H2o Magazine


Florence – mars 2003
1er Forum Alternatif Mondial de l'Eau

Mots clés : Coalition Mondiale contre la Privatisation de l’Eau, Contrat Mondial de l’Eau, droit à l'eau, Florence, Forum Alternatif Mondial, ONG
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UN AGENDA POUR L'ACTION : LE DROIT À L'EAU

 

Alors que les industriels et les organisations des Nations unies se préparent au 3ème Forum International de l’Eau (Kyoto, 16-23 mars 2003), un certain nombre d’organisations ont décidé, à l’initiative du Comité international du Contrat Mondial de l’Eau et de la Coalition Mondiale contre la Privatisation de l’Eau, d’organiser ensemble à Florence, les 21 et 22 mars 2003, le 1er Forum Alternatif Mondial de l’Eau – FAME.

Pourquoi un forum alternatif ? Ses objectifs ? Son organisation ? Les initiateurs expliquent.

Pourquoi un Forum Alternatif Mondial de l’Eau ?

Ces cinq dernières années, la prise de conscience et la mobilisation de la société autour de la problématique de l’eau se sont développées, surtout auprès de ceux qui, en Amérique latine, en Asie et en Afrique, sont "victimes" d’un développement qui ne permet pas à plus de 1,5 milliard d’êtres humains d’avoir accès à une eau potable saine, ni à 2,4 milliards de bénéficier de services sanitaires.

Le sommet sur le développement "durable" de Johannesburg a démontré l’incapacité structurelle des groupes sociaux dominants – de plus en plus fidèles au nouveau credo universel capitaliste en ce qui concerne les principes et choix politiques prioritaires – de réaliser l’éradication de la pauvreté dans le monde et, par conséquent, de permettre à tous les êtres humains d’accéder au droit de vivre dignement et de participer aux décisions concernant son avenir et celui de la société entière.

Ce ne sera sûrement pas le 3ème Forum Mondial de l’Eau qui modifiera les décisions prises à Johannesburg. Créé à l’initiative du Conseil Mondial de l’Eau et du Global Water Partnership, institutions internationales privées créées sous l’impulsion de la Banque mondiale et des multinationales de l’eau (les compagnies françaises en tête) et avec le soutien des gouvernements de France, du Canada, des Etats-Unis, du Mexique, du Japon, de l’Égypte, etc. et des organisations des Nations unies actives dans le secteur (UNESCO, FAO, OMS, UNDP, UNEP...), ce Forum est l’expression de la nouvelle oligarchie mondiale de l’eau, telle qu’elle s’est constituée ces dernières années.

Cette oligarchie prétend déterminer et acter la politique mondiale de l’eau, selon le modèle qu’elle considère comme le plus efficace et rationnel, c’est-à-dire le PPP (partenariat public-privé, modèle de la privatisation de la gestion de l’ensemble des services de l’eau). Le PPP correspond, d’une manière générale, au modèle de privatisation "à la française" avec un zeste de privatisation à l’anglaise. En réalité, le modèle PPP de privatisation a surtout démontré être un instrument efficace de prise de contrôle politique et économique des ressources hydriques de la planète par des entreprises privées multinationales.

Le Forum Mondial de l’Eau de Kyoto sera une énième célébration de la prédominance du marché, du capital, de l’investissement privé et de l’eau devenue "or bleu", et possible source de nouveaux conflits et nouvelles guerres. Le Forum n’offre aucun espoir concret aux populations pauvres et opprimées de la planète.

Dans le même temps, la sur-exploitation et la dégradation des eaux douces de surface (rivières, lacs) et souterraines (nappes phréatiques) ainsi que des eaux salées (mers et océans) ne cesse de s’aggraver partout dans le monde. En Italie, par exemple, le territoire est désormais ravagé de façon chronique ; même les régions du Nord, pourtant riches en eau, connaissent désormais systématiquement des périodes de sécheresse graves, précédées ou suivies d’inondations toujours plus catastrophiques.

C’est pour ces raisons que nous avons pris la décision de ne pas participer au 3ème Forum Mondial de l’Eau du Conseil Mondial de l’Eau. Certaines des associations qui partagent la conviction que l’eau est un bien commun et soutiennent les principes d’une politique de l’eau orientée vers la reconnaissance du droit d’accès à la ressource, seront présentes à Kyoto, dans le but de combattre, de façon critique, les postulats et les thèmes encore une fois proposés par le Conseil Mondial de l’Eau et par le Global Water Partnership. Nous respectons leur choix. Notre initiative d’organiser un Forum Mondial Alternatif vise à réaliser un moment de rencontre autonome et différent.

Les objectifs du Forum Alternatif Mondial de l’Eau

Le Forum Social Européen de Florence a démontré que, en dépit de la volonté perpétrée depuis dix ans de discréditer et de marginaliser les mouvements alternatifs, ces derniers ne représentent pas uniquement un ensemble de voix qui mérite d’être écouté, mais ils mettent en action un processus crédible de mise en perspective et de réalisation de solutions différentes et celles proposées – de façon catastrophique – par les instances décisionnelles.

Avec le Forum Alternatif Mondial de l'Eau, nous voulons centrer le débat politique, civil, culturel et socio-économique sur les contenus, les choix politiques et es innovations à réaliser. Ce Forum Alternatif se proclame également "Mondial", au sens qu’il veut représenter un processus nouveau, entamé dans un lieu précis, Florence, pour promouvoir un chemin ouvert à tous ceux qui, avec des points de vue et des approches différentes, partagent les objectifs de ce Forum.

Ces objectifs sont :

  • Élaborer et proposer une série d'actions sur les plans législatifs, institutionnels, financiers, économiques, sociaux, et culturels, à réaliser au niveau mondial, régional, national et local, afin de assurer le droit à l’eau pour tous. Et ceci dans une vision intégrée de gestion et de tutelle de l'eau, respectueuse du cycle temporal et spatial.
  • Promouvoir des campagnes spécifiques pour soutenir le droit à l’eau pour tous, et la reconnaissance de l’eau comme un bien commun, dans un dialogue avec les communautés locales et les institutions de démocratie représentative directe.
  • Contribuer à renforcer les synergies entre les mouvements, les associations et les organisations de la société civile, actifs dans les domaines de l'eau, de l’environnement, de l'écologie, de la démocratie et des droits de l’homme et des droits sociaux.
  • Favoriser une responsabilité accrue en ce qui concerne les comportements sociaux et individuels, ainsi qu’une participation des citoyens à la définition des règles de gestion de l’eau et à leur respect.

Ces objectifs sont directement inspirés des principes énoncés dans le Manifeste pour le Contrat Mondial de l’Eau.

Le Forum Alternatif Mondial de l’Eau prend son essor à partir des revendications suivantes :

  • la reconnaissance constitutionnelle de l'accès à l'eau comme un droit humain et social, universel, indivisible et imprescriptible. Le Forum entend proposer des mesures concrètes en vue de donner et de garantir l’accès à l’eau à tous les habitants de la Terre ;
  • la reconnaissance constitutionnelle de l'eau comme bien commun (à tous les niveaux d'organisation de la société) qui appartient à la vie sur la Planète et de l'Humanité. Le Forum réaffirme son opposition à toutes les formes de privatisation et de "marchandisation" de l'eau et, par conséquent, à l'insertion des services hydriques dans la liste des services négociables dans le cadre des accords AGCS/WTO ;
  • la reconnaissance du financement collectif, public, pour la couverture des coûts nécessaires pour assurer le droit d’accès à l’eau pour tous pour tous et pour assurer la propriété, la gestion, la promotion et la conservation du cycle complet de l'eau en tant que "bien commun" ;
  • la promotion, le renforcement et le renouveau des pratiques de démocratie représentative dans le secteur de l’eau et l’aménagement du territoire, à partir des communautés de base autochtones jusqu’à la société mondiale (création d'une Autorité Mondiale de l'Eau, dotée de pouvoirs juridictionnels, législatifs et de sanction, comme c'est le cas actuellement, dans une approche purement technocratique, pour l’Organe de Résolution des Disputes du WTO.


L’organisation du Forum

Le 1er Forum Mondial de l'Eau est organisé par un Comité promoteur, composé, en tant que premiers signataires, du Comité international du Contrat Mondial de l’Eau et de la Coalition Mondiale contre la Privatisation de l'Eau. Ce Comité est ouvert à toutes les associations, mouvements et organisations des divers pays du monde, qui partagent les positions du Document de lancement du 1er Forum Alternatif Mondial de l’Eau.

L'organisation du 1er Forum Mondial est confiée à un Comité organisateur International composé d’associations et de groupes des différents pays du monde, actifs dans le domaine du droit à l’eau et contre la privatisation, prêts à s’engager concrètement dans la réalisation de l’initiative et l’organisation de séminaires thématiques.

Le Comité provisoire est actuellement par un premier regroupement d'organisations italiennes. La coordination du Comité organisateur est assumée par le comité italien du Contrat Mondial de l’Eau, ayant son siège à Milan, et représenté par son président Riccardo Petrella.

Les associations, groupes et mouvements qui partagent ce document, et sont intéressés à soutenir la réalisation du Forum Alternatif Mondial de l’Eau, ou à contribuer à la réalisation des séminaires thématiques, sont invités à adhérer au Comité promoteur à travers le site de la campagne www.contrattoacqua.it. Compte tenu de l’autofinancement du Forum, il est demandé une contribution (adhésion) de € 100 (cent euros) pour les associations et de € 250 (deux cents cinquante euros) pour les municipalités, régions et communes. Les modalités pour les versements sont indiquées sur le site www.contrattoacqua.it ou, pour la France, sur le site www.acme-eau.com.

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Manifeste du Forum Alternatif Mondial de l’Eau

LA POLITIQUE ACTUELLE DE L'EAU



La politique actuelle de l'eau,
dont les acteurs principaux sont : la Banque mondiale, les entreprises privées de l’Eau (Vivendi Environnement, Suez, RWE, Thames Water, Southern Water, Saur Bouygues, Bechtel, ACEA, Aguas de Barcelona... mais aussi Nestlé, Danone, Coca-Cola) et les institutions créées par elles en 1996 : le Conseil Mondial de l’Eau (organisateur du Forum Mondial de l’Eau), le Global Water Partnership, avec le soutien des organisations spécialisées des Nations unies,
et promue par des groupes sociaux partisans de la mondialisation de l’économie capitaliste de marché,

se base sur trois principes fondateurs (note 1) :

  • L’eau doit être considérée principalement comme un bien économique ("économique" dans le sens des principes de l’économie capitaliste de marché). Comme le pétrole, le blé et d’autres marchandises, l’eau peut être vendue, achetée, échangée ;
  • l’accès à l’eau est un besoin vital, pas un droit humain. Encore une fois, à Kyoto, on a assisté au refus de reconnaître l’eau comme un droit. La satisfaction du besoin est du ressort de chaque individu. Les êtres humains sont des consommateurs/clients d’un bien/service qui doit être rendu accessible à travers les mécanismes de marché. Pour les individus à faible revenu dans les pays riches, il revient à l’État d’appliquer des mesures sociales visant à garantir aux distributeurs d’eau la couverture des factures d’eau non payées ;
  • l’eau doit être traitée comme une ressource précieuse ("l’or bleu"). Elle est destinée à devenir toujours plus rare et donc stratégiquement importante. La sécurité hydrique "nationale" est un problème politique central. Les conflits à cause d’usages alternatifs concurrents au sein des pays et entre pays vont s’intensifier et se généraliser.

À Kyoto, à l’occasion du 3ème Forum Mondial organisé par le Conseil Mondial de l’Eau, les représentants des gouvernements, des organisations spécialisées de l’ONU et des entreprises multinationales privées ont réaffirmé que la politique de l’eau doit poursuivre les objectifs suivants :

  • promouvoir la gestion des ressources en eau de la planète suivant le modèle élaboré par la Banque mondiale. Ce modèle se fonde sur les mécanismes de marché et sur la fixation du "juste" prix de l’eau basé sur le principe du "full cost recovery", c’est-à-dire la récupération du coût total qui inclut un retour sur les investissements assez important, qui peut atteindre même un tiers du "coût" total ;
  • agir sur l’offre d’eau en mettant en valeur les ressources pas encore utilisées, en favorisant le transport de l’eau sur de longues distances et en essayant d’augmenter la quantité d’eau douce rendue disponible grâce, en particulier, au dessalement de l’eau de mer ;
  • agir sur la demande en promouvant les usages solvables plus rentables et en espérant réduire les gaspillages et les prélèvements excessifs par des manoeuvres sur les prix (marché de la pollution, principe "qui pollue paie…").

Dans la ligne de tels objectifs, la politique dominante de l’eau promeut et "impose" :

  • la libéralisation des services hydriques dans le cadre des négociations OMC/AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services), dont l’Union européenne figure parmi les plus fervents adeptes (et ce n’est pas un hasard, car les entreprises d’eau françaises, anglaises et allemandes sont les premières au monde) ;
  • la libéralisation, la déréglementation et la privatisation des services d’eau selon le principe de la conditionnalité imposé par la Banque mondiale et le FMI : un pays peut obtenir des prêts à condition qu’il libéralise, déréglemente et privatise le secteur (les secteurs) pour lequel (lesquels) il a sollicité le crédit ;
  • la priorité donnée à l’investissement privé. Cette priorité a été, une fois encore, "consacrée" par le rapport "Camdessus" sur le "Financing Water for All" présenté à Kyoto. D’après la déclaration finale du Sommet de Monterrey sur le financement du développement mondial et le rapport Camdessus, seul le secteur privé est en mesure d’assurer de manière "efficace" le financement des 100 milliards de dollars annuels supplémentaires qui, selon la Banque mondiale, (un montant exagéré) seraient nécessaires pendant 10 ans pour réduire de moitié, d’ici à 2015, le nombre de personnes n’ayant pas accès à l’eau potable ni aux services hygiéniques ;
  • la privatisation de l’ensemble des services d’eau selon le "modèle" PPP, Partenariat Public Privé.


Dérives et faillite de la politique actuelle de l’eau

Les chiffres parlent d’eux-mêmes :

  • 2,4 milliards de personnes vivent sans accès aux services hygiéniques ;
  • 1,5 milliard vivent sans accès à l’eau potable saine par conséquent ;
  • 30 000 personnes meurent chaque jour de maladies dues à l’absence d’eau potable et de services hygiéniques ;
  • 600 000 agriculteurs blancs en Afrique du Sud consomment pour l’irrigation 60% des ressources hydriques du pays, alors que 15 millions de citoyens de couleur n’ont pas accès à l’eau potable ;
  • 50 % des villages palestiniens n’ont pas d’eau courante, alors que toutes les colonies israéliennes en sont pourvues,
  • 85 % du volume des eaux des fleuves de France sont pollués,
  • 40 litres est d’environ la consommation quotidienne moyenne de la population des pays "en voie de développement". En Italie, elle est de 213 litres et aux États-Unis, de 600 litres ;
  • 11 % des ressources en eau douce de la planète se trouve au Brésil, mais 45 millions de Brésiliens n’ont pas encore accès à l’eau potable ;
  • 40 % de l’eau employée pour l’irrigation se perdent par évaporation ; les pertes en eau dans les aqueducs sont de 30 à 50 %, même dans les pays dits "développés" ;
  • 140 litres d'eau potable sont consommé en moyenne par un lave-linge pour un cycle standard , la chasse des toilettes utilise 10 à 20 litres à chaque usage, un lave-vaisselle 60 litres.

En réalité, la politique poursuivie jusqu’à présent n’a été bénéfique qu’aux grandes entreprises privées et à leurs propriétaires.

Au début des années 1980, les deux principales compagnies d’eau privées opérant au niveau international (Générale des Eaux, aujourd’hui devenue Vivendi Environnement, filiale de Vivendi Universal, Lyonnaise des Eaux, devenue Ondeo, filiale de Suez) n’assuraient la distribution de l’eau qu’à 300 000 personnes en dehors de la France. En l’an 2000 les personnes servies par des entreprises privées dans le monde sont 400 millions. La banque suisse privée Pictet a prévu, il y a trois ans, que le secteur privé servira à peu près 1,7 milliard de personnes en 2015 (si la tendance à la privatisation se maintient).

Et pourtant, la privatisation des services d’eau qui, sauf exceptions locales, n’a pas encore touché la Suisse, la Suède, les Pays-Bas, les États-Unis, le Québec…, ne s’est pas traduite nécessairement ni partout par une amélioration des services ou par une diminution des prix. Elle s’est encore moins traduite par une diminution de la corruption, ou dans la création d’un "cercle vertueux" des investissements. Dans la majorité des cas, surtout dans les pays du Sud, les prix sont montés en flèche, comme à Cochabamba en Bolivie, à Manille aux Philippines ou à Santa Fé en Argentine. La corruption a caractérisé l’assignation des concessions aux privés. L’endettement des pays pauvres a augmenté. L’amélioration des services dans ces pays a plutôt avantagé les groupes sociaux les plus riches.

Il est évident que l’inclusion des services d’eau dans le cadre des négociations pour l’AGCS se traduira par une grave amputation des pouvoirs démocratiques des États et en particulier des parlements régionaux et locaux en matière de régulation de l’eau sur le plan tarifaire, environnemental et social.

La privatisation signifie la privatisation du politique, c’est-à-dire le transfert du pouvoir – politique – de décision en matière d’allocation des ressources hydriques, à des sujets privés, par des sujets publics. La croyance nourrie par les sujets publics de conserver un pouvoir de contrôle sur les entreprises privées, par exemple en matière de fixation des tarifs, s’est révélée ce qu’elle est : une illusion.

Enfin, la privatisation de l’eau s’est traduite dans sa marchandisation et, donc, dans la marchandisation de la vie.

Dans ce contexte, le grand défaut de l’actuelle politique de l’eau est d’avoir démontré qu’elle est incapable :

  • de permettre à tous d’avoir accès à l’eau potable en quantité et qualité essentielles à la vie,
  • de promouvoir une utilisation et une valorisation "soutenables" des ressources en eau de la planète,
  • d'empêcher la multiplication et l’aggravation des "guerres de l’eau".


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Manifeste du Forum Alternatif Mondial de l’Eau

POUR UNE AUTRE POLITIQUE DE L'EAU

 

Nous proposons comme point de départ le droit à la vie pour tous en 2020 au plus tard.

L’objectif est de garantir le droit à l’eau aux 8 milliards de personnes qui habiteront la Terre en 2020, à toutes les espèces vivantes et aux générations futures, en garantissant également la "soutenabilité" des écosystèmes.

En ce sens, nous affirmons la valeur "sacrée" de l’eau au niveau symbolique et de l’imaginaire. Elle est l’expression de la vie, de la dignité humaine et de la nature, de la culture des peuples et de l’histoire humaine.
 

Principes fondateurs

1. L’accès à l’eau en quantité (40 litres par jour pour usages domestiques) et de qualité suffisantes à la vie doit être reconnu comme un droit constitutionnel humain et social, universel, indivisible et imprescriptible.

À ce propos, nous saluons avec satisfaction le "commentaire général" exprimé par le Comité des droits humains et sociaux des Nations unies, selon lequel l’accès à l’eau doit être considéré comme un droit humain.


2. L’eau doit être traitée comme un bien commun appartenant à tous les êtres humains et à toutes les espèces vivantes de la Planète. Les écosystèmes doivent être considérés comme des biens communs.

L’eau est un bien disponible en quantité limitée au niveau local et global. Aucun profit ne peut justifier un usage illimité du bien. Les gaspillages actuels constituent un vol perpétré aux dépens de la vie. C’est pourquoi, la propriété, le gouvernement et le contrôle politique de l’eau (en particulier la gestion des services hydriques) doivent être/rester publics, sous la responsabilité directe des pouvoirs publics.

C’est la tâche incessible des pouvoirs publics d’assurer et de promouvoir l’usage de l’eau dans le respect des droits humains, y compris ceux des générations futures, de la sauvegarde et de la valorisation intégrée des écosystèmes.

3. Les collectivités publiques (de la Commune à l’État, des Unions continentales à la Communauté mondiale) doivent assurer le financement des investissements nécessaires pour concrétiser le droit à l’eau potable pour tous et un usage "soutenable" du bien eau.

L’instrument le plus approprié est la mise en oeuvre d’un système fiscal progressif à finalité redistributive à tous les niveaux, du local au mondial, suivant une multiplicité et une modularité des mécanismes de collecte des ressources financières publiques en fonction des besoins et des niveaux territoriaux d’investissement.
Pour cela, il est indispensable – et on ne peut remettre à plus tard – de revoir le rôle et le fonctionnement des institutions financières multilatérales (BM, IMF, BERD, BEI, IBD, ABD…) et de définir de nouvelles institutions de financement de type coopératif inter-territorial et inter-national dans une logique de Partenariat Public Public.

4. Les citoyens doivent participer, sur des bases représentatives et directes, à la définition et à la réalisation de la politique de l’eau, du niveau local au niveau mondial.

La démocratie doit être au centre du "vivre ensemble", même au niveau mondial. On ne peut pas admettre que la mondialisation puisse être globale et réelle en ce qui concerne le commerce, la finance, la production, la consommation, les modes de vie, les flux culturels, alors que la démocratie s’arrêterait au niveau des États nationaux ou des continents – États, comme les États-Unis, la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil, l’Indonésie. Le concept de "gouvernance mondiale", mis en vogue par les dominants du "Nord" est une grande mystification.

La démocratie nécessite la promotion d’un "public" nouveau, démocratique, participatif et solidaire et la mise en place de lieux de participation directe, de proximité, qui incluent les citoyens et les communautés locales, les travailleurs et les travailleuses, les organismes locaux, et la valorisation de toutes les formes, différentes, qui, dans les divers continents et pays, représentent la richesse de l’expérience démocratique.

Objectifs prioritaires

Dans le but de rendre effective et concrète l’application des principes énoncés, nous nous engageons à promouvoir et à poursuivre la réalisation des objectifs prioritaires suivants :

1. La campagne "soif zéro". Tous les habitants de la Terre doivent avoir accès à l’eau potable pour 2020. "Soif zéro" doit devenir un objectif écrit, un engagement politique formel, reconnu par les différents États et par les organisations spécialisées des Nations unies avec la signature, justement, d’un "Contrat Mondial de l’Eau", avant la fin de l’Année Internationale de l’Eau.

Le Forum Alternatif Mondial de l’Eau propose que les Nations unies convoquent au début décembre 2003, en conclusion de l’Année Internationale de l’Eau, une journée spéciale pour l’approbation dudit Contrat, dont le texte ne devrait pas dépasser 100 lignes.

Si jamais les Nations unies snobaient cette proposition, les promoteurs du Forum Alternatif Mondial de l’Eau s’engagent à convoquer, en décembre 2003 (on a parlé de Bruxelles), avec un groupe mondial de parlementaires, "une assemblée des citoyens" pour la signature du Contrat, dans l’esprit de la "Déclaration de Porto Alegre" (février 2002), qui fut à la base de la constitution et de la "Coalition mondiale contre la privatisation et la marchandisation de l’eau" à l’occasion du 2e Forum Social Mondial.
La campagne "soif zéro" ne signifie pas réduire le droit à l’eau à des mesures d’assistance sociale en faveur des plus démunis, des "pauvres", ni donner la priorité aux investissements pour de grands travaux d’infrastructures.

C’est pourquoi nous proposons de :

2. Déclarer la pauvreté illégale. Vu le lien étroit existant entre pauvreté et non-accès à l’eau, la proposition "soif zéro" signifie pratiquement "pauvreté zéro ". Comme au XIXe siècle l’abolition de l’esclavage, déclaré illégal, a ouvert une ère de développement considérable des droits humains, civils, sociaux et politiques, ainsi la déclaration de l’illégalité de la pauvreté constitue un des objectifs prioritaires de la construction d’un "autre monde" et, dans ce contexte, d’une autre politique de l’eau.

Le Forum Alternatif propose que le lancement de la "campagne pour la déclaration de l’illégalité de la pauvreté" se fasse à l’occasion du G8 à Évian.

3. Soutenir les luttes en cours contre la construction de grands barrages en Amérique latine (surtout en Chine : le Forum exprime son appui aux populations victimes de la construction du gigantesque Barrage des Trois Gorges), en Afrique, en Russie, en Asie Mineure (en particulier dans le Kurdistan), en Europe (spécialement dans les pays de l’Est).

Il faut lutter contre les politiques de financement pour ces projets de la Banque mondiale et des autres institutions financières internationales, afin que les gouvernements, les parlements, les autorités locales, les entreprises appliquent les recommandations faites par la Commission Indépendante Mondiale sur les Barrages.

Même chose pour les autres grands travaux d’infrastructure (tunnels, principalement). La gestion du cycle de l’eau ne doit plus suivre une approche ingénieristique, mais une approche basée sur la protection des équilibres hydro-géologiques et environnementaux, dans le but de promouvoir et garantir l’épargne de l’eau. Nous sommes favorables à des interventions sur une échelle locale comportant des bas niveaux de risque technologique, social, humain, environnemental et culturel, et inspirées par les principes de précaution et de réversibilité, et nous donnons la priorité aux interventions visant à l’amélioration des activités de manutention et de services.

4. Promouvoir, contre la logique industrialiste et productiviste de l’agriculture actuelle, des systèmes agricoles diversifiés liés aux territoires, au cycle court production-consommation, à la sauvegarde et protection des processus écologiques, au développement, là où c’est possible, de cultures peu exigeantes en eau, et à une utilisation de l’eau fonctionnelle au travail agricole et aux intérêts des citoyens et non pour ceux de l’agro-chimie et de la grande distribution.

Nous proposons donc de nous engager à :

  • faire en sorte que l’agriculture et l’alimentation soient placés en dehors de l’OMC ;
  • faire changer la politique agricole de l’Union européenne, des États-Unis, du Canada et des autres pays de l’OCDE et interrompre les subsides aux exportations agricoles et à l’agriculture de la monoculture industrielle en les réorientant en faveur de l’agriculture paysanne soutenable ;
  • désintensifier et reconvertir les systèmes d’élevage actuels en faveur de modèles soutenables au plan social, économique et environnemental ;
  • défendre la "souveraineté alimentaire" des peuples, c’est-à-dire le pouvoir de décider en matière d’allocation des ressources pour la vie, comme principe de base d’une agriculture, d’une économie et d’une société justes et démocratiques.


5. Établir et, surtout, faire respecter, standards et normes visant à réduire et à éliminer les inacceptables niveaux actuels de pollution et de contamination de la planète provoqués par les activités industrielles et tertiaires
(énergie, tourisme…). Il est urgent de revoir l’organisation et le fonctionnement de l’International Standards Organisation (ISO) devenue toujours davantage un instrument contrôlé par les grandes entreprises mondiales dotées de grands moyens et infrastructures sur le plan de la R&D. Les entreprises privées de l’eau tentent de définir de nouvelles normes et standards en matière de qualité de l’eau, qui, comme le suggèrent les expériences européennes, tendent plutôt à garantir un contrôle oligopolistique des marchés par les entreprises plus fortes. Il faut, au contraire, poursuivre une politique sévère d’élimination de la pollution inacceptable. Le principe "qui pollue paie" ne doit pas être interprété dans le sens que qui paie peut se permettre de polluer, mais dans le sens de "qui pollue ne peut pas le faire". À cet égard, nous proposons la définition et la mise en oeuvre d’un système mondial de certification sociale, communautaire et soutenable de l’eau, en fonction des objectifs et des critères exprimés par le "Contrat Mondial de l’Eau".

Un tel système constitue un instrument essentiel pour définir et suivre les mesures pratiques, indispensables et urgentes qu’il faut prendre pour éliminer les prélèvements d’eau excessifs et les énormes gaspillages pratiqués au niveau de l’agriculture, des activités industrielles, des usages domestiques et des activités tertiaires, spécialement tourisme et sport (nous faisons référence aux terrains de golf, qui constituent un des exemples de grands gaspillages d’eau).

6. Et, surtout, lutter contre les diverses formes de privatisation des services d’eau, y compris l’ouverture au capital privé des sociétés publiques de gestion des services de distribution de l’eau et de traitement des eaux usées. L’objectif est de maintenir, et de ramener, dans la sphère des droits, et, donc, dans la sphère publique (donc dans la sphère de la démocratie) l’ensemble des services d’eau, en en améliorant la gestion et le contrôle à tous points de vue (financier, technologique, administratif, qualité, sûreté, participation des citoyens) dans l’intérêt général. On considère fondamental que les pouvoirs publics soient en mesure de planifier l’usage de l’eau et d’en suivre au fil du temps la quantité et la qualité, ainsi que l’efficacité des mesures adoptées (y compris la manutention) et des modalités de gestion de la part des usagers et des organismes de gestion.

L’alternative à la privatisation, c’est la démocratisation de l’eau. L’alternative à l’ancien PPP (Partenariat Public Privé), c’est le nouveau PPP (Partenariat Public Public), c’est-à-dire le partenariat fondé sur des processus innovateurs de coopération entre institutions et organismes publics, avec la participation directe des citoyens (dans le contexte de la démocratie participative) visant, entre autres, à soutenir et à diffuser de nouvelles expériences d’économie publique et d’économie sociale.

7. Dans cette perspective, nous nous donnons comme objectif de promouvoir la démocratie de l’eau à tous les niveaux et en particulier au niveau des bassins, surtout des grands bassins hydrologiques mondiaux (sur 262 bassins mondiaux, 260 sont transnationaux).

Il est urgent de promouvoir la démocratie des rivières, c’est-à-dire la création d’"assemblées représentatives des citoyens" des différents pays appartenant au même bassin hydrologique pour décider ensemble, sur des bases coopératives et solidaires, en matière de valorisation et usage intégrés des eaux et du territoire du bassin.

Actions : modalités et engagements

Vingt ans ne sont pas beaucoup, mais peuvent être suffisants pour "construire les bases" et les structures principales d’un "autre monde", en particulier pour garantir le droit à la vie pour tous et la valorisation et la protection de l’eau en tant que bien commun.

Pour mettre en pratique les objectifs mentionnés, nous nous engageons pour les actions suivantes :

1. Soustraire les services hydriques aux services considérés comme services industriels.

2. Organiser la mobilisation des citoyens en faveur de l’exclusion des services publics des négociations de Cancun de l’OMC/AGCS. Les services publics (spécialement l’eau, la santé, l’éducation, les transports en commun…) ne peuvent être transformés en services marchands. Il faut, au contraire, agir en faveur de la création de services publics mondiaux à partir de la promotion de services publics continentaux inter-nationaux, par exemple au niveau de l’Union européenne. La création du Marché Unique Européen ne doit pas se traduire par une substitution des monopoles publics nationaux par des monopoles privés locaux et des oligopoles privés européens. L’Union européenne doit retirer ses demandes de libéralisation des services essentiels, en particulier l’eau, aux pays tiers et abandonner la préférence donnée à la gestion privée de l’eau, avancée aussi dans le cadre de l’Initiative EU pour l’Eau (EU Water Initiative).

Nous demandons à tous les parlementaires européens que le droit à l’eau soit inscrit dans la nouvelles "Charte constitutionnelle" en phase d’élaboration par la Convention européenne.

En outre, le Forum Alternatif Mondial de l’Eau propose la constitution d’un Service Public Européen financé par l’Union européenne, sous contrôle permanent et transparent du Parlement européen en étroite coopération avec les différentes composantes de la société civile et des mouvements sociaux. Dans la même ligne d’action, on doit oeuvrer pour la formation d’un Service public africain, de la Méditerranée, de l’Amérique centrale, de l’Amérique du Sud…

3. Promouvoir la remunicipalisation des services d’eau (le prochain cas de la France sera un test important).

4. Organiser des campagnes de mobilisation des citoyens pour un système de financement public local, national, international et mondial du droit à l’eau et de l’eau comme bien commun, basé sur un système fiscal progressif à finalité redistributive à tous les niveaux. Parmi les mesures à prendre, nous proposons :

  • au niveau local : création de caisses d’épargne et de fonds mutuels régionaux et interrégionaux à finalité publique et sociale ; dans l’attente du retour à la gestion publique des eaux minérales (voir point e), prélèvement d’une "water tax" sur la consommation et sur les revenus des eaux minérales ;
  • au niveau régional et national, réinvestissement des plus-values dérivées de la gestion publique dans des activités d’amélioration des structures de gestion du cycle intégré de l’eau ;
  • au niveau international et mondial : prélèvement d’un pourcentage sur l’usage des énergies non renouvelables ; abandon du principe de conditionnalité de la part de la Banque mondiale sur les prêts pour des investissements dans le secteur de l’eau, de la santé, de l’éducation, de l’alimentation ; création de nouvelles institutions financières internationales et mondiales de type coopératif et mutualiste pour le financement des biens et des services communs mondiaux (entre-temps, d’ici là réallocation des 347 milliards annuels des subsides à l’agriculture intensive en faveur d’une agriculture pour l’alimentation locale et le droit à l’alimentation et à l’eau pour tous). La Banque mondiale et les Institutions Financières Internationales, qui ont promu un modèle de développement non soutenable, doivent prendre la responsabilité de mitiger les impacts négatifs des infrastructures existantes et des privatisations déjà intervenues en dédommageant les communautés et les Etats pénalisés par leurs actions.

Dans ce contexte, renforcer et multiplier la solidarité entre les villes, les campagnes et les peuples au-delà des frontières stato-nationales moyennant des instruments de coopération (et non pas d’aide humanitaire) tels que les fonds d’investissement communs entre villes de plusieurs continents pour des projets à réaliser ensemble ; création de caisses d’épargne de fonds mutualistes destinés au financement de programmes régionaux de développement de biens et services communs. Le prélèvement d’un centime d’euro au m³ destiné à alimenter le financement de projets de solidarité est un exemple "pédagogique" de l’urgence de l’action. Personne ne pense que ce soit la solution : le transfert de fonds, parmi tant d’autres mécanismes, est utile dans la mesure où il fait partie intégrante d’une politique commune de coopération et de financement pour la réalisation d’objectifs communs et la transformation de l’économie actuelle.

5. Élaborer et faire approuver au niveau des collectivités locales et régionales la "Charte des services d’eau", partie intégrante d’une "Charte locale des biens communs et des services publics".

Dans ce cadre, nous proposons le retour à la gestion publique des eaux minérales, toujours davantage aux mains d’entreprises privées et dominées par deux géants, Nestlé et Danone, respectivement n° 1 et n° 2 mondiaux de l’industrie des eaux en bouteille. La privatisation des énormes profits engendrés par le business des eaux minérales est inacceptable.

6. Renforcer les campagnes de sensibilisation et de mobilisation des citoyens (les jeunes en particulier) à tous les niveaux d’éducation et de formation, en favorisant la constitution de lieux et de temps alternatifs d’observation de recherche et d’information. Il est urgent d’entreprendre un travail collectif et permanent de (auto) éducation sur les problématiques de l’eau.

Les solutions aux problèmes de l’eau dépendent essentiellement des valeurs et des comportements individuels et collectifs. Prendre soin de l’eau doit devenir une des valeurs de base enseignées dans les écoles.

Dans le même ordre d’idées, redonner place et valeur à l’eau dans les lieux publics (squares, gares, jardins, aéroports, stades, écoles…) en réintroduisant "des points d’eau", doit devenir une des lignes de force de la construction d’une nouvelle "ville".

Il faut également doter les institutions publiques d’une capacité permanente d’évaluation des politiques communes, fondée sur la plus large participation possible des citoyens et des représentants de la société civile. Les expériences allant dans ce sens sont nombreuses, par exemple au Québec, aux Pays-Bas, en Suède… Nous proposons la rédaction et la diffusion d’un "manuel d’évaluation" des politiques de l’eau, à l’usage des pouvoirs locaux, conformément à la certification sociale, déjà abordée plus haut (voir aussi le point suivant).

7. Enfin, nous proposons d’instituer une Autorité Mondiale de l’Eau, sur des bases démocratiques représentatives, avec une triple fonction :

législative : il s’agirait d’un organe représentatif (un Parlement Mondial de l’Eau), chargé d’élaborer et d’approuver les règles mondiales de base pour une valorisation et une utilisation solidaires et durables du bien eau ;
juridictionnelle : nous proposons, en fait, la création d’un Tribunal Mondial de l’Eau (organe de résolution des conflits en matière d’utilisation de l’eau) ;
et de contrôle : nous pensons à un organe d’évaluation et de suivi des financements publics pour des projets d’actions communes, internationales et mondiales (une Agence d’évaluation). .