H2o Magazine

Eau et délits

Mots clés : pollution industrielle, impunité, corruption, crime, délit, droit à l'eau, droit de l'eau
Dossier de
Martine LE BEC
  
April 2012
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Se doter d’outils juridiques pour défendre le droit à l’eau et pénaliser son usage irrationnel

Bien que déplorés, les cas de contamination industrielle ne sont en règle générale jamais sanctionnés ni pris à leur juste mesure au regard des dommages irréversibles causés sur l’environnement et des destructions des modes de vie des communautés. Au cours de cette session organisée par le FAME, quelques cas de contaminations aussi criminelles que banalisées ont été exposés par la voix de ceux qui sont contraints d’en assumer les conséquences sans l’avoir choisi simplement parce qu’ils vivaient là. Ces témoignages engagent la réflexion sur la faillite des mécanismes légaux qui échouent à protéger les cours d’eau et sur les limites des outils juridiques existants en matière de droit administratifs et civil dans la mesure où ils sont insuffisants pour décourager les pollueurs et ne sauraient restaurer les équilibres rompus.

Le partage des eaux – FAME 2012
5 sessions avec les acteurs internationaux autour du droit à l’eau
Marseille – 15 mars 2012

Graciela GONZALES DE ENCIZO & Atahualpa Sofia ENCIZO GONZALES, Un Salto de Vida – Mexique
Jacques VIERS, Commission Entreprises d’Amnesty International – France
Alessandra LILLO, Faculté d’architecture de Pescara-Abruzzo – Italie
Linda SHEEHAN, avocate au Earth Law Center – États-Unis
Gustavo GOMEZ, procureur général à la Cour fédérale de Tucumán – Argentine
Modérateur : William BOURDON, avocat à la cour, président de Sherpa – France

synthèse de Martine LE BEC
image Kadir van Lohuizen / Noor – Amnesty International
H2o – avril 2012

 

Les entreprises ont bien capté la nécessité d’un nouveau discours, plus attentif à l’humanité et à la planète. Dans l’eau, le droit à l’eau est même devenu la nouvelle religion du Forum Mondial de l’Eau : l’eau est un bien public qu’il faut protéger. Mais ce sursaut a des airs de farce et attrape.  Le droit pénal français comme le droit pénal européen – sans même parler du droit pénal international – sont impuissants à réprimer les plus grosses infractions commises à l’encontre des ressources en eau de la planète – les "masses d’eau" au sens de la directive cadre européenne, tout comme les atteintes à la biodiversité en général. 

Des avancées sont ici ou là perceptibles ; des populations civiles engagent des batailles courageuses dans lesquelles des juges leur donnent parfois raison. C’est David contre Goliath, un mythe bien réconfortant, mais loin d’être réalité ; en vrai, cela reste une histoire de pots de terre contre les pots de fer. Le droit n’a pas encore trouvé le bon alliage, celui qui lui permettrait d’aller guerroyer sur le terrain des industries métallurgiques, chimiques, pétrolières et autres… Cela vaut même en Amérique du Nord ou en Europe où, en dépit des risques encourus, nombre d’industries continuent de commettre chaque jour des infractions, par un simple calcul : un calcul de rentabilité.


Un cas d’injustice environnementale dans les communautés de Juanacatlán et El Salto, dans l’État de Jalisco au Mexique

L’État de Jalisco est situé en bordure de l'océan Pacifique. Dans la vallée d'Atemaja, à plus de 1 500 mètres d’altitude aux environs du lac Chapala, sa capitale, Guadalajara, cinq millions d’habitants, fait figure de Silicon Valley mexicaine. Dans certains quartiers, le niveau de vie y est comparable à celui de l'Espagne ou de l'Italie…  Mais à quel prix pour les autres – toutes les autres communautés : le développement économique de l’État s’est fait sans se préoccuper d’aucune manière ni d’elles ni de l’environnement. Le fleuve qui traverse la région – le second fleuve du Mexique, le río Santiago, ou  río Grande de Santiago comme l’avaient baptisé les Conquistadors, est devenu un poison. Son nom indien était Chignahuapan, de Nahua, "sur neuf cours d’eau". Il représentait alors un affleurement du monde souterrain, du Mietlan et de ses neuf enfers. Triste présage peut-être.

La Constitution des États-Unis Mexicains mentionne pourtant expressément, dans son article 4,  l’obligation pour l’État de garantir à ses citoyens le droit à l’eau ainsi d’ailleurs qu’à un environnement sain.  "Notre exemple dénonce un système qui depuis trente ans nous a fait perdre le sens de la vie", explique Graciela Gonzales de Encizo, "des couloirs industriels regroupent des entreprises de toute sorte – agro-alimentaires, automobiles, textiles, pétrochimiques, pharmaceutiques, etc. –,  qui ont installé une pollution permanente."

La cascade de Salto de Juanacatlán, qui reçoit les eaux du río Santiago, est emblématique de l'ampleur du problème : l'odeur putride et la mousse nocive qui atteint jusqu'à un demi-mètre de haut, la proximité de logements et l'absence faune et de flore dans le voisinage, témoignent du désastre. À divers endroits des composants toxiques ont été détectés comme le mercure, le cadmium, le chrome ou le plomb. La National Water Commission – CONAGUA, a estimé que les rejets industriels sont 3,4 fois supérieurs aux rejets des eaux usées municipales. En dépit de l'existence de normes telles que la norme NOM-001-ECOL-1996 ou la norme et la norme NOM-002-ECOL-1996, identifiant et indiquant les limites maximales admissibles de polluants dans les rejets d'eaux usées, ces rejets sont en réalité très peu réglementés et surveillés. Aucune mesure ne concerne des substances comme le  nonylphénol (un perturbateur endocrinien) ou du benzène (une substance cancérigène).

Le niveau du lac Chapala qui assurait près de la moitié de l’alimentation en eau de Guadalajara n’a cessé de baisser et  se trouve aujourd’hui au niveau le plus bas de ces 100 dernières années. La pression sur la nappe phréatique n’a elle-même cessé d’augmenter : plus de 6 millions de mètres cubes qui sont puisés chaque année pour alimenter la ville et ses industries. Les décharges industrielles voisines augmentent encore les pollutions. La plus importante de ces  décharges est grande comme 75 terrains de football.

L’urbanisation s’accélère dans le bassin d’emploi, en même temps que s’amplifie les cas de cancers et les naissances prématurées. Mais les populations affectées ont en définitive très peu de recours possibles. Des actions collectives ont bien été engagées ; une assemblée régionale des populations riveraines s’est constituée aux fins de regrouper les intérêts et d’engager le dialogue avec les autorités, des ateliers d’information sont organisés. Une action a aussi été engagée auprès du Tribunal latino-américain de l’eau. Aucune réponse n’a été donnée à ce jour, pas plus qu’un quelconque engagement des pouvoirs publics. Le problème est qu’il subsiste d’importantes contradictions dans la législation mexicaine : l´article 6 de la Loi Minière de 1992 établit que l´exploration et l´exploitation de minéraux a la priorité sur toute autre utilisation de la terre, y compris l´agriculture ou le logement et que l’eau utilisée dans le processus d’extraction appartient à la compagnie minière. Les appétits de compagnies étrangères sont énormes ; selon un rapport en 2004, si le Mexique est un pays presque totalement "minéralisé", 85 % des réserves minérales restent non exploitées, malgré le fait que plus de 10 000 mines ont été ouvertes depuis les années 1980.  Dans le bassin du río Santiago, 106 concessions sont installées qui ont déjà engendré plus de 200 conflits environnementaux.

En réalité pour les compagnies minières comme pour les industriels, le Mexique est devenu un véritable eldorado, complètement intégré à la zone nord-américaine de libre-échange et complètement "libre" tout court. "L’agenda gouvernemental donne la part belle au développement, le droit du travail se dérégule et les services de santé se démantèlent", conclut  Graciela Gonzales de Encizo.

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Des militants de Greenpeace ont investi, le 22 mars  2012, à bord d'un kayak la cascade de Salto de Juanacatlán. Photos Ulises Ruiz Basurto / EFE – Greenpeace

Film Un Salto de Vida
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Río Santiago
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Boire, respirer, manger du pétrole : la réalité des populations du delta du Niger

Dans le delta du Niger, on ne compte plus les fuites de pétrole : depuis cinquante ans, d’après les experts, 9 à 13 millions de barils ont été déversés dans cette région couverte par la mangrove. La pollution est la plus grave jamais survenue, l’équivalent de deux plateformes pétrolières Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique ou d’un Exxon Valdez tous les ans ; cette pollution est aussi restée plus discrète. 31 millions d’habitants vivent dans ce delta, grand comme le Portugal, quadrillé d’oléoducs et jonché de puits. Interrogée sur les fuites, la Shell Petroleum Development Company (SPDC) dénonce les vols, les sabotages et les activités terroristes. Pauvreté, violence et corruption font de la région une zone complexe et instable. 600 milliards de dollars et quelques ont été "déversés" sur le Nigeria depuis les premiers forages, sans jamais profiter aux populations. L’État nigérian est actionnaire de la SPDG à hauteur de 55 %, aux côtés de Shell, l’opérateur (qui détient 30 % du capital), de Total (10 %) et Eni (5 %). En 2010, la compagnie rappelle avoir versé 1,7 million de dollars de compensation à la suite de fuites ; depuis 2006, elle a aussi recensé en moyenne 169 déversements de brut par an dans le pays.

Une étude a été entreprise dans la partie la plus ravagée, l’Onigoland, par le Programme des Nations unies pour l’environnement  – d’ailleurs financée par Shell, et qui a confirmé les allégations faites depuis des années par Amnesty International. Des zones qui apparaissaient comme non affectées en surface sont en fait gravement contaminées sous terre ; la santé publique est sérieusement menacée dans au moins dix communautés ogoni dans lesquelles l'eau potable a été contaminée. Le rapport précise que "dans l'une de ces communautés, à Nisisioken Ogale, dans l'ouest du pays Ogoni, des familles boivent de l'eau provenant de puits contaminés par du benzène, un cancérigène reconnu, à un niveau 900 fois supérieur à ce que préconise l'Organisation mondiale de la santé". L'équipe scientifique a trouvé une couche de huit centimètres de pétrole raffiné flottant dans la nappe phréatique alimentant ces puits, le résultat d'une fuite de pétrole survenue il y a plus de six ans. Concernant la végétation, l'augmentation du raffinage artisanal entre 2007 et 2011 s'est accompagnée d'une baisse de 10 % de la couverture de mangrove saine, soit un total de 307 380 mètres carrés ; sans restauration de l'environnement, le raffinage artisanal pourrait conduire à une perte irréversible dans la mangrove dans cette zone.

Le traitement pollution représenterait l'opération de nettoyage la plus vaste jamais réalisée. Cette opération pourrait prendre vingt-cinq à trente ans. Aussi, le PNUE a préconisé la création d'un fonds spécial pour l'Ogoniland et suggéré que les compagnies pétrolières et le gouvernement nigérian y injectent déjà pour commencer 1 milliard de dollars (700 millions d'euros).

L’impunité des compagnies trouve son pendant dans l’indigence d’un État complice, sous le regard indifférent des États du nord qui abritent les sièges de ces entreprises. Pour la plus grande tranquillité de tous, les filiales sont juridiquement distinctes de leurs sociétés-mères.

Les batailles de l’eau sont multiples, complexes et difficiles. Les dommages sont le plus souvent à retardement, et parfois invisibles. Les plaignants sont confrontés à des juges qui, s’ils existent, sont soit incompétents soit corrompus. Les acteurs industriels sont évidemment conscients de leur impunité et en jouent. La solution est donc de conjuguer toutes les actions possibles : judiciaires, politiques, sociales et économiques, voire de l’étranger, car les victimes directes de ces pollutions sont la plupart du temps elles-mêmes sans grand poids économique.

Le 16 juin 2011, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a adopté pour la première fois une nouvelle série de principes en matière de droits de l'homme à respecter dans le monde des affaires. Cet ensemble de règles visent à contraindre les entreprises à améliorer le respect des droits de l'homme dans leurs pratiques et leur gestion. Ce n’est qu’une recommandation, mais qui ouvre une nouvelle voie pour la société civile et les ONG.

L’objectif est évidemment que ces principes puissent à terme être légalement défendus.

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Le Nigeria compte 160 millions d’habitants. En 2050, il devrait être le 3ème pays le plus peuplé au monde après la Chine et l’Inde. 30 millions de jeunes Nigérians sont sans emploi, alors que deux tiers de la population vit avec moins de 3 dollars par jour. 2,4 millions de barils de pétrole sont produits chaque jour dans le pays, placé au 1er rang des producteurs d’Afrique.
images – Amnesty International UK

 

Bussi sul Tirino : la plus grande décharge toxique d’Europe

La commune de Bussi sul Tirino, dans la province de Pescara dans la région des Abruzzes en Italie abrite aujourd’hui la plus vaste décharge toxique d’Europe. Le passé industriel de la vallée remonte au début du XXe siècle, lorsque s’y installa la Compagnie Franco-Suisse d’Électricité. Reprise par la Société Italienne d’Électricité, l'usine a enregistré une croissance rapide avec le lancement de la production de chlorate et d’hypochlorite de sodium, de chlorure de soufre, d’acide chlorhydrique et de lingots d'aluminium (cette dernière production utilisant la bauxite locale). Pendant la guerre, la production s’est orientée vers les explosifs (le chlorate de potassium) et les gaz toxiques (le phosgène). Après-guerre, le site s’est encore développé dans la chimie industrielle, notamment en intégrant, à partir des années 1960-70, la production d’additifs pour carburants.

Lorsque les sites d’enfouissement ont été découverts, la première réaction des autorités et des acteurs industriels a été de nier la possible contamination des eaux souterraines. Et c’est aujourd’hui sous la pression d’ONG – WWF Italie notamment que les choses sont progressivement en train d’évoluer. Un groupe d’étude de la faculté d’architecture de Pescara-Abruzzo a aussi effectué des prélèvements sur les divers aquifères, qui dénoncent les contaminations. Les acteurs se retranchent dorénavant derrière l’ancienneté des méfaits. Et l’affaire ne semble pas non plus émouvoir grandement les médias.

Le groupe d’étudiants soutient aujourd’hui un projet de réhabilitation territoriale de la vallée qui, en dépit de tous ces méfaits, reste d’une grande beauté naturelle. Ce projet s’oppose à celui défendu par les autorités locales, qui concerne la construction d’une cimenterie. La loi italienne est du côté des adversaires à ces projets de ré-industrialisation. Cependant, c’est seulement en se renforçant et en s’alliant au monde scientifique que la société civile pourra imposer un autre futur à ce territoire.

Le cas de Bussi sul Tirino n’est pas isolé : 57 autres sites du genre sont répertoriés en Italie. Mais l’attention de la société civile doit se porter au-delà, sur tous les sites susceptibles de rejoindre cette liste. La faculté d’architecture de Pescara-Abruzzo va publier un mémorandum sur ce territoire qui, elle l’espère, pourra servir d’autres projets de réhabilitation. La note sera titrée "Il n’est plus temps"… sous-entendu plus temps de tergiverser.

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images – L'Espresso

 

Les lois sont-elles en panne ?

Triste anniversaire : deux ans après le terrible désastre dû à l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon de BP dans le golfe du Mexique, survenue le 20 avril 2010, un nouvel accident – cette fois en mer du Nord avec Total, vient de survenir. Depuis dimanche 25 mars, les équipes de Total sont en train de se battre pour contenir vainement  une grave fuite de gaz sur sa plateforme d'Elgin-Franklin, située à 240 kilomètres du littoral écossais. Une fois de plus le dispositif le BOP – blow out preventer –, qui permet en cas de perte de contrôle de confiner le gaz ou le pétrole à l’intérieur du gisement et d’éviter la fuite, n’a pas fonctionné.

Voilà pour l’évènement. Mais deux ans après la marée noire du golfe du Mexique, nous n’en sommes non plus pas plus avancés sur le plan de la pénalisation de tels accidents. Il y a tout juste un mois, le 2 mars, le groupe  pétrolier britannique BP a obtenu un accord à l'amiable réglant une partie du contentieux. L'accord va permettre d'indemniser des entreprises privées de la région souillée par la marée noire qui a suivi la catastrophe, à hauteur de 7,8 milliards de dollars.  Cela ne couvre évidemment pas le gros "morceau" du contentieux, les procédures ouvertes par les pouvoirs publics américains : le ministère américain de la Justice, des agences fédérales, les États et collectivités affectés. Cet accord à l'amiable de dernière minute se traduit cependant de facto par un nouveau report du procès attendu, visant à déterminer les responsabilités de BP dans la marée noire.

La multiplicité des plaignants et leur puissance feront, peut-on l’espérer, avancer l’état de droit. Mais rien n’est gagné… À l’autre bout de la Fédération, la Californie – pourtant réputée comme un État progressiste et défenseur de l’écologie – est loin de présenter un début de solution à sa crise de l’eau. "L’eau potable est fournie aux entreprises, celle polluée est laissée aux femmes et aux enfants des quartiers défavorisés", énonce Linda Sheehan, avocate au Earth Law Center qui estime que si les lois environnementales ont initialement été créées pour défendre les intérêts des populations et de leurs environnements, ces lois sont aujourd’hui en panne. La raison est que ces lois environnementales, sensées défendre les ressources en eau ou les forêts, sont régulièrement refoulées devant les intérêts économiques et financiers des acteurs de l’industrie. "Ces lois finissent par légitimer la surexploitation et la pollution."  En 1849, en Californie, l’enjeu était de mettre l’eau à disposition des chercheurs d’or ; un siècle et demi plus tard, elle est mise à disposition des exploitants gaziers de l’État de New-York, de Pennsylvanie, du Michigan, de l’Arkansas ou du Wyoming.

Néanmoins à Pittsburg, dans l’État de Pennsylvanie, une loi vient d’être adoptée qui criminalise l’utilisation de l’eau pour l’extraction de pétrole et de gaz. Ce n’est pas le droit à l’eau dont il s’agit ici mais bien du "droit de l’eau"  –  l’eau devient le sujet, défendu en tant que tel, avec un droit à la vie, à la propreté et même à la liberté. En Équateur, la Constitution a été modifiée en 2008 pour rappeler ce droit de l’eau et des écosystèmes ; cette reconnaissance a préfiguré la Déclaration universelle pour les droits de la Terre Mère, adoptée à Cochabamba, Bolivie, le 22 avril 2010, par la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique.

Occupy Wall Street et le mouvement des Indignés témoignent de la montée de la revendication pour une société différente, d’autres valeurs et d’autres droits, la maximisation non plus du profit mais du bien-être environnemental et humain. Des modèles sont à créer, davantage holistiques.


Vers un tribunal pénal international de l’environnement ?

Le malheur vient de l’impunité des dommages créés à l’environnement. La première priorité serait d’établir que les crimes contre l’eau, et plus généralement les crimes contre l’environnement, sont des crimes contre l’humanité. La seconde priorité serait de créer un tribunal pénal international de l’environnement. Ce second point fait débat, les discussions traînent sur des questions de sémantique alors que les populations affectées sont dans l’attente d’outils juridiques pour défendre leur droit à un environnement sain.

Un droit international de l’environnement existe, qui repose sur plus de 500 traités ou accords multilatéraux, dont 300 environ ont un caractère régional  ; mais il lui manque son pendant : une cour ou un tribunal apte à qualifier et juger les manquements et atteintes à ces accords. La création de ce tribunal pénal international de l’environnement est donc un impératif. Sa fonction sera de traiter les atteintes à l’environnement dès lors que les plaintes n’auront pu être traitées ou réglées par les tribunaux nationaux ou si les conséquences ont des portées supra-territoriales.

Il restera encore à prévoir les moyens financiers nécessaires à la restauration des milieux ; concrètement un Fonds pour dommages à l’environnement, à l’image de celui créé en 1995 par le Canada, et qui serait alimenté par les montants adjugés par le tribunal pénal international de l’environnement, les règlements à l’amiable et les paiements volontaires, ainsi que les sommes provenant de divers fonds internationaux et ou assurances professionnelles.

Le chemin sera long et difficile – un véritable Camino de Santiago –, aussi Gustavo Gomez, procureur général à la Cour fédérale de Tucuman en Argentine, propose un plan d’action "post-FAME" : il s’agira de créer un groupe de travail permanent d’avocats qui permette à tout à chacun, à travers Internet ou d’autres moyens, de consulter et s’informer sur ses droits et les procédures possibles ; le site devra par ailleurs recenser et évaluer toutes les situations litigieuses, et reporter les actions engagées par la société civile. L’objectif est de gagner en efficacité. Il faut œuvrer pour le rapprochement progressif des corpus juridiques nationaux, afin de lutter contre la délocalisation d’activités et la création d’usines polluantes dans des pays minés par la corruption et où les contrôles sont moins draconiens qu’en Amérique du Nord ou en Europe. Le renforcement du droit international de l’environnement ne peut non plus se limiter aux seuls instruments onusiens, par nature uniquement opposables aux États.

Dans l’immédiat, il faut aussi dénoncer la criminalisation automatique et la persécution des militants environnementaux qui se battent pour leurs droits. "En Argentine, 500 personnes ont été emprisonnées pour ces combats contre la pollution ou la dégradation du milieu de vie et malgré cela les gens continuent à se battre ; encore récemment 7 000 personnes, des artistes et des poètes, ont effectué une marche de 400 kilomètres en chantant.  Mais il faut aussi savoir que les "disparus" argentins d’aujourd’hui sont d’abord des militants environnementaux. Les multinationales payent souvent les élus ou diverses bandes pour faire disparaître les protestataires. Beaucoup partent en exil" a expliqué Gustavo Gomez.

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Mouvement paysan de Santiago del Estero, MOCASE – documentaire Semillas

Fiscalia general ante la Cámara federale de Apelaciones de Tucumán – Argentina
International Academy of Environmental Sciences – IAES

 

Un agenda post-FAME

Si l’enjeu à terme est bien la reconnaissance d’un droit de l’eau et l’instauration d’un corpus juridique défendable devant un tribunal pénal international de l’environnement, la mobilisation engagée à Marseille à travers la rencontre Eau, planète & peuples puis le Forum alternatif mondial ne doit pas fléchir. Les organisations participantes doivent dès à présent jeter les bases d’une coordination structurée leur permettant de nourrir leur action, de se renforcer et se professionnaliser en engageant un travail de fond sur des dossiers symboliques, les plus aptes à faire émerger un véritable droit international de l’eau. .

 

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ResSources
Ateliers Droit à l'eau
Le FAME organisait 4 autres ateliers sur le droit à l'eau : Témoignages des luttes locales contre la spoliation de la ressource et pour la reconnaissance du droit à l’eau comme un droit humain fondamental
L’eau, patrimoine de la terre et bien commun : défense des écosystèmes et du cycle intégral de l’eau
"Ca s’écrit eau, ça se lit démocratie" : mobilisations citoyennes et mouvements sociaux pour le droit à l’eau
La dynamique politique du droit à l’eau
FAME 2012