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La Grande Inondation, interview du préfet Jean-Paul Kihl

Mots clés : agglomération parisienne, huit départements d’Île-de-France, Essonne, Hauts-de-Seine, Seine-et-Marne, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Val-d’Oise, Yvelines, zone de défense et de sécurité de Paris, SGZDS
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Préfet Jean-Paul Kihl

LA GRANDE INONDATION
L'interview du préfet Jean-Paul Kihl

Dans le cadre des travaux de préparation à la crise, le secrétariat général de la zone de défense et de sécurité de Paris de la préfecture de police (SGZDS) a développé un dispositif de réponse à différents scénarios d’inondation. Il a mis en place pour cela des groupes de travail avec l’ensemble des acteurs concernés. Les réflexions se structurent autour de trois thèmes : 1. les réseaux structurants : électricité, hydrocarbures, télécommunication et eau ; 2. les secteurs d’activités essentiels : approvisionnements (distribution d’essence, grande distribution, circulation fiduciaire), santé, hygiène et confort (déchets, chauffage urbain, assainissement), transport et circulations ; 3. les procédures de soutien à la gestion de crise : cadre juridique, sécurité publique, secours, bases opérationnelles et logistiques. Un certain nombre de ces sujets seront testés au cours de l'exercice EU Sequana 2016, programmé du 12 au 18 mars 2016.

l'interview dupréfet Jean-Paul KIHL
secrétaire général de la zone de défense et de sécurité de Paris

Martine LE BEC, Dorian COLSON-ROY, Pierre-Emmanuel MAIN
h2o – juin 2015

La stratégie locale de gestion du risque

La stratégie locale de gestion du risque d’inondation en Île-de-France a été mise en place en décembre 2013. Il s’agit d’une structure permanente, copilotée par les deux préfets : le préfet de police de Paris et le préfet de la région Île-de-France qui se partagent la responsabilité. L’État n’ayant qu’une seule voix, les compétences ont été réparties entre, d’une part, la gestion de la crise elle-même, confiée à la préfecture de police, qui est structurée pour agir à l’occasion de tels évènements d’ampleur exceptionnelle, et, d’autre part, la coordination des politiques de prévention du risque inondation, confiée à la préfecture de région, qui intervient ici principalement par le biais de sa direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie, DRIEE ; il revient aussi à la préfecture de région de prévoir et d’aménager, après la crise, le retour à une activité normale dans les meilleures conditions possibles. Ce retour pourra être long, et même, à l’exemple de 1910, ralenti par de nouvelles résurgences.

Un point important était néanmoins de pouvoir travailler sur cette problématique de manière globale et sans "tronçonner" ses différents aspects entre l’avant, le pendant et l’après-crise. C’est pour cette raison que la stratégie locale définie pour l’agglomération parisienne – couvrant au total 141 communes – regroupe tous les acteurs concernés. Un comité de pilotage, coprésidé par les deux préfets, se réunit deux fois par an et s’appuie concrètement sur trois comités territoriaux : un comité Seine amont Île-de-France, associant les collectivités en amont de la confluence Seine-Oise ; un comité Oise, associant les collectivités du Val-d’Oise, riveraines de l’Oise ; enfin, un comité Seine-aval, associant les collectivités des Yvelines plus quelques communes du Val-d’Oise, situées en aval de la confluence Seine-Oise.

S’y ajoutent un comité scientifique, en charge d’améliorer notre connaissance des phénomènes de crue et de leurs conséquences, plus un comité économique, en charge de sensibiliser le monde économique à toutes les conséquences qu’un tel évènement entraînera et d’identifier les mesures susceptibles d’en minimiser les effets. Ces comités nous permettent de travailler en grand nombre sur des thématiques fortes, et de les croiser avec les préoccupations territoriales. La vision qui en résulte est élargie et partagée. Tous les acteurs concernés sont dans la boucle.


La préfecture de police : en première ligne au moment de la crise

La préfecture de police sera en première ligne lorsque que la crise démarrera, mais en lien très étroit avec la préfecture de la région d’Île-de-France qui assure toute une série de responsabilités en matière d’activité économique, de logement ou autre. Nous avons conçu nos réponses comme une espèce de gigantesque boîte à outils dans laquelle nous irons puiser tout ce dont nous avons besoin. Nous ne devons pas nous focaliser sur la crue de 1910, ni même sur celle d’une crue exceptionnelle, l’agglomération parisienne est susceptible de connaître quantité de crues intermédiaires. Selon les circonstances, nous aurons donc besoin de tout ou partie de nos moyens d’intervention, l’important étant d’être à même de s’adapter à la réalité de l’évènement.

La planification que nous faisons se fonde en conséquence sur la cote de 1910, mais en intégrant des scénarios plus extrêmes et aussi des scénarios moins extrêmes. Lorsque la crue atteindra le niveau de 1910, cela fera déjà un bon moment que d’importants problèmes seront apparus. L’objet est donc d’être à même de monter progressivement en puissance, en fonction des prévisions qui nous serons transmises par le service de prévision des crues (NDLR. Service de prévision des crues "Seine Moyenne Yonne Loing", installé entre Bastille et le quai de la Rapée à la DRIEE Île-de-France). Nous ferons aussi dès lors appel à un certain nombre de renforts en fonction des besoins : en premier lieu à l’armée. Les armées ont établi un plan, baptisé Neptune, qui prévoit la mise à disposition jusqu’à 10 000 hommes dès les premiers effets de la crise ; un premier exercice d’état-major a été conduit en décembre 2014 et les armées seront à nouveau un acteur majeur du grand exercice Sequana programmé en juin 2016 puisque 1 500 hommes y participeront – sur le terrain ou depuis le commandement opérationnel du chef d’état-major des armées. Mais l’exercice associera aussi des renforts étrangers, en provenance d’Italie, d’Espagne, de Belgique et de République tchèque car dans la réalité de la crise nous ferons aussi appel au mécanisme européen de protection civile ; c’est d’ailleurs à ce titre que l’exercice est dénommé EU Sequana 2016.

À la préfecture de police, nous ferons tout mais nous ne pourrons pas tout faire. Si une crue exceptionnelle va impliquer beaucoup les pouvoirs publics et tous les grands opérateurs, elle va d’abord impliquer le citoyen.


Un événement certain, dont seule la date est inconnue
Et auquel doivent se préparer les familles

L’agglomération parisienne peut très bien échapper à la crue pendant dix ans ou vingt ans, puis connaître deux crues majeures l’espace de trois ans. La difficulté que nous avons avec tout le monde est que le phénomène n’est pas prévisible ; pour beaucoup, qui ont d’autres préoccupations et d’autres soucis, la crue n’est pas une catastrophe imminente. L’Île-de-France n’a pas connu d’inondation majeure, ni d’ailleurs aucun autre évènement exceptionnel, depuis 1955 – ce qui fait plus d’une génération – et même en réalité deux générations. Cela nous différencie profondément des Italiens qui ont subi des tremblements de Terre, des Allemands ou des Tchèques qui ont subi des inondations et même de certains de nos concitoyens d’Outremer, régulièrement confrontés à des cyclones. Partout là-bas, ils apprennent de génération en génération comment se prémunir et agir. Ainsi s’agissant de crue, à partir du moment où le souvenir a disparu dans les familles, le phénomène disparaît de lui-même. S’y ajoute le sentiment que les progrès techniques nous épargneront les débordements survenus en 1910 ; et, de fait, des progrès ont été réalisés, les lacs-réservoirs en sont un. Pour autant, nous ne pouvons pas nous réfugier derrière l’idée que ces lacs ainsi que les murets qui ont été construits ici et là vont suffire.

Néanmoins, si le message la crue est difficile à faire passer, dès lors que l’attention public a pu être captée, sa réaction est plutôt positive. L’an dernier, la préfecture de police a initié une première opération de sensibilisation qui est rééditée cette année ; baptisée Plouf 75, l’opération vise en premier lieu les scolaires des établissements localisés en zone inondable et se prolonge un week-end pour tous les publics. Ce premier évènement a été l’occasion de mesurer la préoccupation de la population parisienne et de l’agglomération à l’égard du risque de crue. Le message que nous tentons de faire passer est de dire que dans ce type d’évènement chacun a  sa part à jouer et aussi ses responsabilités. La crue est un évènement que l’on prépare dans les administrations et les entreprises, elle est aussi un évènement que l’on doit préparer au sein des familles. À la préfecture de police, nous ferons tout mais nous ne pourrons pas tout faire. Si une crue exceptionnelle va impliquer beaucoup les pouvoirs publics et tous les grands opérateurs, elle va d’abord impliquer le citoyen.

Peu d’habitants recevront une injonction immédiate de quitter leur domicile. La préfecture de police va de préférence se placer sur un mode incitatif en conseillant l’éloignement aux citoyens les plus menacés. Ceci ne vaudra cependant que jusqu’à une certaine cote d’alerte. À partir du moment où les conséquences de la crue pourraient par exemple conduire la brigade des sapeurs-pompiers (BSPP) à l’incapacité d’assurer la protection incendie, les immeubles concernés seront évacués ; cela concerne notamment les immeubles de grande hauteur des bords de Seine dans le 15ème arrondissement, ceux de La Défense, mais aussi certains quartiers, notamment de la petite couronne, qui seront sous une hauteur d’eau  importante : certains quartiers de Gennevilliers, par exemple, connaîtront des hauteurs de submersion proches des 2 mètres.


La sécurité des personnes et des biens

Ces évacuations impliqueront de garantir la sécurité des biens : des logements laissés vacants, ainsi que des véhicules qui auront été sortis des parkings souterrains. Ces missions de surveillance pourront notamment être confiées à l’armée. Tout cela explique qu’un tel évènement est extrêmement consommateur en termes d’effectifs.

C’est aussi cela qui justifie que notre action porte aujourd’hui davantage sur les moyens de minimiser les conséquences d’une telle catastrophe que sur la catastrophe elle-même. La résilience de Paris se mesurera au temps que nous mettrons à remettre en route les systèmes, même si c’est au départ en mode dégradé. Cette démarche impliquera des mesures préventives, prises en amont, pour atténuer les effets de la crue, et préserver autant que possible le retour de l’activité. Ces mesures préventives pourront par exemple concerner la fermeture de la majorité des lignes de métro : il s’agira simplement d’éviter l’inondation et la mise hors de service des installations pour une longue période.

La difficulté pour nous sera de décider à quel moment prendre ces mesures qui seront effectivement contraignantes pour les Parisiens – et mal comprises par les populations, peu conscientes de la réalité du risque. Le service de prévision des crues nous donne une tendance à trois jours, une certitude à 24 heures – cela fait un délai très court. C’est ainsi que le maire de New York a, en janvier dernier, interdit la circulation après un avis de blizzard. Il a eu raison même si, en définitive, la tempête a été moins dure que prévue.

En janvier 1982, la Seine est montée à 6,18 mètres – sachant qu’à 6,20 mètres la SNCF prend la décision d’ennoyer préventivement le RER C. Les tendances du service de prévision étaient cependant à la baisse et la SNCF a décidé d’attendre pour déclencher l’opération. Ils ont eu cette fois raison puisque le lendemain s’amorçait la décrue. Mais passera, passera pas, la décision est toujours difficile. L’essentiel est d’avoir bien en tête les conséquences dans un cas comme dans l’autre – avec aussi tous les effets en chaîne qui en découleront.


Point de réconfort
Les acteurs seront chaque année davantage prêts

Nous avons aujourd’hui en région parisienne énormément de moyens – en groupes électrogènes, barques, parpaings et autres matériels divers – pour faire face à la crise. Quant bien même certains moyens manqueraient, ils pourraient être rapidement acheminés de province ou de l’étranger. Notre préoccupation à la préfecture concerne davantage toutes les opérations d’évacuation : des centres hospitaliers, des établissements de soins, des maisons de retraite, etc. Ces opérations demandent du temps, de l’organisation et de la maîtrise. Elles devront être décidées relativement tôt, avec le risque d’enclencher le mouvement et de voir la décrue s’amorcer. Mais cela vaudra mieux que de s’y prendre trop tard.

Les grands opérateurs sont aujourd’hui insérés dans notre dispositif de préparation à la crise. Nous comptons sur l’exercice EU Sequana 2016 pour sensibiliser les plus petits entrepreneurs et le grand public. Si nous continuons à travailler de cette manière, plus nous avancerons dans le temps, mieux nous serons préparés. Mais nous devons aussi envisager une survenue de la crue entre temps…

La crue est fondamentalement la pire catastrophe naturelle menaçant Paris. Nous devons tous en être conscients et nous y préparer, simplement. .

 

 ResSources
SGZDS La zone de défense et de sécurité est une circonscription territoriale destinée à coordonner la répartition des moyens lors d’une situation de crise dépassant les capacités du niveau départemental. La France métropolitaine est découpée en 7 zones de défense et de sécurité (Paris, Nord, Ouest, Sud-Ouest, Sud, Sud-Est, Est). On compte également 5 zones de défense et de sécurité Outremer.

La zone de défense et de sécurité de Paris est, contrairement à ce que son nom indique, un territoire plus vaste que la seule ville de Paris. Elle regroupe le département de Paris ainsi que les sept autres départements d’Île-de-France : les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne, les Yvelines, le Val-d’Oise, l’Essonne et la Seine-et-Marne. Le préfet de police de Paris – M. Bernard Boucault – est le préfet de zone. Il est assisté d’un préfet, secrétaire général qui, sous son autorité, gère plus spécifiquement la zone de défense et de sécurité au quotidien. Il s’agit de M. Jean-Paul Kihl.

Le SGZDS regroupe trois missions principales, qui se complètent mutuellement : la préparation à la crise (prise d’information, planification et organisation, exercices de vérification, etc.), l’intervention (application et adaptation des planifications selon la situation) et l'anticipation du retour à la normale.

Zone de défense et de sécurité de Paris – SGZDS, Préfecture de police de Paris

 

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