Baïkal-BangkokMots clés : Asie, Baïkal, Bangkok, Gange, Gobi, Himalaya,Mékong, Zanskar |
Dossier de Caroline RIEGEL   |
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April 2004 | ||||||
UN VOYAGE AUX CONFINS DE CONTRÉES
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Situé au sud-est de la Sibérie, le lac Baïkal, d'une superficie
de 3,15 millions d'hectares, est le plus ancien (25 millions d'années)
et le plus profond (1 700 mètres) lac du monde. Il contient 20 % des eaux douces non gelées de la planète. Son ancienneté et son isolement ont produit une des faunes d'eau douce les plus riches et originales de la planète, qui présente une valeur exceptionnelle pour la science de l'évolution, ce qui lui vaut le surnom de "Galápagos de la Russie". Comparé au lac Léman, le Baïkal est 5 fois plus profond, 54 fois plus étendu et 258 fois plus volumineux. Son volume est comparable à celui de la mer Baltique. |
L'argument de vente est évidemment la parfaite pureté de l'eau, qui respecte l'ensemble des normes et recommandations en vigueur (OMS ; normes européennes, etc.). Si les analyses du noyau confirment ces dires, toutes les zones du lac ne sont pas d'une qualité aussi irréprochable et le débat sur sa pollution est vif. La vallée de l'Angara, fortement industrialisée (aluminium, construction aéronautique, chimie, fabrication de cellulose, etc.) génère d'importantes pollutions. Il en est de même du fleuve Selenga dont les eaux, qui représentent 40 % des apports du lac, charrie toutes les pollutions de la capitale Oulan-Oude, située à une centaine de kilomètres en amont. À cela s'ajoutent l'augmentation incontrôlée du tourisme ainsi que de nombreuses constructions illégales autour du lac ainsi que les conséquences des incendies fréquents de la taïga avoisinante.
De plus en plus montrés du doigt, les pollueurs se défendent : "En marge de notre production, nous avons toujours eu le souci du traitement des effluents, assuré par un département spécifique" explique le docteur Elena Grosheva, présidente de l'Institut de écotoxicologie de Baikalsk. Fondé il y a 38 ans, en même temps que l'usine de cellulose, l'institut est chargé de contrôler la toxicité des eaux rejetées par l'usine, soit 140 000 m3 par jour au plus fort de la production. "L'eau rejetée par le combinat est chaque semaine testée dans nos laboratoires à l'aide d'un organisme indicateur sensible à la pollution, le Daphnia Magna ; il s'agit là d'un test respectant les standards internationaux" précise la responsable.
La plus grande source de pollution ne devrait donc plus être le combinat qui, selon elle, rejette des eaux convenablement traitées. "Ceux qui avancent de telles critiques ne sont probablement pas au courant des progrès qui ont réalisés dans le traitement des effluents". Aussi c'est bien davantage le fleuve Selenga qui préoccupe le plus Madame Grosheva. Le bassin versant recueille tous les rejets des exploitations agricoles mongoles et bouriates, ainsi que ceux de la ville d'Oulan Oudé, la capitale de la Bouriatie. Ce sont globalement 40 % des apports du lac qui seraient ainsi pollués avec des impacts sur l'écosystème du Baïkal parfaitement inconnus.
"Les changements de la composition du phytoplancton du Baïkal confirment l'existence d'une pollution du lac", confirme Irina Makanikova, chercheur à l'Institut de limnologie d'Irkoutsk. "Certaines espèces sont devenues dominantes après la mise en service du barrage d'Irkoutsk (en 1958), qui a relevé le niveau d'eau du lac d'environ un mètre et qui a provisoirement modifié les zones de rives". De plus, pendant l'hiver 1987-1988, une épidémie a décimé entre 5 000 et 10 000 nerpas, une espèce de phoques d'eau douce, endémique au lac Baïkal. D'après Jennifer Sutton, co-présidente de l'ONG Baikal Environmental Wave (BEW), les dioxines en seraient la principale cause. Des dioxines, issues de combustions industrielles ou naturelles, ont été récemment détectées dans la chaîne alimentaire du lac et contribuent à affaiblir les organismes vivants.
Depuis la Perestroïka, l'activité industrielle de la région s'est fortement ralentie, de nombreux projets (de construction d'usines ou de barrages) ont été mis en sommeil ; et une partie de population a pris l'exode. Mais les conséquences a priori positives pour l'environnement sont à nuancer. Comme l'explique Monsieur Bezroukov, géographe à l'Institut de géographie d'Irkoutsk, la diminution de l'activité a aussi fortement contraint certains projets de rénovation, ainsi la mise en œuvre d'un circuit d'eau fermé pour l'usine de cellulose de Baikalsk. Jennifer Sutton déplore pour sa part l'exode de personnels qualifiés. Selon elle, un important travail de sensibilisation et d'information de la population locale est encore à réaliser. La BEW se montre particulièrement active dans ce domaine ; elle vient ainsi de réaliser un film de sensibilisation sur les risques de pollution et leurs conséquences.
Pour elle, la principale menace concerne le projet d'un pipeline de pétrole devant relier Angarsk (à 40 kilomètres au nord d'Irkoutsk) à l'est Sibérien, et qui longera les rives du lac. "De la façon dont sont, en Russie, construits et entretenus les pipelines, il y a de quoi s'inquiéter, explique Jennifer Sutton, des incidents, voire des accidents seront inévitables, notamment à la fonte des neiges lorsque les rivières charrient toutes sortes d'objets. Nous devons prévoir le gel, l'usure, le manque d'entretien ainsi que les erreurs humaines. Sans me tromper, je vous prédis que l'on retrouvera un jour du pétrole dans le lac."
L'ONG a porter le dossier devant la justice afin d'obtenir la révision du projet et au minimum un éloignement du pipeline du bassin du lac. Aujourd'hui le principe de la révision est acquis, mais Jennifer reste prudente ; le nouveau gouvernement aura maille à partir avec la puissance des compagnies pétrolières et de longues habitudes de corruption. "Le bruit court que le nouveau ministre de l'environnement serait très proche d'une importante compagnie pétrolière ; la façon dont la révision du projet sera faite sera un véritable test par rapport à nos actions : tout est possible, le pire comme le meilleur"...
En fait, aucun des géographes et hydrologues de l'Université d'Etat ne semblait être au courant de ce projet de pipeline, à l'exception d'Elena Grosheva qui confirme les propos de Jennifer. "La coordination entre les diverses organisations environnementales (WWF, Bouriate...) est très bonne, mais elle reste plus frileuse en ce qui concerne les chercheurs locaux, trop dépendants des gouvernements et des fonds locaux."
Les chercheurs de l'Institut de Ecotoxicologie de Baikalsk n'ont pas reçu leur salaire depuis sept mois. "Le gouvernement actuel est davantage préoccupé par le pétrole que par l'écologie" regrette Madame Grosheva. "L'argent manque, aucune étude hydrobiologique sérieuse du Baïkal n'a pas été réalisée, les lois fédérales pour la protection de l'environnement sont mauvaises" déplore-t-elle. De plus, la communication reste difficile entre les deux départements de la production et du traitement du combinat.
C'est aujourd'hui que se joue l'avenir du lac Baïkal. Bien qu'incertaine et compte tenu aussi de l'immensité du lac et des difficultés de coordination et de suivi, le Baïkal fait montre d'un bon état de santé. Les populations riveraines sont aussi très attachées à la préservation de cet espace, souvent évoqué comme la perle de la Sibérie. Mais richesse et beauté sont si fragiles... .
Entretien avec Monsieur Soutourin Monsieur Soutourin a été pendant une quinzaine d'années vice-directeur de l'Institut de limnologie d'Irkoutsk. Il est actuellement chef du laboratoire de bio-géochimie de l'institut. Interview réalisée par Caroline Riegel, le 28 avril 2004.
Quel est le rôle de l'Institut de limnologie en ce qui concerne le lac
Baïkal ?
Au cours des dernières décennies vos recherches ont-elles mis en
évidence l'influence des changements climatiques sur le système lacustre
?
Selon Sergei Mactirinko, ichtyologiste à l'Institut d'Oulan Oude, la
vie aquatique se serait sérieusement dégradée dès les années 1970.
Selon lui toujours, en plus d'une pêche excessive, les changements du
cycle solaire observés dès le début des années 1930 auraient influencé
cette évolution. Est-ce que vous confirmez ces propos ?
Quels changements concrets ont été observés au niveau du lac Baïkal ?
Votre institut est impliqué dans la création de l'usine
d'embouteillage d'eau du lac Baïkal, activité dans laquelle il possède
des parts. Que pouvez-vous dire de cette participation ?
Vos objectifs commerciaux ont-ils été atteints ? Y a-t-il beaucoup
de Russes qui boivent de l'eau du Baïkal en bouteille ?
Votre institut dépend de l'université d'Etat et donc du gouvernement
russe. Vous estimez-vous néanmoins libre de vos actions notamment en
matière de défense de l'environnement ?
Est-ce que l'institut travaille en collaboration avec d'autres
organismes ?
Quelles sont vos craintes pour le lac Baïkal ?
Selon Irina Grosheva, directrice de l'Institut de toxicologie de
l'usine, il s'agit d'une utopie...
Si l'institut de toxicologie n'a plus de crédits, ne craignez-vous
pas que cela ait des incidences sur les rejets d'eau du combinat ?
Les efforts engagés par l'institut de toxicologie vous
paraissent-ils crédibles ?
Puis-je vous demander de classer par ordre décroissant de la plus
grave à la moins menaçante – les diverses pollutions qui affectent le
lac ?
Que pensez-vous des projets de pipelines de gaz et pétrole ?
Quels sont les projets de l'Institut de limnologie ? |
Caroline RIEGEL – Baïkal-Bangkok H2o – mars 2005
S'étendant sur plus de 3 000 kilomètres, le long de la frontière entre la Chine et la Mongolie, le désert de Gobi est un vaste plateau affaissé depuis des millénaires, une terre d'extrêmes où des écarts de température de plus de 40 °C sont possibles dans une même journée. Constitué par ensemble de bassins (talas) encadrés de crêtes et de cuvettes caillouteuses ou sableuses, balayées par des vents implacables et brutaux, le désert est gouverné par un mécanisme atmosphérique immuable : hautes pressions lors des hivers froids et secs et basses pressions en été, avec de nombreux orages secs et lourds. Les précipitations estivales ne dépassent guère 150 mm et les cours d'eau, rares et irréguliers, se perdent dans le sable ou dans des étangs saumâtres, asséchés une majeure partie de l'année.
De nombreux puits y ont été forés par les
Soviétiques à partir des années 1950 afin de capter l'eau des nappes
souterraines et fossiles. Ces puits s'ajoutent à ceux creusés dans la
nappe superficielle par les nomades qui savent mieux que quiconque où
chercher l'eau pour leur survie et celle de leurs troupeaux. Mais lors
de ma traversée du Gobi, j'ai pu observer que plus de la moitié des
puits de pompage étaient abandonnés et inutilisables (fermés ou
comblés). En réalité, il semble que 60 % des 35 000 puits mécanisés
soient inutilisables 1. En effet, depuis le retrait soviétique en 1992,
bien peu de puits ont été forés et les Russes sont partis en prenant
soin de rapatrier toutes les précieuses données sur l'eau et les
ressources des sols amassées lors de leurs campagnes de forage et
commettant même l'hérésie de détruire et combler certains puits. De
plus, des changements climatiques ont diminué le niveau des nappes
phréatiques et asséché certains puits. Il en résulte, entre autres
méfaits, un surpâturage parfois important à proximité des puits et des
yourtes. C'est ainsi que nous avons souvent préféré passer la nuit dans
des zones sauvages afin de permettre à notre chameau de brouter
convenablement.
La connaissance des nappes et des ressources des sols du Gobi semble
aujourd'hui un privilège oral détenu par la vieille génération qui a
travaillé à l'époque communiste. Faute de fonds pour entreprendre des
campagnes de forages, particulièrement onéreuses dans une nappe d'eau
souvent très dure et très profonde (de 100 à 200 mètres), les nomades
semblent donc condamnés à boire une eau qui, d'après les ingénieurs,
serait loin de répondre aux normes de potabilité. J'ai d'ailleurs pu
constater que l'eau des puits de la nappe superficielle (entre 1,5 m et 5
m en général) était insalubre et nauséabonde quand le puit était en
veille depuis un certain temps, la surface étant alors infestée de
tiques avides de sang animal. Lorsqu'elle est quotidiennement pompée
l'eau semble conserve un goût légèrement salé mais semble potable – je
n'ai personnellement ressenti aucun trouble à la consommer et ni observé
les signes d'une quelconque infection chez les nomades qui soit
directement lié à une consommation d'eau douteuse. Toutefois, selon les
spécialistes, l'eau de ces nappes de surface est particulièrement dure
avec une concentration trop élevée en minéraux et trop basse en
fluorides. D'après un rapport du PNUD sur la Mongolie, ces
caractéristiques génèrent à long terme des troubles urinaires, rénaux,
thyroïdes et dentaires et contribue à limiter l'espérance de vie. À ce
propos une anecdote m'a laissée perplexe : à Bogd, alors que j'étais
accueillie dans une famille d'accueil, la maîtresse de maison préférait
aller chercher l'eau à la rivière voisine, éloignée d'un kilomètre,
plutôt que de pomper l'eau du puit tout proche. "L'eau est mauvaise,
trop dure" m'a-t-elle expliqué. Pourtant le filet d'eau de la rivière
auquel elle va puiser, qui ne coule que par intermittence, traverse des
pâturages surfréquentés et même la décharge de la ville !...
Ces petits puits de surface, en pierre, béton ou terre renforcée par des pneus, sont le plus souvent manuels, mais dépourvus de seau si aucune yourte ne se trouve à proximité. J'ai pu observer des mécanismes de levier manuels ou de manivelle tournante actionnée par un cheval, et à plusieurs reprises, un système de chaîne simple et judicieux qui remonte un bouchon de caoutchouc étanche dans un cylindre et l'eau qu'il a pu emprisonner, pour la renvoyer gravitairement vers l'abreuvoir. Car les puits d'exploitation des nomades sont systématiquement dotés d'un abreuvoir, en béton ou pneu déroulé, pour permettre aux bêtes de boire. Abreuver un troupeau de chameau assoiffé, quand il faut puiser l'eau manuellement n'est pas une mince affaire, chaque bête buvant entre 80 et 100 l d'eau.
En ce qui concerne les cultures irriguées, sur près de 1 000 kilomètres de traversée, je n'ai observé de jardins qu'à trois reprises. Dans deux cas, ce n'étaient que de petites parcelles, l'une pour un particulier et l'autre pour un sanatorium, l'eau étant alors pompée dans le puit voisin, ce qui nécessite une importante consommation de gazole. Seule la ville de Bulgan est entourée de jardins, véritables oasis de verdure et labyrinthes de rigoles savamment agencées pour permettre d'irriguer des petites parcelles de culture. Le travail nécessaire à ce jardinage de désert est particulièrement important et exige un arrosage par bouchage et débouchage manuel des rigoles toutes les trois nuits. Ces cultures doivent leur existence à une source qui permet une alimentation continue en eau à moindre coût.
De telles observations n'ont pas manqué d'éveiller ma curiosité quand
aux solutions possibles pour améliorer la condition des nomades, réduire
le surpâturage, développer la culture irriguée qui constitue un apport
non négligeable de vitamines, souvent absent dans l'alimentation
quotidienne, et enfin offrir une eau de meilleure qualité. C'est le Centre mongol de soutien aux projets hydrauliques d'Oulan Baator qui
m'a fourni une réponse : Herlen-Gobi, un système d'approvisionnement en eau pour les régions arides du sud est de la
Mongolie, projet qui comprend un barrage réservoir sur la rivière
Herlen, à 100 km au sud est de la capitale, plus de 1 000 km de pipeline
souterrain, des stations de pompage et des "kiosques" de distribution
d'eau par intervalle de 10 km dans les zones nécessiteuses.
Les objectifs du projet sont multiples :
Les experts considèrent cette alternative comme avantageusement palliative aux limites et aléas d'exploitation des nappes souterraines et surtout des nappes fossiles non rechargeables, et considèrent que la politique de "non action" ne laisserait que la situation actuelle empirer peu à peu. Ce projet représente un investissement de près de 230 millions de dollars qu'il est prévu d'amortir sur une quinzaine d'année par la vente d'eau à des prix étalonnés en fonction des utilisateurs, afin de ne pas pénaliser les nomades qui ne sauraient en profiter. Les prix de l'eau le litre, proposés sont les suivants :
Bien sûr, un tel projet demande, avant de s'enthousiasmer, une réflexion sérieuse sur les impactes environementaux et se doit d'être accompagné d'une étude d'impact complète et reconnue. Il est aussi prévu de créer une équipe de management constituée de compétences et d'horizons divers, qui serait responsable du projet et par la suite une organisation indépendante pour la gestion de l'ensemble. D'ores et déjà, les risques semblent limités en ce qui concerne la pollution des sols et du paysage (eau et non pétrole et pipeline souterrain moins sensible au gel). Reste l'impact du barrage réservoir et du prélèvement prévu de 3 % du débit de la rivière Herlen pour ne pas reproduire de situation semblable à celle d'Asie centrale qui a largement lésé les population aval de l'Amou Daria et du Syr Daria, sans parler de la catastrophe écologique de la mer d'Aral (ou plus localement de lac Ulaan en Mongolie). Une étude correcte et approfondie décidera du débit maximum prélevable, aux organisations concernées et gouvernements de suivre à la lettre ces études !
Mais en attendant de poser la première pierre de ce projet d'envergure
et qui lors de sa présentation m'a semblé mûrement réfléchi et né du
désir de dynamiser cette région déshéritée et d'améliorer des conditions
de vie difficiles, il va falloir réunir les fonds nécessaires (le
gouvernement mongol n'étant pas en mesure de supporter les frais) tout
en évitant les pièges de la corruption malheureusement existante ici
comme ailleurs. Et tout ceci n'est pas forcément une mince affaire.
Cependant pour avoir rencontré et côtoyé de nombreux nomades, il me
semble évident d'après leurs réflexions et questions (qualité de l'eau,
mécanisation des puits, etc.) que ce projet serait accueilli avec joie et
intérêt. Affaire à suivre...
Oulan Baator, capitale de la Mongolie, subit depuis la période de transition, un exode rural très forte. S'y agglutine aujourd'hui presque la moitié de la population du pays qui atteint 2,7 millions d'habitants. Les quartiers de yourtes se font de plus en plus nombreux et s'étendent loin du centre, colonisant les petites vallées avoisinantes. Pas de système d'alimentation en eau potable ni d'assainissement pour les nouveaux venus qui bien souvent s'approvisionnent à de nombreuses sources dans les collines, mais pour la plupart non potable (contamination bactériologique principalement par les latrines). Les chiffres sont éloquents : il est prévu une augmentation de la population citadine de 4,5 à 5 % jusqu'en 2010 qui ne se réduira ensuite qu'à 1,5 / 2 %.
L'alimentation en eau de la capitale se fait par le biais de quatre
sources constitués chacune par un ensemble de puits forés de 25 à 50
mètre de profondeur dans la nappe phréatique quaternaire le long de la
rivière Tuul. En 2002 entre 110 et 130 puits produisaient
quotidiennement un volume moyen de 151 900 m3. Certains quartiers de
yourtes sont alors desservis par de camions citerne qui alimentent des
kiosques de distribution. Mais ce n'est pas sans difficultés : mauvaises
routes d'accès, notamment l'hiver, queues lors de l'arrivée du camion
et réserves souvent vides.
Un premier projet destiné à alimenter deux quartiers périphériques de
yourtes en eau potable et courante a déjà vu le jour. Le système
comprend un réservoir sur le point haut du quartier, alimenté par des
stations de pompages et dont l'eau est chauffée en hiver pour éviter le
gel. Gravitairement, cette eau est alors amenée dans les kiosques de
distribution où les particuliers viennent acheter leur eau avec leur
bidon de réserve pour moins d'un tougrig le litre. Un second projet
similaire, auquel participe l'Association du réseau des experts pour l'environnement et le
développement – AREED, est en
cours de implantation et concerne entre autre le quartier de Garchuurt
avec la crèche, l'école et l'hôpital.
L'alimentation en eau potable est certes une priorité, mais l'assainissement de ces quartiers et le traitement des eaux usées, souvent simplement rejetées par les particuliers à l'extérieur de la yourte, ainsi que le problème de traitement des latrines, simples trous creusés dans le sol sont à résoudre dans un court délai pour éviter une pollution quasiment irréversible de la nappe. .
Caroline RIEGEL – Baïkal-Bangkok H2o – septembre 2005
25 décembre 2005, monastère de Karsha, vallée du Zanskar, Himalaya
indien - Et pas une trace de neige. Un scénario qui semble se répéter
cette année encore, après trois années de carence et qui menace
sérieusement l'agriculture et par conséquent les réserves alimentaires
des villages les plus exposés. Le village de Kumik par exemple, qu'aucun
torrent de glaciers ne traverse, n'a pu cultiver ses champs durant
toutes ces dernières années de faibles précipitations. Le gouvernement
s'est alors vu dans l'obligation de subvenir aux besoins élémentaires,
et de fournir riz, farine et herbe afin de compenser le manque de
récoltes.
Le Ladhak et le Zanskar, à extrémité sud-est du plateau tibétain, subissent en effet le même climat aride que la partie occidentale de son grand voisin chinois. Les principales précipitations surviennent l'hiver sous forme de neige car, en été, les nuages de mousson arrivent épuisés et presque asséchés, ne déversant à peine 15 à 20 mm au mois d'août et entre 50 et 100 mm par an à Leh. Les rares pâturages naturels se trouvent à plus de 4 000 mètres, les précipitations étant plus importantes en altitude. On y mène les troupeaux durant les trois ou quatre mois d'été uniquement car y vivre l'hiver serait trop rude.
Toute l'agriculture locale est donc basée sur des systèmes d'irrigation propres à chaque village et adaptés à la disponibilité en terre et en eau. Des réseaux de canaux en pierre ou en terre amènent l'eau gravitairement, parfois sur des kilomètres, jusqu'aux parcelles organisées de façon à permettre une distribution équilibrée. Au début du printemps, on épand de la terre sur la neige afin d'accélérer la fonte et permettre à l'eau de mieux pénétrer la terre. Les précipitations hivernales et la fonte des neiges sont de première importance et quand elles se font rares, le fragile équilibre qui lie l'homme et la nature s'ébranle.
Aujourd'hui, l'histoire se répète. La neige s'oublie, mais la situation a évolué. À Tungri, bien que la surface des terres cultivées n'ait presque pas augmenté - les habitations nouvelles étant principalement construites sur les terrains privés – le gouvernement a réquisitionné une importante surface de terre pour des plantations d'arbustes. Le débit de la rivière suffit encore à Tungri, mais ne saurait plus être partagé. De plus, ce débit apparaît "à bout de souffle" : "L'eau est parfois trouble alors elle était auparavant toujours claire" me confirme un ancien du village, conscient de la diminution des ressources naturelles mais tout de même persuadé que le glacier générateur est inépuisable !
Pourtant, les caprices et changements climatiques, l'augmentation de la population, des conditions de vie meilleures et l'arrivée du tourisme ont accru les besoins en eau et remis à jour le projet de canal. Un projet de plus grande envergure et qui s'inscrit dans le développement de la région devrait être financé par le gouvernement du Jammu-et-Cachemire. D'une longueur de 25 kilomètres sur 10 mètres de large, le canal traversera une dizaine de villages - et des terres agricoles - pour conduire de l'eau du fleuve Stot.
Les difficultés ne sont pas apparemment ni techniques ni financières, mais tout simplement humaines. En effet, Karsha ne sollicite plus l'eau de ses voisins mais a besoin de terres. Les compensations proposées par le village sont largement honnêtes : elles offrent deux fois plus de terres sur le domaine de Karsha en sus des compensations gouvernementales (115 % du coût des terres après le Tasildar, juge, du Zanskar). Mais à Tungri, comme à Rantaksha, le scepticisme est de mise, surtout chez les vieilles personnes, réticentes à céder leurs terres. "Ce canal nous privera des deux tiers de nos meilleures terres", "Ce canal sera un danger pour nos enfants et les bêtes qui pourraient tomber dedans" me glisse-t-on à l'oreille... De plus, un canal mal construit, il y a une vingtaine années, sur la rive d'en face et jamais utilisé renforce les doutes.
Une délégation regroupant des membres du village, et surtout des lamas du monastère, s'est constituée à Karsha, où on ne ménage pas les efforts de communication pour parvenir à une solution à l'amiable et une bonne compréhension du projet (trop souvent mal interprété). "Pour donner du poids, de l'importance et plus de respect" répond Sonam quand je l'interroge sur le rôle des lamas dans cette délégation. Réunions dans les villages, offrandes de beurre et de kataks (écharpes blanches) pour favoriser la chance... Mais le maire de Karsha regrette le manque d'effort de ses voisins : "Le maire de Tungri n'est même pas venu à la réunion et ne semble pas être en mesure de prendre une décision pour son village" regrette Toukstan. Il sait néanmoins que le gouvernement mettre un terme à l'affaire en se portant acquéreur des terres nécessaires. "Une solution à l'amiable serait tout e même préférable, nous voulons vivre en paix et en bon voisinage... mais que faire s'ils refusent ?"
Un espoir pour le canal se profile toutefois à travers la politique, puisque Sonam Namgyal, a été élu karshapa, conseiller général à Kargil, préfecture du Zanska. "Il saura trouver une solution et compenser les plus lésés" m'assure Puntsok Tashi, directeur de la PWD de Padum.
Le Zanskar, petite vallée qui, de tradition, a toujours vécu en paix et parfaite harmonie avec son environnement... Mais le monde change. .
"Tous les ans, les crues recouvrent la moitié du Bangladesh, nourrissent ces terres fertiles et boueuses, et les paysans (80% de la population) s’en réjouissent. Si les eaux montent de trop, les deux tiers du pays sont submergés, et c’est la catastrophe : la terre et des dizaines de milliers de familles sont emportées par les flots. Au Bangladesh, tout est d’une extrême fragilité, spongieux, instable. La vie et la mort, la terre et le ciel se confondent." François Hauter, Le Figaro, octobre 2005.
Ainsi a-t'on l’habitude d’imaginer le Bangladesh : un pays sans cesse touché par les catastrophes naturelles. À se demander comment et pourquoi les gens y vivent. Et c’est bien ce qui interpella Emmanuel, jeune stagiaire, alors qu’il survolait le pays à son arrivée : "Il y avait de l’eau partout, on avait l’impression d’une mer essaimée de petits îlots. Je me suis demandé comment les gens vivaient là !". Son amie surenchérit : "Lorsque j’ai annoncé que je partais pour le Bangladesh, on a pensé que j’étais folle !". Mais un couple de diplomate les rassure : "Les gens qui ne connaissaient pas le Bangladesh nous plaignent aussi, alors que ceux qui y ont déjà mis les pieds nous envient !".
Lorsque je pédale mes premiers kilomètres le long du Gange au Bangladesh, je m’étonne qu’aucun signe ne laisse supposer que la mousson complique la vie des bengalais. Certes, un Bihar – état indien de la plaine du Gange – étonnamment épargné par les inondations, ainsi que des pluies avares prouvent que la saison de mousson 2005 est plutôt douce. Néanmoins, au pays des inondations catastrophiques, je m’attendais à subir un quota minimum de routes coupées par les eaux, de coups de pédale humides et de traversées en barque rocambolesques. À aucun instant, la mousson ne vient troubler mon périple à bicyclette le long du Gange! L’eau ne manque pas. Il y en a même partout. Mais cela ne perturbe nullement le quotidien des bengalais : ils vivent avec l’eau comme un himalayen vit avec la neige…
À qui la faute d’une image exagérée de la réalité du Bangladesh ? Les médias étrangers tiennent certainement leur part. Pour exemple : la mousson extraordinaire de 1988. Les deux tiers du pays furent alors inondés au lieu du tiers habituel. 40 % de la population se retrouvèrent provisoirement sans domicile et 1 500 personnes périrent (les causes de mortalité n’étant toutefois pas précisées : maladies, piqûres de serpent et bien plus rarement noyades). Les dégâts sont importants : destruction du bétail et des récoltes, augmentation des maladies liées à l’eau et à l’insalubrité : fièvres, malaria, diarrhées. Afin d’y faire face, le gouvernement fit appel à l’aide internationale. Madame Mitterrand qui rendit visite au pays, se retrouva à Dhaka les pieds dans l’eau. De fait sensibilisée, elle s’efforça de mobiliser la communauté internationale pour récolter des fonds d’aide et d’étude en vue de maîtriser les flots des fleuves turbulents du delta. Des millions d’euros d’étude furent débloqués, des idées titanesques d’endiguement enivrèrent les têtes des experts, des années d’expériences in situ suivirent… Mais au final, personne n’a su apprivoiser la Jamuna : "Elle a finit par reprendre ses droits et les experts étrangers par rentrer au pays" m’avoue Talim, professeur d’anthropologie à l’IUB – Independant University of Bangladesh. Le monde avait néanmoins ouvert les yeux sur un pays inconnu, lui collant une étiquette négative et indélébile !
Les médias locaux ne se privent pas non plus d’influencer la population citadine. "Les journalistes filment le point de passage le plus étroit, là où le courant semble faire rage. Les gens s’imaginent alors que le reste du pays correspond à cette seule image montrée aux informations. Je me souviens avoir un jour hésité à annuler un déplacement professionnel dans une zone touchée par les inondations. Le journal parlait de sérieux problèmes… Je fus surpris de constater, une fois sur place, que la situation était parfaitement normale et la population largement adaptée aux éventuelles perturbations" m’explique Talim. Lors de mon séjour à Kuakata, une marée particulièrement haute érode une bonne dizaine de mètres de la piste qui mène à la plage. Les cocotiers tombent à terre pour être immédiatement démantelés par les pêcheurs, une demi-douzaine de boutiques s’écroulent et sont aussitôt déplacées. Depuis la capitale, la situation semble critique et ne manque pas d’inquiéter les parents de jeunes vacanciers. Localement, elle n’est rien d’autres qu’une attraction ludique quand au mécanisme d’érosion des vagues…
Cette tendance à l’exagération, tend surtout à influencer les mentalités des classes moyennes et supérieures de la capitale et les éloigne ainsi de la réalité du pays et de ses habitants. "Le Bangladesh est dangereux" me suis-je entendue dire lors d’une soirée par un riche bengalais expatrié depuis 25 ans aux philippines. "Certaines personnes ne quittent et ne quitteront jamais Gulshan, le quartier aisé de la capitale" me confie Maity, femme de diplomate. De plus, "les ONG doivent forcer le décor pour obtenir des fonds, alors nous exagérons souvent les paramètres catastrophes" m’avoue Anamul, qui travaille pour une ONG locale.
"Tous les ans, les crues recouvrent la moitié du Bangladesh, nourrissent ces terres fertiles et boueuses, et les paysans (80 % de la population) s’en réjouissent. Si les eaux montent de trop, les deux tiers du pays sont submergés, et c’est la catastrophe : la terre et des dizaines de milliers de familles sont emportées par les flots. Au Bangladesh, tout est d’une extrême fragilité, spongieux, instable. La vie et la mort, la terre et le ciel se confondent." François Hauter, Le Figaro, octobre 2005.
Ainsi a t’on l’habitude d’imaginer le Bangladesh : un pays sans cesse touché par les catastrophes naturelles. À se demander comment et pourquoi les gens y vivent. Et c’est bien ce qui interpella Emmanuel, jeune stagiaire, alors qu’il survolait le pays à son arrivée : "Il y avait de l’eau partout, on avait l’impression d’une mer essaimée de petits îlots. Je me suis demandé comment les gens vivaient là !". Son amie surenchérit : "Lorsque j’ai annoncé que je partais pour le Bangladesh, on a pensé que j’étais folle !". Mais un couple de diplomate les rassure : "Les gens qui ne connaissaient pas le Bangladesh nous plaignent aussi, alors que ceux qui y ont déjà mis les pieds nous envient !".
Lorsque je pédale mes premiers kilomètres le long du Gange au Bangladesh, je m’étonne qu’aucun signe ne laisse supposer que la mousson complique la vie des bengalais. Certes, un Bihar - état indien de la plaine du Gange – étonnamment épargné par les inondations, ainsi que des pluies avares prouvent que la saison de mousson 2005 est plutôt douce. Néanmoins, au pays des inondations catastrophiques, je m’attendais à subir un quota minimum de routes coupées par les eaux, de coups de pédale humides et de traversées en barque rocambolesques. À aucun instant, la mousson ne vient troubler mon périple à bicyclette le long du Gange! L’eau ne manque pas. Il y en a même partout. Mais cela ne perturbe nullement le quotidien des bengalais : ils vivent avec l’eau comme un himalayen vit avec la neige…
À qui la faute d’une image exagérée de la réalité du Bangladesh ? Les médias étrangers tiennent certainement leur part. Pour exemple : la mousson extraordinaire de 1988. Les deux tiers du pays furent alors inondés au lieu du tiers habituel. 40 % de la population se retrouva provisoirement sans domicile et 1500 personnes périrent (les causes de mortalité n’étant toutefois pas précisées : maladies, piqûres de serpent et bien plus rarement noyades). Les dégâts sont importants: destruction du bétail et des récoltes, augmentation des maladies liées à l’eau et à l’insalubrité : fièvres, malaria, diarrhées. Afin d’y faire face, le gouvernement fit appel à l’aide internationale. Madame Mitterrand qui rendit visite au pays, se retrouva à Dhaka les pieds dans l’eau. De fait sensibilisée, elle s’efforça de mobiliser la communauté internationale pour récolter des fonds d’aide et d’étude en vue de maîtriser les flots des fleuves turbulents du delta. Des millions d’euros d’étude furent débloqués, des idées titanesques d’endiguement enivrèrent les têtes des experts, des années d’expériences in situ suivirent… Mais au final, personne n’a su apprivoiser la Jamuna: "Elle a finit par reprendre ses droits et les experts étrangers par rentrer au pays" m’avoue Talim, professeur d’anthropologie à l’IUB. Le monde avait néanmoins ouvert les yeux sur un pays inconnu, lui collant une étiquette négative et indélébile !
Les médias locaux ne se privent pas non plus d’influencer la population citadine. "Les journalistes filment le point de passage le plus étroit, là où le courant semble faire rage. Les gens s’imaginent alors que le reste du pays correspond à cette seule image montrée aux informations. Je me souviens avoir un jour hésité à annuler un déplacement professionnel dans une zone touchée par les inondations. Le journal parlait de sérieux problèmes… Je fus surpris de constater, une fois sur place, que la situation était parfaitement normale et la population largement adaptée aux éventuelles perturbations" m’explique Talim. Lors de mon séjour à Kuakata, une marée particulièrement haute érode une bonne dizaine de mètres de la piste qui mène à la plage. Les cocotiers tombent à terre pour être immédiatement démantelés par les pêcheurs, une demi-douzaine de boutiques s’écroulent et sont aussitôt déplacées. Depuis la capitale, la situation semble critique et ne manque pas d’inquiéter les parents de jeunes vacanciers. Localement, elle n’est rien d’autres qu’une attraction ludique quand au mécanisme d’érosion des vagues…
Cette tendance à l’exagération, tend surtout à influencer les mentalités des classes moyennes et supérieures de la capitale et les éloigne ainsi de la réalité du pays et de ses habitants. "Le Bangladesh est dangereux" me suis-je entendue dire lors d’une soirée par un riche bengalais expatrié depuis 25 ans aux Philippines. "Certaines personnes ne quittent et ne quitteront jamais Gulshan, le quartier aisé de la capitale" me confie Maity, femme de diplomate. De plus, "les ONG doivent forcer le décor pour obtenir des fonds, alors nous exagérons souvent les paramètres catastrophes" m’avoue Anamul, qui travaille pour une ONG locale. .