H2o Magazine

De l'eau douce grâce à des voiles

Mots clés : production eau douce, mers tropicales, voiles, venturis, condenseurs

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DE L'EAU DOUCE GRÂCE À DES VOILES
Production d’eau douce à l’aide d’une voile dans les mers tropicales

D'énormes ressources d’eau, encore inexploitées, résident dans l'atmosphère, tout particulièrement, dans les mers chaudes des tropiques. Peut-on imaginer exploiter un jour ces ressources ?

Yves CHARRON
ingénieur consultant

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H2o – avril 2019

Les ressources terrestres en eau s'amenuisent d'année en année avec l'augmentation de la population mondiale, l'amélioration de l'hygiène et du confort ainsi qu’avec le développement constant de l'industrie et de l'agriculture. Divers moyens ont été mis en œuvre, de par le monde, pour capter la vapeur d’eau dans les zones arides à l’aide de filets ou de parois refroidies, les gouttelettes en suspension dans l’air ou encore en faisant condenser la vapeur d’eau contenue dans l’air traversant les pales d’une éolienne, lequel est refroidi par un cycle frigorifique actionné par l’éolienne. Toutefois, ces différents moyens produisent très peu d’eau, quelques centaines de litres par jour. Néanmoins, d'énormes ressources d’eau, encore inexploitées, résident dans l'atmosphère, tout particulièrement, dans les mers chaudes des tropiques. Toutefois, ces ressources ne sont accessibles que sous certaines conditions : l'air doit être proche de son point de saturation en eau, présenter une température élevée (taux de vapeur d'eau élevé) et se déplacer à grande vitesse. Ce dernier point est particulièrement important tant pour permettre la production d’un grand débit d'eau (par l’intermédiaire d’un grand débit d'air) que pour faciliter le fonctionnement d’équipements reposant sur l’effet venturi (refroidissement de l’air suite à son accélération). Un refroidissement de l'air humide peut également être réalisé à l'aide de condenseurs. Ces équipements seraient installés en mer et montés à l'intérieur d'une sorte de voile fixée à un point d'ancrage pour son positionnement automatique face au vent. La voile serait montée sur des réservoirs de stockage d'eau douce faisant office de flotteurs, l'évacuation de l’eau se faisant à l'aide de pipelines flexibles ou de tankers.

Une masse d'air traversant une section de 10 000 m2 avec une humidité relative de 100 %, une température de 30 °C, une vitesse de 10 m/s et refroidie de 10 °C permettrait la condensation d’environ 1 200 kg/s (soit 1 200 litres par seconde) de vapeur d'eau. À raison d'une consommation d'eau par personne de 100 litres par jour, c'est environ 1 million de personnes que l'on pourrait ainsi approvisionner en eau au moyen d’une seule voile.

 

SUMMARY
Production of fresh water using a sail in tropical seas

Land resources in water are shrinking from year to year with the increase of the world population, improved hygiene and comfort as well as the constant development of industry and agriculture. Various means have been implemented around the world to capture water vapour in arid zones using cooled nets or walls, droplets suspended in the air or by condensing the water vapour contained in the air passing through the blades of a wind turbine, the air being cooled by a cooling cycle operated by the wind turbine. However, these different means produce very little water, a few hundred litres a day. Nevertheless, huge water resources, still unused, reside in the atmosphere, especially in the warm seas of the tropics. However, these resources are only accessible under certain conditions: the air must be close to its saturation point in water, present a high temperature (high fraction of water vapour) and move at a high speed. This last point is particularly important both to allow the production of a large water flow (through a large air flow) and to facilitate the operation of equipment based on the venturi effect (cooling of the air following its acceleration). Cooling of moist air can also be achieved by means of condensers. All these equipment would be installed at sea and mounted inside a kind of sail attached to an anchor point for its automatic positioning in the wind. The sail would be mounted on freshwater storage tanks acting as floats, the evacuation of water being done using flexible pipelines or tankers.

A mass of air passing through a 10,000 m2 section with a relative humidity of 100%, a temperature of 30° C, a speed of 10 m/s and cooled by 10° C would allow the condensation of about 1,200 kg/s (ie 1,200 litres per second) of water vapour. With a, per capita, water consumption of 100 litres per day, approximately 1 million people could be supplied with fresh water by means of a single sail.


Rappel sur les propriétés de l’air

L’air sec est composé principalement d’azote (71 %), de dioxygène (28 %), de gaz rares (dont argon, 0,93 %) ainsi que des traces de dioxyde de carbone, de méthane et de dihydrogène. La quantité de vapeur d’eau transportée par l’air humide est déterminée par la pression saturante dépendante de la température de l’air (Table 1 et Figure 1).

Table 1 – Pourcentage de vapeur d'eau en fonction de la température de l'air 
 Température de l'air (°C)  0  10  15  20  25  30  35  40 
 Volume de vapeur d'eau (%) dans l'air 0,6  1,2  1,7  2,3  3,2  4,2  5,6  7,4 

 

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Figure 1 (à gauche) – Pression partielle de l’eau en fonction de la température. 
Figure 2 (à droite) – Masse d’eau condensable en kg/s en fonction du degré de refroidissement et pour trois températures d’air.

 
La fraction de vapeur contenue dans l’air augmente avec la température selon une fonction quadratique (croissance supérieure à une fonction linéaire – Figure 1). Pour un même degré de refroidissement, la fraction condensée est peu dépendante de la température. Ainsi, pour une température de 30 °C et un refroidissement de 10 °C, la fraction condensée est de 45 %. À 1 % près ce pourcentage est le même pour une température 5 °C plus élevée ou plus basse (Table 2).

Table 2 – Eau condensée pour plusieurs degrés de refroidissement et plusieurs températures initiales
(A : 35 °C – B : 30 °C – C : 25 °C)
 Refroidissement en °C  10  15  20  25 
 A – Eau condensée en kg/seconde 1 084  1 995  2 615  3 119  3 449 
 A – Eau condensée en pourcentage 24,2  43,7  58,4  69,7  78,8 
 B – Eau condensée en kg/seconde 871  1 531  2 036  2 415  2 698 
 B – Eau condensée en pourcentage 25,7  45,2  60,0  71,2  79,6 
 C – Eau condensée en kg/seconde 660  1 164  1 543  1 826  2 034 
 C – Eau condensée en pourcentage 26,2  46,2  61,2  72,5  80,7 


Rappel sur les mers tropicales

Dans la zone équatoriale, la température à la surface de l’eau se situe généralement entre 28 et 32 °C. Cette température est relativement constante au cours d’une journée ainsi qu’au cours de l’année. Dans cette zone, point de rencontre des alizés, la vitesse du vent est très faible (le fameux "Pot au noir" que cherchent à éviter tous les marins). Dans la zone intertropicale, la température à la surface de l’eau est voisine de 30 °C tandis que les alizés présentent une vitesse moyenne de 5 à 6 m/s. Dans les zones tropicales, la température à la surface de l’eau est en moyenne de 30 °C avec quelques variations saisonnières tandis que, dans certaines régions, la vitesse du vent peut dépasser les 10 m/s. Il convient de noter deux points : d'une part, que l’air est généralement à une température plus élevée que celle à la surface de l’eau. On considérera néanmoins, à titre conservatif, une température moyenne d’air de 30 °C ; d'autre part, que la vitesse du vent augmente avec l’altitude (de façon importante au-delà de 100 mètres). On considérera néanmoins, à titre très conservatif, une vitesse moyenne de 10 m/s.

La quantité de vapeur d’eau traversant une section perpendiculaire à l’écoulement est déterminée par les caractéristiques de l’air et l’aire de la section. À titre d’exemple, considérons une section de 10 000 m2 (pour conserver une certaine analogie avec la surface balayée par les pales d’une grande éolienne), une température de 30 °C et un vent de 10 m/s (36 km/h). La masse d’air traversant, par seconde, cette section est de 127.6 tonnes dont 3 390 kg de vapeur d’eau. Si cette quantité d’eau pouvait être intégralement captée lors de la traversée de cette section, la production d’eau serait gigantesque. Elle s’élèverait, par an, à 105 millions de tonnes ou encore 105 milliards de tonnes si l’on disposait de 1 000 capteurs de même nature.

La consommation moyenne d’eau par jour d’un individu est de 100 litres, soit, par an, 36 milliards de tonnes pour 1 milliard d’individus. Un rendement de capteur de 34 % serait alors suffisant pour produire la quantité d’eau requise. L’abaissement d’une dizaine de degrés d’un air à 30 °C saturé en vapeur d’eau, se déplaçant à 10 m/s permettrait d’atteindre ce niveau de rendement, le passage de 30 à 20 °C correspond à une condensation d’environ 45 % de la vapeur d’eau.

Les informations annuelles ci-dessus illustrent les moyens qu’il convient de mettre en place tant du point de vue du stockage que du transport maritime ou terrestre. Si l’air n’est pas saturé en vapeur d’eau ou sa température est inférieure à 30 °C ou sa vitesse est inférieure à 10 m/s, il faudra refroidir l’air dans des conditions plus sévères ou il faudra plus de capteurs. L’exemple ci-dessus illustre néanmoins ce qu’il est possible d’obtenir dans une mer tropicale où l’humidité relative est généralement voisine de 100 %, la température de l’air légèrement supérieure à 30 °C et les vents parfois très supérieurs à 10 m/s.


Captation de la vapeur d’eau : Les moyens à mettre en œuvre 

La captation de la vapeur d’eau s’effectue à l’aide d’un équipement appelé Voile en ce sens qu’elle se positionne toujours face au vent. Elle présente sur sa surface des orifices débouchant sur des équipements refroidissant l’air. Ces équipements sont de trois types : des venturis, des condenseurs ou des équipements hybrides faisant fonction de venturi et de condenseur.


Voile équipée d’un ensemble de venturis – 
Un venturi est composé de l’amont vers l’aval, d’un tube (ou canal ou tuyère) convergent, d’un col (aire minimale du venturi) et d’un tube divergent. Dans cette configuration, le gaz (air) est tout d’abord fortement accéléré atteignant sa vitesse maximum au niveau du col puis décéléré retrouvant en sortie sensiblement les conditions amont de température et de pression. Au niveau du col, la forte augmentation de vitesse engendre une diminution de pression et, s'agissant d'un fluide compressible, d'un refroidissement du gaz. Sur un plan énergétique, en amont, l’énergie élastique (rapport pression/masse volumique) est partiellement transformée en énergie cinétique (demi-produit de la vitesse au carré) et l’inverse en aval. Lorsque l’énergie totale amont est égale à l’énergie totale aval on dit qu’il y a conservation de l’énergie. Pour que le refroidissement soit significatif il est nécessaire d’atteindre une vitesse de l’ordre du tiers ou de la moitié de la vitesse du son (100 à 150 m/s). Lorsque la détente (amont – refroidissement) et la compression (aval – réchauffement) d'un gaz se font sans échange de chaleur avec l'extérieur on parle de détente et de compression adiabatiques.

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Figure 3 – Chute de température en fonction du rapport Aire venturi / Aire d’entrée – Te 35 et 25 °C


La vitesse requise au niveau du col est plus facilement atteinte avec une vitesse élevée à l'entrée du venturi. Ainsi, l'aire de passage au niveau du col devra être deux fois plus petite pour une vitesse d'entrée de 10 m/s que pour une vitesse de 20 m/s engendrant des pertes de charge considérablement plus élevées dans le premier cas que dans le second. De façon similaire, à col identique, le taux de refroidissement sera plus élevé avec une vitesse élevée qu’avec une vitesse faible à l’entrée du venturi.

Il reste une difficulté thermodynamique majeure à surmonter : la cinétique de la condensation décrivant le processus faisant passer progressivement l'eau de l’état de gaz à l’état de liquide. La masse d'eau théoriquement condensable est définie par les conditions d'équilibre (stabilisation). En mode cinétique, il faut tout d'abord passer par une première phase de nucléation où quelques molécules d'eau se lient entre elles pour former les premiers nano grains liquides qui, coalesçant entre eux, forment progressivement des gouttelettes sub puis micrométriques. Ce n'est qu'avec des gouttelettes de quelques dizaines de microns qu'il deviendra possible de les collecter sur les parois d'un canal. Cette cinétique à la condensation requiert, par conséquent, un allongement du col du venturi là où précisément les pertes de charge sont les plus élevées.

Il convient de noter qu'à ces vitesses d'écoulement relativement élevées, le transport diphasique (liquide – gaz) s'effectue en mode annulaire, l'eau s'écoulant en partie sur la paroi du canal tandis que l’air constitue le cœur de l'écoulement (transportant l’autre partie liquide en phase dispersée). Les caractéristiques d'un écoulement annulaire varient de façon importante avec la vitesse du gaz. A une vitesse d'écoulement très élevée (100 m/s), la phase liquide est principalement transportée sous forme de micro gouttelettes à l'intérieur de la phase gazeuse, la fraction annulaire du liquide étant faible. Dans ce régime, ce sont les forces de cisaillement et d'entraînement qui prévalent. À une vitesse d'écoulement relativement faible (10 à 20 m/s) la coalescence des gouttelettes est facilitée permettant un dépôt pariétal plus important (prédominance des forces inertielles). À une vitesse intermédiaire, c’est l'ensemble des forces qui interagissent entre elles. Le liquide pariétal est collecté en aval du col avant que la section divergente (zone de diffusion) ne fasse l’objet d’un réchauffement significatif (compression du gaz). La collecte de l’eau s’effectue par un système d'aspiration pariétale ou encore par l'intermédiaire d'une paroi poreuse.


Voile équipée d’un ensemble de condenseurs – 
Dans le cas présent, l'air chaud et humide traverse des équipements dont les parois sont refroidies par un fluide extérieur à une température inférieure à celle de l'air. Ils sont appelés des condenseurs.

Ces équipements ne présentent pas de forte restriction de passage comme dans le cas d’un venturi, leur partie interne (surface d’échange) ne faisant que très partiellement obstacle à l'écoulement. Contrairement aux échangeurs de chaleur conçus pour un fluide process où il est possible de maîtriser les pertes de charge par la pression amont, dans un système atmosphérique il n'est pas possible d’intervenir sur ce paramètre. Il faut, par conséquent, permettre un bon échange de chaleur entre l'air et les internes d'un condenseur pour maximiser l'abaissement de la température sans pour autant réduire le débit d'air au niveau de l'entrée du condenseur. Par conséquent, la quantité maximum d'eau condensée est un compromis entre, d'une part, l'efficacité des internes du condenseur qui détermine la température de sortie d'air et, d'autre part, les pertes de charge des internes qui déterminent le débit d'air.

Pour le refroidissement de l’air chaud, il est possible d’utiliser l’eau de mer puisée au niveau de la thermocline se situant, généralement, en mer tropicale, entre 100 et 200 mètres de profondeur afin de disposer d’une eau à une température d’environ 15 °C en vue d’un refroidissement de l’air humide à 20 °C. Entre 0 et 100 mètres de profondeur, la température de l’eau est voisine de 25 °C tandis qu’en dessous de 200 mètres elle est inférieure à 10 °C. Ce n’est qu’en dessous de 1000 m que la température est isotherme et voisine de 5 °C.


Voile équipée d’un ensemble d’équipements hybrides (venturi – condenseur)
– De façon à minimiser le nombre de condenseurs, la surface de la voile est quadrillée par des zones appelées des concentrateurs d'air au centre desquels se situe pour chacun d’eux un condenseur.

Les concentrateurs présentent une forme conique, canal convergent facilitant l'écoulement vers le condenseur situé en aval. Le rapport de surface entre l'entrée du condenseur et celle du concentrateur détermine l'accélération de la vitesse de l'air à l'intérieur du condenseur et l'effet venturi s'y établissant. En aval, un diffuseur conique (forme inversée du concentrateur) permet l’évacuation de l’air en minimisant les pertes de charge.

Les équipements hybrides sont dimensionnés sur la base d’une vitesse de vent de 10 m/s, le refroidissement s’effectuant principalement à l’aide des condenseurs permettant ainsi une minimisation des pertes de charge et l’entrée d’un débit maximum d’air. Lorsque la vitesse de l’air augmente de façon significative (bourrasque), l’effet venturi se produit (Figure 3) et un surplus de refroidissement d’air s’ajoute à celui produit par le condenseur augmentant la production d’eau de façon considérable : débit d’eau condensée proportionnelle à la fois à la vitesse du vent et au cumul des deux refroidissements (condenseur et venturi).


Adaptation des équipements aux conditions atmosphériques

Direction du vent – La voile se positionne naturellement face au vent lors d’un changement de direction du vent.

Intensité du vent – Les conséquences d’une variation de l’intensité du vent sont différentes selon qu’il s’agisse d’un système composé de venturis, de condenseurs ou d’équipements hybrides.

Dans le paragraphe sur les venturis, il est précisé qu'un bon fonctionnement est conditionné par une vitesse suffisante au niveau du col, par conséquent, à l'entrée d’un venturi. En cas de réduction de la vitesse du vent, il est nécessaire d'ajuster la vitesse à l'entrée des venturis en réduisant le nombre de venturis en opération. L'inverse est également nécessaire en cas d'augmentation de la vitesse du vent. Sans cette action, le refroidissement serait ou insuffisant (vitesse trop faible) ou trop important entraînant un risque de gel au niveau du col (vitesse trop importante). (Voir Figure 3.) Un mode de contrôle (ouverture – fermeture) est donc requis pour les venturis contrairement aux condenseurs opérant sans effet venturi.

Les équipements hybrides combinent les deux modes de refroidissement avec une intensité relative qui varie avec la vitesse du vent. Il convient, tout d’abord, de préciser qu’une vitesse nominale de 10 m/s est insuffisante pour obtenir un effet venturi significatif sans une forte dégradation des performances du système (diminution du débit d’air). Ainsi lorsque la vitesse du vent diminue, la production d’eau reste proportionnelle à la vitesse de l’air. En revanche, lorsque la vitesse du vent augmente, l’effet venturi se déclenche et s’intensifie progressivement, la production d’eau augmentant plus vite que l’augmentation de la vitesse du vent dû au sur refroidissement de l’air. A titre d’exemple, une augmentation de la vitesse de l’air de 10 à 20 m/s conduit, dans un premier temps à une augmentation de la production d’eau de 100 % tandis que le sur refroidissement du venturi conduit lui à une sur production d’eau de 50 % (5 °C de sur refroidissement du venturi s’ajoutant au 10 °C de refroidissement du condenseur). L’augmentation relative de la production d’eau s’accélère avec une augmentation de la vitesse du vent.

Ainsi, la connaissance de la vitesse moyenne du vent n’est pas suffisante pour déterminer la production d’eau. Il convient également de connaître la variabilité de la vitesse du vent.

Température de l’air – Les conséquences d'une réduction de la température de l’air ambiant ne sont pas non plus les mêmes pour les venturis ou pour les condenseurs. Pour les venturis, la réduction de température de l’entrée au col est plus dépendante de la vitesse du vent que de la température d’entrée ne modifiant pas la vitesse au niveau du col ni donc son rendement intrinsèque. En revanche, les venturis produiront moins de liquide suite à une diminution de la température ambiante et donc des pressions saturantes (entrée et col). Les condenseurs fonctionneront avec un moins bon rendement pour deux raisons : la pression saturante est plus faible à l'entrée tandis que la pression saturante au niveau du condenseur est inchangée (déterminée par la température du fluide de refroidissement). L’inverse se produit pour une augmentation de la température de l’air ambiant.

Humidité relativeCas d'une pression partielle de l'eau inférieure à la pression saturante : c'est le cas le plus difficile à traiter car il faut tout d'abord abaisser la température à un niveau permettant à la pression partielle de l’eau d'atteindre la pression saturante. Cas d'une pression partielle de l'eau supérieure à la pression saturante : c'est le cas d'un brouillard (gouttelettes d'eau en suspension dans l'air), une situation très favorable où il est possible de recueillir à la fois l'eau liquide en suspension dans l'air et celle sous forme de vapeur.


Conception générale du système de production d'eau douce

Le système s'apparente à une voile dédoublée se positionnant automatiquement face au vent (7). Les deux parties de la voile sont sensiblement parallèles, l'une en amont (1) faisant face au vent et l'autre (2) en aval. Entre ces deux faces, est installée une batterie (3) de venturis, de condenseurs et / ou de systèmes hybrides (venturi – condenseur). Figures 4, 5 et 6.

De façon à réduire le nombre et la taille des condenseurs, la face avant est équipée de concentrateurs (4) le centre de chacun débouchant sur un condenseur (3). La face aval est équipée de diffuseurs (5) s’apparentant à des concentrateurs montés à l’envers.

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Figure 4 – Voile dédoublée sur supports flottants (stockage d’eau), système d’amarrage, bouée de déchargement.
Vue éclatée d’un équipement hybride (venturi – condenseur). Vue en perspective.


L'énergie requise pour le pompage de l'eau de mer (11) peut être fournie par une petite éolienne (12) montée au centre de la voile (Figure 5). Compte tenu du positionnement de la voile par rapport au vent, l'éolienne est toujours placée face au vent. Elle peut être montée au centre d’un concentrateur avec des ouïes latérales permettant une régulation de la vitesse de l’air au niveau des pales. Équipé d’une éolienne, le système de production est autonome en énergie. Une partie de l'énergie produite peut être convertie en énergie électrique pour la signalisation maritime du système de production ainsi que pour la communication radio des informations relatives au système : vitesse et direction du vent, température de l’air (amont et aval) et de l’eau (mer, thermocline, rejet), humidité relative, hauteur d'eau dans les réservoirs et paramètres liés à l'éolienne.

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Figure 5 – Voile sur supports flottants (réservoirs de stockage d’eau), bouée de déchargement, unité de pompage d’eau de la thermocline et éolienne centrale pour la motorisation de l’unité de pompage.
Un champ de production d’eau douce sera composé de plusieurs voiles de production. Ces unités seront raccordées par des pipelines flexibles à un cluster, lui-même relié à la terre par une conduite d’eau.


La voile est supportée en plusieurs points par les réservoirs de stockage d'eau douce (6) présentant une forme profilée de façon à réduire la résistance au vent. Les réservoirs de stockage sont soit reliés à terre par l’intermédiaire de pipelines flexibles soit à une bouée de déchargement (8) pour le remplissage de tankers de transport d’eau douce.

Dans la mesure où les unités de production sont éloignées de la côte (quelques dizaines de kilomètres) pour permettre l’accès à la thermocline ainsi qu’à des vents de grande intensité, elles sont installées en grand nombre, à une distance relativement courte les unes des autres, pour une réduction des coûts globaux. Dans cette configuration, des pipelines flexibles relient les unités à un cluster duquel débouche une conduite rigide de grand diamètre reliée à la côte. Par analogie avec les éoliennes, on appellera cet ensemble un "champ" (ou une "ferme") de production d’eau douce.

Dans une version extrême, la voile est composée d’un seul équipement de refroidissement hybride intégrant les deux fonctions : venturi et condenseur (Figure 6). La partie amont (4) joue à la fois le rôle de concentrateur et de tuyère de détente, la partie centrale, la plus étroite, (3) celui de col de venturi et la partie aval (5) celui de tuyère de diffusion. Considérant la méthode de dimensionnement d’un venturi, la longueur de l’équipement est de l’ordre de 5 à 10 fois le diamètre d’entrée, l’équipement prenant alors la forme d’un "tunnel flottant" ou d’un "serpent de mer".

Contrairement du système constitué d’une voile comprenant plusieurs unités de refroidissement et une éolienne centrale (Figure 5) dans le cas d’un seul équipement l’installation d’une éolienne n’est pas envisageable. En revanche, le "serpent de mer" articulé, principalement, de part et d’autre de la partie centrale (10) permet d’envisager la récupération d’une énergie significative considérant la masse relativement importante des sections 3, 4 et 5 et donc des forces inertielles. D’autres formes de récupération d’énergie sont envisageables, par exemple, au niveau des flotteurs. L’excédent d’énergie est stocké dans des batteries électriques.

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Figure 6 – Unité composée d’un seul équipement de refroidissement. Selon le mode de dimensionnement d’un venturi, l’équipement se présente sous la forme d’un "tunnel flottant" ou d’un "serpent de mer".


Flottant naturellement, les unités de production sont transportées sur leur lieu de production par des remorqueurs.

Compte tenu des variations saisonnières, les unités de production d’eau douce peuvent être remorquées d’un tropique à l’autre de façon à optimiser la production d’eau par la recherche des vents de grande intensité, à l’extérieur de la zone intertropicale, tout en bénéficiant d’une température élevée à l’extérieur de cette zone. Cette stratégie répond également aux besoins en eau qui sont généralement plus importants pendant les périodes chaudes.

Sur le plan structurel, l’unité de production d’eau doit pouvoir résister à une houle de grande amplitude comme aux bourrasques de vent que ce soit les éléments immergés (réservoirs, conduites flexibles) que les éléments submergés. La résistance au vent de la voile est dépendante du type d’équipement. Ainsi, s’agissant de "simples condenseurs" (sans concentrateur, sans effet venturi) couvrant la totalité de la voile, la résistance au vent est relativement faible. S’agissant de "simples venturis" (sans fonctionnalité de condenseur), la résistance au vent est particulièrement élevée, la faible dimension du col étant déterminée pour une faible intensité du vent. S’agissant d’équipements hybrides (condenseur – venturi) avec effet venturi se déclenchant seulement aux fortes intensités du vent, la dimension du col du venturi est plus importante que pour un "simple venturi" et la résistance au vent est intermédiaire entre celle de "simples condenseurs" et de "simples venturis". Un exemple structurel est donné sur la figure 7 avec les éléments principaux de la structure (13), les plaques métalliques (ou matériau composite) recouvrant la structure (14) ainsi que les éléments de protection au vent consistant en des ouïes (volets) s’ouvrant naturellement par la force du vent (15).

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Figure 7 – Exemple de mode structurel d’un concentrateur ou tuyère convergente de venturi.


Conclusion

Une surface supportant des équipements produisant du froid, par effet venturi ou par l’intermédiaire d’un fluide réfrigérant, et traversés par un air chaud et humide permet la condensation de la vapeur d’eau contenue dans cet air. La quantité d’eau traversant la surface est d’autant plus importante que l’air est à une température élevée, proche de son point de saturation en vapeur d’eau et animé d’une grande vitesse de déplacement. Ces conditions sont très souvent rencontrées dans les mers tropicales contrairement à la zone équatoriale où la vitesse du vent est relativement faible. À cet effet, l’ensemble des équipements repose sur la surface de la mer à l’aide de flotteurs servant de réservoirs de stockage d’eau douce. Le mode d’ancrage permet au système de se positionner face au vent comme une voile.

La quantité d’eau recueillie est d’autant plus grande que la surface de la voile est importante et le degré de refroidissement important. Dans le cas d’une surface de 10 000 m2 (similaire à la surface balayée par les pales d’une grande éolienne), un air à 30 °C, saturé en humidité, animé d’une vitesse de 10 m/s et refroidi de 10 °C permet de recueillir 1 200 kg ou litres d’eau par seconde (en réalité 1 500 kg/s en appliquant un rendement de 80 %). Cette quantité devient 1 600 kg/s pour un refroidissement de 15 °C en puisant l’eau de refroidissement dans la thermocline à plus grande profondeur. Un refroidissement supplémentaire de 5 °C produit par un venturi permet d’accroître cette production à 1 900 kg/s d’où l’intérêt de combiner les deux technologies afin d’obtenir un froid plus intense. Toutefois, la performance d’un venturi reste extrêmement faible pour un vent de l’ordre de 10 m/s. Ce n’est que lorsque le vent atteint une vitesse de 20 m/s que la performance du venturi devient significative. La performance d’un venturi devient prépondérance lorsque la vitesse du vent s’accroît au-delà de cette valeur. La variabilité de la vitesse du vent est un élément déterminant dans la production d’eau douce.

À raison d’une consommation moyenne par individu de 100 litres d’eau par jour et d’une production de 1 200 litres par seconde, c’est environ un million de personnes que l’on pourrait ainsi alimenter en eau ou encore un milliard de personnes si l’on disposait de mille voiles. Cette production est considérablement plus élevée que les moyens actuellement mis en œuvre dans les zones arides ou dans les montagnes avec des tamis pour recueillir la rosée du matin ou les gouttelettes en suspension dans un brouillard ou encore les éoliennes actionnant un cycle frigorifique. Ces derniers moyens permettent généralement l’approvisionnement de seulement quelques dizaines d’individus se limitant à une consommation d’eau d’une dizaine de litres par jour. 

Le réchauffement climatique est une préoccupation majeure pour tous les habitants de la planète. Il convient, toutefois, de noter qu’un réchauffement global de 2,5 °C permettrait une surproduction d’eau de l’ordre de 15 % (Table 2) par rapport à une production de 1 200 kg/s (base 30 °C).

La production d’eau douce par les pays tropicaux pourrait constituer une source de revenus importante pour ces pays généralement pauvres prenant en compte la diminution des ressources en eau douce et l’aggravation des conditions climatiques. 

Sur la base des équipements décrits dans ce document c’est le confort (service d’adduction d’eau), l’hygiène et l’agriculture qui connaîtraient un développement considérable. ▄

 

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L'auteur
Yves Charron a effectué ses études d’ingénieur à l’ENSEEIHT de Toulouse ainsi qu’à l’Université d’Oxford (GB) pour la préparation de son doctorat en mécaniques fluides (D.Phil). Il a tout d’abord exercé ses activités au sein du groupe Dresser (équipements pétroliers) puis du groupe Total (développement de champs pétroliers). Il a par la suite effectué des recherches sur les écoulements diphasiques à l’Atomic Energy Authority puis participé à des projets pétroliers, parapétroliers ainsi que sur l’efficacité énergétique au sein de l’Institut Français du Pétrole (compression et détente diphasique, traitement des gaz acides, production de GNL, réduction de la traînée aérodynamique et systèmes éoliens).
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