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Afrique, Le défi de la démographie et de l’urbanisation

Mots clés : Afrique, démographie, urbanisation, urbanisation subie, urbanisation maîtrisée, développement social et humain
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AFRIQUE
Le défi de la démographie et de l’urbanisation

 

On le sait, l’Afrique du XXIe siècle sera urbaine ; elle l’est déjà en grande partie. Mais cette "croissance" est-elle une aubaine ? La question est de savoir si l’Afrique pourra passer d’une urbanisation subie à une urbanisation maîtrisée, facteur de développement social et humain.  

Guillaume JOSSEDirecteur général de GroupeHuit

article paru dans la revue PROSPECTIVE STRATÉGIQUE
"Afrique, que fais-tu de tes talents ?", numéro 46 été 2017
H2o – juillet 2017

 

Depuis les années 1980 l’Afrique s’urbanise à marche forcée. Tous les pays sont concernés, même si certains connaissent une urbanisation plus tardive que d’autres. Partout des villes naissent et grossissent. Le mouvement est puissant et apparaît inéluctable.

On le sait, l’Afrique du XXIe siècle sera urbaine. Elle l’est déjà en grande partie. Les chiffres donnent le tournis : 500 000 nouveaux urbains par semaine en Afrique subsaharienne aujourd’hui ! Il faut rappeler que cette urbanisation diffère peu de celle qu’on connu d’autres régions du monde. Les grandes villes croissent, mais aussi les moyennes et les petites. En termes de réseau urbain, de morphologie, de densité, de mode de construction, d’organisation des services et d’infrastructures, de gestion, les villes africaines ne sont pas différentes des autres villes des pays du Sud. Il n’y a pas de villes africaines ; il y a simplement des villes en Afrique.

Beaucoup voient dans cette "croissance" urbaine une aubaine, on peut pourtant en douter. Car peut-on sérieusement penser que gérer une croissance démographique de 5 à 7 % par an pendant 20 ou 30 ans est positif ? Pour ceux qui gèrent les villes, certainement pas. C’est à la fois une formidable opportunité et un risque majeur. En effet, construire une ville et la faire grossir ne suffit pas, il faut des emplois, des soins, de l’éducation, des infrastructures, des services, etc. car puis-je raisonnablement penser me développer en tant qu’individu ou en tant que groupe si j’ai les pieds dans l’eau trois mois de l’année, si je ne peux pas être soigné, si je n’ai pas de revenus ou si je n’ai à disposition aucun moyen de me déplacer ? Développer les services et les infrastructures est absolument indispensable, il faut le marteler et rappeler que cela nécessite de l’argent, beaucoup d’argent.

Le premier enjeu est donc celui de l’aménagement des villes en Afrique. Si on veut qu’elles aient un avenir, un effort massif est nécessaire car ici tout est encore à construire. Il faut d’abord investir massivement pour rattraper le retard et anticiper la croissance future. Pour construire des routes, des canaux de drainage, des bâtiments, pour améliorer les services… Ces investissements devraient logiquement être financés par des prêts. Or, aujourd’hui, les villes d’Afrique n’ont pas accès à l’emprunt, l’éventuel prêteur n’ayant aucune visibilité sur leur capacité de remboursement à long terme, et ce faute de système de financement pérenne. Personne n’ose prendre un tel risque. Il faut le rappeler, les budgets des villes africaines sont incroyablement faibles : quelques euros par habitant et par an, 100 ou 1 000 fois moins que les pays de l’OCDE.

Cette faiblesse budgétaire (due entre autre à une collecte fiscale très faible) entraîne aussi un déficit permanent d’entretien et de maintenance. Faute de moyens, les uns après les autres, les investissements réalisés se dégradent et il faut alors recommencer. Par ailleurs, sans une administration suffisante, il est impossible de gérer le territoire, de contrôler l’urbanisation, d’anticiper… Aujourd’hui existe-t-il une seule ville subsaharienne en capacité d’empêcher l’urbanisation de zones inondables ? Probablement non. Pourtant ces actions de renforcement ne seraient pas très coûteuses comparées aux investissements. Mais elles nécessitent du temps, un engagement politique local sans faille et un changement profond de manière de faire des financeurs externes – financer le fonctionnement et plus seulement l’investissement.

Mais construire des villes n’est pas qu’affaire d’argent, même si les ressources financières sont indispensables. Une ville, c’est d’abord une société humaine, non une machine ! De plus en plus fréquemment l’urbain est abordé selon une approche systémique. De fait, tout est lié : l’investissement et le fonctionnement, l’environnement et l’économie, le politique et le social… Cette approche conduit souvent à voir et apprécier la ville comme une machine complexe, évolutive, mais une machine tout de même, dont la qualité du fonctionnement dépend de la finesse des réglages et de l’expertise de ses concepteurs et utilisateurs.  L’ultime avatar de cette pensée est le concept de "smart city", la ville intelligente car technologique. Grossière erreur : la ville n’est pas une machine, car l’homme n’en est pas une non plus.

La ville est le support d’une société. C’est  l’ensemble des citadins qui forment la ville. À cet égard, il n’y a pas de différence entre une ville et un village.  On ne peut réduire la ville à une construction technique et son avenir à une expertise ou une science. La construction d’une ville est un processus de maturation complexe et largement imprévisible. De ce point de vue les villes d’Afrique ont un avenir car malgré des moyens incroyablement faibles ces villes existent, actives, dynamiques, foisonnantes. Elles portent une culture propre, produisent de nouvelles relations sociales et des modes d’organisation singuliers. Les habitants innovent, aménagent, créent, malgré des contraintes qu’on a peine à imaginer.  

La question est de savoir si l’Afrique pourra passer d’une urbanisation subie à une urbanisation maîtrisée, facteur de développement social et humain. Pour cela il est urgent de donner aux villes les moyens de leur développement.

  

 L'auteur
Urbaniste-géographe, Guillaume Josse a plus de vingt ans d’expérience dans le développement urbain et l’appui aux collectivités locales, à la fois en bureau d’études techniques, en collectivité locale et à l’Agence française de développement. Il a piloté de nombreuses études de faisabilité et de planification urbaine, et mis en place des financements à l’endroit des collectivités locales tant en Afrique subsaharienne qu’au Proche-Orient, en Asie et en Amérique latine. 

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