H2o Magazine

L'empire de l'Eau

Suez Bouygues et Vivendi – Argent politique et goût du secret

Mots clés : Bouygues, Veolia, Vivendi et Suez-Lyonnaise des Eaux, majors de l'eau, argent, politique, goût du secret
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Titre L'empire de l'Eau
Auteur Yvan Stefanovitch
Éditeur Ramsay
Vilo Diffusion
ISBN 2-84114-731-2
Pages 536
Sortie mai 2005
Prix 18,50 euros
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Yvan STEFANOVITCHGoutte d'eau, gouttes d'or ? Lorsque vous payez votre facture d'eau, serait-il possible que vous contribuiez ainsi à alimenter les fonds des grands partis politiques français ? Tel est le fruit du mariage, depuis un siècle et demi, entre des élus et trois groupes privés : Bouygues, Vivendi (rebaptisé Veolia) et Suez-Lyonnaise des eaux. Dans la corbeille, l'Etat a déposé des pans entiers du service public : eau, électricité, traitement des ordures, chauffage urbain, téléphone mobile, télévision et, suprême récompense, le BTP. D'anciens hauts fonctionnaires sont alors placés aux commandes de ces entreprises.

L'empire de l'Eau raconte par le menu ces relations étroites, de Napoléon III jusqu'à Delanoë, en passant par Santini, Hue, Mitterrand, Carignon et Chirac, au fil d'une diagonale droite-gauche parfaitement œcuménique.

Mais, aujourd'hui, rien ne va plus. Les bénéfices stagnent et les consommateurs se rebiffent. Des élus, dont Laurent Fabius ou Henri Emmanuelli, osent demander des comptes aux trois "majors" et se prononcent en faveur d'une gestion municipale de l'eau, bien moins chère et plus transparente. Depuis cinq ans, les rois de l'eau ont ainsi perdu les contrats de Grenoble, Cherbourg, Bastia et de la plupart des communes landaises au profit de régies municipales. Résultat : Bouygues sort de l'eau, Suez parie sur l'électricité et Veolia sur la Chine.

Quand de récents procès mettent en lumière l'implication de ces entreprises dans les affaires d'emplois fictifs du RPR, de marchés truqués en Ile-de-France, de fausses factures sur les HLM de Paris, le lecteur trouvera légitime et civique de s'intéresser avec l'auteur au commerce de l'eau.

Un minutieux travail d'historien et une investigation méthodique se conjuguent pour donner à ce document la dimension et la force d'une véritable saga.

L'auteur – Ancien journaliste à l'AFP et à VSD, Yvan Stefanovitch collabore aujourd'hui à Paris-Match.

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Titre L'empire de l'Eau
Auteur Yvan Stefanovitch
Éditeur Ramsay
Vilo Diffusion
ISBN 2-84114-731-2
Pages 536
Sortie mai 2005
Prix 18,50 euros
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Yvan STEFANOVITCH Extrait du chapitre 1

Bertrand Delanoë toilette la Yalta de l'eau, des poubelles et des parkings

Lundi 15 décembre 2003. Le vieil amphithéâtre en bois du conseil général de Paris somnole légèrement, la moitié des 162 sièges reste vide. II est 22 heures. Présent jusqu'en début de soirée pour le vote du budget, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, a laissé son fauteuil à sa première adjointe Anne Hidalgo. Toutes les conditions sont réunies pour escamoter le débat qui va commencer à cette heure tardive. Pas question de prendre véritablement au sérieux un projet de remunicipalisation de la distribution de l'eau dans la capitale en 2009, date de la fin du contrat avec les deux majors, la Générale et la Lyonnaise des eaux. Politicien habile et fils de pub repenti, le maire de Paris joue parfaitement sa partition sur le thème : "Touche pas à mes distributeurs..." Depuis son élection en 2001, il maîtrise parfaitement sa communication à travers un souci constant de transparence et de "proximité" avec les Parisiens. Les shows Paris Plage et les Nuits blanches, sa politique du logement, le débat sur la rénovation du quartier des Halles et ses comptes rendus de mandat dans chaque arrondissement en témoignent. Pourtant, Bertrand Delanoë n'ose pas prendre position publiquement sur l'eau. Ce débat – financier en apparence, mais éminemment politique – l'intéresse-t-il vraiment? On en douterait... Sa première adjointe, la sévère mais sémillante Anne Hidalgo expédie le débat à la hussarde en un peu plus d'une heure. Elle interrompt sèchement les orateurs de droite comme de gauche pour leur demander de conclure au plus vite, leur temps de parole étant dépassé. Les quelque 80 conseillers présents sortent d'un dîner arrosé d'un excellent château-margaux 1991, tiré de la cave de l'Hôtel de Ville, considérablement embellie sous Jacques Chirac. Les carafes remplies d'eau de la ville n'ont guère de succès auprès d'élus fatigués par une longue journée de débats budgétaires.

Très à l'aise, Anne Hidalgo préside cette séance du conseil de Paris consacrée à ce qu'elle appelle non sans un certain humour "débat sur l'affaire prioritaire relative au contrat de l'eau". Cette ancienne inspectrice du travail (c'est du moins ce qu'elle met en avant dans son CV) va faire entériner un an de négociations secrètes entre la nouvelle majorité municipale et les deux marchands d'eau dans la capitale, Véolia et Suez. En l'absence du maire à cette heure tardive, la première adjointe préside les débats. C'est le règlement. Certes. La majorité de gauche ne cherche pas des poux dans la tête de la maire bis. Soit. Mais les conseillers d'opposition de droite ont eux la mémoire courte, ou préfèrent se taire. Avant d'être nommée, en 1997, conseiller technique au cabinet de Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Anne Hidalgo a été pendant deux ans chargée de mission auprès du directeur du personnel de la Compagnie générale des eaux. Elle y a croisé Jean-Pierre Frémont, engagé en octobre 1997, lui aussi, comme chargé de mission de la filiale CGEA (Compagnie générale d'entreprise automobile), en charge des secteurs propreté et transports collectifs. Elu conseiller de Paris dans le XVème arrondissement comme Anne Hidalgo, l'UDF Jean-Pierre Frémont occupe aujourd'hui les fonctions de directeur des collectivités publiques à Veolia Water, filiale de Veolia Environnement (nouveau nom de l'ex-Générale des eaux à sa sortie de l'orbite de Vivendi Universal). A l'inverse de la première adjointe, le conseiller Frémont préfère sécher le débat sur l'eau en ce soir du 15 décembre 2003. Cet ancien conseiller chargé de la communication de François Bayrou au ministère de l'Education nationale la joue toujours discrète. Il occulte soigneusement le nom de son employeur dans son curriculum vitae, où il se dit simplement cadre supérieur. Secret de polichinelle au conseil de Paris ? Nous l'avons appris apparemment à plusieurs élus Verts et PS de cette assemblée. Mais aucun conseiller de gauche n'en souffle mot par peur de devenir l'arroseur arrosé, compte tenu des états de service d'Anne Hidalgo... Le 16 juin 2003, Bertrand Delanoë ira même jusqu'à faire applaudir en séance la nomination de Jean-Pierre Frémont au grade de chevalier dans l'ordre national du Mérite. La justification de cette double casquette, Jean-Pierre Frémont la donne sans complexe, en tant que cadre supérieur de Veolia Environnement : "Pour des hommes et des femmes passionnés par leur métier, l'échange et le partage d'informations et des préoccupations sont sources d'enrichissement... La Générale des eaux est souvent sollicitée par le monde politique, et nous avons toujours répondu présents dans un souci dexplication et de partage d'informations." Aujourd'hui directeur des collectivités publiques chez Veolia, le même Jean-Pierre Frémont se garde bien de faire de la publicité à un document dit son service intitulé Le mouvement altennandialiste, quelles réponses ? Rédigé officiellement par l'un de ses adjoints, l'ancien député PS de Lorient, Pierre Victoria, cette note à usage interne de 27 pages explique en 17 points comment contrer les arguments des ONG et des écologistes qui demandent la remunicipalisation de l'eau dans les villes et villages de l'Hexagone. Exactement le genre de débat que la mairie de gauche parisienne ne souhaite pas voir porté sur la place publique.