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Sénégal
Gouvernance de l'eau potable : Le beurre, l'argent et… le fermier

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Dossier de
la rédaction de H2o
  
04/10/2013

Entre "opacité" entretenue par le jeu des acteurs clés du secteur de l'eau au Sénégal et risques de conflits d'intérêts qui pourraient  survenir la suite à la vente par Bouygues de 65 % de ses actions à l'Américain Emerging Capital Partners – ECP, le Forum civil dénonce ce qu'il considère comme un "monopole" dans la gestion du secteur. L'organisation de la société civile "rentre dans la conduite" pour réclamer, entre autres, le respect du droit à l'information du public par la divulgation du contrat liant l'État à la SDE.

Le Forum civil s'invite dans le râle de la grande pénurie d'eau qui frappe depuis plus de deux semaines une bonne partie de la capitale sénégalaise. Mais c'est pour reverser toute l'eau sur la tête de l'État dont "la responsabilité est totalement engagée, par le transfert opéré de ses prérogatives de production, de distribution et de vente de l'eau à l'opérateur privé qu'est la Sénégalaise des Eaux (SDE) dans le cadre du contrat d'affermage État-Société nationale des eaux du Sénégal (SONES)-SDE", écrit l'organisation de la société civile dans un communiqué transmis à notre rédaction. Ce transfert, estime le Forum civil, confère à la SDE "une situation de monopole qui, sans une régulation forte et un contrôle effectif de l'État, ne pourrait assurer une meilleure qualité dans la délivrance du service."

L'organisation de la société civile semble en fait subodorer une nébuleuse dans la gouvernance de l'eau potable, eu égard à une étude qu'elle a diligentée récemment et à travers laquelle, elle a constaté, entre autres, des "risques" qui s'attachent, pour certains acteurs, au renouvellement du contrat d'affermage et qui feraient peser de sérieuses menaces sur la pérennisation du modèle institutionnel de gouvernance du secteur. "L'impossibilité" pour le grand public et les médias d'accéder à des rapports d'évaluation de la mise en œuvre du contrat d'affermage, leur permettant de mesurer le respect des engagements contenus dans ledit contrat ; mais aussi "l'instrumentalisation par l'État" d'une transaction à travers le contrat d'affermage, laissant à la SDE l'opportunité de faire du profit sur l'eau, au regard des enjeux aussi essentiels pour cette denrée qui constitue une des priorités majeures dans les programmes de lutte contre la pauvreté au Sénégal.

L'opacité… – Évoquant le communiqué de presse de Bouygues en date du 3 novembre 2009, le Forum civil rappelle que les activités de gestion de l'eau au Sénégal étaient dans le portefeuille de l’opérateur français via sa filiale Finagestion lors de la cession de Saur en 2005 avant que Bouygues ne cède, en juillet 2008, 29,3 % du capital de Finagestion à l'Américain Emerging Capital Parteners (ECP), puis 35,7 % au titre d’une seconde cession en 2009. La participation de Bouygues de Bouygues s’est ainsi drastiquement réduite. L'organisation se demande  si ces changements de partenaire étaient autorisés par les clauses du contrat d'affermage et si l'Assemblée nationale en a été informée par l'exécutif. Le Forum civil s'interroge ainsi sur d'éventuels risques de conflits d'intérêts ;  la situation "inédite" créée par cette vente d'actions réside dans le fait que certains bailleurs de l'État ont souscrit au fonds Africa Fund II détenant les parts de Finagestion achetées par ECP. La "culture de l'opacité" entretenue par le jeu des acteurs clés du secteur biaise le contrôle et l'évaluation du domaine tout en affaiblissant les capacités de performance du secteur, estime le Forum. Le modèle de gérance instauré au Sénégal est celui promu par le FMI  à la fin des années 1980 et qui a soulevé maintes critiques en Afrique.

… vs. la loi – En tout état de cause, le Forum civil, invoquant, entre autres, l'article 8 de la Constitution du 22 janvier 2001 qui reconnaît le droit à l'information plurielle des citoyens, réclame la divulgation du contrat liant l'État à la SDE ; l’organisation rappelle aussi  la directive n° 1/2009/CM/UEMOA sur la transparence dans la gestion des finances publiques et adoptée par l'Assemblée nationale du Sénégal le 18 décembre 2012.

Par ailleurs, le Forum civil exige de l'État la mise en place "rapide" – avant le renouvellement du contrat – d'un comité d'évaluation du contrat d'affermage, qui serait composé de représentants de l'État, de la société civile, des syndicats et des bailleurs et des associations de consommateurs et des bailleurs. Le renouvellement du contrat, précise le Forum civil, devra pour partie dépendre des résultats de cette évaluation, mais aussi de la réappréciation des enjeux stratégiques actuels autour de la gestion de l'eau. Un exercice qui n'exclut pas la remise en cause du modèle institutionnel de gestion de ce secteur en vigueur jusqu'ici.

Malick Ndaw, Sud Quotidien (Dakar) – AllAfrica 30-09-2013