H2o Magazine

Contes de l’eau et de la pluie

Mots clés : Asie, Europe, contes soufis, ermite Unicorne, légendes juives, maîtres du Tamuld, Nasr Eddin Hodja, Tiki

200803_contes_1.jpgCONTES DE L’EAU ET DE LA PLUIE

L’eau de sagesse coule dans les contes et légendes du monde entier d’où nous avons tiré ces quelques histoires d’eau, de pluie, de larmes, de rire et de magie, suintantes d’humour, de malice et de générosité. De l’Europe à l’Asie, des légendes juives aux contes soufis, vous côtoierez l’impertinent Nasr Eddin Hodja, héros légendaire, célèbre dans tout le monde musulman pour sa malice et son irrévérence, mais aussi les sagaces rabbis, maîtres du Tamuld, l’ermite japonais Unicorne qui a emprisonné les dragons de la pluie ou encore Tiki, fils du soleil, qui donna sa vie pour que jaillisse des eaux l’île de Tahiti…

Si vous voulez savoir pourquoi la pluie ne tombe pas, comment la faire tomber, qui est responsable de la sécheresse, quel est le prix de l’eau et celui de l’amitié… abreuvez-vous de ces quelques gouttes de vérité pure, sérieuses, drôles ou absurdes.

molécules de bonheur rassemblées par Nicole MARIh2o – mars 2008

 

Dix Malices de Nasr Eddin Hodja

Sublimes paroles et idioties de Nasr Eddin Hodja
Phébus Libretto

 

La pluie et la Djellaba

Cette année-là, le ciel restait insensible. Aucune goutte d’eau ne tombait. La rivière était complètement à sec et les puits étaient des pièges à rats. La situation devenait très critique.
Un matin, les vieux du village se rassemblent et décident d’aller voir Nasr Eddin Hodja pour lui demander de consulter ses livres et de chercher un moyen ou une prière pour faire enfin tomber la pluie.
Nasr Eddin leur répond qu’il connaît un moyen infaillible pour faire éclater les orages et inonder la terre.
- Dis-nous lequel et nous serons prêts à faire tout ce que tu demandes.
- Allez me remplir une bassine avec de l’eau propre.
- Mais nous venons te voir parce que nous n’avons plus d’eau.
- Je vous connais bien, chacun de vous a caché un peu d’eau dans une jarre. Allez remplir ma bassine si vous voulez que la pluie tombe.
Effectivement, les gens avaient encore un peu d’eau en réserve qu’ils hésitaient à boire.
Les vieux prennent la bassine, font le tour des maisons pour la remplir et reviennent à petits pas, en faisant attention à ne pas perdre une goutte du précieux liquide.
Le Hodja enlève sa djellaba sale, la trempe dans l’eau limpide, ajoute du savon et se met à frotter. Les gens, étonnés, commencent à crier leur indignation. Certains, même, menacent l’insolent avec leurs bâtons :
- Honte sur toi, Nasr Eddin ! Impie ! Fils de chien ! Nos enfants n’ont même plus de quoi boire et toi, tu as l’audace de faire ta lessive ! 
Mais Nasr Eddin vide sa bassine et la tend aux hommes :
- Au lieu de perdre votre temps à crier, allez me la remplir encore une fois.
- Mais tu es devenu complètement fou ! Tu viens de gaspiller les dernières gouttes d’eau que nous avions.
- Je vous connais mieux que vous ne le pensez. Je sais que vous avez gardé un peu d’eau au fond de vos jarres. Si vous voulez la pluie, allez me remplir cette bassine.
En maugréant, les hommes prennent la bassine, la remplissent avec les dernières gouttes qui restent tout au fond de leurs jarres et la ramènent à Nasr Eddin Hodja.
Toujours absorbé par sa tâche, Nasr Eddin rince sa djellaba et va l’étendre sur la corde à linge. Soudain, le ciel s’assombrit, les nuages arrivent de partout au-dessus du village, l’orage éclate et la pluie se met à tomber abondamment.
- Mais tu es un vrai magicien ! lui disent les vieux du village.
- Pas du tout. J’ai seulement remarqué qu’il pleut chaque fois que je lave ma djellaba et que je la mets à sécher.

Faiseur de pluie

Un jour, Nasr Eddin entreprend de laver lui-même son linge à la rivière. Muni d’un gros morceau de savon, de son baquet et de sa brosse, il frotte et rince comme une vraie lavandière. Puis, il met son linge à sécher dans le champ, à même le sol. Mais, malheureusement, presque aussitôt éclate un orage : draps, serviettes, chemises, tout est maculé de boue, tout est à relaver.
Le lendemain, Nasr Eddin rachète du savon et recommence le travail, mais de nouveau, l’orage éclate. Le surlendemain, même chose.
Le quatrième jour, alors que Nasr Eddin est toujours à l’ouvrage, un de ses amis s’approche :
- Regarde bien, lui crie le Hodja, qui n’est pourtant qu’à trois pas de lui, j’utilise du fromage pour laver.
- Et cela fait-il du linge propre ? lui demande l’autre, étonné.
- Je me moque de la propreté, je veux du linge sec, hurle Nasr Eddin.
- Je n’aurais jamais pensé que du fromage fût capable de mousser autant, reprend l’autre, de plus en plus interloqué.
- Mais tais-toi donc, imbécile ! conclut Nasr Eddin à voix basse.

Ablution

L’heure de la prière arrive au moment où Nasr Eddin atteint le bord d’une rivière. Il procède soigneusement à l’ablution rituelle et il a presque fini quand, d’un mouvement maladroit, il laisse échapper sa babouche, que le courant emporte. Levant alors la tête vers le ciel, il crie :
- Reprends ton ablution et rends-moi ma babouche !

Remplir une cruche

Khadidja demande à son mari d’aller au puits chercher de l’eau. Nasr Eddin prend la première cruche qui lui tombe sous la main et se met en devoir de la remplir. Mais il a beau y déverser seau sur seau, elle absorbe toujours l’eau.
Au bout d’un moment, son épouse s’impatiente :
- Nasr Eddin, dépêche-toi un peu ! Il ne faut pas tout ce temps pour remplir une cruche !
- Je n’aurais jamais cru qu’elle contenait autant, répond le Hodja. J’y ai déjà mis dix seaux !
Khadidja le rejoint au puits, sûre qu’un détail échappe à son mari.
- Regarde donc ! Cette cruche n’a pas de fond. Tu es vraiment stupide !
- Ô, fille de chien ! Stupide toi-même ! C’est au col qu’on sait que la cruche est pleine. Le fond n’a rien à voir là-dedans.

La punition

Nasr Eddin sort sur le pas de sa porte en tenant une cruche, mais se rendre à la fontaine de la ville par cette chaleur est une corvée.
Il avise une petite fille qui passe par là et lui demande d’aller lui chercher de l’eau.
- Surtout ne casse pas la cruche, lui recommande-t-il.
Là-dessus, il lui assène une paire de gifles bien sonores. La petite se met à pleurer et son voisin, qui a vu la scène, est furieux d’une telle brutalité.
- Qu’Allah te maudisse, Nasr Eddin ! Il n’y a pas d’être plus vil que toi !
- Dis-moi, toi qui fais le censeur : à quoi servent les gifles quand la cruche est cassée ?

Avec l’eau, sait-on jamais ?

Nasr Eddin est allé au lac d’Akshébir, distant d’une bonne heure de marche. Il s’est assis sur la rive et fouette vigoureusement l’eau de son bâton. Un berger, intrigué par ce comportement, s’approche pour lui demander ce qu’il fait.
- Ce que je fais, tu le vois, répond Nasr Eddin, je baratte l’eau du lac.
- Dans quel but ?
- Dans quel but baratte-t-on, selon toi ? Pour faire du beurre, nigaud !
- Nigaud, toi-même ! On ne fait pas du beurre en barattant de l’eau !
- Écoute-moi bien : même avec du lait, on n’est jamais sûr d’y arriver. Alors, j’essaye l’eau pour voir. Sait-on jamais ?

Une belle prise

De la berge de la rivière, un promeneur voit l’eau agitée de remous, comme si un gros poisson se débattait. Il appelle au secours des pêcheurs tout proches qui parviennent, à l’aide de leurs gaffes, à remonter un filet qui emprisonne Nasr Eddin en personne !
C’est miracle, il ne semble pas tout à fait noyé. On l’allonge dans l’herbe et peu à peu, après avoir recraché une jolie quantité d’eau, Nasr Eddin reprend ses esprits.
- Que faisais-tu là-dedans, mon vieux ? lui demande-t-on tout de suite. Tu auras sans doute trébuché…
- Pas du tout, répond péniblement le Hodja, j’étais en train de pêcher, et j’étais si captivé par cette pêche que j’ai fini par croire que j’étais moi-même un poisson. Alors, j’ai plongé…
- Et par bonheur, il y avait un filet ! Cela nous a permis de te sortir de là.
- Ah ! Ne me parlez pas de ce maudit filet ! C’est lui qui m’a empêché de rejoindre le banc dont je faisais partie.

Attaque de grêle et contre-attaque

Le ciel s’est soudain gâté, et bientôt un orage de grêle s’abat sur le champ où travaille Nasr Eddin. Celui-ci court à la maison, mais, juste au moment où il va franchir le seuil, il reçoit sur son crâne tout nu un énorme grêlon qui l’assomme à demi. Furieux, il se précipite dans l’étable et, après beaucoup d’efforts, réussit à rouler dehors une grosse meule de pierre, tandis que la tempête continue de faire rage.
- Allah, je Te parle ! s’écrie-t-il en bravant les éléments. C’est très facile de profiter de ce que je n’ai pas mon turban pour m’attaquer. Mais envoie donc un grêlon sur cette meule, Tu vas voir ce qu’elle va en faire !

Il faut préciser où

Nasr Eddin se promène avec un ami le long de la rivière lorsque celui-ci s’écrie :
- Oh, les poissons, Nasr Eddin ! Regarde, il y a un banc de poissons qui passe !
Le Hodja s’arrête aussitôt, regarde autour de lui, scrute le ciel…
- Je ne vois rien, dit-il.
- Les poissons, Nasr Eddin ! s’impatiente l’autre. Là, dans l’eau !
- Ah, dans l’eau ! Il fallait le dire tout de suite au lieu de me laisser chercher pendant des heures !

Cet idiot de lac

Il va faire une belle journée de printemps et Nasr Eddin décide d’aller pêcher à la ligne. Il s’installe sur le bord du lac. Il a de la chance : ça mord, à tel point qu’à midi, son panier est déjà à moitié rempli d’ablettes. Il éprouve alors le besoin de faire une petite sieste à l’ombre d’un arbre.
Tandis qu’il dort, deux galopins, qui ont tout vu du fourré où ils étaient cachés, s’approche à pas de loup, s’emparent du panier et détalent à toutes jambes. Lorsque Nasr Eddin revient près de la rive, il constate tout de suite la disparition de son panier et invective rudement le lac :
- Dis donc, toi, je t’ai pris tes poissons, tu me les a repris, c’est de bonne guerre. Mais le panier, qu’est-ce que tu vas en faire, idiot ?

200803_contes_2.jpg

Six Contes soufis

Le Mesnevi, Contes soufis – Djalâl al-dîn Rûmî
Le jardin des roses – Saadi
Albin Michel

 

La mare

Un jour, un faucon dit à un canard :
- Viens habiter dans la prairie. Tu y connaîtras le bonheur. Quitte ta mare pour venir avec moi !
Le canard répond :
- Va-t’en ! Pour ceux de mon espèce, l’eau est le château fort de la joie.
Pour le canard de notre ego, Satan est comme le faucon. Regardes-y à deux fois avant de quitter ta mare !

Le ruisseau de la lune

Un troupeau d’éléphants s’est installé sur le bord d’un ruisseau et les autres animaux se lamentent car cette présence les prive du libre accès au cours d’eau. Chacun se met à chercher un stratagème pour les faire déguerpir car il est clair qu’aucune force n’est suffisante pour les y obliger.
Le premier jour de la lune, un vieux lapin grimpe sur un monticule et crie aux éléphants :
- Ô sultan des éléphants ! Je suis un messager, le messager de la lune ! Si tu veux avoir la preuve de mes dires, écoute ceci : dans quatorze jours, la lune se montrera dans l’eau. Et voici le message que la lune vous envoie : "Ce ruisseau nous appartient et il est interdit à quiconque de s’en approcher sous peine de devenir aveugle". Croyez-moi, si vous restez près de ce ruisseau, vous serez aveuglés par des étincelles. Et si vous osez vous y désaltérer, la lune frémira dans l’eau pour montrer sa colère !
Au huitième jour de la lune, le sultan des éléphants va boire au ruisseau, mais quand il trempe sa trompe, il voit frémir la lune à la surface. Alors il commence à croire ce que lui a dit le vieux lapin, mais les autres éléphants le rassurent :
- Nous ne sommes pas assez sots pour nous enfuir parce que la lune a bougé !

Pleurs

Un jour, un disciple rend visite à son maître. Il le trouve en train de pleurer et se met, lui aussi, à pleurer encore plus fort.
Quand deux amis se taquinent, celui qui a de bonnes oreilles rit une seule fois, mais le sourd rit deux fois car son premier rire n’est qu’une imitation. Sans comprendre, il rit avec tout le monde. Puis, quand on lui explique la cause de l’hilarité générale, il rit une seconde fois.
L’imitateur est comme un sourd. Il vit dans le plaisir et dans la joie sans savoir ce que sont le plaisir et la joie. La lumière du maître se reflète dans son cœur. La joie du disciple dérive de celle de son maître. Ceux qui croient que cet état leur est propre sont comme un panier sur l’eau. Quand on le sort de l’eau, il se rend compte que l’eau appartient à la rivière.

La souris et la grenouille

Une souris se promenant le long d’un ruisseau se lie d’amitié avec une grenouille. Elles se réunissent toutes deux, chaque jour à heure fixe, sur le lieu de leur première rencontre, afin de se raconter des histoire et de se divertir.
Un jour, la souris dit à la grenouille :
- Ô toi, le plus noble des animaux ! Depuis longtemps, je désire te confier un secret. Toi, tu viens de l’eau et c’est là que tu retournes. Et moi, lorsque je t’appelle du bord du ruisseau, je n’obtiens pas de réponse parce que tu ne m’entends pas. Mon cœur ne se satisfait pas de nos rencontres quotidiennes. Je suis dans l’égarement lorsque je ne vois pas ton visage. Pour moi, tu es la lumière du jour et la paix de la nuit. Mon cœur souhaite être avec toi chaque instant. Mais toi, tu ignores tout de mon état. Ô ma sœur ! Moi, je viens de la terre et toi, tu viens de l’eau. Il m’est impossible de plonger dans l’eau. Il faut que nous trouvions un moyen pour que mes appels te parviennent.
Et elle propose cette solution :
- Nous allons prendre une ficelle très longue et chacune de nous attachera l’une de ses pattes à l’une de ses extrémités. Ainsi, quand je voudrais te voir, il me suffira de tirer la ficelle.
Cette solution ne plaît guère à la grenouille et elle refuse.
Si la grenouille de l’âme est liée à la souris du corps, elle est sans cesse importunée par cette dernière qui tire la ficelle.
La souris insiste tellement que la grenouille finit par céder. Elles se relient donc par une longue ficelle et, chaque fois que la souris tire sur elle, la grenouille remonte du fond de l’eau pour converser avec son amie.
Or, un jour, un énorme corbeau attrape la souris et s’envole. Il soulève la souris et la grenouille à sa suite, la souris dans son bec et la grenouille au bout de la ficelle. Les gens, qui voient ce spectacle, se disent alors :
- Voilà bien une chose étonnante ! Une grenouille, créature aquatique, pourchassée par un corbeau !
Quand à elle, la grenouille se dit :
- Quiconque se lie d’amitié avec une créature qui n’est pas de sa sorte mérite, certes, la punition que je subis.

Le prix de l’eau

Un Arabe, perdu dans le désert, est réduit à la dernière extrémité par la soif et dit :
- Ô qu’il me soit possible, avant que la mort ne me saisisse, de réaliser mon rêve : être plongé jusqu’à la ceinture dans l’eau courante d’une rivière, où je ne cesserais de remplir ma gourde !
Un autre voyageur, également perdu, a épuisé sa nourriture et son eau, mais possède encore quelques pièces d’argent dans sa ceinture. Bien qu’il cherche de toutes les façons, il ne parvient pas à trouver la piste et meurt. Un groupe de voyageurs, tombant par hasard sur son corps, trouve l’argent à côté de lui ainsi que ces mots tracés sur le sol :
- Avec tout l’or le plus pur de Jaafer, un voyageur sans eau n’atteint pas son but. Car un pauvre homme, dans le désert, a plus besoin d’un peu d’eau que d’argent vierge.

Le poisson récalcitrant

Un poisson vigoureux tombe dans le filet d’un pêcheur chétif qui n’a pas suffisamment de force pour le retenir. Le poisson arrache le filet des mains du pêcheur et s’échappe. Le pêcheur, surpris, dit :
- Un esclave va puiser de l’eau dans un ruisseau. Et c’est l’eau qui afflue et l’emporte au loin. D’habitude, c’est le filet qui ramène le poisson. Cette fois, c’est le poisson qui est parti avec le filet.
Les autres pêcheurs sont désolés et le blâment :
- Un poisson de cette taille, pris dans ton filet, et tu n’as pas su le retenir !
Le pêcheur répond :
- Mes frères, que pouvais-je faire ? Il n’était pas destiné à faire mon souper car il lui restait encore quelques jours à vivre.
Les Sages disent :
- Un pêcheur ne prend pas de poisson dans le Tigre si tel n’est pas son destin, et un poisson, dont l’heure n’a pas sonné, ne mourra pas sur la terre ferme.

200803_contes_3.jpg

Six Légendes juives

Les plus belles légendes juives – Victor Malka
Collection Points

 

Pourquoi la pluie s’arrête-t-elle ?

Les Rabbi, maîtres du Tamuld, ne sont pas tous d’accord sur les raisons.
Pour Rabbi Chimon ben Pazi, c’est la calomnie qui provoque l’arrêt des pluies.
Pour Rabbi Salla, c’est à cause des gens impudents et arrogants que les pluies cessent de tomber.
Pour Rabbi Ami, c’est à cause des brigands s’il ne pleut plus.

L’eau de Potiphar

Un jour, Potiphar, l’intendant du roi d’Égypte, demande à Joseph de lui apporter une boisson chaude. Le fils de Jacob la lui apporte. Potiphar prend le verre et dit :
- Je me suis trompé, en réalité, je voulais un verre d’eau tiède.
Joseph répond :
- Cette eau est tiède.
L’intendant du roi trempe son doigt dans l’eau et constate qu’elle est réellement tiède. Il s’en étonne et dit à Joseph :
- Je ne veux pas de l’eau tiède, mais du vin fort.
- Buvez donc ce verre, il est plein de ce vin.
Potiphar boit et son étonnement grandit. Il s’adresse une fois de plus à Joseph :
- J’aime beaucoup le vin d’absinthe.
- Buvez le vin qui reste dans le verre, répond Joseph, c’est un vin d’absinthe.
L’intendant du roi demande ensuite du vin doux.
- Il est dans le verre que vous avez devant vous, répond Joseph.
Alors Potiphar comprend que Dieu est avec Joseph. Il lui confie les clefs de ses trésors et lui dit :
- Désormais, je te délègue mes pouvoirs.

Douze citernes d’eau

On raconte qu’un jour, tout Israël se rendant en pèlerinage à Jérusalem pour les fêtes, il n’y avait pas assez d’eau pour tout le monde. Nakdimone ben Gourion va trouver un général romain et lui dit :
- Prête-moi douze citernes d’eau pour les pèlerins. Je te les rendrai à telle date, faute de quoi je te remettrai une somme de douze pièces d’argent.
Au matin du jour prévu pour le remboursement, la pluie n’est pas tombée. L’homme envoie à Nakdimone un message :
- Rends-moi l’eau ou donne-moi l’argent.
- J’ai encore un délai de toute une journée, répond l’autre.
À midi, nouvelle demande et même réponse.
En milieu d’après-midi, le militaire romain revient à la charge. Nakdimone lui fait répondre :
- Le délai n’est pas tout à fait écoulé. La journée n’est pas finie.
L’homme ne manque pas de persifler : Mais que croit-il donc ce Nakdimone ? Il n’a pas plus tout au long de l’année et il pleuvrait soudain aujourd’hui ?
Nakdimone, écrasé de tristesse, entre dans le Temple, se couvre de son châle de prière et s’adresse à Dieu en ces termes :
- Tu sais bien que ce n’est pas dans mon intérêt, ni dans celui de la maison de mon père que j’ai agi comme je l’ai fait. C’est seulement pour la gloire de ton Nom et pour que les pèlerins venus à Jérusalem puissent apaiser leur soif.
Aussitôt, le ciel se couvre de nuages, la pluie se met à tomber en abondance. Les citernes se remplissent et même débordent.
Nakdimone, rencontrant le général romain à la sortie du Temple, lui dit :
- Il faudra me payer le surplus d’eau qu’il y a dans tes citernes.
- Je sais, répond le Romain, que Dieu n’a changé l’ordre du monde que pour t’être agréable. Mais tu n’en est pas quitte pour autant : en effet, quand la pluie s’est mise à tomber, il faisait déjà nuit. Le délai était donc passé. Paye ta dette !
Nakdimone retourne alors dans le Temple, reprent son châle et adresse à Dieu cette prière :
- Maître du monde, montre à tous qu’il y a dans le monde des gens que tu chéris.
À ce moment, le vent souffle, le ciel se dégage et le soleil brille à nouveau dans le ciel.
Le général romain a le mot de la fin :
- Si le soleil n’était pas réapparu, j’aurais eu le droit de réclamer la somme prévue !

Les nuages obéirent

Rabbi Hiya raconte qu’un jour, il entend deux nuages qui discutent ensemble. L’un dit à l’autre :
- Allons arroser les terres d’Ammone et de Moab.
Alors il s’interpose et déclare aux nuages :
- Lorsque Dieu a fait le tour des toutes les nations et leur a proposé la Torah, aucune d’entre elles n’a voulu l’accepter, sauf le peuple d’Israël. Et aujourd’hui, vous oubliez la terre d’Israël pour aller fertiliser celles d’Ammone et de Moab ! Dispersez donc vos bienfaits ici !
Les nuages obéirent.

La fille dans le puits

Nehounya avait pris l’habitude de creuser des puits afin que les pèlerins se rendant à Jérusalem puissent, en chemin, étancher leur soif.
Un jour, on vient apprendre à Rabbi Hanina ben Dossa que la fille de ce Nehounya est tombée dans un des puits creusés par son père.
- Il n’y a rien à craindre, dit-il dans un premier temps.
Quelques instants après, il ajoute :
- Je suis convaincu qu’on l’a déjà tirée de là.
On lui demande :
- Qui ?
- C’est le bélier du patriarche Isaac qui l’a tirée de là, répond-il. Le bélier était lui-même assisté du patriarche Abraham.
- Es-tu donc prophète ? lui demanda-t-on. Comment sais-tu qu’elle a été sauvée ?
- Je ne suis ni prophète, ni fils de prophète, mais je réfléchis et je me dis que ces puits, pour lesquels Nehounya s’est donné tant de peine, ne peuvent tout de même pas devenir un piège pour sa descendance.

Le sel et la pluie

Rabbi Hanina ben Dossa chemine sur la route, tenant dans sa main un récipient plein de sel. Il se met à pleuvoir. Il dit, s’adressant au ciel :
- Tout le monde va être content puisque les champs seront irrigués, mais moi, je suis triste parce que mon sel ne vaudra plus rien.
Aussitôt la pluie s’arrête.
Arrivé chez lui, Hanina reprend sa prière :
- Maître du monde, il n’est pas juste que le monde entier soit triste pour que je sois content.
Aussitôt, la pluie se remet à tomber. 

200803_contes_4.jpg

Trois Contes d’Asie et du Pacifique

L’arbre à soleils, Légendes – Henri Gougaud
Collection Points

 

L’ermite Unicorne et les dragons de la pluie (Japon)

L’ermite Unicorne vivait autrefois dans les hautes herbes de la profonde montagne du Japon. Il portait, plantée au milieu du front, une belle corne torsadée qui lui pesait un peu car il était très vieux, mais comme il était aussi un fameux magicien, il s’accommodait fort bien de cet inconvénient. Il savait voler dans le ciel, chevaucher les nuages et parler aux oiseaux.
L’ermite Unicorne était devenu, avec l’âge, très irascible. Un jour qu’il se promenait dans la montagne, sa longue barbe au vent, la pluie le surprend sur un sentier lointain. Une averse soudaine, torrentielle, ravageuse, qui fait rugir les torrents et ravine les chemins. Unicorne court sous l’averse, cherchant un abri. Mais il n’est plus aussi agile qu’avant, glisse sur l’herbe mouillée et tombe lourdement assis au milieu d’une flaque. Il jure, peste contre les dragons du ciel qui font tomber la pluie et pleurniche. Soudain, il frappe du poing sur ses genoux en poussant un juron ravageur et se redresse, menaçant. Il grimpe au sommet de la montagne, s’envole dans les nuages, attrape les dragons de la pluie par la queue, les fourre dans un grand pot et ferme le couvercle.
- Voilà, dit-il, maintenant je suis tranquille. Il ne pleuvra pas de sitôt.
Un an passe, deux ans, trois ans, sans que tombe une goutte de pluie. La sécheresse est effroyable. Les hommes dépérissent. La terre n’est plus qu’un vaste champ de cailloux et d’herbe jaunie. Le roi du pays convoque prêtres, sages et devins. Il ne leur offre même pas un verre d’eau à boire, il n’y en a plus. Il leur demande :
- Que faire ?
Tous répondent en chœur :
- Tant que l’ermite Unicorne gardera les dragons de la pluie prisonniers, il ne pleuvra pas. Il faut le convaincre de les relâcher. Mais comment ?
Ils réfléchissent longuement, méditent, invoquent les dieux, se grattent le crâne. Enfin, une idée jaillit.
- Envoyons-lui, disent-ils, la plus belle fille du royaume. Tout ermite qu’il est, il se laissera peut-être séduire.
On envoie donc dans la montagne une jeune fille de seize ans d’une beauté divine. Elle s’assied dans l’herbe devant la caverne de l’ermite et se met à chanter une admirable chanson. Unicorne sort. Il est effrayant dans son vêtement de mousse, si maigre et ridé, sa corne terreuse pointant droit au milieu de sa chevelure hirsute, grouillante d’insectes.
Ses yeux s’allument en apercevant la jeune fille.
- C’est un ange du ciel que j’entends là chanter. Quelle merveille ! dit-il. Laissez-moi vous toucher.
La jeune fille est épouvantée. "Quel affreux bonhomme !" pense-t-elle. Mais elle répond en tremblant :
- Faites comme il vous plaira, saint homme.
Alors Unicorne l’entraîne dans sa caverne et la renverse sur sa litière en riant terriblement. Ils roulent ensemble sur la paille : un coup de corne involontaire brise le pot où l’ermite tient prisonniers les dragons de pluie. Aussitôt les dragons délivrés déploient leurs ailes et s’enfuient dans le ciel. Le tonnerre gronde, les éclairs crépitent, l’orage superbe déferle des nuages. Pendant cinq jours, il pleut à verse. La terre enfin s’abreuve longuement et les hommes aussi.
Le cinquième jour, le soleil apparaît dans le ciel lavé. Alors la fille dit à l’ermite :
- Je ne peux rester ici, il faut que je retourne chez moi.
Amoureux et mélancolique, Unicorne répond :
- Je vais t’accompagner.
Il descend vers la vallée, courbé en deux sur sa canne, vêtu de haillons de mousse, édenté, effrayant et ridicule. Il va jusqu’à la ville, où passe une rivière.
- Ermite Unicorne, dit la fille, porte-moi sur ton dos.
Unicorne, soumis et gâteux d’amour, la prend sur ses épaules et traverse la rivière. Ses jambes maigres sont encore solides. Ils entrent ainsi dans la ville. Les gens s’attroupent sur leur passage. La jeune fille les salue, chevauchant son vieillard grotesque et les rires fusent.
Ainsi finit l’histoire : le saint homme abandonna toute magie et vécut désormais dans l’innocence de l’amour.

La grenouille qui avait bu toute l’eau (Pacifique)

Un beau matin ensoleillé, une grenouille goulue avale les eaux, toutes les eaux jaillies de la terre, et s’assied, dignement, gorgée jusqu’à ras bord, énorme. Elle est comme une montagne d’eau bleu-vert, lisse, la peau presque transparente tant elle est tendue. Elle ne peut bouger, elle est trop lourde. Ses yeux ronds comme des lunes contemplent alentour les animaux de la terre et les hommes minuscules assemblés devant son ventre. Personne n’ose l’attaquer, elle est trop grosse, trop imposante.
- Que faire ? se disent les vivants privés d’eau. Nous allons mourir, nous allons nous racornir comme des herbes au feu. Il faut que cette monstrueuse grenouille ouvre sa grande gueule, il faut l’obliger à nous rendre les rivières, les ruisseaux, les sources, mais comment ?
- En la faisant rire, disent les hommes. Si nous la faisons rire, elle ouvrira la bouche et les eaux déborderont, elles déferleront en cascade de ses lèvres.
- Bonne idée, répondent les animaux.
Ils dressent aussitôt les tréteaux d’une grande fête devant la grenouille monstrueuse. Ils font les pitres, dansent, se roulent dans la poussière, s’épuisent en grimaces, en cabrioles, en bouffonneries, ils racontent des histoires drôles, chantent des chansons paillardes. À la fin, ils s’effondrent épuisés et aphones. La grenouille, du haut de sa bedaine gigantesque, les contemple, impassible, méprisante et sinistre.
Un petit bouffon sans membre se dresse alors sur le bout de sa queue devant le gros ventre bleu-vert. C’est une anguille. Elle se met à danser, de manière ridicule, grotesque. Elle se contorsionne, s’entortille dans ses courbettes. Un énorme hoquet secoue les flancs de la grenouille. L’anguille, encouragée, fait une petite grimace et louche. La grenouille suffoque, étouffe, puis éclate de rire et, de sa gueule fendue, débordent les eaux, les rivières, les ruisseaux et les sources. La terre s’abreuve, les arbres reverdissent. Les hommes plongent dans les cascades avec les animaux. La sécheresse est vaincue. La vie recommence. Il était temps. À l’horizon, le désert mobilisait déjà ses bataillons de sable.

Tahiti surgie des eaux (Pacifique)

Aux temps lointains, le peuple de Tiki, du nom de son chef Tiki, fils du soleil, s’en fut sur l’océan, dans une nuée de barques fragiles, n’emportant rien qu’un peu d’eau douce et quelques galettes d’avoine.
Ce peuple intrépide, à la peau brune, navigua donc sur le vaste océan, droit vers le soleil levant. Il croyait en des dieux puissants. Sa foi le sauva car il ne fut pas englouti par les monstres marins et les terrifiantes colères de la mer. Mais il s’épuisa, à force d’errer désespérément. Un matin, perdus au milieu d’un désert mouvant de vagues lentes, accroupis dans leurs barques grinçantes, les yeux brûlés, le corps séché par la famine et le vent salé, les hommes abandonnèrent rames et gouvernails, attendant la mort. Le soleil était accablant. Dans la brume lointaine, aucune terre n’était en vue. Alors Tiki se dressa seul debout à la proue de la première barque, tendit les bras vers le soleil et se mit à hurler une prière sauvage. Il appela au secours les dieux impassibles dans un ciel trop calme :
- Donnez une terre à mon peuple, dit-il. Arrachez un morceau d’étoile ou soulevez le fond de la mer ! Tracez devant nous un rivage. Si vous faites ce miracle, je vous le paierai de ma vie. Je vous offre ma vie pour une terre !
Derrière au fond des barques, les hommes pleuraient en silence, les femmes gémissaient, berçant leurs enfants somnolents, accablés par la chaleur et la famine. Mais à peine ces paroles dites, un étrange tonnerre gronde dans les profondeurs de la mer. Les vagues bouillonnent comme une marmite pleine sous un feu d’enfer. Devant le peuple soudain dressé, jaillit, éclaboussant le soleil, une gerbe d’eau, de feu, de rocs, de sable, l’océan tremble, les barques s’affolent, prises dans des tourbillons rougissants. Tiki, les bras ouverts, aspergé d’écume brûlante, rit comme un démon splendide. La mer prend feu, un volcan s’élève, une montagne de lave crache de longues flammes, des fumées et des cailloux dans le ciel rougeoyant. Combien de temps dure ce formidable accouchement d’une île sur l’océan bouleversé ? Personne ne le sait : la cendre et la fumée effacent la lumière. Les jours sont rouges, comme les nuits.
Un matin, enfin, les grondements s’apaisent au fond des eaux. Devant le peuple de Tiki se dresse une terre nouvelle. Sur cette terre, Tiki pose, le premier, le pied. Les barques sont tirées sur une plage noire, chaude, fumante. Au centre de l’île, le volcan crache encore sa salive rouge.  Alors Tiki, le fils du soleil, s’habille de vêtements multicolores, puis il dit adieu à son peuple et part seul dans la montagne. Il disparaît lentement en chantant des chants guerriers. Parvenu au bord du cratère, il salue le ciel, la mère et les dieux et bondit dans la fournaise. Alors le feu s’éteint. Dans un dernier rugissement, le cratère du volcan se referme. De lourds nuages roulent contre ses flancs rocheux et la pluie tombe bienfaisante et tiède. Le peuple de Tiki la boit avec délice, la bouche ouverte vers le ciel. Ainsi fut créé Tahiti. C’est ce qu’affirment les Maoris, fils des Tiki. Leur parole a créé le monde. .