquiétants sur une grande partie du pays… En résultat certains territoires, situés pourtant au cœur de l’Auvergne, le "château d’eau de la France", se voient alimentés par camions-citernes depuis plusieurs mois… L’entretien des canalisations et les stratégies à mener en matière de sécurisation et de préservation de la ressource en eau potable ont pu être abordés lors d'une table-ronde réunissant représentants d’agences de l’eau, de la maîtrise d’œuvre et des collectivités locales. Les échanges ont également soulevé plusieurs problématiques liées aux échelles de territoires et de temps et qui ne sont pas toujours compatibles avec l’action immédiate.

Jean-Marc Pillot, chef du service Rhône Rive droite à l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, a rappelé que la préservation de la ressource représente un axe fort du programme de l’Agence. Un meilleur partage et des économies d’eau apparaissent en effet comme l’une des 4 priorités, dans un contexte où la disponibilité de la ressource diminue et les sols s’assèchent. L’Agence défend aussi la solidarité urbain/rural, avec des aides spécialement fléchées pour les zones de revitalisation rurale (ZRR). S’agissant des interconnexions, les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) sont des outils à disposition pour prioriser les actions en faveur des bassins en déficit. À l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, la philosophie est la même : "Il convient d’agir à la fois sur la préservation de la ressource d’un point de vue qualitatif, avec la protection des captages notamment", explique Peggy Vogt, responsable du service Collectivités et Industrie, qui précise : "Nous accompagnons également le développement d’outils de gestion patrimoniale, pour améliorer les rendements des réseaux." Pour les interconnexions, l’Agence a par ailleurs annoncé une augmentation de sa part de financement, passant de 30 à 50 %. Cependant, au-delà même des financements, "la clé d’une bonne gestion de sa ressource réside aujourd’hui dans la vision stratégique portée par les collectivités", estime Laëtitia Simonot, responsable du pôle Hydraulique urbaine chez Artelia Group. Les schémas directeurs d’eau potable permettent ainsi d’identifier les enjeux locaux et de définir une programmation pluriannuelle de travaux. L’exercice n’est pas forcément aisé puisqu’il nécessite de faire le bilan des besoins du territoire concerné, et de la disponibilité de la ressource, à l’instant T, mais également de se projeter à 10 ou 15 ans. Une échelle de temps difficile à appréhender : est-ce que la stratégie décidée aujourd’hui sera encore soutenable dans 10 ans ? "Il est nécessaire de réactualiser ces schémas", admet Jean-Marc Pillot.

Ce travail d’état des lieux et de priorisations des actions implique une collaboration territoriale sur des périmètres "inhabituels". Les échelles d’interconnexions ne sont en effet pas les mêmes que les échelles administratives. La réflexion doit se mener au niveau des bassins, qui font souvent fi des frontières départementales et parfois mêmes régionales. Enfin, les territoires concernés ne sont pas toujours tous au même stade de la réflexion. "À ce jour, toutes les grosses agglomérations ont lancé ces démarches de vision stratégique, dans le cadre de la prise de compétence eau potable par les intercommunalités ; du côté des plus petits syndicats, ce n’est pas encore partout le cas", constate Laetitia Simonot. Et quand la bonne entente territoriale est au rendez-vous, les blocages peuvent aussi venir de l’extérieur ! Stéphane Heyraud, qui accueillait la manifestation sur sa commune de Bourg-Argental dont il est maire, a pu témoigner des difficultés qu’il rencontrait pour mettre en œuvre le projet de sécurisation et d’interconnexion avec l’agglomération d’Annonay et plus particulièrement le barrage du Ternay. Après la réalisation d’une étude de faisabilité, conjointement avec Annonay Rhône Agglo, le dossier se retrouve administrativement bloqué. Il met par ailleurs en avant la difficulté de se trouver face à de multiples financeurs, aux dossiers et calendriers respectifs de l’Agence de l’eau, du Conseil départemental et de l’État via la DETR. Denis Honoré, vice-président Eau potable à Annonay Rhône Agglo, partage ces constats. L’agglomération regroupe 29 communes, alimentées par 3 points de ressources différents : nappe alluviale du Rhône, barrage du Ternay, sources autres. L’été 2022 a été particulièrement surveillé, avec un suivi rapproché des ressources, une "chasse" aux fuites et une incitation à la sobriété dans l’usage de l’eau. Pour autant, la collectivité n’a pas pu éviter d’avoir recours à du portage d’eau en citerne pour certaines communes. "Cela nous interroge pour les années à venir, dans le cadre du développement du territoire, alerte-il. Nous devons désormais prendre en compte la disponibilité future de la ressource en eau dans nos réflexions d’aménagement, dès lors que cela induit une augmentation de la population." La collectivité ne manque pourtant pas de projets pour tenter de sécuriser cet accès à la ressource (réflexion autour de la récupération d’eau, nouvelle usine de traitement d’eau potable, interconnexions), mais l’élu regrette qu’il y ait de moins en moins de subventions et que les blocages soient souvent administratifs ou réglementaires.

En conclusion, Jean-Luc Garcia, délégué régional Auvergne des Canalisateurs, a reconnu que cette volonté d’actions des collectivités était présente et essentielle. Toutefois, dans un contexte où l’urgence commence clairement à se manifester, il pose la question des délais provoqués par des blocages pas toujours compréhensibles… "Et si demain, il fallait vraiment accélérer les investissements ? Quelles solutions s’offrent à nous pour être plus réactifs ?" 

Le Livre bleu des Canalisateurs