H2o Magazine


OPUR
Des usines de rosée ?

Mots clés : rosée, condensation, condenseurs radioactifs, OPUR
Dossier de
la rédaction de H2o
  
March 2008
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DES USINES DE ROSÉE ?

Le concept de condensateurs de rosée promu par l'association OPUR

Daniel BEYSENS
directeur de recherche
CEA – Commissariat à l'énergie atomique
ESPCI – École supérieure de physique et chimie industrielle de Paris
président et membre fondateur de OPUR

H2o –avril 2008

 

La rosée, tout le monde connaît. On la découvre, au petit matin, quand le soleil est à peine levé, et qu’elle recouvre l’herbe des prés de gouttelettes diaphanes et argentées qui scintillent au soleil. Si frêle qu’un rayon de soleil suffit à la volatiliser, mais si solidement accrochée au brin d’herbe. Pure comme le diamant, et pourtant si fragile... Les alchimistes ne s’y étaient pas trompés, qui en faisaient l’un des ingrédients majeurs d’élaboration de la Pierre Philosophale. Sa transparence était à récolter au petit matin (mais peut-on la récolter différemment ?), déroulant un linge sec sur herbes et feuillages pour l’imbiber de myriades de gouttelettes de rosée. Après essorage, l’eau pure est recueillie pour le "Grand Œuvre". La rosée a, semble-t-il d’autres vertus : elle fait venir la beauté aux femmes qui, comme en Ukraine, se roulent nues dans la rosée matinale.  Elle guérit les maladies de peau. Et bien d’autres choses encore…

La rosée, source d’inspiration des arts et des lettres, est aussi très présente dans les religions. Dans la Bible, les Écritures emploient le mot "rosée" au sens figuré, pour désigner tout ce qui, sans bruit, et même de façon invisible, apporte rafraîchissement et bénédiction...

D'où vient la rosée ?

"La rosée est formée d’eau. Elle se forme la nuit, quand le ciel est dégagé". Ces quelques mots résument parfaitement le phénomène.

Au contact d'un support froid, la vapeur d’eau contenue dans l’atmosphère se métamorphose en fines gouttelettes d’eau liquide. Pour que le phénomène se produise, il faut que le support soit plus froid que l’atmosphère ambiante. L’agitation thermique désordonnée des molécules de vapeur dans l’air se transforme en ordre liquide grâce à la température plus basse et à la structure organisée du support : c’est le phénomène de condensation. Cette température, où la vapeur d’eau est sursaturée et se transforme en eau liquide est précisément appelée "température de rosée".

Les gouttes de pluie et de brouillard naissent, elles aussi, sur des supports, mais des supports microscopiques : poussières, grains de sable du désert, embruns marins… qui sont autant de germes favorisant la condensation. Les pluies et brumes sont ainsi comme une rosée du ciel.

L’importance des échanges radiatifs dans la température des surfaces où la rosée se forme a été suspecté très tôt dans la formation de la rosée ; l’hypothèse est sous-jacente dans le premier livre sur ce sujet, par William Charles Wells "An essay on dew, and several appearances connected with it", publié en 1814 à Londres. Les échanges radiatifs ont, pour simplifier, deux actions antagonistes : chauffage, par le rayonnement solaire, et refroidissement, principalement par émission infrarouge, le rayonnement qu’émet un matériau à température ambiante. Le jour, le chauffage direct ou indirect du soleil l’emporte sur le refroidissement. La nuit, sans chauffage solaire, le substrat se refroidit. Bien évidemment, les gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère comme le gaz carbonique et surtout la vapeur d’eau limitent le refroidissement infrarouge. Le refroidissement peut même s’annuler quand la couverture nuageuse est dense : c’est pour cela que la rosée se forme pendant les nuits claires.

Si la rosée est appréciée pour la fraîcheur qu'elle apporte les petits matins d'été et pour l'humidité qu'elle procure aux plantes, même en périodes sèches, la gelée blanche ou givre est elle généralement guère appréciée. S’il y a givre, c’est parce que la température de la surface descend en dessous de zéro degré et que les gouttelettes de rosée ont gelées. Ces gouttelettes gelées continuent de grossir sous forme d’aiguilles de glace qui forment le givre, véritable "cristal" de rosée.

Rosée et givre se produisent pourtant de la même manière et exigent les mêmes conditions : un ciel nocturne dégagé, un fort rayonnement d'où une baisse des températures, un vent calme et une forte humidité.

La croissance des gouttelettes de rosée s’effectue selon des règles simples, qui conduisent à un ordre étonnant. Quand de petites gouttelettes naissent sur une surface, elles sont de très petite taille, de l’ordre de quelques millionième de millimètre. Elles grossissent en agglomérant les molécules de vapeur autour d’elles : ce sont de véritables "pompes à molécules". En augmentant leur taille, elles vont se toucher et fusionner – c’est le phénomène de coalescence – et former une nouvelle goutte, plus grosse et de même forme, mais occupant moins de place que les deux gouttes précédentes. Le résultat est surprenant, mais il est simplement dû au fait que les gouttes "poussent" dans une dimension différente de la surface, la troisième dimension. Quelles que soient les tailles des gouttelettes, de l’ordre de quelques longueurs atomiques, comme on les détecte durant la fabrication de couches minces pour la nano-électronique, ou des millions de fois plus grosses, comme celles que nous observons à l’œil nu sur les feuilles du jardin ou les vitres embuées de nos cuisines, la surface restera sèche en permanence sur presque sa moitié. Il en résulte des propriétés "universelles" de la rosée, que nous ne détaillerons pas ici, mais qui rend ce modèle très populaire parmi les scientifiques qui étudient les propriétés statistiques de la matière. Et on sait même faire "sauter les gouttes de rosée" Si la température du solide sur lequel se dépose la rosée est proche de son point de fusion, la chaleur (latente) que le solide doit évacuer pour que les molécules désordonnées de vapeur se "calment" et s’ordonnent en liquide, est suffisante pour liquéfier le substrat. La goutte se met alors véritablement à "sauter" une danse de Saint-Gui. Plus surprenant encore : les gouttes de rosée peuvent même "parler" entre elles : quand elles se touchent et fusionnent, elles émettent un petit "cri" qui peut être rendu audible.

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La rosée, source d'eau pure

 

La rosée est  une source d’eau pure, modeste, mais qui peut s’avérer un apport appréciable dans les souffrant de pénurie, en premier lieu les déserts.

L'homme a naturellement très tôt essayer de collecter la rosée pour s'alimenter en eau douce. Il existe plusieurs témoignages, ou légendes, qui évoquent ainsi la rosée captée de façon artificielle. Dans la steppe de Touran de l'ex-URSS se trouve un grand remblai artificiel en pierres concassées. Sur le sommet de ce remblai des constructions de culte scythe sont visibles. En contrebas, à 1,50 mètre, se trouvent deux sources d'où l'eau coule en abondance une eau très pure et très froide. Ce qui est étonnant, c'est qu'il n'y a autour de ce remblai aucune source naturelle. Ne serait-ce pas de la condensation ? On évoque également les étangs de rosée d'Angleterre. Ces étangs artificiels, construits au Moyen Âge, étaient chaque soir vidés par les villageois qui les retrouvaient le lendemain matin à nouveau remplis d'eau. Ces constructions étaient réalisées de manière très simple : des bassins de quelques dizaines de mètres de côté étaient creusés en forme de coupe, leur fond recouvert d'une première couche de paille sèche et d'une seconde d'argile. Le tout était tassé et recouvert de pierres. L'étang était alors prêt à fonctionner et commençait à se remplir d'eau sans qu'il n'y ait eu de précipitations atmosphériques. Dans les îles Canaries, les pieds de vigne sont plantés au centre d’une dépression conique creusée dans de la cendre volcanique ; la rosée fournit l’humidité nécessaire à leur croissance.

Des condenseurs d'eau atmosphérique semblent ainsi avoir existé dans les temps anciens. On les connait, mais non dans les détails ; nous n’avons que peu de documents confirmant la véracité de leur fonction attribuée. A contrario, on peut affirmer l'existence de tels condenseurs au 20ème siècle. L'ingénieur belge Achille Knapen, lauréat de la Société des ingénieurs de France, a ainsi contruit, à Trans-en-Provence en 1930-31, une tour massive qui abritait en son centre un "puits aérien",  haut de neuf mètres et d’une dizaine de mètres de diamètre. La construction tombera en désuétude : les meilleures nuits, le condenseur ne récolta que la valeur d'un seau. L'idée de cette construction lui était venue par les travaux du directeur de la Station de physique et de bioclimatologie agricoles de Monpellier, Léon Chaptal, lequel avait échafaudé en 1929 une pyramide haute de 2,50 mètres et 3 mètres de large. En 1930, le condenseur de Chaptal avait permis de récupérer une centaine de litres au cours des six mois les plus chauds, d'avril à septembre. L'année suivante, les performances n'étaient plus que de moitié, les conditions ayant été moins favorables. Léon Chaptal avait lui-même été inspiré par les expériences, encourageantes, d'un ingénieur russe, Friedrich Zibold.

À Féodosia, en Crimée, durant l’été 1900, lors du nivellement de son district forestier, Zibold découvrit de grands tas coniques de pierres, d'un volume avoisinnant les 600 mètres cubes. Des restes de tuyaux en terre cuite entouraient les tumuli. Zibold en conclut qu'il s'agissait de condenseurs de rosée servant à alimenter en eau potable l'ancienne Féodosia. L'hypothèse s'avérera fausse, mais seulement bien plus tard. Entretemps, Friedrich Zibold construisit un condenseur fonctionnant sur des principes qu'il pensait identiques à ceux des anciens condenseurs. Pour cette expérience, Zibold choisit un endroit sur le sommet Tépé-Oba, près de Féodosia, à 288 mètres d’altitude. Il bâtit un condenseur en pierres, en forme de coupe, de 1,15 mètre de profondeur et de 20 mètres de diamètre. La coupe est remplie de galets de 10 à 40 cm de diamètre, entassés pour former un cône tronqué de 6 mètres de hauteur et 8 mètres de diamètre au sommet. Le condenseur commença à fonctionner en 1912, et donna jusqu’à 360 litres d’eau par jour. Les expériences durent cesser en 1915 à cause de fuites dans le socle. Partiellement démonté, il a été totalement abandonné. Aujourd'hui il ne reste qu'une gigantesque coupe de 20 mètres de diamètre.

Nous le savons maintenant, le condenseur de rosée "idéal" se trouve à l'opposé des thèses du début du siècle se fondant sur des constructions de grande masse. Il doit être léger pour se refroidir rapidement la nuit. Il est en fait analogue à l'herbe des prés qui, recouverte de rosée, constitue une importante source d'eau pour nombre d'être vivants, qu’ils soient petits (insectes) ou grands (les moutons en Écosse, les chevaux en Namibie). Dans le désert, certaines plantes se nourrissent par les feuilles grâce à ce mécanisme.


OPUR ou la conquête de la rosée

OPUR ou la conquête de la rosée
OPUR, Conquest of the Dew

réalisation Céline EUDIER
traduction anglaise Iryna MLILIMOUK Scott PHILLIPS
Jean-Pierre EUDIER Alexandra STEPANOVIC
montage Frédéric OUZIEL
musique MANITOBA – Leaf Records
production OPUR
durée 10'

 

Créée en 1999 dans le but de promouvoir la récupération de la rosée atmosphérique comme ressource alternative d'eau, l'association OPUR – Organisation pour l’utilisation de la rosée, a organisé une certain nombre d'actions scientifiques et techniques avec le concours du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), du Centre national de recherches scientifiques (CNRS), de École supérieure de physique et chimie industrielle de Paris (ESPCI) et de l'Université de Corse. Elle est notamment intervenue pour des études sur la formation de la rosée à Ajaccio (Corse), mais aussi en Polynésie française, au Maroc, en Tunisie, Israël, Croatie et Inde.

Elle installé des condenseurs radiatifs à Vignola en Corse, sur l'île de Biševo en Croatie, en Éthiopie et dans la région de Kutch en Inde. C'est aussi en Inde, qu'elle a construit sa première usine de rosée. D'autres condenseurs sont en projet au Maroc et au Burkina-Faso.

L'association a aussi initié un certain nombre de programmes de recherche sur l'évaluation de "gisements" de rosée, l'analyse de l'eau de rosée, la simulation numérique de la condensation, le refroidissement radiatif, etc.