H2o Magazine

Baïkal-Bangkok

Mots clés : Asie, Baïkal, Bangkok, Gange, Gobi, Himalaya,Mékong, Zanskar
Dossier de
Caroline RIEGEL
  
April 2004
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UN VOYAGE AUX CONFINS DE CONTRÉES
Où l'homme vit et subit les caprices de l'eau

L’eau… un élément qui fait tellement parler de lui : capricieux, fragile, insuffisant, surabondant ou inexploitable, source de conflits ou de bonheurs, inégalement réparti mais toujours fascinant. Elle vole même la vedette aux grandes stars en raflant le titre de "problème majeur du 21ème siècle". Mais l’eau est avant tout un formidable lien entre les hommes, comme une route vitale qui nous relie et dont les caprices nous rappellent notre réalité humaine.

Caroline RIEGEL – Baïkal-Bangkok H2o – mai 2004

 

Impliquée de par mon métier d’ingénieur en constructions hydrauliques, intéressée par les divers projets hydrauliques existants ou à venir, fascinée par la puissance et la beauté de l’eau, passionnée par l’au-delà, en quête d’idéal et boulimique de rencontres, j’ai tout naturellement été amenée à projeter un voyage aux confins de divers lieux où l’eau exprime ses caprices sans retenue : Baïkal-Bangkok, au gré des saisons et au fil de l’eau.

Un voyage qui provoque l’eau dans ses extrêmes et me rapproche des différentes populations qui tentent inlassablement de l’apprivoiser. Partager leurs instantanés de vie et les transmettre en témoignage humain au monde occidental, en réponse à notre souci constant de recherche de confort et de facilité. Une approche humaine pour sensibiliser et découvrir les innombrables visages de l’eau : sa beauté, sa préciosité, ses revers, ses secrets…

Vivre  cette dépendance à l’eau sous ses divers aspects en posant les valises dans les lieux phares de ce voyage aux saisons climatiques les plus marquantes. L’eau est à la fois le fil directeur du voyage et un lien vers les autres. En effet, la rudesse de l’environnement sera, je l’espère, un atout de solidarité, d’échange et de partage.

Les objectifs de ce voyage sont de : comprendre les divers rapports que les hommes entretiennent avec l’eau, qu’ils soient purement géographiques ou climatiques, religieux, pratiques ou encore professionnels. La rencontre de personnalités marquantes dans leur relation avec l’eau, leur histoire et leur regard sur l’eau dévoileront les multiples facettes de cet élément. Comparer les divers projets hydrauliques et hydrologiques pour chacune des régions explorées (au travers de rencontres avec des professionnels des métiers de l’eau) et mon vécu à échelle humaine sur le terrain. Cette approche confrontera ainsi la réalité humaine du quotidien et de l’adaptation et les impératifs techniques ou politiques liés à son exploitation et à sa maîtrise. Apprendre à partager l’essentiel en suivant quelques principes de vie comme ceux soufflés par une inlassable et remarquable voyageuse, Ella Maillart, qui ne concevait la découverte et l’apprentissage sans la vision de terrain ou par un vieux sage tibétain qui conseillerait le chemin le plus difficile car le plus enrichissant…

Ces étapes s'orienteront autour de régions marquées par des particularités ou extrêmes hydrologiques et climatiques :

  • avril-mai 2004, Le réveil de la perle de Sibérie : dégel du lac Baïkal    
  • juin 2004, Traversée de la Mongolie     
  • juillet 2004, Eau, denrée rare : désert de Gobi en été
  • août 2004, Traversée de l'ouest du plateau himalayen
  • décembre 2004, Désert froid, eau solide : hiver himalayen
  • avril-mai 2005, Eau sacrée et source d’une grande civilisation hydraulique : mythes et traditions autour du Gange dans l’attente de la mousson
  • juin-juillet 2005, Trop plein d’eau : la mousson au Bangladesh
  • août-octobre 2005, La vie s’organise autour de grands fleuves : descente du Mékong
  • novembre 2005, Une ville les pieds dans l’eau : Bangkok
  • Retour par voie maritime...      


Ces vastes points de chutes sont des "lieux d’exploration", où je compte partager le quotidien des autochtones plus longuement (un à trois mois pour chacun de ces lieux). En outre ma spécialisation dans le domaine de l’hydraulique me permettra de rencontrer de nombreux professionnels du monde de l’eau afin de faire un bilan des divers projets en cours ou futurs pour les zones concernées. Une manière de confronter le vécu et l’adaptation aux différentes formes de l’eau à échelle humaine, à l’aspect, plus technique et plus global de l’exploitation et de la maîtrise de l’eau. Les hauts lieux de ce périple seront reliés par des périodes de voyage proprement dit. Bien entendu, en dehors de la grande richesse géographique de ce trajet, le choix de cette région du monde n’est pas complètement anodin : découvrir les steppes d’Asie centrale à cheval et le plateau himalayen à pied font partie de ces vieux rêves qui vous harcèlent jusqu’à devenir réalité !

Ce projet est avant tout un voyage, une découverte, dont l’expérience et les rencontres sauront mettre en valeur la vie d’autrui afin de mieux sensibiliser notre monde occidental à ce que représente l’eau hors de notre cadre tempéré, à l’humilité et au respect qu’elle impose, bien souvent en toute simplicité. Un partenariat avec des écoles et des ONG est en cours. Ainsi, durant le périple, je serai en mesure de faire partager mes découvertes et éventuellement d’apporter mon aide et mes compétences techniques sur place. .


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LAC BAÏKAL
Une eau potable en bonne santé ?

Caroline RIEGEL – Baïkal-Bangkok H2o – juillet 2004

 

Le lac Baïkal est le plus ancien (plus de 25 millions d'années d'existence) et le plus profond lac de la planète (1 637 mètres) ; il abrite aussi une exceptionnelle variété d'espèces endémiques (56 % des espèces endémiques répertoriées en 2001). Qui plus est, il constitue la plus grande réserve d'eau douce directement exploitable. Son volume, de 23 000 km3, est l'équivalent d'une lame d'eau de 20 cm, uniformément répartie sur toute la surface des continents et qui permettrait d'abreuver l'humanité en eau potable pendant près de 4 000 ans.

Son eau est d'un bleu incomparable et d'une transparence qui atteint les 42 mètres et que seules les eaux de mer de Sargasses surpassent. Elle serait aussi, selon les dires de ceux qui la boivent, parfaitement pure et excellente pour la santé. Très faiblement minéralisée, elle est recommandée par les médecins contre l'hypertension, les maladies cardio-vasculaires et dans l'accompagnement des régimes sans sel.

En 1990, des chercheurs et des ingénieurs d'Irkoutsk ont décidé d'en faire profiter le monde entier en embouteillant et en commercialisant l'eau du noyau du lac. La zone, qui se situe à 300 mètres de la surface et plus de 100 mètres du fond est la plus propre du lac, avec une température constante de 3,5 °C. Un second projet d'exploitation est envisagé dans la région de Sloudianka, à l'extrême sud du lac.

 

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Situé au sud-est de la Sibérie, le lac Baïkal, d'une superficie de 3,15 millions d'hectares, est le plus ancien (25 millions d'années) et le plus profond (1 700 mètres) lac du monde.
Il contient 20 % des eaux douces non gelées de la planète.
Son ancienneté et son isolement ont produit une des faunes d'eau douce les plus riches et originales de la planète, qui présente une valeur exceptionnelle pour la science de l'évolution, ce qui lui vaut le surnom de "Galápagos de la Russie". 
Comparé au lac Léman, le Baïkal est 5 fois plus profond, 54 fois plus étendu et 258 fois plus volumineux. Son volume est comparable à celui de la mer Baltique.


Écosystème menacé

L'argument de vente est évidemment la parfaite pureté de l'eau, qui respecte l'ensemble des normes et recommandations en vigueur (OMS ; normes européennes, etc.). Si les analyses du noyau confirment ces dires, toutes les zones du lac ne sont pas d'une qualité aussi irréprochable et le débat sur sa pollution est vif. La vallée de l'Angara, fortement industrialisée (aluminium, construction aéronautique, chimie, fabrication de cellulose, etc.) génère d'importantes pollutions. Il en est de même du fleuve Selenga dont les eaux, qui représentent 40 % des apports du lac, charrie toutes les pollutions de la capitale Oulan-Oude, située à une centaine de kilomètres en amont. À cela s'ajoutent l'augmentation incontrôlée du tourisme ainsi que de nombreuses constructions illégales autour du lac ainsi que les conséquences des incendies fréquents de la taïga avoisinante.

De plus en plus montrés du doigt, les pollueurs se défendent : "En marge de notre production, nous avons toujours eu le souci du traitement des effluents, assuré par un département spécifique" explique le docteur Elena Grosheva, présidente de l'Institut de écotoxicologie de Baikalsk. Fondé il y a 38 ans, en même temps que l'usine de cellulose, l'institut est chargé de contrôler la toxicité des eaux rejetées par l'usine, soit 140 000 m3 par jour au plus fort de la production. "L'eau rejetée par le combinat est chaque semaine testée dans nos laboratoires à l'aide d'un organisme indicateur sensible à la pollution, le Daphnia Magna ; il s'agit là d'un test respectant les standards internationaux" précise la responsable.

La plus grande source de pollution ne devrait donc plus être le combinat qui, selon elle, rejette des eaux convenablement traitées. "Ceux qui avancent de telles critiques ne sont probablement pas au courant des progrès qui ont réalisés dans le traitement des effluents". Aussi c'est bien davantage le fleuve Selenga qui préoccupe le plus Madame Grosheva. Le bassin versant recueille tous les rejets des exploitations agricoles mongoles et bouriates, ainsi que ceux de la ville d'Oulan Oudé, la capitale de la Bouriatie. Ce sont globalement 40 % des apports du lac qui seraient ainsi pollués avec des impacts sur l'écosystème du Baïkal parfaitement inconnus.

"Les changements de la composition du phytoplancton du Baïkal confirment l'existence d'une pollution du lac", confirme Irina Makanikova, chercheur à l'Institut de limnologie d'Irkoutsk. "Certaines espèces sont devenues dominantes après la mise en service du barrage d'Irkoutsk (en 1958), qui a relevé le niveau d'eau du lac d'environ un mètre et qui a provisoirement modifié les zones de rives". De plus, pendant l'hiver 1987-1988, une épidémie a décimé entre 5 000 et 10 000 nerpas, une espèce de phoques d'eau douce, endémique au lac Baïkal. D'après Jennifer Sutton, co-présidente de l'ONG Baikal Environmental Wave (BEW), les dioxines en seraient la principale cause. Des dioxines, issues de combustions industrielles ou naturelles, ont été récemment détectées dans la chaîne alimentaire du lac et contribuent à affaiblir les organismes vivants.

Depuis la Perestroïka, l'activité industrielle de la région s'est fortement ralentie, de nombreux projets (de construction d'usines ou de barrages) ont été mis en sommeil ; et une partie de population a pris l'exode. Mais les conséquences a priori positives pour l'environnement sont à nuancer. Comme l'explique Monsieur Bezroukov, géographe à l'Institut de géographie d'Irkoutsk, la diminution de l'activité a aussi fortement contraint certains projets de rénovation, ainsi la mise en œuvre d'un circuit d'eau fermé pour l'usine de cellulose de Baikalsk. Jennifer Sutton déplore pour sa part l'exode de personnels qualifiés. Selon elle, un important travail de sensibilisation et d'information de la population locale est encore à réaliser. La BEW se montre particulièrement active dans ce domaine ; elle vient ainsi de réaliser un film de sensibilisation sur les risques de pollution et leurs conséquences.

Pour elle, la principale menace concerne le projet d'un pipeline de pétrole devant relier Angarsk (à 40 kilomètres au nord d'Irkoutsk) à l'est Sibérien, et qui longera les rives du lac. "De la façon dont sont, en Russie, construits et entretenus les pipelines, il y a de quoi s'inquiéter, explique Jennifer Sutton, des incidents, voire des accidents seront inévitables, notamment à la fonte des neiges lorsque les rivières charrient toutes sortes d'objets. Nous devons prévoir le gel, l'usure, le manque d'entretien ainsi que les erreurs humaines. Sans me tromper, je vous prédis que l'on retrouvera un jour du pétrole dans le lac."

L'ONG a porter le dossier devant la justice afin d'obtenir la révision du projet et au minimum un éloignement du pipeline du bassin du lac. Aujourd'hui le principe de la révision est acquis, mais Jennifer reste prudente ; le nouveau gouvernement aura maille à partir avec la puissance des compagnies pétrolières et de longues habitudes de corruption. "Le bruit court que le nouveau ministre de l'environnement serait très proche d'une importante compagnie pétrolière ; la façon dont la révision du projet sera faite sera un véritable test par rapport à nos actions : tout est possible, le pire comme le meilleur"...

En fait, aucun des géographes et hydrologues de l'Université d'Etat ne semblait être au courant de ce projet de pipeline, à l'exception d'Elena Grosheva qui confirme les propos de Jennifer. "La coordination entre les diverses organisations environnementales (WWF, Bouriate...) est très bonne, mais elle reste plus frileuse en ce qui concerne les chercheurs locaux, trop dépendants des gouvernements et des fonds locaux."

Les chercheurs de l'Institut de Ecotoxicologie de Baikalsk n'ont pas reçu leur salaire depuis sept mois. "Le gouvernement actuel est davantage préoccupé par le pétrole que par l'écologie" regrette Madame Grosheva. "L'argent manque, aucune étude hydrobiologique sérieuse du Baïkal n'a pas été réalisée, les lois fédérales pour la protection de l'environnement sont mauvaises" déplore-t-elle. De plus, la communication reste difficile entre les deux départements de la production et du traitement du combinat.

C'est aujourd'hui que se joue l'avenir du lac Baïkal. Bien qu'incertaine et compte tenu aussi de l'immensité du lac et des difficultés de coordination et de suivi, le Baïkal fait montre d'un bon état de santé. Les populations riveraines sont aussi très attachées à la préservation de cet espace, souvent évoqué comme la perle de la Sibérie. Mais richesse et beauté sont si fragiles... .


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Entretien avec Monsieur Soutourin
Institut de limnologie d'Irkoutsk

Monsieur Soutourin a été pendant une quinzaine d'années vice-directeur de l'Institut de limnologie d'Irkoutsk. Il est actuellement chef du laboratoire de bio-géochimie de l'institut.

Interview réalisée par Caroline Riegel, le 28 avril 2004.

Quel est le rôle de l'Institut de limnologie en ce qui concerne le lac Baïkal ?
L'institut qui vient de fêter ses 75 ans a en fait été créé sur les bases d'une station biologique, ouverte sur les rives du lac dès 1916. C'est le seul institut en Russie entièrement voué à l'étude du lac Baïkal. Il regroupe divers spécialistes : biologistes, chimistes, géographes, géologues, hydrologues... et se consacre à l'étude scientifique de l'ensemble de l'écosystème du lac ainsi qu'à son histoire, retracée à partir d'analyses sédimentaires.

Au cours des dernières décennies vos recherches ont-elles mis en évidence l'influence des changements climatiques sur le système lacustre ?
Il est difficile de tirer des conclusions sur une courte période mais nous utilisons de nouvelles méthodes d'analyses pour évaluer l'influence des changements climatiques. Cela consiste principalement à étudier certains isotopes contenus dans les roches et qui nous permettent de les dater. S'agissant des évolutions plus récentes, le climat s'est avéré ces dernières années moins rigoureux, la température du lac a augmenté ; en hiver, la couche de glace est aussi plus mince et moins persistante.

Selon Sergei Mactirinko, ichtyologiste à l'Institut d'Oulan Oude, la vie aquatique se serait sérieusement dégradée dès les années 1970. Selon lui toujours, en plus d'une pêche excessive, les changements du cycle solaire observés dès le début des années 1930 auraient influencé cette évolution. Est-ce que vous confirmez ces propos ?
Une étude des relations entre les cycles solaires et les êtres vivants du lac a été réalisée dans nos laboratoires. Au terme de cette étude, l'influence la plus prononcée concerne une espèce d'algues et, globalement, il apparaît que les pics d'influence diminuent tout au long de la chaîne alimentaire.

Quels changements concrets ont été observés au niveau du lac Baïkal ?
Les rives du lac sont les plus vulnérables à la présence humaine. Dans les années 1960, la peste d'eau est apparue dans les endroits les moins profonds et les plus chauds du lac. Il s'agit d'une algue comparable à l'Elodia Canadensis qui a infecté la mer Méditerranée. Nous pensons qu'elle a été rejetée d'un aquarium, mais – heureusement – étant très exigeante en calcium, elle est peu à peu en train de disparaître. Un poisson rapace, le Rotan, qui se nourrit d'alevins, est aussi apparu avec l'introduction dans le lac de poissons importés du fleuve Amour ; il s'agissait alors d'augmenter le rendement des poissons du Baïkal. Là encore, étant adaptée à des eaux plus chaudes, l'espèce ne devrait pas trop se développer dans le lac.

Votre institut est impliqué dans la création de l'usine d'embouteillage d'eau du lac Baïkal, activité dans laquelle il possède des parts. Que pouvez-vous dire de cette participation ?
Seules 20 % des eaux de la planète sont des eaux douces et le lac Baïkal renferme à lui seul 70 % (à vérifier) des eaux potables de la planète, qu'il est possible de consommer sans aucun traitement préalable. Le lac représente à ce titre une véritable usine de fabrication d'eau potable. Les eaux de la Selenga arrivent polluées dans le lac, mais celles qui s'échappent par l'Angara sont absolument pures. Pour comparaison, la teneur en oxygène est de 12 mg/l au niveau de l'Angara alors qu'elle n'est que de 7 mg/l à l'embouchure de la Selenga.

Vos objectifs commerciaux ont-ils été atteints ? Y a-t-il beaucoup de Russes qui boivent de l'eau du Baïkal en bouteille ?
Cette année, Danone prévoit la construction à Koultouk, au sud du Baïkal, d'une nouvelle usine de production d'eau du lac qui projette d'embouteiller 1 million de bouteilles par jour. La population locale n'achète pas l'eau en bouteille. Mais on en trouve maintenant dans les entreprises lors de séminaires ou sur les tables des gens aisés. Il y a cinq ans, les gens trouvaient cela très étrange d'acheter de l'eau en bouteille, mais les mœurs changent.

Votre institut dépend de l'université d'Etat et donc du gouvernement russe. Vous estimez-vous néanmoins libre de vos actions notamment en matière de défense de l'environnement ?
Oui bien sûr, la participation de l'État ne représente que 60 % de notre budget. L'autre partie provient de la réalisation de projets, d'études et d'articles réalisés pour le compte entreprises privées. Heureusement aussi le temps est loin, où un "tout puissant" de Moscou pouvait décider du sort de l'institut sur un seul coup de fil. Lorsque les autorités ne sont pas d'accord avec nos actions, elles nous coupent nos vivres, ce qui est évidemment gênant mais même durant la période soviétique, l'institut a toujours lutté contre l'expansion industrielle.

Est-ce que l'institut travaille en collaboration avec d'autres organismes ?
Bien sûr, les problèmes à résoudre sont complexes et nécessitent une étroite collaboration avec les universités, notamment de Moscou, de Novossibirsk ou d'Oulan Oude... Nous avons par ailleurs souhaité mettre en place des échanges particuliers avec l'Institut de toxicologie de Baikalsk, mais pour l'heure les choses n'ont pas pu se concrétiser, l'Institut de toxicologie étant à court de moyens. Nous travaillons aussi avec l'Institut de géologie d'Irkoutsk qui dépend du ministère des ressources naturelles. La chaire des ressources en eau de l'Unesco avait débuté à l'Institut de limnologie mais pour des raisons juridiques, cette chaire devant se trouver au sein d'une université, elle a aujourd'hui intégré l'Université d'État d'Irkoutsk et ne traite pas de manière spécifique du lac Baïkal. Cependant, nous transmettons régulièrement nos informations à l'ensemble de ces centres.

Quelles sont vos craintes pour le lac Baïkal ?
Si les micro polluants anorganiques comme les métaux lourds ne constituent pas un danger spécifique pour le lac Baïkal, les matières organiques s'avèrent en revanche particulièrement menaçantes : les dioxines bien sûr, mais surtout les DTT qui ont été massivement utilisés dans les années 1950. Au total, alors que les moustiques continuent de nous infecter, on retrouve des traces de DTT dans la graisse des phoques. Si actuellement aussi la concentration de DTT diminue, celle de d'autres polluants est en augmentation. Les pollutions organiques sont très dangereuses puisque même en quantités infimes elles affaiblissent le système immunitaire. C'est pourquoi la pollution aujourd'hui la plus menaçante s'avère être celle issue des rejets – importants – des eaux usées domestiques et industrielles. L'usine de pâte a papier de Baikalsk – un des principaux pôles de pollution du lac – a projeté pour 2006 la mise en fonctionnement d'un circuit fermé pour l'eau.

Selon Irina Grosheva, directrice de l'Institut de toxicologie de l'usine, il s'agit d'une utopie...
Le projet a été signé par le président Poutine et la Douma a voté une loi qui prévoit de fermer l'usine si le dispositif n'était pas à l'oeuvre en 2006. De plus, la Banque mondiale a déjà accordé un crédit de 25 millions de dollars pour ce projet. La ville de Baikalsk doit toutefois au préalable résoudre le problème du traitement de ses eaux usées domestiques, aujourd'hui conjointement épurées avec celles de l'usine.

Si l'institut de toxicologie n'a plus de crédits, ne craignez-vous pas que cela ait des incidences sur les rejets d'eau du combinat ?
L'institut de toxicologie illustre parfaitement la façon dont l'État peut exercer son influence... À l'origine, l'institut dépendait directement du ministère de production de cellulose ! C'est dire... La surveillance et la protection de l'écosystème du lac Baïkal nécessiteraient des moyens d'une autre envergure : d'abord des études à long terme mais aussi des moyens humains et techniques.

Les efforts engagés par l'institut de toxicologie vous paraissent-ils crédibles ?
Il y a dans bien des endroits au monde des rejets bien plus dangereux, la station d'épuration de Baikalsk comptait aussi parmi les plus performantes au monde. Cependant le lac est un écosystème particulièrement sensible, il n'est donc pas sûr que la diminution de moitié des rejets, telle qu'elle est affichée, suffise. Le test de qualité effectué à l'aide de la Daphnia Magna n'est lui-même pas absolument fiable, ce crustacé pouvant s'adapter à certains environnements pollués. Il faudrait donc, pour juger de la qualité de l'eau et de l'impact de l'usine de cellulose, engager des études beaucoup plus approfondies.

Puis-je vous demander de classer par ordre décroissant de la plus grave à la moins menaçante – les diverses pollutions qui affectent le lac ?
Je mettrais en premier les rejets des stations d'épuration qui, loin s'en faut, ne sont pas toutes en état de fonctionnement. Vient ensuite le problème du tourisme sauvage, en fort développement. Le troisième point préoccupant concerne la destruction des forêts et les incendies de la Taïga. Vient enfin en quatrième position, l'apport atmosphérique de la pollution organique.

Que pensez-vous des projets de pipelines de gaz et pétrole ?
Le tracé sud du pipeline de pétrole a dorénavant été abandonné. En effet, en cas d'accident toute la pollution aurait rejoint le lac en 80 heures par les nombreuses rivières qui s'y jettent. Le tracé du pipeline nord doit pour sa part longer le BAM (...), ce qui le rendra plus accessible en cas d'accident ; il ne doit par ailleurs traverser qu'une seule rivière se jetant dans le lac. S'agissant du gazoduc, le tracé envisagé traverserait le milieu du lac Baïkal afin d'aller fournir du gaz à la Bouriatie. Le méthane ne constitue pas à proprement parler une menace pour l'environnement en cas d'accident. En fait, un tracé qui longerait le lac serait beaucoup plus préjudiciable à l'environnement, partiellement formé de forêts très anciennes de pins.

Quels sont les projets de l'Institut de limnologie ?
En participant à la production d'eau embouteillée, nous espérons trouver de nouvelles sources de financement pour nos activités de recherche. Il y a par ailleurs un projet d'électrification de l'île d'Olkhon. L'institut vient à ce sujet de publier une expertise sur la pose d'un câblage sous-marin. Son objectif était d'estimer les dangers pour l'écosystème la zone concernée étant peu profonde et riche en plantes. L'institut a proposé aux ingénieurs un tracé en zigzag proposé qui, a contrario d'une pose en ligne droite, rabaisserait les dégâts écologiques de 70 millions de roubles à 30 000 roubles. Enfin, le gouvernement de la République de Bourtiatie envisage des prospections pétrolières dans le golfe de la Selenga ; l'institut y est fermement opposé, aussi nous avons engagé une expertise afin d'évaluer les conséquences d'une telle opération ? .

 

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Un pipeline pour irriguer le Gobi
RÊVE OU RÉALITÉ ?

Caroline RIEGEL – Baïkal-Bangkok H2o – mars 2005

 

S'étendant sur plus de 3 000 kilomètres, le long de la frontière entre la Chine et la Mongolie, le désert de Gobi est un vaste plateau affaissé depuis des millénaires, une terre d'extrêmes où des écarts de température de plus de 40 °C sont possibles dans une même journée. Constitué par ensemble de bassins (talas) encadrés de crêtes et de cuvettes caillouteuses ou sableuses, balayées par des vents implacables et brutaux, le désert est gouverné par un mécanisme atmosphérique immuable : hautes pressions lors des hivers froids et secs et basses pressions en été, avec de nombreux orages secs et lourds. Les précipitations estivales ne dépassent guère 150 mm et les cours d'eau, rares et irréguliers, se perdent dans le sable ou dans des étangs saumâtres, asséchés une majeure partie de l'année.

De nombreux puits y ont été forés par les Soviétiques à partir des années 1950 afin de capter l'eau des nappes souterraines et fossiles. Ces puits s'ajoutent à ceux creusés dans la nappe superficielle par les nomades qui savent mieux que quiconque où chercher l'eau pour leur survie et celle de leurs troupeaux. Mais lors de ma traversée du Gobi, j'ai pu observer que plus de la moitié des puits de pompage étaient abandonnés et inutilisables (fermés ou comblés). En réalité, il semble que 60 % des 35 000 puits mécanisés soient inutilisables 1. En effet, depuis le retrait soviétique en 1992, bien peu de puits ont été forés et les Russes sont partis en prenant soin de rapatrier toutes les précieuses données sur l'eau et les ressources des sols amassées lors de leurs campagnes de forage et commettant même l'hérésie de détruire et combler certains puits. De plus, des changements climatiques ont diminué le niveau des nappes phréatiques et asséché certains puits. Il en résulte, entre autres méfaits, un surpâturage parfois important à proximité des puits et des yourtes. C'est ainsi que nous avons souvent préféré passer la nuit dans des zones sauvages afin de permettre à notre chameau de brouter convenablement.

La connaissance des nappes et des ressources des sols du Gobi semble aujourd'hui un privilège oral détenu par la vieille génération qui a travaillé à l'époque communiste. Faute de fonds pour entreprendre des campagnes de forages, particulièrement onéreuses dans une nappe d'eau souvent très dure et très profonde (de 100 à 200 mètres), les nomades semblent donc condamnés à boire une eau qui, d'après les ingénieurs, serait loin de répondre aux normes de potabilité. J'ai d'ailleurs pu constater que l'eau des puits de la nappe superficielle (entre 1,5 m et 5 m en général) était insalubre et nauséabonde quand le puit était en veille depuis un certain temps, la surface étant alors infestée de tiques avides de sang animal. Lorsqu'elle est quotidiennement pompée l'eau semble conserve un goût légèrement salé mais semble potable – je n'ai personnellement ressenti aucun trouble à la consommer et ni observé les signes d'une quelconque infection chez les nomades qui soit directement lié à une consommation d'eau douteuse. Toutefois, selon les spécialistes, l'eau de ces nappes de surface est particulièrement dure avec une concentration trop élevée en minéraux et trop basse en fluorides. D'après un rapport du PNUD sur la Mongolie, ces caractéristiques génèrent à long terme des troubles urinaires, rénaux, thyroïdes et dentaires et contribue à limiter l'espérance de vie. À ce propos une anecdote m'a laissée perplexe : à Bogd, alors que j'étais accueillie dans une famille d'accueil, la maîtresse de maison préférait aller chercher l'eau à la rivière voisine, éloignée d'un kilomètre, plutôt que de pomper l'eau du puit tout proche. "L'eau est mauvaise, trop dure" m'a-t-elle expliqué. Pourtant le filet d'eau de la rivière auquel elle va puiser, qui ne coule que par intermittence, traverse des pâturages surfréquentés et même la décharge de la ville !...

Ces petits puits de surface, en pierre, béton ou terre renforcée par des pneus, sont le plus souvent manuels, mais dépourvus de seau si aucune yourte ne se trouve à proximité. J'ai pu observer des mécanismes de levier manuels ou de manivelle tournante actionnée par un cheval, et à plusieurs reprises, un système de chaîne simple et judicieux qui remonte un bouchon de caoutchouc étanche dans un cylindre et l'eau qu'il a pu emprisonner, pour la renvoyer gravitairement vers l'abreuvoir. Car les puits d'exploitation des nomades sont systématiquement dotés d'un abreuvoir, en béton ou pneu déroulé, pour permettre aux bêtes de boire. Abreuver un troupeau de chameau assoiffé, quand il faut puiser l'eau manuellement n'est pas une mince affaire, chaque bête buvant entre 80 et 100 l d'eau.

En ce qui concerne les cultures irriguées, sur près de 1 000 kilomètres de traversée, je n'ai observé de jardins qu'à trois reprises. Dans deux cas, ce n'étaient que de petites parcelles, l'une pour un particulier et l'autre pour un sanatorium, l'eau étant alors pompée dans le puit voisin, ce qui nécessite une importante consommation de gazole. Seule la ville de Bulgan est entourée de jardins, véritables oasis de verdure et labyrinthes de rigoles savamment agencées pour permettre d'irriguer des petites parcelles de culture. Le travail nécessaire à ce jardinage de désert est particulièrement important et exige un arrosage par bouchage et débouchage manuel des rigoles toutes les trois nuits. Ces cultures doivent leur existence à une source qui permet une alimentation continue en eau à moindre coût.

De telles observations n'ont pas manqué d'éveiller ma curiosité quand aux solutions possibles pour améliorer la condition des nomades, réduire le surpâturage, développer la culture irriguée qui constitue un apport non négligeable de vitamines, souvent absent dans l'alimentation quotidienne, et enfin offrir une eau de meilleure qualité. C'est le Centre mongol de soutien aux projets hydrauliques d'Oulan Baator qui m'a fourni une réponse : Herlen-Gobi, un système d'approvisionnement en eau pour les régions arides du sud est de la Mongolie, projet qui comprend un barrage réservoir sur la rivière Herlen, à 100 km au sud est de la capitale, plus de 1 000 km de pipeline souterrain, des stations de pompage et des "kiosques" de distribution d'eau par intervalle de 10 km dans les zones nécessiteuses.

Les objectifs du projet sont multiples :

  • Alimentation en eau de diverses mines (Oyu Tolgoi, Tavan Tolgoi, Tsagaan Suvrage) et développement de l'exploitation minière dans une région riche en or, cuivre et charbon que le peu d'infrastructures d'alimentation en eau et un coût très élevé de forage limitent.
  • Augmentation de la production d'or, cuivre et charbon, priorité gouvernementale dans le cadre du développement économique du pays. (Cela devrait aussi limiter les abus d'exploitation d'eau de surface par les exploitants d'or, qui ont entre autre largement contribué à assécher la rivière et le lac Ulaan, provoquant le mécontentement des populations aval ainsi que des manifestations.)
  • Alimentation en eau des villes de provinces et distribution d'eau potable dans les campagnes.
  • Réduction de l'exode rural qui engorge la capitale, réduction des pertes de bétail, production de laitages, viande et laine.
  • Développement de la culture irriguée et construction de systèmes d'irrigation le long du pipeline.
  • Plantation de légumes, et fourrage animal.
  • Alimentation en eau de la ville frontière chinoise d'Erlian.

Les experts considèrent cette alternative comme avantageusement palliative aux limites et aléas d'exploitation des nappes souterraines et surtout des nappes fossiles non rechargeables, et considèrent que la politique de "non action" ne laisserait que la situation actuelle empirer peu à peu. Ce projet représente un investissement de près de 230 millions de dollars qu'il est prévu d'amortir sur une quinzaine d'année par la vente d'eau à des prix étalonnés en fonction des utilisateurs, afin de ne pas pénaliser les nomades qui ne sauraient en profiter. Les prix de l'eau le litre, proposés sont les suivants :

  • Industrie : 0,9 tougrig (90 mongos, soit 0,0001 dollar !)
  • Villes : 0,5 tougrig
  • Agriculture : 0,2 tougrigs

Bien sûr, un tel projet demande, avant de s'enthousiasmer, une réflexion sérieuse sur les impactes environementaux et se doit d'être accompagné d'une étude d'impact complète et reconnue. Il est aussi prévu de créer une équipe de management constituée de compétences et d'horizons divers, qui serait responsable du projet et par la suite une organisation indépendante pour la gestion de l'ensemble. D'ores et déjà, les risques semblent limités en ce qui concerne la pollution des sols et du paysage (eau et non pétrole et pipeline souterrain moins sensible au gel). Reste l'impact du barrage réservoir et du prélèvement prévu de 3 % du débit de la rivière Herlen pour ne pas reproduire de situation semblable à celle d'Asie centrale qui a largement lésé les population aval de l'Amou Daria et du Syr Daria, sans parler de la catastrophe écologique de la mer d'Aral (ou plus localement de lac Ulaan en Mongolie). Une étude correcte et approfondie décidera du débit maximum prélevable, aux organisations concernées et gouvernements de suivre à la lettre ces études !

Mais en attendant de poser la première pierre de ce projet d'envergure et qui lors de sa présentation m'a semblé mûrement réfléchi et né du désir de dynamiser cette région déshéritée et d'améliorer des conditions de vie difficiles, il va falloir réunir les fonds nécessaires (le gouvernement mongol n'étant pas en mesure de supporter les frais) tout en évitant les pièges de la corruption malheureusement existante ici comme ailleurs. Et tout ceci n'est pas forcément une mince affaire. Cependant pour avoir rencontré et côtoyé de nombreux nomades, il me semble évident d'après leurs réflexions et questions (qualité de l'eau, mécanisation des puits, etc.) que ce projet serait accueilli avec joie et intérêt. Affaire à suivre...

De l'eau pour Oulan Baator

Oulan Baator, capitale de la Mongolie, subit depuis la période de transition, un exode rural très forte. S'y agglutine aujourd'hui presque la moitié de la population du pays qui atteint 2,7 millions d'habitants. Les quartiers de yourtes se font de plus en plus nombreux et s'étendent loin du centre, colonisant les petites vallées avoisinantes. Pas de système d'alimentation en eau potable ni d'assainissement pour les nouveaux venus qui bien souvent s'approvisionnent à de nombreuses sources dans les collines, mais pour la plupart non potable (contamination bactériologique principalement par les latrines). Les chiffres sont éloquents : il est prévu une augmentation de la population citadine de 4,5 à 5 % jusqu'en 2010 qui ne se réduira ensuite qu'à 1,5 / 2 %.


L'alimentation en eau de la capitale se fait par le biais de quatre sources constitués chacune par un ensemble de puits forés de 25 à 50 mètre de profondeur dans la nappe phréatique quaternaire le long de la rivière Tuul. En 2002 entre 110 et 130 puits produisaient quotidiennement un volume moyen de 151 900 m3. Certains quartiers de yourtes sont alors desservis par de camions citerne qui alimentent des kiosques de distribution. Mais ce n'est pas sans difficultés : mauvaises routes d'accès, notamment l'hiver, queues lors de l'arrivée du camion et réserves souvent vides.


Un premier projet destiné à alimenter deux quartiers périphériques de yourtes en eau potable et courante a déjà vu le jour. Le système comprend un réservoir sur le point haut du quartier, alimenté par des stations de pompages et dont l'eau est chauffée en hiver pour éviter le gel. Gravitairement, cette eau est alors amenée dans les kiosques de distribution où les particuliers viennent acheter leur eau avec leur bidon de réserve pour moins d'un tougrig le litre. Un second projet similaire, auquel participe l'Association du réseau des experts pour l'environnement et le développement – AREED, est en cours de implantation et concerne entre autre le quartier de Garchuurt avec la crèche, l'école et l'hôpital.

L'alimentation en eau potable est certes une priorité, mais l'assainissement de ces quartiers et le traitement des eaux usées, souvent simplement rejetées par les particuliers à l'extérieur de la yourte, ainsi que le problème de traitement des latrines, simples trous creusés dans le sol sont à résoudre dans un court délai pour éviter une pollution quasiment irréversible de la nappe. .


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ZANSKAR
Un canal pour Karsha

Caroline RIEGEL – Baïkal-Bangkok H2o – septembre 2005

 

25 décembre 2005, monastère de Karsha, vallée du Zanskar, Himalaya indien - Et pas une trace de neige. Un scénario qui semble se répéter cette année encore, après trois années de carence et qui menace sérieusement l'agriculture et par conséquent les réserves alimentaires des villages les plus exposés. Le village de Kumik par exemple, qu'aucun torrent de glaciers ne traverse, n'a pu cultiver ses champs durant toutes ces dernières années de faibles précipitations. Le gouvernement s'est alors vu dans l'obligation de subvenir aux besoins élémentaires, et de fournir riz, farine et herbe afin de compenser le manque de récoltes.

Enjeux de l'aménagement

Le Ladhak et le Zanskar, à extrémité sud-est du plateau tibétain, subissent en effet le même climat aride que la partie occidentale de son grand voisin chinois. Les principales précipitations surviennent l'hiver sous forme de neige car, en été, les nuages de mousson arrivent épuisés et presque asséchés, ne déversant à peine 15 à 20 mm au mois d'août et entre 50 et 100 mm par an à Leh. Les rares pâturages naturels se trouvent à plus de 4 000 mètres, les précipitations étant plus importantes en altitude. On y mène les troupeaux durant les trois ou quatre mois d'été uniquement car y vivre l'hiver serait trop rude.

Toute l'agriculture locale est donc basée sur des systèmes d'irrigation propres à chaque village et adaptés à la disponibilité en terre et en eau. Des réseaux de canaux en pierre ou en terre amènent l'eau gravitairement, parfois sur des kilomètres, jusqu'aux parcelles organisées de façon à permettre une distribution équilibrée. Au début du printemps, on épand de la terre sur la neige afin d'accélérer la fonte et permettre à l'eau de mieux pénétrer la terre. Les précipitations hivernales et la fonte des neiges sont de première importance et quand elles se font rares, le fragile équilibre qui lie l'homme et la nature s'ébranle.

Aujourd'hui, l'histoire se répète. La neige s'oublie, mais la situation a évolué. À Tungri, bien que la surface des terres cultivées n'ait presque pas augmenté - les habitations nouvelles étant principalement construites sur les terrains privés – le gouvernement a réquisitionné une importante surface de terre pour des plantations d'arbustes. Le débit de la rivière suffit encore à Tungri, mais ne saurait plus être partagé. De plus, ce débit apparaît "à bout de souffle" : "L'eau est parfois trouble alors elle était auparavant toujours claire" me confirme un ancien du village, conscient de la diminution des ressources naturelles mais tout de même persuadé que le glacier générateur est inépuisable !

Pourtant, les caprices et changements climatiques, l'augmentation de la population, des conditions de vie meilleures et l'arrivée du tourisme ont accru les besoins en eau et remis à jour le projet de canal. Un projet de plus grande envergure et qui s'inscrit dans le développement de la région devrait être financé par le gouvernement du Jammu-et-Cachemire. D'une longueur de 25 kilomètres sur 10 mètres de large, le canal traversera une dizaine de villages - et des terres agricoles - pour conduire de l'eau du fleuve Stot.

Les difficultés ne sont pas apparemment ni techniques ni financières, mais tout simplement humaines. En effet, Karsha ne sollicite plus l'eau de ses voisins mais a besoin de terres. Les compensations proposées par le village sont largement honnêtes : elles offrent deux fois plus de terres sur le domaine de Karsha en sus des compensations gouvernementales (115 % du coût des terres après le Tasildar, juge, du Zanskar). Mais à Tungri, comme à Rantaksha, le scepticisme est de mise, surtout chez les vieilles personnes, réticentes à céder leurs terres. "Ce canal nous privera des deux tiers de nos meilleures terres", "Ce canal sera un danger pour nos enfants et les bêtes qui pourraient tomber dedans" me glisse-t-on à l'oreille... De plus, un canal mal construit, il y a une vingtaine années, sur la rive d'en face et jamais utilisé renforce les doutes.

Une délégation regroupant des membres du village, et surtout des lamas du monastère, s'est constituée à Karsha, où on ne ménage pas les efforts de communication pour parvenir à une solution à l'amiable et une bonne compréhension du projet (trop souvent mal interprété). "Pour donner du poids, de l'importance et plus de respect" répond Sonam quand je l'interroge sur le rôle des lamas dans cette délégation. Réunions dans les villages, offrandes de beurre et de kataks (écharpes blanches) pour favoriser la chance... Mais le maire de Karsha regrette le manque d'effort de ses voisins : "Le maire de Tungri n'est même pas venu à la réunion et ne semble pas être en mesure de prendre une décision pour son village" regrette Toukstan. Il sait néanmoins que le gouvernement mettre un terme à l'affaire en se portant acquéreur des terres nécessaires. "Une solution à l'amiable serait tout e même préférable, nous voulons vivre en paix et en bon voisinage... mais que faire s'ils refusent ?"

Un espoir pour le canal se profile toutefois à travers la politique, puisque Sonam Namgyal, a été élu karshapa, conseiller général à Kargil, préfecture du Zanska. "Il saura trouver une solution et compenser les plus lésés" m'assure Puntsok Tashi, directeur de la PWD de Padum.

Le Zanskar, petite vallée qui, de tradition, a toujours vécu en paix et parfaite harmonie avec son environnement... Mais le monde change. .

 
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LE GANGE
Inondations bienfaitrices

Caroline RIEGEL – Baïkal-Bangkok H2o – septembre 2006

 

"Tous les ans, les crues recouvrent la moitié du Bangladesh, nourrissent ces terres fertiles et boueuses, et les paysans (80% de la population) s’en réjouissent. Si les eaux montent de trop, les deux tiers du pays sont submergés, et c’est la catastrophe : la terre et des dizaines de milliers de familles sont emportées par les flots. Au Bangladesh, tout est d’une extrême fragilité, spongieux, instable. La vie et la mort, la terre et le ciel se confondent." François Hauter, Le Figaro, octobre 2005.

Ainsi a-t'on l’habitude d’imaginer le Bangladesh : un pays sans cesse touché par les catastrophes naturelles. À se demander comment et pourquoi les gens y vivent. Et c’est bien ce qui interpella Emmanuel, jeune stagiaire, alors qu’il survolait le pays à son arrivée : "Il y avait de l’eau partout, on avait l’impression d’une mer essaimée de petits îlots. Je me suis demandé comment les gens vivaient là !". Son amie surenchérit : "Lorsque j’ai annoncé que je partais pour le Bangladesh, on a pensé que j’étais folle !". Mais un couple de diplomate les rassure : "Les gens qui ne connaissaient pas le Bangladesh nous plaignent aussi, alors que ceux qui y ont déjà mis les pieds nous envient !".

Lorsque je pédale mes premiers kilomètres le long du Gange au Bangladesh, je m’étonne qu’aucun signe ne laisse supposer que la mousson complique la vie des bengalais. Certes, un Bihar – état indien de la plaine du Gange – étonnamment épargné par les inondations, ainsi que des pluies avares prouvent que la saison de mousson 2005 est plutôt douce. Néanmoins, au pays des inondations catastrophiques, je m’attendais à subir un quota minimum de routes coupées par les eaux, de coups de pédale humides et de traversées en barque rocambolesques. À aucun instant, la mousson ne vient troubler mon périple à bicyclette le long du Gange! L’eau ne manque pas. Il y en a même partout. Mais cela ne perturbe nullement le quotidien des bengalais : ils vivent avec l’eau comme un himalayen vit avec la neige…

À qui la faute d’une image exagérée de la réalité du Bangladesh ? Les médias étrangers tiennent certainement leur part. Pour exemple : la mousson extraordinaire de 1988. Les deux tiers du pays furent alors inondés au lieu du tiers habituel. 40 % de la population se retrouvèrent provisoirement sans domicile et 1 500 personnes périrent (les causes de mortalité n’étant toutefois pas précisées : maladies, piqûres de serpent et bien plus rarement noyades). Les dégâts sont importants : destruction du bétail et des récoltes, augmentation des maladies liées à l’eau et à l’insalubrité : fièvres, malaria, diarrhées. Afin d’y faire face, le gouvernement fit appel à l’aide internationale. Madame Mitterrand qui rendit visite au pays, se retrouva à Dhaka les pieds dans l’eau. De fait sensibilisée, elle s’efforça de mobiliser la communauté internationale pour récolter des fonds d’aide et d’étude en vue de maîtriser les flots des fleuves turbulents du delta. Des millions d’euros d’étude furent débloqués, des idées titanesques d’endiguement enivrèrent les têtes des experts, des années d’expériences in situ suivirent… Mais au final, personne n’a su apprivoiser la Jamuna : "Elle a finit par reprendre ses droits et les experts étrangers par rentrer au pays" m’avoue Talim, professeur d’anthropologie à l’IUB – Independant University of Bangladesh. Le monde avait néanmoins ouvert les yeux sur un pays inconnu, lui collant une étiquette négative et indélébile !

Les médias locaux ne se privent pas non plus d’influencer la population citadine. "Les journalistes filment le point de passage le plus étroit, là où le courant semble faire rage. Les gens s’imaginent alors que le reste du pays correspond à cette seule image montrée aux informations. Je me souviens avoir un jour hésité à annuler un déplacement professionnel dans une zone touchée par les inondations. Le journal parlait de sérieux problèmes… Je fus surpris de constater, une fois sur place, que la situation était parfaitement normale et la population largement adaptée aux éventuelles perturbations" m’explique Talim. Lors de mon séjour à Kuakata, une marée particulièrement haute érode une bonne dizaine de mètres de la piste qui mène à la plage. Les cocotiers tombent à terre pour être immédiatement démantelés par les pêcheurs, une demi-douzaine de boutiques s’écroulent et sont aussitôt déplacées. Depuis la capitale, la situation semble critique et ne manque pas d’inquiéter les parents de jeunes vacanciers. Localement, elle n’est rien d’autres qu’une attraction ludique quand au mécanisme d’érosion des vagues…

Cette tendance à l’exagération, tend surtout à influencer les mentalités des classes moyennes et supérieures de la capitale et les éloigne ainsi de la réalité du pays et de ses habitants. "Le Bangladesh est dangereux" me suis-je entendue dire lors d’une soirée par un riche bengalais expatrié depuis 25 ans aux philippines. "Certaines personnes ne quittent et ne quitteront jamais Gulshan, le quartier aisé de la capitale" me confie Maity, femme de diplomate. De plus, "les ONG doivent forcer le décor pour obtenir des fonds, alors nous exagérons souvent les paramètres catastrophes" m’avoue Anamul, qui travaille pour une ONG locale.

"Tous les ans, les crues recouvrent la moitié du Bangladesh, nourrissent ces terres fertiles et boueuses, et les paysans (80 % de la population) s’en réjouissent. Si les eaux montent de trop, les deux tiers du pays sont submergés, et c’est la catastrophe : la terre et des dizaines de milliers de familles sont emportées par les flots. Au Bangladesh, tout est d’une extrême fragilité, spongieux, instable. La vie et la mort, la terre et le ciel se confondent." François Hauter, Le Figaro, octobre 2005.

Ainsi a t’on l’habitude d’imaginer le Bangladesh : un pays sans cesse touché par les catastrophes naturelles. À se demander comment et pourquoi les gens y vivent. Et c’est bien ce qui interpella Emmanuel, jeune stagiaire, alors qu’il survolait le pays à son arrivée : "Il y avait de l’eau partout, on avait l’impression d’une mer essaimée de petits îlots. Je me suis demandé comment les gens vivaient là !". Son amie surenchérit : "Lorsque j’ai annoncé que je partais pour le Bangladesh, on a pensé que j’étais folle !". Mais un couple de diplomate les rassure : "Les gens qui ne connaissaient pas le Bangladesh nous plaignent aussi, alors que ceux qui y ont déjà mis les pieds nous envient !".

Lorsque je pédale mes premiers kilomètres le long du Gange au Bangladesh, je m’étonne qu’aucun signe ne laisse supposer que la mousson complique la vie des bengalais. Certes, un Bihar - état indien de la plaine du Gange – étonnamment épargné par les inondations, ainsi que des pluies avares prouvent que la saison de mousson 2005 est plutôt douce. Néanmoins, au pays des inondations catastrophiques, je m’attendais à subir un quota minimum de routes coupées par les eaux, de coups de pédale humides et de traversées en barque rocambolesques. À aucun instant, la mousson ne vient troubler mon périple à bicyclette le long du Gange! L’eau ne manque pas. Il y en a même partout. Mais cela ne perturbe nullement le quotidien des bengalais : ils vivent avec l’eau comme un himalayen vit avec la neige…

À qui la faute d’une image exagérée de la réalité du Bangladesh ? Les médias étrangers tiennent certainement leur part. Pour exemple : la mousson extraordinaire de 1988. Les deux tiers du pays furent alors inondés au lieu du tiers habituel. 40 % de la population se retrouva provisoirement sans domicile et 1500 personnes périrent (les causes de mortalité n’étant toutefois pas précisées : maladies, piqûres de serpent et bien plus rarement noyades). Les dégâts sont importants: destruction du bétail et des récoltes, augmentation des maladies liées à l’eau et à l’insalubrité : fièvres, malaria, diarrhées. Afin d’y faire face, le gouvernement fit appel à l’aide internationale. Madame Mitterrand qui rendit visite au pays, se retrouva à Dhaka les pieds dans l’eau. De fait sensibilisée, elle s’efforça de mobiliser la communauté internationale pour récolter des fonds d’aide et d’étude en vue de maîtriser les flots des fleuves turbulents du delta. Des millions d’euros d’étude furent débloqués, des idées titanesques d’endiguement enivrèrent les têtes des experts, des années d’expériences in situ suivirent… Mais au final, personne n’a su apprivoiser la Jamuna: "Elle a finit par reprendre ses droits et les experts étrangers par rentrer au pays" m’avoue Talim, professeur d’anthropologie à l’IUB. Le monde avait néanmoins ouvert les yeux sur un pays inconnu, lui collant une étiquette négative et indélébile !

Les médias locaux ne se privent pas non plus d’influencer la population citadine. "Les journalistes filment le point de passage le plus étroit, là où le courant semble faire rage. Les gens s’imaginent alors que le reste du pays correspond à cette seule image montrée aux informations. Je me souviens avoir un jour hésité à annuler un déplacement professionnel dans une zone touchée par les inondations. Le journal parlait de sérieux problèmes… Je fus surpris de constater, une fois sur place, que la situation était parfaitement normale et la population largement adaptée aux éventuelles perturbations" m’explique Talim. Lors de mon séjour à Kuakata, une marée particulièrement haute érode une bonne dizaine de mètres de la piste qui mène à la plage. Les cocotiers tombent à terre pour être immédiatement démantelés par les pêcheurs, une demi-douzaine de boutiques s’écroulent et sont aussitôt déplacées. Depuis la capitale, la situation semble critique et ne manque pas d’inquiéter les parents de jeunes vacanciers. Localement, elle n’est rien d’autres qu’une attraction ludique quand au mécanisme d’érosion des vagues…

Cette tendance à l’exagération, tend surtout à influencer les mentalités des classes moyennes et supérieures de la capitale et les éloigne ainsi de la réalité du pays et de ses habitants. "Le Bangladesh est dangereux" me suis-je entendue dire lors d’une soirée par un riche bengalais expatrié depuis 25 ans aux Philippines. "Certaines personnes ne quittent et ne quitteront jamais Gulshan, le quartier aisé de la capitale" me confie Maity, femme de diplomate. De plus, "les ONG doivent forcer le décor pour obtenir des fonds, alors nous exagérons souvent les paramètres catastrophes" m’avoue Anamul, qui travaille pour une ONG locale. .