H2o Magazine

Le droit humain à l'eau et à l’assainissement des femmes sans-abri et migrantes à Paris

Mots clés : personnes sans-abri isolées, femmes, indigentes, jeunes sans formation, chômeuses, migrantes, enfants, accès à l'eau, à l'assainissement, à l'hygiène

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Le droit humain à l'eau et à l’assainissement
DES FEMMES MIGRANTES SANS-ABRI À PARIS

Vivant pour la plupart dans la rue, dans des squats ou des camps informels à Paris et aux alentours, les femmes migrantes sans-abri dépendent des services de base offerts par la ville mais n'y ont pas toujours accès. Un rapport d’étude réalisé par la Coalition Eau et Sciences Po met en lumière les défis persistants auxquels certains groupes sont confrontés en matière d'accès à l'eau et à l'assainissement en France avec un focus sur les femmes sans-abri et migrantes à Paris, groupe particulièrement sensible, en matière d'accès, de sécurité et de santé.

Martine LE BECsur le rapport d'étude de COALITION EAU – SCIENCES PO

 images : Bains-douches municipaux, Paris.fr – Bains-douches Castagnary
H2o – novembre 2020

 

Le défaut d’accès à l’eau et à l’assainissement affecte aussi les pays "développés". Ainsi, en France métropolitaine, l’accès à des installations sanitaires gérées en toute sécurité est estimé à 88,4 % de la population, ce qui fait que 7,5 millions de personnes qui n’y ont pas accès. 1,4 million de personnes sont sans un accès permanent et abordable à l’eau potable et 5 235 000 personnes en situation précaire – telles que les personnes sans-abri et les personnes vivant en bidonvilles – utilisent les services de base offerts par l'État ou les collectivités locales tels que les fontaines, les toilettes et les douches publiques. L'exclusion systématique de certaines personnes de l'accès à un besoin aussi fondamental de la vie humaine est inacceptable. L'eau et l'assainissement sont des droits humains, ce sont des conditions de base pour une vie dans la dignité. En France, les femmes migrantes sans-abri constituent un groupe particulier qui risque d'être exclu. Vivant pour la plupart dans la rue, dans des squats et dans des camps informels à Paris et aux alentours, ces femmes dépendent des services publics mais n'y ont pas toujours accès. Un rapport d’étude réalisé par la Coalition Eau et Sciences Po, met en lumière les défis persistants auxquels certains groupes sont confrontés en matière d'accès à l'eau et à l'assainissement en France avec un focus sur les femmes sans-abri et migrantes à Paris, groupe particulièrement sensible, en matière d'accès, de sécurité et de santé. 

La pandémie de COVID-19 exacerbe les inégalités en matière d’accès à l’eau et à l’assainissement et les vulnérabilités touchant les personnes sans-abri. Alors que les personnes ont été confinées chez elles, la vulnérabilité de ceux et celles qui n'ont pas de logement s’est accrue. Si le lavage des mains apparaît comme la meilleure mesure préventive pour éviter de contracter ou de propager des maladies et en particulier le Coronavirus, cette consigne est impossible à respecter pour les personnes les plus vulnérables, qui vivent au quotidien sans équipements d’accès à l’eau et d’hygiène. Non seulement les personnes sans-abri sont plus exposées à la contamination par le virus, mais elles courent également un risque plus élevé d'être confrontées à des symptômes graves et sont matériellement incapables de participer aux gestes de prévention. Plus que jamais, la crise montre l'indispensable nécessité d'un accès garanti, propre et sûr à l'eau potable et à l'assainissement, non seulement pour se laver les mains mais aussi pour maintenir son hygiène, sa santé et son bien-être général. Elle démontre aussi que la santé publique est un bien commun, partagé, et que de la santé des uns dépend la santé des autres. Si une partie de la population n’a pas accès à l’eau et à l’hygiène, c’est toute la société qui est vulnérable. Les inégalités mettent en danger la santé de tous. Les recherches montrent que lorsque l'eau n'est pas reconnue comme un droit humain, et lorsque les femmes et d'autres groupes ne sont pas inclus dans la prise de décision en matière de politique urbaine, cela a des conséquences douloureuses sur la santé et le bien-être de ces groupes. Sur la base de ces conclusions, le rapport présente quelques points d'action clés pour les décideurs afin de garantir que le droit à l'eau et à l'assainissement soit respecté, protégé et réalisé pour chaque personne en France métropolitaine.


Sans-abris, sans-papiers ou dans des logements précaires : les chiffres

Le nombre officiel de personnes sans-abri est de 141 500, mais diverses organisations estiment qu’elles sont entre 200 000 et 300 000, dont plus du tiers à Paris.  Les femmes représenteraient entre 12 et 40 % ; leur nombre aurait d’ailleurs beaucoup augmenté ces dernières années depuis la crise de l’accueil des réfugiés de 2015. Selon Féminité Sans Abri, le nombre de femmes en situation de rue à Paris a augmenté de 70 % au cours des 10 dernières années. 

Par ailleurs, on estime à plus de 300 000 le nombre de sans-papiers en France, dont 40 % sont aussi concentrés à Paris ou dans ses environs. Bien qu'au total, les migrants ne représentent que 9 % de la population française, ils constituent 40 % des 8,8 millions de personnes vivant dans la pauvreté en France, et ces chiffres sont plus élevés dans les zones urbaines, dont une fois de plus à Paris. 

Plus de 3 600 personnes dorment chaque nuit dans les rues de Paris et sa couronne. Mais, outre le sans-abrisme, de nombreuses personnes vivent dans des conditions de logement très précaires ou sont privées de logement personnel et restent temporairement logées chez des connaissances. Nombreuses sont aussi les personnes résidant dans des logements informels, tels que les squats, bidonvilles ou campements improvisés, bien que ceux-ci soient de plus en plus souvent démantelés par les autorités locales.


Les femmes migrantes sans-abri : les plus vulnérables

À Paris, 22 % des personnes sans-abri isolées sont des femmes ; y figurent des indigentes, des jeunes sans formation, des chômeuses, des sans-abri, des migrantes.  Un tiers d’entre elles sont accompagnées d'enfants

La vie dans la rue est très différente pour les femmes et pour les hommes. Alors que les hommes ont tendance à former des groupes et des réseaux entre eux, les femmes sont beaucoup plus susceptibles de s'isoler des autres pour se protéger. Dans certains cas, les femmes cherchent à se protéger grâce aux hommes, mais cela crée souvent un faux sentiment de sécurité car elles peuvent être agressées, notamment sexuellement, par leurs "protecteurs". Alors que les hommes sans-abri se trouvent principalement dans le nord de Paris, en particulier dans les XVIIe, XVIIIe et XIXe arrondissements, les femmes sans-abri se concentrent davantage dans le sud et le centre de la ville car cela est plus sûr pour elles. 

Cependant, de nombreuses femmes sans domicile sont très mobiles et, bien qu'elles puissent rester dans un quartier, elles se déplacent beaucoup pour éviter d'être identifiées par des agresseurs sexuels. Les femmes sans-abri peuvent avoir accès à un hébergement, à travers les services du 115, où elles peuvent avoir accès à de l’eau courante, des douches et des toilettes. Néanmoins, la plupart des centres d’hébergement sont mixtes, mais accueillent surtout des hommes puisqu’ils représentent la majorité des personnes sans-abri, et les femmes ne se sentent pas en sécurité dans les lieux. De nombreuses femmes ont été victimes d'agressions sexuelles dans les centres, tant de la part du personnel que d'autres hébergé(e)s, et elles évitent donc souvent ces lieux mixtes. Du fait de la disponibilité des places, alors qu’un homme seul et isolé a 63 % de chances d'être hébergé pour la nuit, une femme seule et isolée n'a que 23 % de chances d'accéder à un hébergement lorsqu'elle appelle le 115, selon la Croix-Rouge. En raison du manque d’accès à des hébergements stables, les femmes en situation de rue dépendent des services publics de la ville pour avoir un accès à l’eau et à l’assainissement afin de pouvoir se laver, notamment pendant leur menstruation, faire leurs besoins, entretenir leurs vêtements et boire de l’eau.

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La situation à Paris

Mesurer les distances et le temps de collecte par rapport à la localisation des personnes sans-abri est difficile en raison de leur itinérance et de leur mobilité constante, néanmoins l’étude a pu établir un rapport entre le nombre de personnes sans-abri et les points d’eau et d’assainissement accessibles dans les différents arrondissements. Ainsi, en hiver, on compte en moyenne une fontaine d’eau potable pour 40 personnes sans-abri et une toilette publique – ouverte 24h/24h – pour 21 personnes sans-abri. 

Mais la question de l’accès à l’eau ne se limite pas à un accès convenable à l’eau potable, l’hygiène personnelle doit également être prise en compte. En effet, en matière de douches accessibles aux femmes sans-abri – mixtes et spécifiques aux femmes – il y a en moyenne une infrastructure avec des douches pour 92 personnes.

La ville met à disposition des douches municipales en cabine individuelle, elles sont gratuites et les usagers doivent se rendre avec leur propre serviette et ce dont ils ont besoin pour faire leur toilette. Cependant le manque de produits d’hygiène personnelle devient ainsi un frein supplémentaire à la possibilité pour des personnes sans-abri de se laver convenablement puisque nombreuses d’entre elles n’ont pas les moyens d’accéder à ce type de produits. Des Espaces Solidarité Insertion (ESI) et d’autres structures associatives proposent également des espaces pour se laver, et fournissent parfois shampoing et savon gratuitement. Ainsi, parmi les 36 douches publiques accessibles aux femmes, on trouve : 16 douches municipales mixtes (hommes/femmes) ;  20 structures associatives avec un espace hygiène/douches, dont 16 sont mixtes (hommes/femmes) ; deux sont spécifiques à l’accueil de familles et une seule est spécifique pour les femmes isolées sans enfants et une seule autre, spécifique pour les femmes isolées ou avec enfant en difficulté, notamment confrontées à la violence conjugale. 

Cependant, seulement 10 % des usagers des douches publiques sont des femmes. La majorité des services proposés étant mixtes, de nombreuses femmes évitent de fréquenter ces lieux par crainte de subir une agression. 30 % d’entre elles préfèrent avoir recours aux toilettes publiques ou à celles présentes dans des bars et restaurants pour se laver, au lieu d’utiliser les services des douches publiques. Le manque de douches pour femmes les oblige souvent à faire de très nombreux kilomètres pour aller prendre une douche en toute sécurité.

Concernant les toilettes publiques, Paris intra-muros compte 421 toilettes publiques ouvertes 24 heures/24 ou une partie de la journée seulement, alors qu’il existe un total de 750 infrastructures. Si ce nombre peut paraître élevé, lorsqu’on se penche sur le détail des infrastructures, le nombre de toilettes publiques accessibles aux femmes sans-abri diminue peu à peu en fonction des horaires d’ouverture, de leur mixité, du fait d’être payantes ou pas, et de leur adaptation à leurs besoins spécifiques. Tout comme les douches publiques, la mixité des toilettes décourage les femmes sans-abri de les utiliser. Selon le rapporteur spécial sur le droit à l’eau et à l’assainissement au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, Léo Heller, la mise à disposition de toilettes spécifiques aux femmes est fondamentale : "De nombreuses installations publiques ont le même nombre de WC pour les hommes et les femmes alors que, dans la pratique, les femmes et les filles doivent souvent faire beaucoup plus longtemps la queue pour les toilettes que les hommes. Elles portent des vêtements plus longs à enlever que ceux des hommes et passent aussi du temps à aider les enfants aux toilettes."

La non-séparation de genre dans les toilettes est d’autant plus importante la nuit où le nombre de toilettes disponibles se réduit encore plus. En continu, 24 heures/24, il n’y a que 157 toilettes accessibles aux femmes sans-abri sur les 421 ouvertes à Paris. Selon la Fondation Lecordier, de nombreuses femmes sans-abri dorment pendant la journée et restent pour la plupart éveillées pendant la nuit pour des raisons de sécurité. C’est pourquoi il est nécessaire d’avoir des infrastructures avec des horaires d’ouverture nocturnes puisque c’est à ce moment-là que les femmes sans-abri sont plus actives et peuvent en avoir plus besoin. Lorsqu'elles doivent passer la nuit dans la rue, les femmes sans-abri sont plus susceptibles de se cacher dans des espaces isolés, tels que des jardins publics ou des parkings. D'autres espaces relativement sûrs se trouvent près des hôpitaux ou à l'intérieur des gares de train ou de métro, ou même dans le bus. Non seulement il est nécessaire de créer des lieux accessibles en continu mais il faut aussi être en mesure de garantir un usage sécurisé la nuit au moment où les femmes sans-abri sont les plus exposées.

Alors qu’un tiers des femmes sans-abri à Paris sont accompagnées d'enfants, seulement 9 toilettes publiques possèdent une table à langer pour les bébés et jeunes enfants, parmi l’ensemble de toilettes publiques dans Paris intra-muros. Les toilettes avec tables à langer étant situées dans des squares et des jardins, leur accessibilité est donc contrainte aux horaires d’ouverture des lieux. Pendant la période hivernale, après 17 heures, les femmes en situation de rue n’ont donc plus aucun accès à des tables à langer pour changer leurs enfants. Face à cette situation, les femmes sans-abri doivent se tourner vers des centres d’accueil ou d’hébergement pour accéder à des installations adaptées à leur situation et pouvoir prendre soin de leurs enfants. En d’autres mots, entre 17 heures et 9 heures du matin, l’État français ne parvient pas à remplir ses obligations en matière de santé et d’hygiène, notamment vis-à-vis des enfants en situation de rue !

Concernant enfin les fontaines d’eau potable : pendant la période hivernale, parmi les 1 200 fontaines d’eau potable existantes dans la ville, seulement 83 d’entre elles sont accessibles directement depuis la rue, en continu et en libre-service. Il existe aussi environ 20 autres fontaines situées dans les jardins et les parcs. Cependant elles ne sont accessibles que pendant des horaires d’ouverture. Grâce aux visites effectuées sur place, il a été constaté que dans les sanisettes de Paris, équipées d’un point d’eau potable à l’extérieur et gérées par JCDecaux, seules les cuvettes sont fournies en eau pendant l’hiver. En effet, il n’y a pas d’eau mise à disposition pour le lavage des mains au niveau du robinet, ni à l’extérieur de la sanisette où normalement il est possible de trouver de l’eau potable en libre-service. 

Lorsqu’on prend en compte les sanisettes de JCDecaux et les fontaines d’eau potable d’Eau de Paris, il y a au total 1 618 points d’eau dans ville. En hiver, seulement 5 % restent en fonctionnement et sont accessibles en continu. Malgré le fait qu’Eau de Paris prenne en compte les populations sans-abri dans leur choix de fontaines à maintenir ouvertes pendant l’hiver, cela ne se traduit pas par un nombre de points d’eau proportionnel au nombre de personnes en situation de rue, comme on pourrait le croire. Si la prise en compte de ces populations semble être plus ou moins respectée dans le XXe arrondissement (10 points d’eau potable pour 156 personnes sans-abri) cela est moins le cas dans des arrondissements, tels que le XVIIIe et XIXe arrondissements, qui ont une plus forte concentration de personnes sans-abri (respectivement 6 et 5 points d’eau potable disponibles pour 507 et 466 personnes sans-abri).


Une information plus rigoureuse

Afin de connaître la localisation des différentes infrastructures, de nombreux services sont disponibles dans Paris. La ville met à disposition chaque année le "Guide de la Solidarité", en format électronique ou imprimé à récupérer dans les centres d’accueil ; il regroupe toutes les informations concernant l’accès aux douches, fontaines d’eau potable, centres d’accueil et autres. Y sont associées des cartes interactives accessibles sur des applications mobiles. Néanmoins, les informations fournies dans ces applications se réduisent aux types d’infrastructure (pour les fontaines) et aux horaires d’ouverture (pour les toilettes publiques) alors que la question de leur état de fonctionnement devrait être aussi abordée. Et parfois, les services sont fermés, sans raison apparente et, évidemment, sans aucune alerte.

Alors, prenez un sac de 12 kilogrammes (poids moyen du paquetage d’un sans-abri), sans même vous encombrer de votre gamin, et maintenant allez chercher en fin d’après-midi un bains-douches où vous pourrez vous laver, vous réchauffer et peut-être, avec un peu de chance, sécher vos vêtements trempés par une bruine incessante. Bon courage à vous. ▄

 

 ResSources
Rapport final : Droit à l'eau des femmes sans-abri et migrantes à Paris – Coalition Eau 

Ce rapport a été réalisé, en partenariat avec la Coalition Eau, par trois étudiantes du master Human Rights & Humanitarian Action de Sciences Po dans le cadre de la Clinique de Droit de Sciences Po, programme Human rights, Economic Development and Globalization (HEDG). 
Dans le cadre de ce programme, les étudiants suivent un cours Clinique consistant en une formation intensive, à la fois théorique et pratique, autour de ces thématiques. En parallèle de ce cours, ils consacrent chaque semaine une demi-journée de travail en équipe sur un projet confié à la Clinique par un partenaire. Ces projets se déclinent autour d'un travail d'assistance d'ONG, d'institutions juridictionnelles et quasi-juridictionnelles, d'organisations internationales ou professionnelles ou encore de cabinets d'avocats spécialisés sur les questions liées aux droits humains et à la globalisation économique à l'échelle transnationale et dans des pays en voie de développement.