H2o Magazine


Mont-Saint-Michel
Un balcon maritime pour l'archange

Mots clés : Baie, Mont-Saint-Michel, barrage, Couesnon, Luc Weizmann, architecte, marées, chasses, sédiments
Dossier de
Martine LE BEC
  
July 2009

200907_montsaintmichel_10.jpgTesté depuis mai dernier, le nouveau barrage sur le Couesnon sera officiellement inauguré en septembre. Deux fois par jour, à chaque marée, les eaux de la mer et du Couesnon unissent leur force naturelle pour renvoyer les sédiments vers le large. C'est ainsi que, peu à peu, le Mont-Saint-Michel va retrouver son caractère maritime.  

Martine LE BECphotographies et images de synthèse
Luc WEIZMANN – architecte du barrage
Dietmar FEICHTINGER – architecte de l'ouvrage d'accès
Syndicat mixte Baie du Mont-Saint-Michel

H2o – juillet 2009

 

Chef d'œuvre du patrimoine de l'humanité, le Mont-Saint-Michel – classé au patrimoine culturel mondial de l'Unesco – s'inscrit dans un espace naturel exceptionnel. Espace de transition entre la mer et la terre, la baie – elle-même classée au patrimoine naturel mondial, est aussi l'une des plus vastes et plus complexes du monde. Abritée par l'angle formé par la Bretagne et le le Contentin, la baie de 400 km2 s'ouvre sur La Manche. Les célèbres marées y sont d'une amplitude exceptionnelle, jusqu'à 15 mètres en période de vives eaux. L'estran – l'espace jour après jour recouvert puis découvert par la marée, s'étend sur 250 km2. Au fond de cet espace, la "petite baie", entre la chappelle Sainte-Anne, à l'ouest du Mont-Saint-Michel, et le Bec d'Andaine, en face du Mont-Saint-Michel, forme un sous-ensemble de 50 km2. Parcourue de grèves (slikke) et d'herbus (schorre), elle est également estuaire de trois rivières : la Sée, la Sélune et le Couesnon qui se jette devant la Mont-Saint-Michel.

De longue date, la baie fut l'objet de travaux de poldérisation de la part de ses propriétaires riverains, mais l'action la plus marquante fut la construction, en 1880, d’une digue insubmersible par les Ponts et Chaussées. Elle fut vivement critiquée, notamment par Clémenceau, Victor Hugo et Maupassant, chacun pour des raisons différentes. Cette digue, qui de 1901 à 1938 supporta une ligne de chemin de fer, précipita l'ensablement de la baie.

 

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Départ du train du Mont-Saint-Michel
Carte postale JP, début XXème siècle.
Doc. Claude Shoshany – Wikimedia Commons

 

Ne rien entreprendre eût conduit à voir le Rocher de l'Archange, jour après jour, abandonné par la mer et irrémédiablement conquis par les terres.

Mené par l’État et le Syndicat mixte Baie du Mont-Saint-Michel, qui regroupe les conseils régionaux de Basse-Normandie et de Bretagne, le départemant de la Manche et les communes de Ponsorton, Beauvoir et Le Mont-Saint-Michel – et à l'appui d'un co-financement du fonds européen FEDER, des agences de l'eau Seine-Normandie et Loire-Bretagne et du département de l'Île-et-Vilaine –, le projet de réhabilitation du caractère maritime du Mont a obtenu, en juillet 2003, les autorisations nécessaires au démarrage des travaux suite à l’enquête publique menée durant l’été 2002. Le travaux ont débuté en 2005 et s’achèveront en 2015.

 

 Coût du projet
 200,00 millions d'euros
 Ouvrages hydrauliques
 76,82 millions d'euros
 Barrage
 34.60 millions d'euros
 Hydraulique amont 26,00 millions d'euros
 Hydraulique aval
16,22 millions d'euros
 Ouvrage d'accès
38,94 millions d'euros
 Pont-passerelle
36,14 millions d'euros
 Travaux sur monuments historiques
 2,80 millions d'euros
 Ouvrages d'accueil 44,34 millions d'euros
 Espaces et bâtiments publics
8,34 millions d'euros
 Délégation de service public
36,00 millions d'euros
 Frais de maîtrise d'ouvrage et provisions
15,25 millions d'euros

 

 Baie du Mont-Saint-Michel
Spot Image, CNES – Wikimedia Commons
Carte Syndicat mixte Baie du Mont-Saint-Michel
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LE BARRAGE
Entre ciel, terre et mer

Luc WEIZMANN
architecte du barrage
www.lwa.fr

 

Le lieu d'implantation du barrage constitue un point nodal du grand paysage, unique dans le site de la baie du Mont-Saint-Michel. Il se situe à l'interface entre l'intérieur des terres et la "petite baie", entre le Couesnon canalisé et les divagations du fleuve jusqu'à la mer, entre un univers gagné sur la mer par l'homme et la réalité sans cesse modelée du paysage marin.
Cet espace est aussi un trait d'union entre les deux rives du Couesnon, entre l'Ouest et l'Est, entre la Bretagne et la Normandie.
C'est un lieu qui s'ouvre vers le Mont lui-même, un lieu de brassage et d'échanges à préserver au profit d'une valorisation du paysage et de son environnement.

Posé comme une aile

L'architecture discrète du barrage n'entre pas en rivalité avec la verticalité du Mont.
Selon une logique d'horizontalité, il s'insère à la hauteur des digues de protection de la mer, en continuité avec la silhouette des berges. Loin d'exacerber sa fonction technique, le barrage joue à la fois sur la continuité horizontale des superstructures et le rythme vertical des piles : depuis le Mont, simple ligne horizontale en surplomb au-dessus des eaux ; depuis l'intérieur des terres, dans la perspective rectiligne du Couesnon, rythmé par la présence de ses piles, telles des contreforts.
Le jeu d'ouverture et de fermeture des vannes (voir l'animation page suivante), de modulation de la hauteur, donne une perception très changeante de l'ouvrage, depuis l'opacité continue jusqu'à la transparence très grande lorsque les vannes sont entièrement ouvertes.
Cette variation de l'impact visuel du barrage correspond à la logique naturelle, aléatoire et cyclique, des fluctuations du Couesnon et du jeu des marées. L'harmonie de la relation de ce régulateur hydraulique avec son environnement, entre mobilité des mécanismes techniques et cycles des éléments naturels est particulièrement signifiante...

 

Le barrage est composé de :
8 passes de 9 mètres de largeur hydraulique
2 écluses à poisons de 3,10 mètres de largeur chacune, située de part et d'autre de l'ouvrage
78,2 mètres d'ouvertue hydraulique
8 vannes-secteurs d'environ 67 m2 de surface chacune
le radier posé sur pieu, long de 99,6 m sur 24 m de large et 1,20 m d'épaisseur

 Longueur totale :  138,46 m (culées comprises)
 Largeur totale minimale :
 15,6 m au droit des culées (y compris balcon)
 Largeur totale maximale :
32,4 m dans l'axe (portée maximale du balcon)
 Pont promenade :
138,5 m de long – 6 m de large
 Balcon maritime :
900 m2 de platelage en bois curviligne
320 m2 de gradins et emmarchements
 Piles du barrage :
9 piles de dimensions variables (23 à 27 m)
1,8 m de large
 Cote maximale des superstructures en béton :
9,9 m – IGN 69

 

Maître d'ouvrage – Syndicat mixte Baie du Mont-Saint-Michel
Conducteur d'opération –Mission Mont-Sain-Michel, DDE de la Manche

Groupement de maîtrise d'œuvre – Luc Weizmann, architecte ; BRLi, bureau d'études génie civil et hydraulique ; Spretec, bureau d'études équipement structure ; Antea, bureau d'études environnement ; Bertrand Lanctuit, paysagiste.

Entreprises – Quille, Mestellotto (terrassements et génie civil) ; CM Paimbœuf, Joseph Paris, Baudin-Chateauneuf (superstructures et équipements) ; Aubert-Labansat (platelages bois) ; Fonderies Vincent (pièces de bronze) ; Groupement Chauvin, Lavigne, Baudin, Leblois, BLO, UIN, ELYTA, Lepesant (bâtiment de gestion du barrage).


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AMONT-AVAL
Les équipements hydrauliques

 

Outre la réalisation d'un pont-passerelle qui viendra se substituer à l'actuelle digue et les ouvrages d'accueil qui seront aménagés pour mieux s'intégrer dans le paysage, le projet repose sur plusieurs grands travaux hydrauliques :

  • Le barrage sur le Couesnon
    Pierre angulaire du projet, le nouveau barrage sur le Couesnon va peu à peu redonner toute sa puissance au fleuve. Marée après marée, les chasses progressives déblayeront naturellement les millions de mètres cubes de sédiments accumulés tout en abaissant progressivement le niveau des grèves, repoussant ainsi l'avancée des herbus.
  • En amont du barrage – le curage du Couesnon et la remise en eau de l'anse de Moidrey
    Ancien méandre du Couesnon, longtemps utilisé comme site d'extraction de tangue (sédiment gris argenté constitué de sablons et de particules fines de coquillage), ce réservoir hydraulique complémentaire au Couesnon sera parcouru d'un réseau de 11 kilomètres de chenaux. 
  • En aval du barrage – La construction d'un seuil de partage des eaux et d'épis déflecteurs, qui faciliteront le débit naturel du fleuve entre ses deux bras Ouest et Est, plus d'un épi écarteur au pied du rocher.

Une commission scientifique internationale a été constituée pour suivre les effets hydrosédimentaiores des chasses et vérifier les résultats obtenus.

 

Barrage du Couesnon –  Le cycle des chasses
Crédit Imagence / MG Design pour le Syndicat mixte Baie du Mont-Saint-Michel

 

Depuis mai, le barrage est entré dans sa phase de mise en service industrielle. Pendant cette période, le constructeur doit apporter la preuve du bon fonctionnement de l’ouvrage, notamment en réalisant 100 cycles continus de chasse, sans incident. Cette période de réglage se poursuivra jusqu’en septembre, date à laquelle l’exploitant prendra la main pour réaliser les lâchers qui permettront de rétablir peu à peu le caractère maritime du Mont-Saint-Michel.

Les chasses d’eau régulées sont déclenchées six heures après la haute mer.

Chaque lâcher génère un courant qui augmente peu à peu pour atteindre un débit limité et maximal de 100 m3/seconde au bout de 20 minutes à l’aval immédiat du barrage. Ce courant provoque une montée progressive du niveau de l’eau pendant environ une demi-heure. Avec le lâcher, le niveau d’eau du Couesnon peut augmenter d’environ 40 centimètres dans la baie et le lit s’élargir de façon importante.

La durée de la chasse est liée à la quantité d’eau stockée et peut durer entre 2 et 5 heures.

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AVANT-APRÈS
Le Mont-Saint-Michel retrouvé

 

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ResSources

Projet Mont-Saint-Michel – Syndicat mixte Baie du Mont-Saint-Michel
Luc Weizmann – architecte du barrage
Dietmar Feichtinger – architecte de l'ouvrage d'accès