H2o Magazine

La Grande Inondation

Mots clés : aube, crue centennale, grands lacs de seine, île-de-france, inondation, marne, paris, seine, sequana, yonne, 1910

Paris sous les eaux, Olivier Campagne et Vivien Balzi

106 ans après la grande crue de 1910

Inexorablement, l'eau du fleuve n'a cessé de monter, pour envahir progressivement Paris et sa banlieue. Les pluies continues qui se sont abattues sur le bassin de la Seine ont eu raison de tous les dispositifs destinés à prévenir une grande inondation dans la capitale. Plus d'électricité, plus de téléphone, plus de métro ni de RER. La paralysie a gagné le cœur économique, administratif et politique du pays. Des milliers de personnes doivent être évacuées...
Les experts sont formels, une crue de même ampleur que celle de 1910 reviendra et les dégâts qu'elle provoquera seront considérables. C'est une certitude, dont seule la date est inconnue.

Pascal POPELIN, Le jour où l'eau reviendra

Martine LE BECdossier réalisé à l’appui du rapport de l’OCDE
et des informations transmises par
la DRIEE-IDF, l’IAU ÎdF, l’EPTB Seine Grands Lacs
la préfecture de police de Paris et le SGZDS
h2o – juin 2015
illustrations  extraites du film de
Olivier Campagne et Vivien Balzi sur une musique composée par Brice Tillet
Paris sous les eaux – themust.fr

Jeudi 3 mars 2016, cela fait maintenant une semaine qu’un anticyclone stagne sur l’Europe du Nord maintenant la France dans un système dépressionnaire. Il pleut sans discontinuer sur la chaîne du Morvan, le plateau de Langres et la côte des Bar. Les sols déjà détrempés par un premier épisode pluvieux mi-février n’absorbent plus le trop-plein d’eau et la Seine, qui s’est mise à gonfler doucement, s’apprête à sortir de son lit. Les lacs-réservoirs construits en amont de la capitale qui ont, depuis plusieurs semaines, vaillamment rempli leur mission d’écrêtement des crues n’arrivent plus à réguler le débit du fleuve et de ses affluents. Les flots gonflés des quatre cours d’eau (La Seine, l’Aube, l’Yonne et la Marne) s’acheminent lentement, mais sûrement, vers le goulet que constitue la traversée de Paris.

Vendredi 4 mars, pour la deuxième fois en ce début d’année, la cote dépasse les 3,45 mètres à l’échelle d’Austerlitz et un premier tronçon des voies sur berges est fermé. Les automobilistes jouent des pare-chocs, rive droite cours Albert 1er, cours de la Reine, et le long des quais des Tuileries et  François Mitterrand en tentant de gagner tant bien que mal le quai de la Rapée et la voie Mazas. Rive gauche, les choses vont un peu mieux, ça coince évidemment place Henry de Montherlant jusqu’à l’Alma mais à l’extrémité ouest le souterrain Citroën-Cévennes est encore ouvert. Les ralentissements laissent en tout cas aux "traversiers" le loisir de profiter de la vue presque hypnotique de ce fleuve enflé comme un python gourmand.

Samedi 5 mars, la Seine est prête à se donner en spectacle pour le temps du week-end, c’est en tout cas ce que pressentent les Parisiens, fascinés par la lente montée des eaux. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que le service d’assainissement de la ville a déjà procédé à la fermeture des déversoirs d’orages, qui assurent la liaison entre le réseau d’assainissement et la Seine. Pour le moment, l’important est que la Seine ne se répande pas dans le réseau d’égouts. La RATP, ERDF, l’Agence régionale de santé sont en alerte. Le dimanche au matin, la navigation sur la Seine est arrêtée : la cote a dépassé les 4,30 mètres. Dans la nuit qui suit, du dimanche au lundi, la cote atteint 5,50 mètres et la pluie continue de tomber. Les premiers niveaux de sous-sols sont inondés, les parkings souterrains les plus menacés sont évacués vers des zones de stationnement préalablement identifiées. En amont de la capitale, sur la Marne, Meaux, Lagny, Gournay, Le Perreux, Joinville et Saint-Maur sont déjà passées en vigilance orange et même rouge. Sur la Seine, c’est l’enfer qui débute à Choisy-le-Roi, Alfortville et Ivry ; la gare de triage de Villeneuve-Saint-Georges est déjà amputée d’une partie de ses voies.

Le plan Neptune de mobilisation de l’armée est activé et les OIV – opérateurs d’importance vitale – mettent en place leurs premières mesures de protection. Dès la fin de la journée, Paris est placée en vigilance orange ; la cote a dépassé les 6,10 mètres. Le tunnel du RER C, qui longe la Seine, est ennoyé volontairement par la SNCF et la RATP commence à fermer son réseau et à boucher l’ensemble des entrées d’eau du métro. Un plan de circulation minimal est mis en place et le plan de continuité du travail gouvernemental est activé. Il continue de pleuvoir et le python de grossir.

Mercredi 9 mars, la cote atteint 7,13 mètres, la capitale passe en vigilance rouge : la fourniture d’électricité s’interrompt progressivement en zone inondable – et au-delà. Des générateurs sont mis en place par les équipes d’ERDF. L’évacuation des immeubles de grande hauteur situés en font de Seine dans le 15ème arrondissement est organisée ; les hôpitaux Georges Pompidou ou de la Pitié-Salpêtrière ont d’ores et déjà entamé l’évacuation de certains services. Au secrétariat général de la zone de défense et de sécurité de Paris (SGZDS), on n’exclut plus le fait que la crue atteigne un niveau extrême. Les services de secours mettent en place l’ensemble des plans sectoriels, organisent un circuit de distribution d’eau en bouteilles, d’alimentation, d’hydrocarbures pour les générateurs. Les opérateurs télécom déploient des antennes mobiles supplémentaires, un grand centre de collecte des déchets de l’inondation s’organise à la porte de Versailles. Des bases opérationnelles réquisitionnées sont mises en place au nord à Villepinte et au sud de Paris pour accueillir secours et ressources du reste de la France et d’Europe.

Ce même jour, la zone dépressionnaire profite d’un affaiblissement de l’anticyclone sur le nord de l’Europe pour s’évanouir vers l’Allemagne et la Pologne. Mais la Seine continue d’enfler et ce sont maintenant les Hauts-de-Seine qui voient l’eau monter de manière accélérée. Villeneuve-la-Garenne, Gennevilliers et Colombes sont submergées. Le vendredi 11 mars, la Seine atteint les 8,62 mètres sous le pont d’Austerlitz, soit le niveau de la crue de 1910 ; le zouave du pont de l’Alma a de l’eau jusqu’à la poitrine. Le samedi et le dimanche, les Parisiens qui ont été épargnés tentent de se rendre à pied au Trocadéro ou, en face, au Champ-de-Mars pour immortaliser la vue de ce python repu, qui semble s’être endormi, et jeter un œil sur l’autre rive. Cela fait plusieurs jours que les trente-quatre ponts et les trois passerelles reliant les deux Paris, rive droite et rive gauche, ont été fermés pour raison de sécurité. Seule la ligne 2 du métro, Nation-Porte Dauphine, a continué de fonctionner à peu près correctement.

Tous ne prendront cependant pas ce loisir : sur l’ensemble de la région, 850 000 personnes sont directement affectées par la crue et dans certains quartiers du Val-de-Marne ou des Hauts-de-Seine les hauteurs d’eau frôlent les deux mètres. Ici on n’a plus d’électricité, plus d’eau et plus d’assainissement. La présence d’ateliers industriels et d’usines augmentent les risques de pollutions.

Pour les grands acteurs parisiens – la préfecture de police, les services de secours et de protection, et les OIV – le week-end des 12 et 13 mars, survenant au moment du pic de crue, sera dédié à l’exercice terrain : le full scale exercice. La décrue de la Seine sera ensuite simulée du 15 au 18 mars 2016.

Oui, quatre jours seulement parce que tout cela ne sera qu’un exercice ; le premier organisé en France à cette échelle. L’évènement, initié par la préfecture de police, a été baptisé EU Sequana 2016 – Sequana du nom de la déesse ayant donné son nom au fleuve, et EU parce que cet exercice grandeur nature est appuyé par un financement européen. Des équipes espagnoles, italiennes, belges et tchèques participeront d’ailleurs à l’évènement. Ils apporteront leur propre expérience, s’agissant des Tchèques, acquise à Prague lors de la terrible crue de la Vltava en août 2002. En vrai, pour les Parisiens, les choses ne s’arrêteraient pas là, au bout d’une dizaine de jours. La crue attendue sur Paris et sa région va s’opérer sur un rythme lent : lent dans la survenue et encore plus lent dans la décrue. La majorité des activités seront paralysées pendant plusieurs semaines, certaines pendant plusieurs mois ; le temps que le long python ait fini sa digestion et sorte de sa torpeur pour reprendre son cours ondulé vers le littoral normand.

C’est cette longue latence qui explique que la crue de la Seine est considérée par tous les responsables impliqués comme "la crise majeure" que la capitale – et avec elle, le pays dans son entier –  aura à surmonter. Quand ? Peut-être en 2016, peut-être seulement en 2026, peut-être même seulement en 2066 ; la survenue de deux crues exceptionnelles l’espace d’une décennie doit aussi être envisagée. Ces dernières années, de nombreux pays ont fait l’expérience d’inondations dépassant les niveaux historiques, avec parfois des répétitions : la République tchèque (Prague) en 2002, le Royaume-Uni en 2007, l’Australie en 2011, la Thaïlande (Bangkok) en 2011, l’Allemagne en 2002 et 2013, le Maroc en 2014. À Paris, la dernière crue "vingtennale" est survenue en janvier 1982, avec une hauteur d’eau de 6,18 mètres. La dernière crue "cinquantennale" est survenue en janvier 1955, avec une hauteur d’eau de 7,12 mètres. La dernière crue centennale est survenue en janvier 1910, avec une hauteur d’eau de 8,62 mètres. Mais la crue historiquement la plus importante jamais observée a été celle de février 1658, avec une hauteur d’eau de 8,81 mètres. Cette dernière est répertoriée avec une récurrence (assortie d’une "période de retour") de 400 ou 500 ans. Ceux qui tiennent au calcul de probabilité devront cependant prendre le soin d’y insérer un autre facteur : l’impact du changement climatique… Ce dernier est susceptible d’accroître la fréquence des crues, leur soudaineté et leur ampleur. Paris a jusqu’ici été épargnée, mais pendant combien de temps encore ?

Fluctuat nec mergitur. Battue par les flots, mais jamais ne sombre. 


Bassin versant de la Seine   LE BASSIN VERSANT DE LA SEINE s'étend sur une superficie de 74 000 km2, soit cinq fois la superficie de la région Île-de-France. Il est irrigué par 23 000 km de cours d'eau et le risque inondation est naturellement présent sur une grande partie de ce territoire.
Carte topographique du bassin versant de la Seine réalisée par Paul Passy (Chamois rouge) – Wikipedia

 

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PLUS D'UNE CHANCE SUR DEUX DE VIVRE UNE CRUE CENTENNALE
Le débit de la Seine est marqué par une grande variabilité interannuelle, caractérisée par des inondations de forte amplitude. La crue de 1910 est la plus connue avec un débit de pointe estimé entre 2 400 et 2 650 m3/s à Paris, soit près de huit fois le débit moyen du fleuve. Cette crue, bien documentée, fait figure de référence. On estime qu’elle a une période de retour centennale, soit une probabilité d’occurrence de 1 sur 100 chaque année. Ainsi, chaque Francilien a plus d’une chance sur deux de vivre un évènement de ce type au cours de son existence.
La probabilité de non occurrence d’une telle crue est de 0,99. Avec une espérance de vie de 82 ans en France, il y a donc une probabilité de (0.99)82 = 0,44 de ne pas vivre un tel évènement et donc de 0,56 de le vivre, plus d’une chance sur deux.

 

OUPS... Selon la définition de la confluence, le cours d'eau entrant à une confluence avec le plus fort débit annuel (module) donne son nom au cours d'eau issu de cette confluence. Selon cette définition, ce ne serait pas la Seine, mais l'Yonne, le cours principal du bassin parisien – et celui traversant Paris. À leur confluence à Montereau-Fault-Yonne, l'Yonne présente un débit et un bassin versant supérieurs à ceux de la Seine : respectivement 93 m3/s et près de 10 800 km2 pour l'Yonne, et  80 m3/s et 10 300 km2 pour la Seine. La même situation se reproduit en amont entre l'Aube et la Seine et cette situation se rencontre aussi entre la Saône et le Doubs.


Paris sous les eaux, Olivier Campagne et Vivien Balzi

 

 

Paris sous les eaux, Olivier Campagne et Vivien Balzi

L'ÎLE-DE-FRANCE
Particulièrement vulnérable au risque de crue

En touchant l’Île-de-France, une crue exceptionnelle affectera le pays dans son entier.

Près de 830 000 habitants de l’Île-de-France, soit 7,2 % de la population de la région, sont directement menacés par une crue centennale (note : cette estimation de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France, IAU ÎdF, se fonde les données du recensement général de la population de 2006 ; le nombre de 850 000 habitants impactés est aujourd'hui avancé). Les aires urbanisées des départements du Val-de-Marne et des Hauts-de-Seine sont tout particulièrement exposées, ainsi que les 7ème, 8ème, 12ème, 13ème et 15ème arrondissements de Paris. 60 % de cette zone inondable métropolitaine est exposée à un aléa fort à très fort où la hauteur de submersion pourrait dépasser 1 mètre.

100  000 entreprises, regroupant 750 000 emplois (chiffres des derniers travaux de l’IAU ÎdF non encore publiés), seront directement affectées ainsi que de nombreuses institutions officielles, des quartiers d’affaires et des sites patrimoniaux et touristiques de premier plan, de même que les infrastructures de transport, d’électricité et d’eau ainsi que de nombreuses écoles et établissements de santé. L’inondation des postes "sources" et moyenne tension – ou leur coupure préventive pour protéger les installations et faciliter le retour à la normale – privera a minima 2,5 millions d’habitants d’électricité ; par ailleurs, 20 % des stations d’épuration, représentant 85 % des capacités, sont localisées en zone inondable. L’approvisionnement alimentaire, en produits de première nécessité, en hydrocarbures, en argent liquide sera réduit ; les télécommunications seront aussi limitées avec des réseaux saturés ou dégradés. Au total, on estime que plus de 5 millions de personnes auront leur vie quotidienne significativement impactée par ces différents effets dont les répercussions dépasseront largement les seules zones inondées.

 

LES HOMMES. Malgré la forte exposition de l’Île-de-France, l’implantation humaine en zone inondable se poursuit, et ce de façon significative. L’implantation des nouvelles populations s’inscrit très majoritairement dans le cadre des processus de renouvellement et de densification, mais aussi de la mutation du tissu urbain : la requalification de friches industrielles et la construction de nouveaux logements. Dix communes accueillent 55 % de la population nouvelle en zone inondable sur la dernière décennie, parmi lesquelles Alfortville, Issy-les-Moulineaux, Ivry-sur-Seine, Maisons-Alfort, Asnières-sur-Seine et Villeneuve-la-Garenne témoignent des plus fortes évolutions.


Les pertes directes en vie humaine sont peu probables du fait de la lenteur de la crue. Mais de nombreux équipements hospitaliers ou de santé ne pourront continuer leurs activités qu’en mode dégradé ou devront fermer temporairement. Selon le secrétariat général de la zone de défense et de sécurité de Paris, plus de 35 000 lits seront impactés de manière directe et indirecte, en premier lieu dans les hôpitaux Georges Pompidou et de la Pitié-Salpêtrière (ce nombre correspond au scénario d’une crue équivalente à celle de 1910 ; pour une crue R1.15 ce sont 78 000 lits qui seraient impactés en totalisant les établissements desoins et les établissements médicaux-sociaux). Les opérations majeures devront être déprogrammées à l’avance et les malades les plus sévères, nécessitant des soins particuliers à l’instar des grands brûlés, seront évacués hors de l’agglomération parisienne.

Les institutions de l’État auront à faire face aux mêmes perturbations que les citoyens. De nombreux bâtiments clés du fonctionnement de l’État se trouvent en zone inondable ou de fragilité électrique : le palais de l’Élysée, l’Assemblée nationale, le palais de justice et la préfecture de police sur l’Île de la Cité, le ministère de l’Économie et des Finances à Bercy, celui des Affaires étrangères au quai d’Orsay, la préfecture de région, de même que le futur siège de l’état-major de l’armée française à Balard dans le 15ème arrondissement ainsi que plusieurs casernes de la brigade des sapeurs pompiers de Paris. Assurer la continuité de leur activité même en mode dégradé sera essentiel pour le bon fonctionnement de l’État. Une crise prolongée aurait des répercussions nationales si ces institutions se trouvaient empêchées de conduire leurs activités dans une période où leur action sera particulièrement requise.

Au niveau des collectivités locales, plusieurs mairies, le siège du conseil général du Val-de-Marne, de nombreux bâtiments publics qui assurent des services publics essentiels auprès des populations seront aussi touchés et pourront difficilement assurer leurs missions, notamment les services sociaux.

Le secteur industriel francilien est également vulnérable aux inondations de la Seine, et le secteur automobile en particulier. L’Île-de-France est la première région industrielle française avec 392 000 emplois salariés et c’est le secteur de l’automobile et du transport qui en est le premier employeur. Peugeot et Renault comptent parmi les dix plus gros employeurs (publics et privés confondus) de la région. Ces entreprises, de même que Snecma et Dassault se sont implantées historiquement le long des berges de la Seine, et verraient le fonctionnement de leurs usines affecté par la crue. Les chaînes d’approvisionnement, dont ces entreprises industrielles dépendent fortement seront aussi perturbées par l’impact sur les différents réseaux critiques. Les répercussions en chaîne de ces interruptions pourront avoir un impact plus large sur leurs nombreux sous-traitants et clients, en France et à l’étranger. Les inondations qui ont touché la ville de Bangkok en 2011 ont ainsi eu de sérieuses conséquences sur l’industrie automobile japonaise qui y a implanté de nombreuses usines.

 

LES ENTREPRISES. Les PME représentent 85 % des entreprises présentes dans la zone inondable. Elles pourront être sévèrement atteintes par les conséquences d’une crue pouvant entraîner de nombreuses faillites si elle dure. Lors de l’ouragan Sandy, 70 000 PME ont ainsi fait faillite à New York. De nombreux hôtels aussi sont concernés puisque 13 % des chambres de la région sont situées en zone inondable et 30 % d’entre elles en zone de vulnérabilité électrique. Cela concerne plus particulièrement les hôtels de catégorie supérieure de Paris intramuros. Une crue majeure dont les effets dureront plusieurs mois mettra à mal la saison, les touristes préférant réserver dans ces conditions vers une autre destination. L’impact des catastrophes sur les recettes touristiques d‘un pays peuvent être significatives : selon l‘Office national du tourisme japonais, le nombre de visiteurs étrangers au Japon a diminué de 50 % dans les mois qui ont suivi la catastrophe de Fukushima ; les inondations de Bangkok ont entraîné une perte supérieure à 3 milliards de dollars pour le secteur touristique, de même que les trois ouragans successifs de 2005 et l’épidémie de H1N1 ont largement réduit les recettes touristiques au Mexique.

 
Les dommages environnementaux d’une inondation de la Seine pourront être majeurs. Les usines de traitement des eaux usées de l’agglomération parisienne se trouvent toutes le long du fleuve et leurs niveaux de protection pourront être dépassés, entraînant à la fois leur arrêt et donc le rejet des effluents directement dans le fleuve, mais aussi l’inondation de leur zone de stockage d’effluents. Lors de l’ouragan Sandy, ce sont plus de 40 millions de mètres cubes d’eaux usées qui furent rejetés directement dans le milieu naturel. Des atteintes à l’environnement pourront aussi provenir de la présence de sites industriels importants, notamment de type règlementé par les directives européennes SEVESO ou IPPC, tels que ceux situés dans la boucle de la Seine à Gennevilliers ou à Vitry-sur-Seine (dépôts d’hydrocarbures et de produits inflammables). L’Île-de-France abrite 34 sites "Seveso haut", dont certains localisés en zone inondable. Les nombreux sites et sols pollués de la région, situés le long du cours de la Seine, ainsi que les sites de stockage de déchets entraîneraient également une pollution importante du milieu naturel s’ils étaient inondés.

 

LE PATRIMOINE. Le musée du Louvre, le musée d’Orsay et le musée du quai Branly ponctuent les berges de la Seine qui sont classées au patrimoine mondial de l’UNESCO. Lors des inondations de Prague en 2002, de nombreux chefs d’oeuvre culturels, et notamment le quartier médiéval Mala Strana classé au patrimoine de l’UNESCO, se sont retrouvés sous la boue et furent très endommagés. Des archives et bibliothèques historiques aux livres précieux furent aussi touchées : 2 000 mètres cubes de documents ont été congelés dans un entrepôt frigorifique en périphérie de la capitale afin de les conserver en vue de les restaurer.

 

TROIS SCÉNARIOS ont été définis autour de la crue de 1910 en utilisant les résultats du modèle hydraulique ALPHEE utilisé par la Direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie – Île-de-France (DRIEE) et l’établissement public territorial de bassin Seine Grands Lacs. Ces scénarios ne prennent pas en compte les effets des quatre barrages-réservoirs situés en amont du bassin, qui permettre de réduire le niveau de l’eau à Paris de près de 70 centimètres.
Scénario 1 
Le débit de la crue atteint 80 % du débit de 1910

La Seine atteint une hauteur de 6,90 mètres à l’échelle d’Austerlitz et eaux restent hautes près d’une semaine.
Grâce à des protections locales bien maintenues, l’eau reste majoritairement contenue par les berges et les murs de protection de la Seine dans les grandes zones urbanisées. La crue affecte toutefois plus de 100 000 personnes et inonde 30 000 habitations en grande banlieue à l’amont et à l’aval de Paris. Entreprises et équipements publics sont aussi touchés par des impacts directs causant des pertes d’exploitation ainsi que la perturbation localement des réseaux d’assainissement, d’électricité et de transport (la ligne du RER C notamment) pour deux semaines additionnelles au minimum.
Ce scénario est légèrement inférieur mais représentatif des crues historiques de janvier 1924 et 1955.
Scénario 2
Le débit de la crue atteint 100 % du débit de 1910

La Seine atteint une hauteur de 8,15 mètres à l’échelle d’Austerlitz et les eaux restent hautes près de deux semaines.
Paris est protégée par ses berges et murettes, mais les départements de la petite couronne ne le sont pas, et l’eau y déborde sur de larges zones. Plus de 600 000 habitants sont directement affectés essentiellement dans les départements des Hauts-de-Seine et du Val-de-Marne et près de 100 000 habitations sont inondées. La préservation du cœur de l’agglomération permet néanmoins de restaurer la plupart des fonctionnalités métropolitaines, un à deux mois après la fin de la période de crise.
Scénario 3
Le débit de la crue atteint 115 % du débit de 1910

La Seine atteint une hauteur de 9,11 mètres à l’échelle d’Austerlitz et les eaux restent hautes près de quatre semaines par endroit.
À Paris, les berges et murettes ne permettent plus de contenir l’eau dans plusieurs quartiers intramuros de la ville, et de larges zones de l’agglomération se retrouvent sous les eaux. 1 000 000 de personnes sont directement affectées. Le réseau électrique est interrompu pour près de 1,5 million de clients particuliers et professionnels, l’eau potable n’est plus distribuée ou seulement avec une qualité détériorée pour près de 6,5 millions d’habitants au total. Le réseau de transport public souterrain est largement endommagé et interrompu pendant une longue période et le passage de la rive droite à la rive gauche de la Seine est impossible. La plupart des habitants de l'Île-de-France voient leurs conditions de vie sévèrement dégradées pendant plusieurs mois. L’activité économique s’interrompt quasiment pendant plusieurs semaines et met des mois avant que des conditions de vie normales permettent aux habitants de retourner travailler au niveau d’avant la crise. Entretemps de nombreuses PME ont fait faillite alors que de grandes entreprises ont délocalisé provisoirement leurs activités.
Pour développer des stratégies de préparation à la crise dans le cadre du dispositif ORSEC, la préfecture de police et son secrétariat général de la zone de défense et de sécurité utilisent cependant quatre scénarios régionaux : R0.6 (60 % des débits de 1910), R0.8 (80 %), R1 (100 %) et R1.15 (115 %). L’étude sur ce débit supérieur de 15 % au débit maximum observé en 1910, permet d’intégrer les aménagements du lit de la Seine et les quatre barrages-réservoirs situés en amont de la capitale. Ce débit produirait une crue presque équivalente en surfaces inondées à celle de 1910, correspondant aux "plus hautes eaux connues" (PHEC). L’intérêt de ce scénario R1.15 est d’étudier le cas d’une submersion des systèmes de protection, généralement fondés sur le niveau de la crue 1910 (8m62 à Austerlitz). En effet, pour une hauteur sensiblement supérieure à celle de 1910, il y a un véritable effet de seuil qui entraînerait une augmentation significative des impacts, notamment pour l’eau potable, puisqu’on passerait alors de quelques milliers de personnes privées d’eau à près de 5 millions.

Les dommages de la catastrophe ont été estimés dans le rapport de l’OCDE entre 3 et 30 milliards d’euros pour les dommages directs selon les scénarios d’inondation, assortis d’une réduction significative du PIB qui atteindra sur 5 ans de 1,5 à 58,5 milliards d’euros. La réduction de l’activité des entreprises causée par l’inondation impactera significativement la demande en main d’œuvre jusque 400 000 équivalents temps plein dans le cas extrême. Même si le rebond d’activité réduira certains de ces effets rapidement après une année, les conséquences dommageables d’une crue majeure de la Seine se feront sentir à long terme et peser sur les finances publiques. Dans le cas où l’impact dépasserait les réserves disponibles pour y faire face, via le régime d’indemnisation pour les catastrophes naturelles CatNat, l’État sera conduit à jouer pleinement son rôle de garant de dernier ressort. Pour y parvenir il aura le choix entre l’émission d’un emprunt d’État ou la mise en place d’un impôt exceptionnel.


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Visiau-Risques – L’outil SIG Visiau-Risques a été développé par l‘IAU ÎdF.
Disponible en ligne pour les professionnels, il contient de nombreuses informations détaillées sur les enjeux exposés et précise les zones d’aléa fort et d’aléa faible. Cet outil a notamment permis à l’institut d’estimer précisément le nombre de personnes, d’entreprises et d’emplois concernés par le risque d’inondation avec une restitution fine à l’échelle des communes.
Visiau Île-de-France / Risques naturels et technologiques / Inondations

 

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Baignade interdite – Application cartographique développée par l'IAU ÎdF.
L'outil permet d'obtenir une série d'informations sur les zones inondables en Île-de-France : niveaux d'eau ; superficie communale inondable ; équipements, résidents et habitations impactés. L'application croise deux catégories de données : d’une part celles disponibles en open data (communes, gares ferroviaires, établissements de santé, établissements du 1er et 2nd degré, le fond OpenStreetMap) et, d’autre part, celles de l'IAU ÎdF.

 

Paris sous les eaux, Olivier Campagne et Vivien Balzi

 


Grands lacs de Seine

GRANDS LACS DE SEINE
Des lacs pour protéger la capitale

 

Les barrages-réservoirs ont tellement bien fonctionné depuis plus d’un demi-siècle (en l’absence aussi d’évènement exceptionnel) qu’ils ont donné aux Franciliens un sentiment d’invulnérabilité.

Pour protéger la région parisienne et les communes riveraines des inondations de la Seine et de la Marne et assurer un débit suffisant du fleuve en périodes de sécheresse quatre lacs-réservoirs ont été établis sur la Seine et sur ses affluents (l’Aube, l’Yonne et la Marne) dans des zones aux sous-sols imperméables. Cette mission, entreprise par le département de la Seine, dès les années 1930, a été poursuivie depuis 1969 par l’Institution interdépartementale des barrages-réservoirs du bassin de la Seine, un établissement public à caractère administratif qui regroupe le Val-de-Marne, la Seine-Saint-Denis, les Hauts-de Seine et Paris. Appelée "Les Grands lacs de Seine", l’institution a été reconnue établissement public territorial de bassin en 2011.

C’est ainsi qu’a été édifié en 1949 dans le Morvan le barrage-réservoir de Pannecière et, en Champagne Humide, le lac-réservoir Seine en 1966, aussi appelé lac d’Orient, puis le lac-réservoir Marne (lac du Der-Chantecoq) en 1974, suivi enfin, en 1990, du lac-réservoir Aube (lacs du Temple et Amance). Ces quatre ouvrages ont une superficie égale à celle de Paris et une capacité totale de stockage qui correspond à la consommation annuelle en eau potable de la région parisienne, soit plus de 800 millions de mètres cubes.

 

Barrage de Pannecière (sur l’Yonne)  Canal d’amenée du lac-réservoir Marne
Barrage de Pannecière (sur l’Yonne) – Mis en service en 1949, le lac-réservoir de Pannecière est le plus anciens des ouvrages gérés par l'EPTB Seine Grands Lacs. Le barrage de type "à voûtes multiples et contreforts", est adapté à la forme évasée de la vallée est établi sur le courant de l’Yonne.
Canal d’amenée du lac-réservoir Marne – Mis en service en 1974, le lac artificiel du Der-Chantecoq est le plus important des ouvrages gérés par l'EPTB Seine Grands Lacs. En hiver et au printemps, les eaux sont prélevées en Marne et en Blaise pour constituer une réserve pour l'étiage. En période de crue, des prélèvements supplémentaires sont effectués pour limiter les risques d'inondations à l'aval.

 

Lac-réservoir Seine  Lac-réservoir Aube
Lac-réservoir Seine – Mis en service en 1966, le lac d’Orient repose sur une cuvette imperméable constituée d'une formation limoneuse superficielle et fermée par 5 digues en matériaux argileux compactés, d'une hauteur variant de 4 à 25 mètres.
Lac-réservoir Aube – Mis en service en 1990, le lac-réservoir est constitué de deux bassins établis en rive gauche de l’Aube : le lac Amance et le lac du Temple, reliés par un canal de jonction de 1,5 km de longueur. (photo EPTB Seine Grands Lacs)

 
Établi sur le cours même de l’Yonne, le lac de Pannecière est un classique ouvrage de vallée fermé par un barrage en béton. Les trois autres grands lacs sont eux des réservoirs en dérivation, ce qui signifie que l’eau prélevée en amont des cours d’eau s’écoule jusqu’au réservoir par un canal d’amenée long de plusieurs kilomètres, puis qu’elle est stockée dans un lac fermé par des digues en terre compactée intégrées au paysage. Enfin, un canal de restitution permet de réalimenter la rivière plus loin en aval. Ainsi, en hiver et au printemps, pendant la période de hautes eaux et de risques d’inondation, les vannes du canal d’amenée sont ouvertes. Elles permettent le remplissage des lacs-réservoirs et le stockage des eaux, particulièrement en cas de crue des rivières en amont des ouvrages. À leur aval, les inondations ne sont pas supprimées mais les conséquences sur les dommages aux bâtiments, aux activités économiques  et aux services publics s’en trouvent largement réduites lors de crues de moyenne importance. La vie quotidienne de millions de personnes en est moins perturbée. En été et en automne, quand les lacs sont pleins, quand les rivières sont au plus bas et que menace la sécheresse, les vannes du lac sont ouvertes. Les eaux s’écoulent alors par le canal de restitution ; elles sont tranquillisées par des déversoirs et viennent se jeter dans la rivière. La qualité de l’eau de la rivière est améliorée au bénéfice de la faune, principalement des poissons ; l’alimentation en eau potable en est facilitée au moment où les besoins des millions de riverains du fleuve se font le plus vivement sentir. C’est ainsi qu’en région parisienne, ces apports représentent deux à trois fois le débit naturel de la Marne et de la Seine.

L’ensemble de ces opérations s’effectue dans le cadre d’un règlement d’eau élaboré par les pouvoirs publics. À l’intérieur du cadre ainsi fixé par l’État et en fonction de la situation des rivières et des besoins du bassin, l’exploitation des barrages est le fruit d’une concertation entre les différents acteurs de l’eau : élus, administrations, agents économiques et associations.


Le fonctionnement d'un lac-réservoir – EPTB Seine Grands Lacs

 

L’EPTB SEINE GRANDS LACS est l’héritier des inondations historiques de 1910 et 1924, et de l’étiage de 1921, après lesquelles le département de la Seine s’engagea dans la construction de ces barrages. Malgré un mandat territorial étendu sur l’ensemble du bassin amont, l’objet de son action, en matière d’inondation, est destiné essentiellement à la protection de la métropole francilienne contre les aléas du fleuve, ainsi qu’à celle des zones urbaines situées en aval des lacs-réservoirs en Champagne-Ardenne et en Bourgogne. Son conseil d’administration et son financement sont ainsi assurés par les départements de la petite couronne, Paris en assurant la moitié. Disposant d’un budget de fonctionnement de près de 12 millions d’euros, l’EPTB assure la maintenance et la gestion de ces ouvrages avec un effectif de 120 agents. Son budget d’investissement est plus variable. En 2012, l’EPTB a été autorisé à collecter une redevance pour service rendu auprès des principaux usagers d’eau relative à son action de maintien des débits d’étiage. Il en attend 7,5 millions d’euros annuellement. L’EPTB s’investit parallèlement sur la thématique de réduction de la vulnérabilité aux inondations et de résilience, à travers un rôle d’animation et d’incitation des actions des collectivités locales. Dans ce cadre, l’établissement a pris la décision de proposer à l'État la labellisation d'un programme d'actions de prévention des inondations (PAPI) de la Seine et de la Marne afin de réduire la vulnérabilité du territoire francilien face aux inondations. L'objectif d´un tel engagement contractuel entre l'État et les collectivités territoriales est la mise en cohérence des actions des maîtres d'ouvrage locaux à l'échelle du bassin de risque, que l’État peut cofinancer à hauteur d’environ 40 %.


L’EPTB Seine Grands Lacs est à l’origine d’un nouveau projet : le projet d’aménagement de La Bassée, devenu le serpent de mer de la politique francilienne d’aménagement contre les crues. De quoi s’agit-il ? Tout simplement de réaménager d’anciennes zones naturelles d’expansion de crue sur le territoire de la Bassée en Seine-et-Marne, entre Bray-sur-Seine et Montereau-Fault-Yonne. Celles-ci ont été supprimées par l’activité humaine, notamment par la canalisation à grand gabarit de la Seine dans ce secteur stratégique, situé en amont de la confluence de la Seine et de l’Yonne.  L’objectif de l’aménagement est d’empêcher la simultanéité d’une crue de l’Yonne avec une crue de la Seine en se donnant les moyens de retenir cette dernière quelques jours en amont de la confluence, le temps de laisser passer la première ; quelque part, il s’agirait de réguler les flots comme on régule le trafic ferroviaire (dans un cas comme dans l’autre, la voie de passage est unique). Les études ont établi que l’ouvrage de la Bassée assurerait à l’agglomération parisienne une protection correspondant au seuil à partir duquel surviennent les perturbations majeures. Ainsi, par exemple, Ivry-sur-Seine et Alfortville seraient mises hors d’eau pour une crue similaire à 1910. La ligne C du RER ne serait plus vulnérable qu’en cas de crue centennale. La commune de Monterau-Fault-Yonne serait totalement épargnée par des crues analogues à celles de 1955 et 1982. Si l’aménagement de la Bassée avait existé au XXème siècle, il aurait été actionné dix-huit fois pour une durée de huit à quinze jours, selon le cas. Reste la question essentielle du financement puisque le coût total des travaux (pouvant être réalisés par étapes) a été estimé à près de 600 millions d’euros.

C’est là évidemment le problème. Le projet a fait l’objet d’un débat public exemplaire avec les acteurs locaux (collectivités territoriales, carriers, chasseurs et pêcheurs, agriculteurs, associations naturalistes, archéologues) à l’issue duquel l’EPTB Seine Grands Lacs a décidé de poursuivre ce projet d’aménagement avec l’étude et la mise en œuvre d’un site pilote, d’un volume de stockage de l’ordre de 10 millions de mètres cubes pour un montant total n’excédant pas 100 millions d’euros.

Mais tout cela n’est encore qu’un projet – un projet qui traîne. C’est dommage car à côté de la réduction de l’aléa inondation, l’autre objectif du projet est de restaurer la zone humide de La Bassée, la plus importante d’Île-de-France, avec une longueur d'environ 90 kilomètres pour une largeur pouvant atteindre 4 kilomètres et davantage à la confluence entre la Seine et l’Yonne.

 

Projet d’aménagement de La Bassée
Le projet d’aménagement de La Bassée consistera à pomper une partie des eaux de la Seine, puis à les stocker dans des casiers latéraux au moment du pic de la crue de l’Yonne. Il serait ainsi possible de retenir jusqu’à 55 millions de mètres cubes d’eau.


Paris sous les eaux, Olivier Campagne et Vivien Balzi

Rendre l’Île-de-France
PLUS RÉSILIENTE FACE AU RISQUE INONDATION

 

Dans le bassin de la Loire, le "plan Loire Grandeur Nature" (plan Loire) a guidé l’évolution de la gestion du risque d’inondation depuis 1994 vers une stratégie permettant de mieux vivre avec les crues, au lieu d’essayer de réduire le risque d’inondation à néant par un contrôle des cours d’eau. Ce plan fournit un cadre à des mesures concrètes qui, entre autres, soutiennent la réalisation d’études visant à mieux modéliser les grandes crues et les risques d’inondation, à réduire la vulnérabilité des populations et des entreprises aux conséquences directes et indirectes des inondations, à sensibiliser le public au risque d’inondation, et à renforcer la prévision des crues. La sélection des projets sur la prévention des inondations fait l’objet de débats dans le contexte plus large de l’utilisation de l’eau, de la protection de l’environnement, et de la préservation des activités culturelles et récréatives. Cette approche holistique reconnaît la variété des intérêts et des groupes qui attachent des valeurs différentes aux ressources du fleuve. Elle fournit en outre une structure permettant de parvenir à des compromis éclairés. La sélection des projets est notamment liée aux lignes directrices de la politique de l’eau sur la reconnaissance de la contribution des crues à la recharge des zones humides et des nappes phréatiques. Cette politique s’inscrit dans le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) élaboré par le Comité de bassin Loire-Bretagne, qui rassemble collectivités locales, acteurs économiques, administrations de l’État et associations, y compris des associations de protection de la nature.

Les plans "Grand Fleuve", qui ont été initiés à partir de ce premier plan Loire, permettent d’inclure les priorités du développement territorial autour des grands axes fluviaux dans les contrats de plan État-région signés périodiquement et qui ouvrent l’accès aux financements européens. Le premier plan Seine, adopté en 2007 pour couvrir la période 2007-2013, incluait ainsi la réduction du risque d’une inondation majeure de la Seine – similaire à celle de 1910 – parmi ses quatre priorités. Le plan incluait une liste de projets concrets, tel que le projet de stockage d’eau de la Bassée, et leur financement dans les domaines du contrôle de l’aléa, la réduction de la vulnérabilité ou la protection de l’environnement. Le nouveau plan Seine est en cours de développement. A contrario d’autres plans "Grand Fleuve", le plan Seine n’a pas été porté politiquement ni fait l’objet d’une communication permettant son appropriation par les acteurs du bassin. Il n’a ainsi pas pu acquérir la dimension d’un véritable cadre stratégique pour la gestion des inondations du bassin de la Seine et la prévention de ce risque en Île-de-France en particulier. Ce constat – très juste – est souligné dans le rapport de l’OCDE.

Accroître la résilience de l’agglomération parisienne à une inondation majeure de la Seine peut se baser sur un éventail de mesures et d’opportunités au niveau des territoires, dans les entreprises ou les services publics. La réflexion sur le Grand Paris doit aussi s’orienter dans ce sens. Le renforcement de la résilience des territoires peut se baser sur un aménagement raisonné et un développement urbain qui intègre le risque d’inondation à sa juste mesure. Ceci inclut la question des réseaux et des infrastructures critiques dont la vulnérabilité aux inondations est source de multiplication des effets d’une catastrophe. Plus largement c’est aussi la résilience des entreprises, des services publics et des particuliers qu’il s’agit de développer, à travers des approches de continuité de l’activité, par exemple. Tandis qu’une partie des grandes entreprises ont déjà développé ou développent actuellement leurs propres stratégies de prévention et de gestion du risque d’inondation en fonction du cadre réglementaire et des autorités de régulation (banques, télécommunications), les PME restent globalement très vulnérables et peu préparées.

De nombreuses options d’amélioration de la résilience de la métropole peuvent cependant être engagées sur la base d’une culture du risque partagée : elles nécessitent l’engagement de tous autour d’un objectif commun, et surtout une action de long terme au niveau de l’urbanisme, dans les infrastructures, et vis-à-vis des acteurs économiques, comme des particuliers.


Quartier des Ardoines 201506_cruecentennale_ardoines.jpg
VERS UNE DÉMARCHE DE RÉSILIENCE MODÈLE DANS LE QUARTIER DES ARDOINES
La résilience aux inondations est au cœur du projet de renouvellement urbain du quartier des Ardoines, situé sur le territoire de la commune de Vitry-sur-Seine et fortement exposé à ce risque. Prévoyant la construction de 13 000 logements et l’implantation de 45 000 emplois dans la zone de l’établissement public d’aménagement Orly-Rungis-Seine-Amont (EPA ORSA), ce projet est piloté directement par l’État en tant qu’opération d’intérêt nationale. Ainsi l’EPA ORSA a souhaité que ce projet urbain intègre la résilience aux inondations. Une fois réalisé, il pourra alors servir de démonstrateur ambitieux des innovations de la résilience.
Un plan-guide a ainsi été réalisé en 2009, qui divise le quartier d’aménagement en trois zones sur un schéma en terrasse : un parc public en bord de Seine de 10 hectares construit en décaissant les berges et sur lequel les crues de période de retour 5 ans et plus s’épandraient ; une terrasse intermédiaire qui verrait habitats et activités s’installer avec une densité faible et une conception basée sur la résilience aux inondations, avec un niveau de protection cinquantennal ; une plateforme supérieure, ou les activités stratégiques, les infrastructures et équipements publics seraient protégés pour les inondations plus importantes.
Cette approche ambitieuse a néanmoins été remise en cause du fait des coûts de terrassement, et de difficultés opérationnelles. Le projet s’oriente aujourd’hui plus vers l’intégration d’objectifs de résilience des constructions et de maintien du fonctionnement en période d’inondation via un réseau viaire hors d’eau.
Renouvellement urbain et risque inondation : le plan-guide "Seine-Ardoines" – Alexandre Brun et Félix Adisson, Cybergeo, 2011

 

LE HAUT COMITÉ FRANÇAIS POUR LA DÉFENSE CIVILE a récemment mis sur pied une formation cycle court sur la préparation à la crue centennale en Île-de-France. Cette formation, qui se déroule sur une journée, vise à : sensibiliser les participants aux enjeux d'une crue et aux missions des différents acteurs intervenants en cas de crue centennale ; appréhender les notions de stratégie interne de continuité d'activité ; découvrir les éléments essentiels de la continuité d'activité en cas d'inondation majeure au travers d’un exercice pratique.
Haut Comité français pour la défense civile


Cet article ne prétend nullement à l’exhaustivité. Trois points doivent être mentionnés même s’ils sont rarement évoqués.

La crue de la Seine ne sera peut-être pas unique. Le jeudi 20 janvier 1910, alors qu’à Paris l’eau commençait à s’infiltrer dans le collecteur d’égout du pont de la Concorde et rejoignait le chantier de construction du métro Nord-Sud (l’actuelle ligne 12), Besançon s’apprêtait à subir le plus grand débordement jamais connu du Doubs. Avec ses 9,57 mètres de hauteur d’eau et ses dégâts considérables, la crue de 1910 allait ici aussi s’inscrire bien au-dessus de la précédente cote historique de 8,85 mètres relevée en 1882. En aval, mi- janvier l’Oise enregistrait une montée, d’abord lente puis rapide à partir du 23 janvier. Un premier pic de crue est atteint le 25 janvier, avant une première décrue, puis une nouvelle remontée en février et une troisième début mars. Cette simultanéité des évènements, si elle devait se reproduire, risquerait d’affaiblir les pouvoirs publics.

Par ailleurs, le dérèglement des services publics sur une longue période et l’environnement dégradé ne risquent-t-ils pas d’engendrer une insécurité accrue ? Peut-on s’attendre à une recrudescence des atteintes aux biens mais aussi aux personnes ? Enfin, à plus long terme, quels seront les effets psychologiques d’une crise de telle ampleur et leurs répercussions sur la santé mentale des populations affectées, notamment les plus fragiles ? .

 Paris sous les eaux, Olivier Campagne et Vivien Balzi

 

ResSources
H2O remercie pour leur contribution à ce dossier : la préfecture de police et le secrétariat général de la zone de défense et de sécurité (le commandant Sidonie Thomas et Sandra Masson Planchon), la DRIEE Île-de-France (Benoit Jourjon), l’IAU Île-de-France (Ludovic Faytre), l’EPTB Seine Grands Lacs (Régis Thépot) et le Haut comité français pour la défense civile (Christian Sommade et le général Serge Garrigues).

Rapports
Étude de l’OCDE sur la gestion des risques d’inondation : La Seine en Île-de-France, Rolf Alter, 2014
pdf OCDE Rapport final, 214 pages
pdf OCDE Résumé exécutif, 25 pages


Notes
Urbanisation et zones inondables : les risques encourus, Ludovic Faytre, IAU Île-de-France, Note rapide n° 557, juillet 2011
Économie francilienne : quelle robustesse face à une inondation majeure ?, Ludovic Faytre, IAU Île-de-France, Note rapide n° 534, février 2011
Zones inondables : des enjeux toujours plus importants en Île-de-France, Ludovic Faytre, IAU Île-de-France, Note rapide n° 516, septembre 2010

Ouvrages
Le jour où l’eau reviendra, 100 ans après la grande crue de 1910, Pascal Popelin, Jean-Claude Gawsewitch Éditeur, 2009

Films et documentaires
1910, Paris sous les eaux, documentaire d’Éric Beauducel et Olivier Poujaud, Elka Production
Paris 2011, La Grande Inondation, film de Bruno Victor-Pujebet sur un scénario original de Bruno Portier, production Bonne Pioche.

Modélisations 3D
Simulation 3D d'une inondation centennale à Paris – IAU Île-de-France
Simulation d'une inondation à la confluence de la Seine et la Marne – IAU Île-de-France

Internet
Grands Lacs de Seine
DRIEE Île-de-France
IAU Île-de-France
Centre européen de prévention du risque d’inondation
Secrétariat général de la zone de défense et de sécurité – Préfecture de police de Paris

 

À venir
H2O invite les acteurs et opérateurs majeurs à lui transmettre leur plan de réponse en cas d'inondation majeure. La RATP, ERDF et la SEMMARIS (société gestionnaire du marché international de Rungis) ont d'ores et déjà répondu à notre invitation. Leurs commentaires et plans d'action seront rapidement mis en ligne.

Également à lire :
L'interview du préfet Jean-Paul Kihl, secrétaire général de la ZDS de Paris
Paris sous les eaux, les inondations de 1910 à Paris et dans sa région