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Le droit à l'eau

Mots clés : accès à l'eau et à l'assainissement, droit à l'eau, droit de l'eau, tribune H2o
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1,4 milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable.
2,6 milliards n’ont aucun moyen d’assainissement.
Si rien n'est fait, d’ici 2025, 4 milliards d’entre nous, la moitié de la population du globe, seront confrontés à un déficit en eau.

 

TRIBUNE H2o

photo : détail du visuel de la campagne "Le droit de l'eau" – France Libertés

 

En octobre 2000, les Nations unies ont défini les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) visant à réduire de moitié, d'ici à 2015, "la proportion de la population mondiale qui souffre de la faim et ne peut accéder à, ou se procurer des ressources en eau potable salubre". Lors du Sommet de Johannesburg, en septembre 2002, les chefs d'État ont ajouté à ces objectifs celui de diminuer de moitié de la proportion de personnes sans accès à un système d'assainissement minimal.

Ce résultat imposerait de raccorder tous les jours à l'eau potable 200 000 personnes supplémentaires et d'offrir un assainissement décent à 400 000 personnes, et ce jusqu'en 2015. Alors aussi que nous sommes aujourd'hui très loin de remplir les conditions nécessaires à ces objectifs, le droit à l'eau apparaît comme une chimère.

Pouvons-nous nous résoudre à cela ?
C'est à vous de répondre.
Merci d'envoyer votre contribution (texte argumenté) à la rédaction de H2o, à l'attention de Martine LE BEC.

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L'EAU EN QUÊTE D'UN STATUT

 

Martine LE BEC

Paris – le 22 février 2006

 

1,4 milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable.
2,6 milliards n’ont aucun moyen d’assainissement.

En dépit de la croissance qu’elles ont connu au cours des cinquante dernières années, nos sociétés sont confrontées, à l’orée du 21ème siècle, à un problème aussi vital et urgent que celles de la fin du 19ème : assurer à chaque être humain l’accès à l’eau potable. Nous sommes déjà 6,5 milliards à abuser des réserves d’eau douce de la planète. Qu’adviendra-t-il lorsque se tendront quelques milliards d’autres mains ? On estime que d’ici 2025 un milliard supplémentaire de personnes viendront grossir les rangs des populations pour lesquelles l’eau constitue un problème majeur ; quatre milliards d’entre nous, la moitié de la population du globe, seront confrontés à un déficit.

1980-1990, la décennie manquée

Les premiers cris d'alarme ont été lancés il y aura bientôt… 30 ans : c’était à Mar del Plata, en Argentine, lors de la première conférence internationale sur l'eau organisée par les Nations unies en 1977. Volontaires, les 150 nations présentes décidaient d’initier la "Décennie pour l'eau potable et l'assainissement" (DIEPA – 1981-1990). Son objectif : assurer, avant 1990, une eau potable accessible à chacun, en quantité et qualité suffisantes. Les résultats de cette décennie seront bien en deçà des espérances. Les besoins financiers avaient été sous-estimés, en même temps que la crise économique, l'accroissement démographique et l’urbanisation galopante allaient compliquer la situation. Réunis à New Delhi, en septembre 1990, le comité directeur de la DIEPA et le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement), entourés de 155 pays, prennent acte de l'impossibilité de couvrir les besoins en eau de toute la population à défaut d’une participation financière des usagers. L'eau ne peut plus être considérée comme un bien gratuit ; elle a un coût économique et social, en conséquence de quoi, les usagers doivent participer financièrement à son service. La conférence met tout de même en place un programme, "Eau salubre 2000", dont l'objectif est de permettre un accès à l'eau potable pour tous à l'aube du troisième millénaire.

La décennie 1990 sera émaillée de rencontres internationales : la conférence de Dublin (1992), le sommet de Rio de Janeiro (1992), la conférence ministérielle de Noordwijk (1994), le 1er forum mondial de l'eau (Marrakech, 1997), la conférence internationale eau et développement durable (Paris, 1998). L’avènement du nouveau millénaire multiplieront les essais : avec le 2ème forum mondial de l'eau (La Haye, 2000), la conférence ministérielle de Bonn (2001), le sommet de Johannesburg (2002), le 3ème forum mondial de l’eau (Kyoto, 2003), le 4ème (Mexico, 2006) mais aussi le forum mondial alternatif de l’eau (Florence, 2003 – Genève, 2005 – Mexico, 2006) ainsi que les forums sociaux, régionaux ou mondiaux, ayant aussi placé les enjeux de l’eau au cœur des débats.
L’eau y aura gagner une attention nouvelle, de nouveaux outils, de gestion ou de financement, mais aucunement un statut.

L’eau, entre politiques et société

Cette multiplication des conférences a permis aux spécialistes d’affiner leurs approches des problématiques de l’eau ainsi que leurs outils de gestion. De nouveaux concepts ont été élaborés ou étendus : le principe de pollueur-payeur, la gestion par bassin, la gestion intégrée des ressources, la notion d’eau virtuelle, etc. ; de nouveaux programmes ont été mis en œuvre dont le Programme mondial pour l'évaluation des ressources en eau (en anglais WWAP). Parallèlement – et ce n’est pas le moindre, s’est progressivement imposée la nécessité d’une approche locale et partagée par les usagers pour "une meilleure gouvernance de l’eau".

La chose a été entendue puisque le 4ème forum mondial, qui se tiendra le mois prochain à Mexico, focalisera les débats sur le thème "Des actions locales pour un défi mondial". Pour la première fois aussi, le courant "alternatif" sera présent à Mexico où, après moult hésitations, les principales ONG se sont accordées pour lancer une manifestation parallèle de "Défense de l’eau". De quoi donner, dans les médias du monde entier, une plus grande ampleur à Journée mondiale de l’eau (22 mars).

Les OMD ou la menace d’un échec annoncé

Ce sont les petits ruisseaux qui font les grands fleuves et celui à tracer d’ici 2015 est de taille puisqu’il s’agit de réduire de moitié d’ici cette date la proportion de gens qui, sur la planète, n’ont aucun accès à l’eau ou à l’assainissement. En pointillé de cet objectif du millénaire pour le développement (OMD) a aussi été affirmée l’ambition de couvrir l’intégralité des besoins en eau de la population mondiale et ce, d’ici à 2025.

La seule perspective de 2015 imposerait de doubler les investissements actuels et de consacrer au bas mot chaque année 10 milliards de dollars supplémentaires au secteur – L’analyse démontre qu’il serait en conséquence nécessaire que les pays développés doublent leur aide pour l’eau. [Cette estimation, qui se situe bien en deçà de celles provenant de divers organismes dont la Banque mondiale, n’intègre ni les investissements destinés à maintenir les réseaux actuels en fonctionnement, ni les investissements de traitement des eaux usées, ni ceux pour l’eau utilisée par l’agriculture, l’industrie ou les services. La prise en compte de ces infrastructures supposerait de multiplier le montant des investissements supplémentaires à réaliser par 10]

Pour l’heure, les pays en développement se sont quasiment tous engagés dans l’évaluation de leurs besoins. Hydraulique urbaine et périurbaine, hydraulique rurale, réseau d’adduction, réservoirs de rétention, projets de transfert, usines de dessalement, opérations d’ensemencement des nuages, les programmes se multiplient, les colonnes de chiffres s’allongent avec frénésie mais souvent sans garantie aucune de financement. Le grand maître de la réussite de la plupart de ces projets sera de toute façon la Banque mondiale qui, au grand dam des organisations altermondialistes, est convaincue d’avoir trouver LA solution. Celle-ci tient en trois lettres : PPP comme partenariats public-privé. [Le principe des PPP consiste à réunir les autorités publiques et les agents privés pour concevoir, financer, construire, gérer ou préserver un projet d’intérêt public. Pour ou contre les PPP, voir à ce sujet l’avis, contrasté, de Pierre Jacquet de l’Agence française pour le développement, et de Riccardo Petrella de l’Association pour le contrat mondial de l’eau.]

Le débat, agité, qui en résulte est loin d’être constructif. Il omet le fond du problème : que meurent chaque année plus de 5 millions de personnes du fait de la mauvaise qualité de l’eau qu’elles ont consommée ; plus de 1,6 million d’enfants, un toutes les 20 secondes. [1,6 million d’enfants de moins de 5 ans. Chiffres de l’Organisation mondiale pour la santé, réaffirmés dans un communiqué du 03-06-2005.]

Droit à l’eau, droit de l’eau, l’eau en quête d’un statut

En réalité le débat sur les financements et les modes de gestion de l’eau, s’il est légitime en soi, a, depuis 2000, mis de côté la question pourtant plus fondamentale du droit à l’eau. Ceci est d’autant plus regrettable que l’application de ce droit à l’eau – pouvant décemment être fixé à 40 litres par personne et par jour [20 litres d’eau potable par jour est la quantité nécessaire à un être humain pour ses besoins élémentaires (en boisson, alimentation et hygiène). En milieu urbain, ce seuil monte à 50 litres. La fondation France Libertés, présidée par Madame Danielle Mitterrand, revendique 40 litres par jour et par personne] – serait d’un coût relativement limité, et en tout cas sans commune mesure avec la mise en œuvre des OMD. Le droit à l’eau a été reconnu par l’Assemblée générale des Nations Unies (résolution de 1999) ; sa reconnaissance au plan interne, dans les législations nationales, permettrait de hisser l’accès à l’eau et – c’est à espérer, à l’assainissement aux premiers rangs de l’action publique dans les pays en développement et de mettre fin progressivement à des discriminations intolérables.

Il est de fait évident que l’accès à l’eau va de paire avec un assainissement adéquat. Mais c’est justement en matière d’assainissement que les objectifs seront les plus difficiles à atteindre ; c’est aussi à ce niveau que les coûts de l’inaction risquent à moyen terme de s’avérer très lourds et ce, autant en matière de santé publique que d’environnement.

La question du droit à l’eau amènera un jour ou l’autre celle du droit de l’eau. L’utilisation non durable de l’eau menace de plus en plus notre environnement et, par voie de conséquence, notre santé. La déperdition des fleuves Amou-Daria et Syr-Daria qui alimentaient la mer d’Aral n’est pas un cas tragique et isolé ; les plus grands fleuves de la planète s’assèchent aujourd’hui complètement durant certaines périodes de l’année et déjà 10 % des terres irriguées sont endommagées par le sel. Avec aujourd’hui la mise en exploitation intensive de certains grands aquifères, les plus gros dommages restent à venir.

D’ailleurs le saviez-vous, l'eau serait peut-être schizophrène ? Ses propriétés physiques à l’état liquide ne respectent pas les lois établies pour les autres éléments liquides. Depuis plus d'un siècle, des physiciens soupçonnent que la cause en serait un dédoublement de la structure. Encore aujourd'hui, ils discutent... L’eau schizophrène ? Avouez qu’on le serait à moins. .

 

 ResSources
Objectifs du Millénaire pour le développement, Rapport 2005 – Nations unies.
Le droit à l’eau dans les législations nationales – Rapport sous la coordination de Henri Smets, Académie de l'Eau, octobre 2005.
Réflexions sur l’eau. Parler des questions d’accès à l’eau douce, guide rédigé par le Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI) avec l'appui financier de l'Agence canadienne de développement international (ACDI), septembre 2003.
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LE DROIT DE L'EAU : LIBRE, POTABLE ET GRATUITE

 

Le droit de l'eau d'être libre, potable, gratuite doit être connu et respecté.
Les droits de l'homme sont aussi les droits à des conditions de vie dignes.

 

Danielle MITTERRAND

présidente de la Fondation France Libertés

 

N’est-il pas dramatique de constater que, lors du Sommet de Rio de 1992, les chefs d’État n’ont pas tenu compte des expertises sur la pénurie d’eau potable pour un habitant de la planète sur cinq (deux habitants sur trois aujourd’hui) ? Est-il acceptable que près d’un usager sur deux ne soit pas relié à un système d’assainissement des eaux usées ? Depuis le sommet de Rio, la situation s’est encore s’aggravée. Aux décideurs, nous n’avons désormais de cesse de rappeler que l’accès à l’eau doit devenir un droit humain universel, que cette ressource doit être déclarée "bien commun de l’humanité", qu’ils doivent en être les garants et que le droit à l’accès à l’eau pour tous doit être inscrit dans toutes les constitutions et conventions internationales.

Pourquoi le droit de l'eau ? II ne s'agit ni d'un effet de rhétorique, ni d'une pure provocation qui consisterait à affirmer que les droits de l'eau primeraient sur les droits de l'homme. Au contraire, les trois droits – la liberté, la potabilité et la gratuité – sont, pour nous, les conditions sine qua non pour qu'à terme, l'accès à l'eau devienne une réalité pour tous.

Pourquoi l'eau doit être libre ? Parce qu'aujourd'hui, à des fins politiques, géostratégiques et économiques, l'eau est instrumentalisée, manipulée, prise en otage par des communautés, des états, des entreprises... au détriment des peuples. L'eau est une ressource naturelle vitale, au même titre que l'air. Elle ne peut être la propriété de quiconque, ni être assimilée à une marchandise. L'eau doit être libre et considérée comme un "bien commun, patrimoine de l'humanité", accessible à tous. Nous agissons donc pour que ce droit et ce statut soient Inscrits dans les constitutions.

Pourquoi potable ? Parce que la pollution est une des causes principales de l'inaccessibilité à l'eau potable. En France, dans certaines régions, malgré des traitements et retraitements, l'eau qui coule des robinets reste impropre à la consommation. La Bretagne en est une malheureuse illustration. Plus généralement, il est aujourd'hui très rare que l'eau prélevée pour la consommation soit immédiatement potable. Et ce phénomène est présent dans toutes les régions du monde. Aujourd'hui, près d'1,5 milliard de personnes n'ont pas accès à l'eau potable dans le monde. 2,6 milliards n'ont pas accès à l'assainissement. 34 000 personnes meurent chaque les jours du manque d'eau potable. II est donc vital de se projeter dans l'avenir en mettant en place dès aujourd'hui les politiques qui mettront fin à toute forme de pollution. C'est pour cette raison que l'on ne peut plus, par exemple, accepter le principe du pollueur/payeur qui permet à ceux qui ont les moyens, de continuer à polluer en toute impunité.

En attendant que de tels programmes soient mis en oeuvre et portent leurs fruits, il est urgent d'agir sur le terrain pour que l'accès à l'eau potable devienne une réalité partout. Comment ? En finançant les infrastructures nécessaires à la distribution et à l'assainissement de l'eau là où elles sont aujourd'hui insuffisantes. Les instances internationales nous renvoient souvent à la diffculté liée au coût d'un tel projet. Le budget annuel mondial de l'armement est 1 000 milliards de dollars. Nous réclamons qu'1 % de ce budget soit utilisé chaque année pendant 15 ans pour finaliser un véritable programme d'accès à l'eau potable pour tous.

De notre côté, au sein de France Libertés, nous finançons des projets qui permettent à des communautés, des villages, des villes de s'équiper. Avec nos partenaires, nous essayons de mettre en valeur des projets exemplaires, pensés et mis en oeuvre dans le respect de l'environnement et des conditions économiques et sociales des habitants.

Pourquoi gratuite ? Parce qu'il est inacceptable que certaines personnes ne puissent accéder à l'eau par manque de moyens. Nous ne nions pas que les services de distribution et de traitement de l'eau impliquent des coûts. En revanche, il n'est pas acceptable que la gestion des services d'eau fasse l'objet de profits. Les services liés à l'eau doivent donc être assurés et financés par la collectivité, dans l'intérêt général. Et l'eau ne doit plus faire l'objet d'une marchandisation.

En outre, l'eau étant un élément constitutif de la vie, nous proposons que toute personne bénéficie gratuitement de 40 litres d'eau potable par jour, ce qui correspond à la quantité nécessaire pour vivre, quelques soient les niveaux socioéconomiques. C'est une proposition qui a fait l'objet d'études de faisabilité concluantes. Ce n'est donc qu'une question de volonté politique. .

 

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Les propositions de la Fondation France Libertés

Inscrire le droit d'accès à l'eau potable dans toutes les constitutions et, a fortiori, dans la constitution européenne.
La distribution de l'eau et son assainissement constituent des services publics essentiels pour le quotidien de chacun. Ceux-ci doivent être financés et gérés dans l'Intérêt de la collectivité.
Un prélèvement de 1 % sur le budget mondial de l'armement pendant quinze ans permettrait de financer un programme offrant l'accès à l'eau potable là où les infrastructures sont insuffisantes.
Chaque être humain devrait disposer gratuitement de 40 litres d'eau potable par jour.

France Libertés

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LE DROIT A L'EAU AU FORUM DE KYOTO

 

Henri Smets
membre de l'Académie de l'Eau
membre du Conseil européen du droit de l’environnement

mars 2003

 

 

“L’eau est indispensable à la vie et à la santé. Le droit de l’être humain à l’eau est donc fondamental pour qu’il puisse vivre une vie saine et digne. C’est la condition préalable à la réalisation de tous ses autres droits.”

C’est avec ces mots que le Comité des Nations unies pour les droits économiques, sociaux et culturels a pris aujourd’hui l’initiative sans précédent d’inclure une “observation générale” sur l’eau en tant que droit de l’être humain. Par “observation générale”, on entend une interprétation des dispositions du Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels. Les 145 pays qui l’ont ratifié seront désormais tenus d’assurer progressivement l’accès universel à de l’eau de boisson sûre et saine et à l’assainissement, de manière équitable et sans discrimination (Communiqué de presse de l’Organisation mondiale de la santé, 27 novembre 2002).

Depuis novembre 2002, le droit à l'eau est reconnu officiellement au plan international comme étant un droit fondamental au même titre que le droit à la nourriture ou le droit à la santé. En effet le Comité des droits économiques, sociaux et culturels chargé de suivre la mise en œuvre du Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels a adopté une Observation générale n° 15 qui met fin à une période d’incertitude.

Le droit à l’eau est désormais un droit fondamental car il est indispensable pour mettre en œuvre le “droit à un niveau de vie suffisant” (Art. 11) ou “le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre” (Art. 12 du Pacte). L’adoption de cette interprétation concerne tous les 146 États qui ont ratifié le Pacte de 1966... mais pas les 46 États qui ne l’ont pas ratifié. Le droit à l’eau figure aussi dans la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979 (170 ratifications) et dans la Convention sur les droits de l’enfant de 1989 (191 ratifications). Les États-Unis sont les seuls à n’avoir ratifié aucune convention où figure le droit à l’eau.

À la suite de la décision du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, l’OMS a publié un rapport très intéressant sur “Le droit à l’eau” explicitant ses implications.

La reconnaissance formelle du droit à l'eau avait été précédée de nombreuses déclarations au plan international. Selon M. K. Annan, Secrétaire général des Nations unies, l’accès à l’eau est un “droit fondamental de l’homme”. Pour l’OMS, “l’accès à l’eau saine et suffisante est un droit de l’homme” ou encore “l’accès à l’eau salubre et à des moyens d’évacuation salubre des excréta est un besoin universel et, à la vérité, un droit fondamental de l’homme”. En France, l’Académie de l’eau avait inscrit en 2000 dans sa Charte sociale de l’eau que l’accès à l’eau était un “droit inaliénable”.

Le droit à l’eau dans les rapports présentés à Kyoto

Juste avant le Forum, le Saint Siège a publié un message d’un haut intérêt (“Water, an essential element for life”) selon lequel : “There is a growing movement to formally adopt a human right to water. The dignity of the human person mandates its acknowledgment. ...The right to water is thus an inalienable right” (Traduction : Il existe un mouvement croissant pour reconnaître formellement le droit de l’homme à l’eau). La dignité de la personne humaine exige sa reconnaissance... Le droit à l’eau est donc un droit inaliénable.

Le Panel présidé par M. Michel Camdessus et réunissant des hautes personnalités liées au monde de la finance a produit le plus important Rapport présenté à Kyoto : “Financer l’eau pour tous”. Ce Rapport comporte entre autres l’affirmation selon laquelle “l’accès à l’eau constitue un droit et un besoin fondamental” et que “l’eau et l’assainissement doivent être accessibles à tous, à un prix abordable”. Il ne s’agit pas d’une voix isolée puisque le vice-président de la Banque mondiale, M. Peter Woicke considère que “access to safe water is and should be regarded as a human right” – Int. Herald Tribune, 17 mars 2003 (Traduction : l’accès à l’eau est et devrait être considéré comme un droit de l’homme).

Dans le monde des affaires, le PDG de Suez, M. Gérard Mestrallet a déclaré dès 2001 que “le droit universel de l’accès à l’eau doit être reconnu”. De son côté, la Générale des Eaux reconnaît l’existence de “l’impératif social du droit à l’eau pour tous”. Le Conseil Mondial de l’Eau considère que l’eau est un droit fondamental de l‘homme.

Toutes les ONG militent depuis longtemps pour la reconnaissance du droit à l’eau. À Kyoto, M. Mikhail Gorbachev, au nom de Green Cross International, s’est prononcé pour l’inclusion du droit à l’eau dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et Mme Hilda Grace Coelho, au nom des ONG à Kyoto, a estimé que l’accès à une eau saine et abordable est un droit de l’homme auquel la déclaration ministérielle devrait faire référence.

L’ouverture du Forum : allocution de Jacques Chirac

Le 3ème Forum mondial de l’eau s’est ouvert par un message de M. Jacques Chirac, Président de la République dans lequel il propose que “l'accès à l'eau soit reconnu comme un droit fondamental”. Il ajoute que “l'eau est par nature un bien public. Nul ne saurait se l'approprier. C'est à la collectivité d'en définir l'usage pour assurer un bon approvisionnement et un bon assainissement, pour limiter les gaspillages, dans un esprit de justice sociale, de saine économie et de respect de l'environnement.”.

Nombreux sont les défenseurs, surtout parmi les ONG, d’une position selon laquelle l’accès à l’eau est un droit humain qui devrait être érigé en valeur universelle respectée par tous les gouvernements. Un grand nombre de décideurs estiment quant à eux que les déclarations des droits de l’homme en vigueur stipulent déjà de manière suffisamment claire que l’accès à l’eau fait partie des besoins humains essentiels et que des déclarations supplémentaires sont inutiles et politiquement trop complexes (Extrait de : Pas d’avenir sans eau : Contribution du Prince d’Orange, août 2002).

Le droit à l’eau pour les ministres réunis à Kyoto

À Kyoto, quelque 100 ministres et hauts fonctionnaires ont discuté de l’inclusion éventuelle dans la Déclaration ministérielle d’une référence à l’Observation générale n° 15 sur le droit à l’eau adoptée en novembre 2002. Le Royaume-Uni a proposé que les Ministres s’engagent à débattre des implications de cette Observation au plan interne. Cette proposition n’a pas été retenue et le texte adopté à Kyoto quelques jours après le début de la Guerre d’Irak ne contient rien sur le droit à l’eau. Ce n’était pas vraiment une surprise, malgré les efforts de dernière minute des ministres européens.

Cette situation s’explique par le fait que le droit à l’eau est devenu “politiquement incorrect” pour certains (comme d’ailleurs tout ce qui implique des droits sociaux ou aurait des incidences négatives sur le libre jeu des forces du marché), qu’il imposerait des obligations excessives à certains pays et que sa reconnaissance pourrait avoir des incidences juridiques insoupçonnées. La prudence consiste à ne rien dire même dans un texte sans la moindre portée juridique et, en tout cas, à ne pas donner une base quelconque à des réclamations de populations sans accès à l’eau.

Un autre argument est que la reconnaissance du droit à l’eau serait incompatible avec la reconnaissance que l’eau est une marchandise. Ce dernier argument est sans fondement car la nourriture est à la fois un droit et une marchandise. En outre, l’eau n’est pas une “marchandise comme les autres” (du moins pour l’Union européenne). Pour certains observateurs, le concept de droit à l’eau compliquerait la mise en place d’une tarification appropriée de l’eau et retarderait la mise en place de l’obligation de payer le service de l’eau. À nouveau, il s’agit d’une erreur conceptuelle car le droit à l’eau n’est pas forcément le droit à l’eau gratuite pour tous et que dans toutes les civilisations, les porteurs d’eau étaient et sont encore payés. La gratuité de l’eau est un concept généreux mais inappliqué car dans les pays où l’eau manque, les plus pauvres payent l’eau très cher ou consacrent beaucoup de leur temps et de leurs forces à chercher de l’eau.

Le refus de certains ministres de reconnaître ne fut-ce que l’existence d’un rapport officiel des Nations unies sur le droit à l’eau n’a pas d’importance au plan juridique car le droit international découle des traités et non des déclarations politiques. Toutefois, c’est un acte politiquement préoccupant car il jette un doute sérieux sur la crédibilité des engagements et des déclarations des gouvernements de réduire d’un facteur deux la proportion des personnes sans accès à l’eau avant 2015 (Déclaration du Millénaire, Déclaration de Johannesburg). Ne s’agirait-il finalement que de promesses creuses, si creuses que les ministres présents à Kyoto n’ont même pas réussi à créer, comme le demandait la France, un observatoire impartial pour suivre la mise en œuvre de cet engagement ? Tout ce qu’ils ont réussi à convenir est que : “Ways to track progress on water issues may be usefully explored on the basis of existing facilities and relying upon information from countries and relevant UN agencies, regional development banks and other stakeholders, including civil society organizations”. “Usefully explored”, la dérobade est totale ...et l’on comprend les commentaires très négatifs portés sur la déclaration par ceux-là même qui l’ont adoptée. (Traduction : les méthodes pour assurer le suivi des progrès accomplis sur les questions de l’eau devraient être explorées sur la base des dispositifs existants et en se fondant sur les informations des pays et des agences des Nations unies, des banques régionales de développement et des autres partenaires, y compris les organisations de la société civile).

Le droit à l’eau pour les maires de France

Au cours du Forum de Kyoto, Mme Myriam Constantin (Mairie de Paris) a présenté une déclaration au nom de huit associations de maires de France (dont l’AMF) sur l’accès à l’eau et l’assainissement selon laquelle “l’accès à l’eau potable est un droit fondamental de tout individu”. Les maires de France marquent leur attachement au principe de l’universalité et de l’imprescriptibilité du droit d’accès. Ils s’engagent à assurer une gestion des services de l’eau et de l’assainissement permettant à tous d’accéder à l’eau et à l’assainissement et à “recourir, si nécessaire, à des dispositions sociales ou à des mécanismes de solidarité appropriés en direction des populations défavorisées”.

L’importance de cette déclaration doit être soulignée car elle marque la prise de conscience des collectivités locales concernant un problème qui est davantage le leur que celui des organes centraux.

Le droit à l’eau dans la pratique française

Adopter le droit à l’eau au plan international et le mettre en oeuvre dans un contexte national sont deux choses très différentes. L’application du texte international passe par une analyse concrète des difficultés rencontrées par les personnes qui n’ont pas accès à l’eau dans un contexte juridique, politique, économique et social particulier. La plupart des personnes sans accès à l’eau sont bien évidemment dans les pays les plus pauvres. Pour ce qui est de la France, la situation est différente car les services de l’eau y sont très développés, la pauvreté y est très limitée et le droit y est bien respecté. On n’exclut pas telle personne de l’accès à un puits parce qu’elle est impure, on ne détruit pas les réservoirs d’eau sur les toits, les source d’eau potable ne sont pas détournées au bénéfice d’autres intérêts et personne ne doit marcher des km pour obtenir un récipient d’eau impure. Les réseaux d’eau potable vont jusqu’au fond des banlieues les plus pauvres et l’on crée au minimum une borne-fontaine sur la place des villages. Mais pour que le droit à l’eau soit une réalité pour tous, il convient de le définir afin de faire passer les déclarations faites à Kyoto dans la réalité. Ce chantier pourra être entrepris dans le cadre de la nouvelle loi sur l’eau en préparation.

Le droit à l’eau n’est pas simplement le droit de pouvoir disposer de la ressource en payant le prix demandé. Il oblige les États à prendre des mesures pour que chaque personne en vertu d’un droit individuel et non d’un acte de charité, puisse disposer de l’eau potable nécessaire à ses besoins essentiels.

“Le droit à l’eau comme à la nourriture ne signifie pas que l’eau ou la nourriture soit gratuite ; il signifie seulement que l’eau soit d’un prix abordable de sorte que chaque personne puisse en disposer. Ceci implique en particulier que les plus déshérités devront recevoir de l’eau de façon gratuite ou quasi gratuite mais nullement que chacun a droit à recevoir de l’eau à bas prix.” (H. Smets : Le droit à l’eau, Académie de l’eau, 2002).

Un État qui reconnaît l’existence du droit à l’eau n’est nullement tenu de distribuer 40 litres d’eau gratuitement à tous ces citoyens comme le demandent vainement certains associations. Il en est de même pour la nourriture : les boulangers ne sont pas tenus de distribuer du pain gratuitement. Pour respecter le droit à la nourriture, des aides sociales sont allouées et des distributions gratuites sont organisées pour ceux qui sont dans le besoin.

Dans un pays comme la France, le droit à l’eau signifie que toute personne, sans discrimination et quel que soit son niveau économique, doit disposer pour ses besoins essentiels d’une certaine quantité d’eau ayant une qualité satisfaisante. En premier lieu, il implique une obligation d’approvisionnement en eau saine à un prix abordable, obligation satisfaite dans une très large mesure.

La reconnaissance du droit à l’eau oblige les pouvoirs publics à organiser, surveiller et contrôler l’approvisionnement en eau potable, à protéger la ressource et à prendre des mesures raisonnables pour que l’eau ne vienne pas à manquer. Elle oblige à intervenir dans les cas les plus dramatiques et à ne pas tolérer les abus les plus criants.

La reconnaissance du droit à l’eau présente un intérêt tout particulier pour toutes les personnes qui n’ont pas accès à l’eau, en particulier celles en situation de précarité et celles éloignées des sources d’eau potable. Lorsque l’eau est difficilement accessible ou que son prix devient inabordable pour certaines personnes vu leur faible niveau de revenu, il est nécessaire que la société intervienne pour leur permettre d’acquérir une quantité limitée d’eau sans y consacrer une part trop importante de leurs revenus ou de leur temps.

L’intervention de la société dans le secteur de l’eau a un coût qui doit être financé. Les moyens financiers nécessaires sont déployés progressivement, ce qui permet de mettre en œuvre le droit à l’eau. Il y a 150 ans, il fallait chercher l’eau qui coulait gratuitement aux fontaines publiques, aujourd’hui elle est dans toutes les habitations mais il faut payer le service.

Le droit à l’eau comporte quatre composantes principales :

1. toute personne proche d’une source d’eau a droit d’en bénéficier et toute personne proche d’un réseau a droit de s’y brancher sans soumettre ce droit à une condition de ressources, de nationalité ou d’occupation régulière (accès universel) ;

2. une personne qui disposait d’eau ne peut en être privée (ceci signifie notamment qu’en cas de coupure d’eau, il faudra organiser une alimentation de secours et que les populations ne peuvent pas être privées de l’eau nécessaire à leur dignité ou à leur survie économique dans le milieu où elles ont l’habitude de vivre) ;

3. des mesures d’urgence doivent être prises si l’eau vient à manquer (accident, sécheresse, catastrophe naturelle) ou à être polluée ; en particulier, les pouvoirs publics doivent organiser la distribution d’eau de boisson salubre en cas de pénurie ;

4. toute personne prise en charge par les pouvoirs publics doit recevoir l’eau indispensable à sa dignité (par exemple, les personnes sans abri et les exclus doivent recevoir l’eau pour boire mais aussi l’accès aux douches).

Pour tenir compte des problèmes économiques soulevés par le paiement de l’eau (de plus en plus chère), il convient de prendre des mesures de tarification ou d’aides pour rendre le prix de l’eau moins lourd dans les budgets des plus défavorisés (mise en oeuvre de la solidarité entre les riches et les pauvres).

En pratique, le droit à l’eau est d’ores et déjà mis en œuvre en France dans la très grande majorité des cas. En outre, ce droit peut être invoqué avec succès devant les tribunaux, soit pour obtenir le rétablissement de l’alimentation coupée par le distributeur pour cause d’impayé, soit encore pour obtenir un branchement au réseau refusé par un maire.

Toutefois il reste encore quelques cas limites nécessitant une attention particulière :

1. l’accès à l’eau dans les hameaux mal desservis (une centaine) ou dans les villages où l’eau est peu salubre ;
2. l’accès à l’eau des plus démunis (plus d’un million de personnes) ;
3. l’accès à l’eau des gens du voyage (un peu plus de cent mille).

En plus, il faut financer l’aide pour l’eau dans le Tiers Monde (actuellement environ 150 millions de dollars par an an payés par la France).

Le projet de nouvelle loi sur l’eau devrait donner au Gouvernement la possibilité de proposer les mesures nécessaires pour que le droit à l’eau promu par le Président de la République au plan international devienne une réalité pour tous sur le territoire national. À cet effet, il faudrait au minimum inclure dans le texte en préparation l’affirmation de l’existence du droit à l’eau en droit français. Les propositions françaises en matière de charte des services essentiels et la doctrine de l’École française de l’eau devraient également se refléter dans le projet de loi en préparation, ce qui leur donnerait une plus grande légitimité au plan international. .

 

ResSources
Académie de l’eau : La Charte sociale de l’eau, 2000.
Suez: La vraie bataille de l’eau, 2001.
Henri Smets : Le droit à l’eau, 2002.
CDESC : Observation générale N°15. Le droit à l’eau, 2002 E/C.12/2002/11.
Saint Siège: Water, an essential element for life, 2003.
WHO : The Right to Water, 2003.
Rapport du panel Camdessus : Financer l’eau pour tous, 2003.
CESR AF The Right to Water, 2003.
WaterAid : Water as a Human Right. Q and A, 2003.
University of Minnesota. Human Rights Library:  “General Comment 15, The right to water (arts. 11 and 12 of the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights), U.N. Doc. E/C.12/2002/11 (Twenty-ninth session, 2002)”.
Henri Smets : La solidarité pour l’eau potable, Académie de l’eau, 2003.
Institut de le gestion déléguée : Charte des services essentiels