H2o Magazine


Paris – novembre 2003
Le 1er Forum Mondial du Développement Durable boudé par les ONG

Mots clés : développement durable, eau, énergie, entreprises, environnement, Forum mondial du développement durable, FMDD, Paris
Dossier de
Martine LE BEC
  
December 2003
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Ni coopération, ni conflit, la plupart des associations et ONG ont préféré ignorer le premier Forum Mondial du Développement Durable qui a réuni à Paris, du 27 au 29 novembre dernier, quelques centaines de personnes. Organisé par la revue Passages avec le soutien affiché des autorités françaises (le Sénat, le ministère de l’Écologie et du Développement durable et le ministère des Affaires étrangères), ainsi que des entreprises (Areva, EDF, GDF, Pierre Fabre, Saur, Suez, Véolia Environnement, etc.), le Forum mondial du développement durable (FMDD) avait choisi, pour sa première édition, de mettre l’accent sur la double dimension conflictuelle et solidaire du développement durable. Trois secteurs avaient été définis : l’eau, l’énergie et la santé avec, pour chacun d’eux, plusieurs ateliers et sessions parallèles. Participaient aux travaux les deux instituts nationaux de recherche, le CNRS, Centre national de la recherche scientifique, et l’IRD, Institut de recherche pour le développement, ainsi que l’ADEME, Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. Plusieurs "fenêtres" internationales étaient prévues avec un "regard croisé franco-algérien" sur la santé, deux études d’accès aux services essentiels dans les métropoles (à Prague, en République Tchèque, et à Tianjin, en Chine), des ateliers sur la Méditerranée ou sur l’accès aux services dans les pays pauvres.

Défaut de forme ou faute d’intention ?

En définitive, un programme bien bâti, avec aussi une attention particulière portée au suivi du Forum. Programmé sur une périodicité annuelle, le Forum sera ainsi chaque année accompagné d’un rapport d’évaluation des actions et des politiques en faveur du développement durable, et dont la publication est prévue pour avril. Les recommandations y figurant découleront d’une grille d’analyse évaluant le travail des acteurs (entreprises, collectivités territoriales, institutions, établissements de recherche, associations) au regard des thèmes prioritaires dégagés.

Bien préparés et bien conduits, les débats se sont succédés sur les deux premières journées, permettant un état des lieux approfondi des trois grandes thématiques définies (l’eau, l’énergie et la santé). Aussi peut-on se demander : où a été la défaillance ? Et là la réponse ne laisse aucun doute : dans le pilotage. Financé sur la base de "partenariats", le FMDD a fait la part belle aux entreprises du secteur privé. Chaque atelier était parrainé par un groupe ou une institution que l’on retrouvait aussi à la tribune de chacune des sessions parallèles. Loin s’inscrire en faux avec les institutions et les associations, le FMDD estime que la prise en compte des exigences du développement durable passe prioritairement par les entreprises. Comme l’explique Yves Le Bars, coordinateur du Forum, "même s’il est loin de se résumer à cela, le développement durable a besoin d’avancer dans la logique propre aux entreprises, en s’appuyant en priorité sur l’innovation technologique, le dématérialisation de l’économie et la création d’emplois dans les pays du sud".

De là, le sentiment des associations de n’être conviées qu’à titre de faire valoir. "Si le développement durable ne peut probablement pas se réaliser sans des spécialistes et des experts motivés, voire militants, les organisations préfèrent décliner ces débats, persuadées que le processus sera un échec si les citoyens ne sont pas intégrés dès l’origine", concluait le communiqué conjoint de ATTAC, CAP21, Greenpeace et WWF. Championne dans l’organisation de conférences et colloques, la France peine à associer la société civile aux grands débats contemporains. Les conférences de citoyens, les Citizen Utility Boards ou les projets d'initiative locale sont ici complètement inconnus. Et le débat sur le développement durable n’est en ce sens que l’expression d’un "mal français" : celui de son incapacité à hisser la société civile au rang de partenaire à part entière.

Développement durable, le "mal français"

Contrairement à d'autres pays, la France ne consulte pratiquement pas les acteurs de la société civile, rappelle Robert Lion, président d'Agrisud International, ancien directeur général de la Caisse des dépôts. Sur le registre du verbe, depuis les fortes interventions de Jacques Chirac à Johannesburg en 2002, la France n'est pas en reste. Nous affichons deux ministres du Développement durable, un Conseil national, une "stratégie nationale" proclamée par le Premier ministre... Mais peu de choses changent en profondeur. "Le mal est du côté de l'État. Tel l'albatros du poète, il ne trouve ni la démarche appropriée ni la posture qui conviendrait sur un terrain aussi vaste, et surtout sur un dossier qui appelle radicalement la mobilisation et la mise en responsabilité des acteurs non étatiques. Avec ceux-ci, il sait mal dialoguer. Il les infantilise plus souvent qu'il ne les reconnaît." .



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Entreprises et développement durable


La prise en compte des exigences du développement durable par les entreprises est un des enjeux clé ; aussi, même s’il ne peut se résumer à cela, le développement durable a besoin d’avancer dans la logique propre des entreprises. Notre entretien avec Yves Le Bars, coordinateur du Forum.

Ingénieur général du Génie rural des eaux et des forêts
Président de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs – ANDRAancien directeur général du BRGM – Bureau de recherches géologiques et minières
et du Cemagref – Institut de recherche pour l'ingénierie de l'agriculture et de l'environnement
Membre de l’Académie de l’Eau

propos recueillis par Martine LE BEC

Quelle est l’ambition du FMDD ?

L’ambition du Forum est clairement politique. Il ne s’agit pas de fabriquer de nouvelles statistiques ou d’approfondir tel ou tel mode de gestion mais bien de construire la dimension politique du développement durable. Il s’agit de permettre aux chercheurs, aux entreprises, aux pouvoirs publics et aux associations de mettre en débat la finalité de leur action. Plus loin, il s’agit aussi d’imaginer comment le jeu des acteurs et la coopération peuvent répondre à la préoccupation de l’environnement. Le Forum est comme un passage qui doit permettre de construire une politique à partir de regards croisés. Aucune des deux approches, de Davos et de Porto Alegre, n’est à elle seule suffisante. Qu’ils soient du nord ou du sud, les dirigeants politiques, économiques ou sociaux doivent pouvoir se rencontrer, donner la mesure de leur engagement et exprimer les limites qu’ils voient à leurs actions : limites liées à leur légitimité propre, à l’insuffisance des moyens ou encore à l’absence de concertation… Il s’agit de voir comment peut-on vivre ensemble et concrètement le développement durable.

Vous évoquez la nécessité de regards croisés. Pour cette première édition, le Forum n’a cependant pas réussi à mobiliser les ONG. Comment analysez-vous cet échec ?

J’ai beaucoup regretté que certaines associations qui avaient accepté de participer au Forum aient "décroché" au dernier moment (NDLR : Greenpeace et WWF en l’occurrence), et d’ailleurs je n’ai toujours pas compris pourquoi elles ont renoncé. A l’avenir, nous allons bien sûr essayer d’associer davantage les ONG en amont. C’est aussi la première édition, dès lors que le profil du Forum sera mieux affirmé, les choses seront sans doute plus aisées. Il y a certainement un déséquilibre entre la sphère économique – les entreprises et les institutions financières, d’une part, et la sphère civile – les syndicats et les ONG, d’autre part ; ce déséquilibre, cette "asymétrie" des pouvoirs est aussi à tout moment menaçante. Mais ce n’est pas une raison pour refuser le débat, au contraire. On doit encourager les entreprises à travailler sur le long terme et se responsabiliser. Cela suppose un effort de compréhension mutuel de la part des entreprises et des associations. Le développement durable est d’ailleurs à ce niveau un excellent terrain d’exercice, qui doit permettre de regrouper, au-delà des diversités, l’économique, le social et l’environnement, les gens d’aujourd’hui et les générations futures. Qui plus est, la prise en compte des exigences du développement durable par les entreprises est un des enjeux clé du débat. Le développement durable, même s’il est loin de se résumer à cela, a besoin d’avancer dans la logique propre des entreprises, en s’appuyant en particulier sur l’innovation technologique, la dématérialisation de l’économie et la création d’emplois dans les pays du sud. Ce n’est pas parce que l’on ne voit pas encore clairement ni le but ni le chemin, ni parce que bien des ambiguïtés subsistent, qu’il ne faut pas avancer.

Le FMDD sera annuel alors que la majorité des rencontres de ce type s’inscrit sur un calendrier triennal. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

Le Forum est effectivement prévu pour se tenir tous les ans, à la veille du troisième week-end de novembre. Les sujets à traiter ne manquent pas. Nous avons envie d’aborder assez rapidement des thèmes comme la démographie et l’immigration, le financement des investissements ou encore la gouvernance. Le Forum sera aussi chaque année accompagné de la publication d’un rapport évaluant les actions et les politiques en faveur du développement durable. Les recommandations y figurant découleront d’une grille d’analyse évaluant le travail des acteurs au regard des thèmes prioritaires dégagés par le Forum. .

 


ResSources
Compétitivité économique et développement durable : réconcilier l’inconciliable ?, Thanh NGHIEM, membre bénévole de la direction générale du WWF – H2o décembre 2003