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Dessin de tracé de fleuve

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1910, Paris sous les eaux

Mots clés : crue de 1910, Seine, Paris, Belgrand, Haussmann, zouave du pont de l'Alma, L'Illustration, Le Petit Journal, cartes postales
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1910, Paris sous les eaux

PARIS SOUS LES EAUX
Les inondations de 1910 à Paris et dans sa région

Début d'année plus que mémorable, en 1910 : pendant près de trois mois, la Seine sortit de son lit, envahissant les parties basses de la ville et plus de dix communes de sa banlieue. Il y avait eu des précédents. Certes, en 1658, la crue avait été encore plus élevée, mais Paris n'occupait pas alors, et de loin, la même superficie. Fortes crues également en 1740, puis en 1876, mais avec moins d'ampleur. Une pour chaque siècle, face à une capitale qui ne cesse de s'étendre, d'accroître sa population et ses activités.

Pierre-Emmanuel MAINh2o – juin 2015
illustration  d'ouverture
Le pont Alexandre III (doc. archives de la préfecture de police de Paris)



La crue de 1910 a été la résultante de conditions météorologiques particulières, mais pour bien comprendre les effets de phénomènes pluvieux récurrents, il convient de résumer, très brièvement, quelques éléments géographiques sur le fleuve et son bassin.


La Seine en son cours supérieur

C'est un fleuve régulier qui prend sa source sur le plateau de Langres à une altitude de 471 mètres, ce qui lui confère une pente moyenne assez faible dans son cours supérieur, c'est-à-dire en amont de Paris. C'est dans ce cours supérieur que viennent l'alimenter ses principaux affluents. Rive droite : l'Aube, la Marne (qui reçoit la Saulx, l'Ours, le Petit et le Grand Morin), l'Oise (qui reçoit l'Aire et la Vesle), l'Epte… Rive gauche : l'Yonne (qui reçoit la Cure, le Serein, l'Armançon, la Vanne), le Loing et l'Essonne… Le débit du fleuve (exprimé en mètres cubes seconde ou m3/s) varie en fonction  des apports de ses affluents. Ainsi, les apports de la Marne et de l'Oise doublent son débit et, à Montereau, à son confluent avec l'Yonne, le débit de cette dernière est supérieur (93 m3/s) au sien (80 m3/s). Ces affluents jouent donc un rôle déterminant.

La Seine présente un régime de hautes eaux en saison froide, et de basses eaux en saison chaude. Mesuré (en aval à Poissy) sur une longue période (de 1975 à 2010), son débit moyen mensuel donne un maximum de 811 m3/s en février, pour un minimum de 25 m3/s en août. Les grandes crues se produisent donc en hiver. Alors, le débit moyen annuel du fleuve à Paris (entre 250 et 350 m3/s) peut allègrement dépasser les 1 000 m3/s pour atteindre 1 650 m3/s comme en 1876, et culminer à 2 500 m3/s comme en 1910. Mais le débit n'est pas tout, il y a aussi le terrain.


Un grand bassin pour un grand fleuve

Navigable sur la plus majeure partie de son cours, la Seine traverse le plus grand et le plus vieux bassin sédimentaire de France : le Bassin parisien. Ce bassin s'étend sur plus de 500 kilomètres d'est en ouest et sur environ 300 kilomètres du nord au sud. Ses contours sont irréguliers et son âge dépasse les 250 … millions d'années. Au cours de ce lointain passé, le bassin a été plusieurs fois occupé par une mer, et c'est pendant ces "cycles marins" que se sont déposées différentes couches sédimentaires. Ces couches sont incurvées (la zone la plus basse se situe aux environs de Paris) et affleurent au sol de façon concentrique, les plus anciennes à la périphérie et les plus récentes au centre. Le sous-sol parisien voit ainsi alterner le calcaire grossier, puis les sables dits de Beauchamps, le calcaire marneux, des gisements de gypse, des marnes vertes (glaise) recouvertes de calcaire. En résumé, une alternance de couches tendres (argiles, marnes, sables…) et dures (calcaires, grès…) dont l'érosion a donné naissance à des surfaces et des formes d'une grande variété.


L'ancien lit de la Seine

En disparaissant, la dernière mer a laissé des affleurements de sables que l'on remarque dans les forêts de Fontainebleau, Ermenonville ou Rambouillet, a fait place à un vaste fleuve qui couvrait très largement le Paris actuel en contournant ses sept collines, et dont le débit était considérable bien que sa pente soit très faible. Ce débit s'est affaibli au cours des âges, mais le fleuve conserva ses larges méandres qui se transformèrent en marais et en un "bras mort" qui deviendra le Rû (ruisseau) de Ménilmontant, encore bien visible sur les plans des XVe et XVIe siècles, mais que son faible écoulement et la croissance de la cité allaient dégrader en un égout putride à ciel ouvert, que le prévôt Michel-Étienne Turgot fit murer et couvrir en 1737. L'existence de ce bras mort est un détail important, tout comme la composition du sol de Paris car, à chaque crue importante, le fleuve, qui a conservé la mémoire de son ancien lit, le récupère, et le fait parfois de façon spectaculaire, aidé en cela par la nappe aqueuse du sous-sol, toujours prête à se relever et gagner la surface. Ce fut le cas en 1910, causant surprises et controverses, ainsi qu'on le verra pendant le film de l'inondation.


Repères et cotes des crues

Pour mesurer l'ampleur des crues de la Seine, on utilise une échelle hygrométrique fixée à divers repères fixes, généralement des ponts. Les cotes publiées indiquent la hauteur d'eau du fleuve AU DESSUS du 0 de l'échelle, ce 0 se rapportant aux eaux les plus basses. Bien entendu, ce 0 n'est pas le même d'un pont à l'autre, et la mesure le plus courante est prise à l'échelle du pont d'Austerlitz, où le 0 correspond à une hauteur de 26,24 mètres. La crue de 1910 ayant atteint son maximum le 28 janvier, à midi, soit une hauteur mesurée à 34,86 mètres, on dit que son niveau toucha la cote 8,62 mètres (puisque 34,86 - 26,24 = 8,62) au dessus de zéro.

À l'origine en fer, le pont d'Austerlitz fut reconstruit en pierre en 1858, puis élargi en 1866 pour faciliter un important trafic. Il existe un repère plus ancien, celui du pont de la Tournelle. Ce pont, qui doit son nom à une tour terminale de l'enceinte de Philippe-Auguste, fut construit en bois à l'origine (XIIIe siècle), démoli par les glaces au cours de l'hiver de 1637, reconstruit en bois, à nouveau détruit par la crue de 1651, reconstruit en pierre en 1654-56, puis encore une fois reconstruit en béton armé en 1923-28, avec un parement de pierre. Premier pont de Paris en amont, il fut doté d'une échelle d'étiage en 1759 pour informer des hauteurs permettant la navigation. 

Autre repère, moins précis mais plus populaire : le zouave du pont de l'Alma. Ce pont, inauguré en 1856, commémore la victoire remportée sur les troupes russes dans la vallée de l'Alma, au début de la guerre de Crimée. Il comportait quatre statues des bataillons qui s'illustrèrent lors de ce combat, dont le célèbre "zouave", qui sera démonté puis replacé après la reconstruction récente du pont en acier. Selon le niveau d'immersion de sa statue, le zouave forme un repère bien connu des Parisiens.


Paris en 1910

Retour sur le passé, celui des la Belle Époque et de l'Art Nouveau. La capitale présente, sur une carte, les mêmes contours qu'aujourd'hui, à une différence près ; ses vingt arrondissements sont entourés d'une ligne de fortifications qui la sépare physiquement de sa banlieue. C'est une ville moderne, de 2,8 millions d'habitants, que les travaux d'Haussmann ont aérée d'un réseau de larges avenues et boulevards, pulvérisant le Paris médiéval, mais instituant des axes rapides que la IIIe République va compléter. Huit gares de chemins de fer, pénétrant la ville à mi-chemin du centre, la relie à l'ensemble du pays. Les transports sont assurés par des voitures hippomobiles qui se partagent la chaussée avec plus de 50 lignes de tramways électriques et les nouvelles automobiles et autobus à essence.  

Depuis l'Exposition universelle de 1900, Paris possède son Métropolitain, chemin de fer électrique et en grande partie souterrain, innovation remarquable et remarquée des étrangers, qui compte déjà 6 lignes, plus 3 en cours de construction.

Paris est une ville en mutation vers la modernité dans la construction, les transports et les communications ; elle aligne un réseau électrique de 1 300 kilomètres, 1 800 kilomètres de canalisations de gaz, 352 kilomètres de tubes réservés à la télégraphie pneumatique…  Ces services sont alimentés par des usines de production d'électricité, de gaz et de compression pneumatique situées en majorité dans ses murs.


Merci monsieur Belgrand !

La modernité de Paris doit beaucoup au préfet Haussmann, mais aussi à l'ingénieur Eugène Belgrand, à qui il avait confié le problème crucial de l'eau et de l'assainissement. Tous les câbles, tubes et canalisations circulent dans le magnifique réseau d'égout conçu par l'ingénieur. Ce réseau existe parce que Belgrand a d'abord apporté à la ville l'eau dont elle manquait cruellement, et qui était nécessaire tant pour l'hygiène que pour l'assainissement avec le tout à l'égout. Et pour cela, il fallait construire un réseau exemplaire d'égouts élémentaires et d'égouts collecteurs, de plus de 1 500 kilomètres. Grâce au réseau Belgrand, qui comme le Métropolitain, suscite l'admiration des étrangers, la loi du 10 juillet 1894, décrétant l'obligation du tout à l'égout, a pu être votée.

En concevant son réseau, Belgrand avait évidemment pensé aux grandes crues, et prenant pour référence celle de 1658, il avait mis au point une double protection. D'une part, le réseau ne devait communiquer en aucun cas avec la Seine en cas de crue, et d'autre part, il avait préconisé que les parapets des quais devaient s'élever jusqu'à une cote supérieure à 35 mètres, c'est-à-dire supérieure à 8,76. Or, la crue de 1910 culmina à 8,62 mètres ! Cherchez l'erreur. Elle a effectivement été commise en deux endroits précis dont les conséquences seront déterminantes.


Une météo désastreuse   

Tous les éléments du drame sont en place : la Seine, ses affluents en amont, le bassin et ses couches sédimentaires, Paris modernisé… Il ne manque plus que le déclencheur, la météo !
L'année 1909 s'est achevée sous la pluie. En septembre et en octobre, la hauteur des pluies sur Paris et sa région est le double des normales de saison. Si novembre est à peu près conforme, les sols sont néanmoins déjà saturés et la nappe aqueuse a tendance à se relever. Or, les quarante derniers jours de 1909 sont marqués par des précipitations très abondantes et de fortes chutes de neige sur les plateaux de l'Est. En effet, deux quinzaines pluvieuses, du 28 novembre eu 9 décembre, et du 15 au 31 décembre (supérieures de 50 % aux normales mensuelles) provoquent une montée sensible des eaux du fleuve. Le 31 décembre 1909, la cote au pont d'Austerlitz affiche 3,45.

La nouvelle année commence plutôt bien : une première semaine sèche, une deuxième avec une pluviosité normale et un réchauffement des températures. Le 15 janvier, le zouave de l'Alma a les pieds dans l'eau, mais on ne s'en inquiète pas. Tout se gâte à partir du 18 janvier. Du 18 au 21 janvier 1910, c'est un déluge qui s'abat sur le Bassin parisien, provoquant les crues subites de l'Yonne, du Loing et du Grand Morin. Au pont d'Austerlitz, la cote indique 4,76. Située en première ligne, la banlieue Est subit les premières inondations. Sur le fleuve, 3 000 péniches sont bloquées, elles ne passent plus sous les ponts. C'est une bonne partie du ravitaillement de la ville. La crue centennale a commencé…


22 et 23 janvier, ça monte trop vite !

La situation est devenue critique pour plusieurs communes de la banlieue amont, qui comptent encore des exploitations rurales. C'est le cas à Joinville et à Champigny où 300 hectares sont inondés, à Saint-Maur, Maisons-Alfort, Juvisy… La plaine qui va de Villeneuve-Saint-Georges à Savigny-sur-Orge est sous les eaux.

La crue est trop rapide, il faut évacuer Alfortville (située au confluent de la Marne et de la Seine) qui est envahie en totalité, mais aussi des quartiers d'Ivry et du bas de Charenton…  À Vitry, une usine électrique inondée cesse de produire, provoquant l'arrêt des tramways parisiens de la rive gauche. Paris aussi commence à souffrir. La Seine gagne 8 centimètres par heure, pratiquement 2 mètres en une journée ! Elle roule des flots jaunâtres et limoneux qui charrient toutes sortes d'épaves : arbres, tonneaux, caisses, cadavres d'animaux… Les pannes d'électricité se multiplient : des transformateurs atteints sautent, l'usine de Puteaux, alimentée en partie par celle de Bezons, qui est noyée, ne peut plus fournir ; les techniciens doivent faire appel à celle de Saint-Denis. Les communications deviennent difficiles car, dans les zones inondées, les pluies ont raviné les sols, emportant les poteaux télégraphiques.


Un incident déterminant

Dans la matinée du 23, l'eau pénètre dans les chantiers du métro Nord-Sud ; à la station "Chambre des députés" elle submerge les quais et le matériel entreposé. Dans l'après-midi, c'est la ligne, en partie souterraine, qui va de la gare d'Austerlitz à la gare d'Orsay, qui subit des infiltrations importantes, causées par la remontée de la nappe aquifère. Le service est interrompu malgré la mise en œuvre de puissantes pompes à vapeur. Cette ligne privée (elle fait partie du réseau d'Orléans), électrifiée, longue de 3,5 kilomètres, n'est pas totalement enterrée ; en effet, des baies d'aération ont été pratiquées dans le mur qui la sépare du fleuve. Un détail d'un poids considérable car c'est par ces ouvertures que les eaux vont envahir le souterrain, inondant la ligne, les deux gares, puis les rues avoisinantes. Or, cet incident, qui va être déterminant, aurait pu être évité !

Une autre zone est également très vulnérable, mais naturellement, ce sont les entrepôts de Bercy, situés dans une zone basse de la ville, et qui disposent d'un accès au fleuve pour le déchargement des péniches. Il va être impossible d'éviter l'inondation des chais, une centaine de barriques vides sont emportées par le courant pour aller s'échouer devant l'Hôtel de la Monnaie. La zone de Bercy abrite également une usine d'électricité dont les sous-sols seront vite inondés et qui fonctionnera encore quelque temps grâce à deux puissantes pompes.

Soldats du génie  Soldats du génie
Le génie dégage les ponts et établit des barrages.


24 et 25 janvier, c'est la catastrophe !

Les pluies, qui se sont calmées le 22 et le 23, reprennent avec force les 24 et 25 janvier sur le bassin versant, augmentées de chutes de neige abondantes sur les plateaux de l'Est. Cet épisode pluvieux va déclencher une seconde et brutale crue de l'Yonne qui va se combiner avec une montée des eaux de la Marne et de la Haute-Seine. Les cotes relevées au pont d'Austerlitz sont éloquentes : 5,93 mètres le 22, 6,74 mètres le 24 et 7,15 mètres le 25 ! Le baromètre du bureau central de la Météo affiche 732 millimètres, la plus basse dépression connue depuis quatorze ans. Sursaturés, les sols ne peuvent plus rien absorber ; au contraire, la nappe continue de se relever, inondant par infiltrations de nombreuses caves, ainsi que des stations du métro. C'est le cas des caves de l'Hôtel-Dieu et du Palais Bourbon (abritant la Chambre des députés), où le chauffage est coupé.

L'eau s'engouffre maintenant par les baies d'aération de la ligne Austerlitz-Orsay, propage l'inondation dans tous le tunnel, mais c'est au niveau de la gare d'Orsay que l'eau exerce la pression la plus élevée ; sa force est telle qu'elle parvient à faire sauter comme des bouchons les épaisses dalles de verre qui éclairent le sous-sol de la gare, pour se répandre dans les rues voisines jusqu'au boulevard Saint-Germain. Le chantier de la ligne Nord-Sud, ouvert à l'angle du boulevard Saint-Germain et de la rue de l'Université, reçoit inévitablement une partie de ce flot, auquel s'ajoutent les infiltrations des parois non maçonnées. L'inondation du chantier se répand dans le tunnel, en direction de la gare Saint-Lazare, et on mettra sur le compte de cette "correspondance aquatique" l'inondation des abords de la gare. À tort, car cette hypothèse va s'avérer inexacte.


Dégâts collatéraux…

Dès le 25 janvier, les autorités peuvent se faire une idée de ce qui attend la capitale si l'inondation se prolonge et si le niveau de l'eau monte encore. Onze arrondissements sont touchés, plus ou moins gravement. La Halle aux Vins de Bercy est sinistrée. Quai de la Gare (XIIIe), un mètre d'eau recouvre la chaussée ; la situation d'une centaine de familles exige leur évacuation. Au Jardin des Plantes, il faut transporter les ours dans la Ménagerie pour éviter qu'ils soient noyés dans leur fosse. Le quai de Javel et l'avenue Émile Zola (XVe) sont sous les eaux. Faute d'électricité, pratiquement toutes les lignes de tramways sont à l'arrêt. Le trafic ferroviaire est perturbé mais là où les voies ne sont pas sérieusement inondées, les motrices à vapeur passent. En revanche, là où les automobiles ne passent plus, les attelages passent encore. Quai de la Rapée, les chevaux ont de l'eau jusqu'au poitrail, ils ont peur, mais ils avancent quand même. En de nombreux endroits, on constate des affaissements de la chaussée ou du trottoir, des ruptures de canalisations…

Chambre des députés  Saint-Michel
Entrée à la Chambre des députés et embarcadère de Saint-Michel.


Crainte pour les ponts

L'écartement des quais à Paris varie d'un pont à l'autre : de 200 mètres au pont d'Austerlitz, il se réduit à 131 mètres au pont de la Tournelle, et n'est que de 72 mètres au pont Saint-Louis, sur le petit bras. La force du courant produit alors une chute d'eau de 37 centimètres, alors que le fleuve charrie sans cesse des matériaux qui viennent heurter les piliers avec violence. Les craintes se focalisent sur le pont des Arts dont le tablier de fonte est vulnérable, et sur le pont de l'Alma que les ingénieurs envisagent de faire sauter si l'eau atteint le tablier de l'arche centrale. À plusieurs reprises, la circulation sera interdite sur un pont ou un autre. 


26 et 27 janvier, l'eau monte toujours !

La cote dépasse les 8 mètres au pont d'Austerlitz. Si la situation est devenue critique pour de nombreux Parisiens, elle l'est plus encore pour les habitants des banlieues sinistrées. L'électricité a été coupée à Gennevilliers, Asnières, Clichy, Saint-Ouen, Saint-Denis, Pantin… À Puteaux, les usines ferment les unes après les autres, mettant leurs ouvriers en chômage forcé... Villeneuve-la-Garenne est une île au milieu des eaux… À Paris, comme en banlieue, le gouvernement du président Fallières, avec Aristide Briand à sa tête et le préfet de la Seine Louis Lépine, ont pris des mesures dès le début de l'inondation : Briand a proposé un crédit exceptionnel de 2 millions de francs, voté à l'unanimité, et les secours s'organisent. Il ne s'agit pas seulement de venir en aide aux sinistrés mais de prévenir les risques liés à la pollution : dans toute l'agglomération, il est recommandé de faire bouillir l'eau de boisson ; une information est délivrée sur le procédé de stérilisation à l'ozone, ce qui est mieux mais ne peut se pratiquer sans électricité.        

Tous les commandants de corps d'armée des régions non inondées ont reçu l'ordre d'envoyer des détachements ; l'armée a donc procédé à des envois de troupes et de matériel de sauvetage après avoir divisé l'ensemble de la région parisienne en secteurs. Dans les zones inondées la circulation exige des barques (il n'y en aura jamais assez) et des "chemins" improvisés de planches posées sur des tréteaux. La catastrophe a fait naître un vaste mouvement de solidarité en faveur des populations sinistrées. Public comme privé, un dévouement généralisé, vient en aide aux personnes en difficulté ; le gardien de la paix (c'est l'expression de l'époque) Pierre Aubertie, après avoir sauvé plusieurs familles menacées par les eaux durant deux nuits, est transporté à l'Hôpital Saint-Antoine, terrassé par une pneumonie.


Du spectaculaire… très malvenu !

L'eau a envahi la Halle aux Vins de Bercy, jusqu'à la rue de Charenton, inondée. Plus de 400 personnes du quartier, où vivent de nombreux indigents, sont recueillies dans des écoles, des salles d'attente de gares, ou à l'Hôpital Saint-Antoine… L'avenue Ledru-Rollin, qui coupe la rue de Charenton, est chaussée de pavés de bois, comme plusieurs autres avenues de Paris ; sous l'effet de l'humidité ambiante et souterraine, les pavés gonflent et forment des "dos d'ânes" amusants, sauf pour les véhicules… Des trottoirs se sont affaissé quai du Louvre, face au musée… Au Palais de justice, dont la cour commence à ressembler à une vaste piscine, le dépôt est atteint et les prisonniers sont transférés d'urgence à la prison de la Santé… Rue Saint-Honoré, à la hauteur de la rue Richepanse, l'éclatement d'une conduite a provoqué l'effondrement de la chaussée, creusant une fosse d'environ 20 mètres carrés au fond de laquelle l'eau circule comme un torrent ; le gaz a été coupé et les immeubles évacués. Gare d'Orsay et gare des Invalides, les eaux jaillissent furieusement par les portes, inondant les rues de Lille, de Verneuil, du Poitou, de l'Université et de Constantine… Place du Havre, près de la gare Saint-Lazare, toutes les caves sont pleines d'eau, comme celles du Grand Hôtel Terminus. Devant la gare, le sol s'est affaissé et les grilles qui entourent la cour d'accès se sont fortement inclinées. Il n'y a plus que deux lignes de métro qui fonctionnent normalement.

Les chevaux reprennent du service  Nautonier
Déménageurs d'occasion et nautonier rue Jean Nicot.


28 janvier 1910, cote maximum !

Au matin du 28, le romancier Henri Lavedan se rend aux bureaux du journal L'Illustration, auquel il collabore. Il note au passage l'aspect "vénitien" du bas du VIIIe arrondissement où l'on circule en barque. Beaucoup de monde sur le pont de l'Alma pour regarder le zouave, baigné par l'eau fleuve jusqu'aux épaules ; la Seine charrie des madriers qui passent à un mètre du sommet de l'arche principale ! Les avenues Rapp et Bosquet, encore accessibles la veille, ne le sont plus ; leurs pavés de bois que l'eau est parvenue à déchausser, flottent à la surface.

Des photographes, des peintres, amateurs ou non, tentent d'immortaliser ces vues insolites. Au journal L'Illustration, le vestibule est jonché de papiers souillés, des piles de magazines s'alignent le long des murs, tandis qu'une pompe à vapeur s'efforce de soulager le sous-sol où les machines à imprimer sont "à demi englouties sous l'œil navré des ouvriers". C'est le résultat de l'élévation de la nappe souterraine, comme dans un grand nombre de caves situées dans des quartiers épargnés par l'inondation directe.

Au pont d'Austerlitz, la cote atteint les 8,62 mètres à midi ! Le maximum de la crue qui a envahi 500 hectares de la capitale ! Les autorités renouvellent les conseils d'hygiène et rassurent la population : Paris ne manquera ni de pain ni de viande. Bien, mais les prix augmentent avec la crue !

Rue du Bac  Cour de Rome
Rue du Bac et cour de Rome à Saint-Lazare.


Gare Saint-Lazare, surprise et… dégâts 

Bouche bée, les Parisiens contemplent, à l'angle droit de la gare, place du Havre, les pavés qui se déchaussent, les crevasses qui s'ouvrent, les réverbères qui s'inclinent vers le sol et les maisons qui se lézardent ! La rue Saint-Lazare est fermée. Puis le sol s'affaisse devant la grille, rue de Rome, et l'eau envahit la chaussée face à l'Hôtel Terminus ! D'où vient cette flotte, dans ce quartier éloigné des bords du fleuve ? L'explication est toute trouvée, elle vient du tunnel du Nord-Sud, où l'eau jaillit comme un geyser, juste sous la gare… Le constat n'est pas faux, mais l'explication n’est que partielle. En réalité, si le sol s'effondre et si l'eau apparaît, c'est parce que la Seine a retrouvé son ancien lit, qui infiltre tout le quartier. Certes, le rapport Picard (document de référence rédigé après l'inondation) explique que la ligne Nord-Sud a fonctionné "comme un siphon" entre le boulevard Saint-Germain et la rue de Rome, faisant jaillir les eaux au plus près de la gare, mais il ajoute que même si cette ligne n'avait pas existé, cette région "déprimée" n'aurait pas échappé à des "émergences abondantes". CQFD.


Panorama des autres "surprises" malvenues

Partons pour Bercy, qui a près de 5 mètres d'eau dans ses vins, pour aller vers la gare de Lyon, préservée parce que surélevée, mais entourée d'eau ; un service de barques dessert le boulevard  Diderot, qui passe devant, et l'avenue Daumesnil… Place de la Bastille, la chaussée s'est soulevée et l'eau remonte par des regards d'égouts… Aux Halles, un égout de la rue Rambuteau a crevé et le pavillon aux poissons a été inondé… Défense de rire. Rue de Rivoli, la chaussée crevasse (la station de métro "Tuileries" est complètement submergée), le théâtre Marigny et le restaurant Ledoyen sont fermés… Place de l'Opéra, un éboulement a creusé un vaste trou de 5 mètres carrés, et boulevard des Capucines, arbres et becs de gaz penchent de façon inquiétante…

Ce n'est pas mieux rive gauche où le sol s'est effondré au début du boulevard Saint-Michel, cassant des conduite de gaz ; les services concernées sont aussitôt sur place. Tout le bas quartier du VIe est sous les eaux, et la partie du VIIe qui longe la Seine ne connaît plus une seule rue praticable. Une odeur forte, mélange d'eau croupie et d'ordures accumulées flotte dans tous les quartiers riverains du fleuve. En dépit de la loi sur le "tout à l'égout", il restait alors dans Paris 29 270 fosses fixes (fosses septiques d'immeubles) ; la navigation étant interrompue, le service des vidanges est très perturbé et plusieurs immeubles ne purent éviter le débordement. Les matières se répandirent alors soit dans les rues, soit dans la Seine ; un moindre mal car l'énorme débit du fleuve en assurait une dilution rapide. Les services de la voierie ramassent ce qu'ils peuvent d'ordures ménagères et de débris divers pour les décharger dans la Seine depuis les ponts, où parfois ils demeurent coincés par accumulation. Cette pratique sera rapidement interdite.


La grande misère de la banlieue

La désolation de la capitale possède son équivalent, parfois plus dramatique, en banlieue. La carte des inondations des environs de Paris est éloquente. L'amont, en première ligne, a été sévèrement touché, mais l'aval a souffert dans des proportions identiques.  Boulogne, Billancourt, Sèvres et le Bas-Meudon sont inondées. Les usines Renault ont fermé, mettant des centaines d'ouvriers en chômage. La digue de Gennevilliers s'est rompue sous la pression des eaux et le grand collecteur d'Asnières a explosé, déversant avec violence un flot puant et destructeur, qui envahit Colombes en créant une véritable panique… Asnières et Gennevilliers, mais aussi Saint-Ouen, Saint-Denis et Pantin sont dans le noir, faute d'électricité. À Puteaux, cinq usines et des dizaines d'ateliers ont ainsi cessé le travail, accroissant le nombre de chômeurs forcés. Il est temps que les eaux refluent !


29 janvier, enfin la décrue s'amorce !

Nous sommes dimanche. La Seine commence à baisser doucement, l'eau des rues semble aspirée par les bouches et regards d'égouts, la cote au pont d'Austerlitz est à 8,56 mètres ; 6 centimètres de moins, c'est peu, mais à Montereau le niveau a chuté de 57 centimètres. Bon signe.

Si l'eau baisse, les effets négatifs de la crue s'aggravent. Dans les lieux d'accueil installés par la Croix-Rouge et les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, les sinistrés affluent.

Les sous-sols ravinés par les eaux font naître un danger permanent. Les autorités préconisent, dans certains cas, d'interrompre les assèchements par pompe, du fait des risques d'affouillement dans des immeubles exhibant déjà d'inquiétantes lézardes. Le sol peut s'effondrer brutalement, sans signe précurseur, comme devant le 6 de la rue Lafayette, où s'est ouvert un énorme cratère. Les abords de la gare Saint-Lazare sont presque à sec, mais l'on perçoit dans le sous-sol les grondements torrentiels d'une eau qui circule toujours.

Le président Fallières visite en barque les quartiers inondés. Et la vie continue : des policiers arrêtent des pilleurs (peu nombreux), dans le faubourg Saint-Antoine un épicier est conspué pour avoir augmenté ses prix, au Jardin des Plantes, la vie de la girafe est en danger, malgré le manteau de paille qui la couvre jusqu'à la tête… Elle mourra le lendemain. Et puis, il y a le corps de Georges Husson, un ébéniste de 33 ans, découvert par le repli des eaux, qui s'est noyé la veille ou un peu avant.


30 et 31 janvier, des situations contrastées

Rive gauche et rive droite, plusieurs rues sont rendues à la circulation, l'esplanade des Invalides a été débarrassée des chemins de planches montés par les soldats du génie, mais c'est un vaste champ de boue. Rue de Lille, le niveau de l'eau a baissé de 50 centimètres, idem rues Bonaparte et des Saints-Pères, mais la rue de Seine est encore noyée sous 2 mètres d'une eau fétide, chargée de boue… Ce n'est guère mieux au Palais de justice et à l'Hôtel de Ville.

La banlieue présente le même tableau contrasté ; si le niveau baisse à Ivry et à Charenton, Vitry demeure très atteinte. À l'ouest, la situation reste critique à Saint-Denis, Saint-Ouen, Clichy, Neuilly, Puteaux, Colombes, Gennevilliers, Asnières… L'état des usines de production ne permet pas encore de rétablir l'électricité, mais les arrivages aux Halles sont conformes à la normale.


Du 1er au 4 février, quand l'eau se retire…

Le retrait s'accélère mais les dégâts devenus apparents se multiplient. La liste des affaissements et des effondrements de chaussées s'allonge d'heure en d'heure : rue Saint-Lazare, rue Caumartin, place de la Concorde, boulevard Haussmann, quai de l'Horloge, rue de Rivoli, avenue Ledru-Rollin…

Le président du Conseil Aristide Briand réunit le préfet de police et celui de la Seine pour faire le point sur la solidité des constructions inondées (crevasses et lézardes), l'assainissement des caves et des rues, le rétablissement de l'éclairage, des transports, des communications… Environ 20 000 immeubles et 30 000 maisons ont été inondés. De puissants moyens sont utilisés pour évacuer au plus vite l'eau du métro, rétablir les voies ferrées endommagées. Sont distribués des désinfectants : sulfate de fer, chlorure de chaux, chaux vive… Il n'y a plus que 540 000 mètres cubes d'eau potable dans les réservoirs, pour un capacité de plus de 900 000 mètres cubes. Le plus facile aura été de suppléer à l'éclairage électrique ; il existe alors un stock important de lampes à pétrole et de lampes à acétylène.

Le 3, à 17 heures, la cote est de 6,28 mètres. C'est rassurant. Les eaux baissent aussi en banlieue, mais le spectacle y est affligeant : champs parsemés de pierres roulées par les flots, logements saccagés dont les débris s'éparpillent, maisons sur le point de s'écrouler… Heureusement, il y aura peu de blessés.

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Le Petit Journal du dimanche 13 février 1910 – Le fil du temps


Les jours d'après…

Toujours des effondrements soudains : rue de Rivoli à nouveau, place de la Bastille, et des maisons qui s'écroulent à Nanterre, Puteaux, Alforville (décrue trop lente de 5 centimètres par jour) où l'on vient de découvrir les corps de deux cantonniers, noyés en allant sauver des familles, à côté de leurs chevaux…

À Paris, le retrait est très lent dans les caves, même avec l'appui de pompes ; la nappe aqueuse ne s'abaisse pas comme ça… Dans les rues du VIIe et du XVIe, le flot résiste. Le comité d'hygiène de la Ville informe particuliers et commerçants que les bouteilles pleines et "bien bouchées" peuvent être consommées ou vendues, mais après avoir été lavées et leur goulot trempé dans une solution à base de formol ; en cas de doute, jeter…

Le 4, à 17 heures, la cote est de 5,62 mètres. Le 5 au soir, elle est de 4,80 mètres. Les secours sont bien organisés, la solidarité est forte, et les Parisiens ont conservé un bon moral et le goût de la plaisanterie.


Du 6 au 20 février, la crue n'est plus en vedette...

La crue ne fait plus la une du Petit Journal. Elle laisse place à la première de "Chantecler", d'Edmond Rostand, très attendue, et au crime du boulevard Voltaire : Rosalie Bosch a tué Germaine Bichon, une domestique, pour voler 37,50 francs et une pièce d'or de 40 francs à son patron. Déjà, pour 20 sous les douze, les camelots proposent des cartes postales "Paris dans l'eau". Dans l'ensemble, les usines reprennent leurs activités, et les détachements de la marine (Dunkerque, Calais, Cherbourg, Brest, Lorient, Rochefort et Toulon), soit environ 400 hommes, regagnent leurs bases.

Le 7 à 11 heures, la cote est à 4,50 mètres. Le ministre des Travaux publics, Alexandre Millerand, s'est rendu à Bercy, puis a gagné un train spécial du PLM (Paris-Lyon-Méditerranée) pour une tournée dans les communes. On prévoit un arrêt de la décrue. En effet, le 10 février, à 11 heures, la cote est remontée à 4,80 mètres : 60 hommes du génie montent une digue quai de la Gare, lieu menacé. Un premier bilan fait apparaître que seuls les XIVe, Xe, XVIIIe et XXe arrondissements ont été épargnés. 


Du 12 au 20 février, retour à la normale

Près de 800 abonnés parisiens peuvent à nouveau utiliser leur téléphone. Encore un effondrement boulevard Diderot, alors qu'un immeuble du boulevard Saint-Germain est évacué en hâte … Le Sénat vote un crédit de 20 millions de francs pour venir en aide aux sinistrés qui ont tout perdu. Cependant, ces informations ne font plus la une des quotidiens, celle-ci est occupée par le naufrage du transatlantique "Général Chanzy", parti de Marseille pour Alger. Le navire comptait 97 passagers et 72 hommes d'équipage, il n'y eût qu'un seul survivant. En quelques instants, ce naufrage avait fait plus de victimes que deux semaines d'une inondation sans précédent !

Le prix du lait a tendance à "flamber", mais dans les communes sinistrées, la société Maggi a baissé ses tarifs de 50 % !

Malgré une cote remontée à 5,59 mètres le 16, à 17 heures, la situation n'inspire plus aucune crainte car le niveau de la Marne baisse fortement. On évoque le rôle clé que pourrait jouer à l'avenir, la toute jeune TSF en tant que système d'alerte… L'électricité revient progressivement, plusieurs lignes de tramways de Cie de l'Est parisien ont repris du service. Le gouvernement  prévoit des mesures (exonération d'octroi, dégrèvements d'impôts et de taxes) en faveur des commerçants et des particuliers sinistrés.

Fin du film.


Bilans et enseignements

Les différentes phases de l'inondation ont été scrutées par de multiples personnalités, dont de nombreux techniciens, ingénieurs, ou scientifiques tel que Paul Painlevé, de l'Institut. Le 5 février, Philippe Bunau-Varilla (ancien ingénieur en chef du canal de Panama) faisait remarquer que le système de défense conçu par Eugène Belgrand s'était avéré des plus pertinents. Ayant préconisé des parapets de quais devant s'élever jusqu'à une cote supérieure à 35 mètres en amont de Paris, et de 33,50 mètres en aval, l'ingénieur avait vu juste. L'exemple en fut donné par le parapet du quai est, devant les Tuileries, qui était à la cote 35,62 et n'a pas été franchi ; en revanche, soulignait Bunau-Varilla, celui du quai du Cours-la-Reine (de la Concorde à l'Alma) qui était à la cote 33,20 a dû être surélevé par des moyens improvisés. Conclusion : la Seine n'a pas débordé par dessus les parapets prévus par l'ingénieur Belgrand.

Deux fautes qui ont facilité l'emprise des eaux – Pourquoi la ligne Austerlitz-Orsay et celle des Invalides ont-elles livré passage aux flots ? Bunau-Varilla fait remarquer que lors de la construction de la première, il fut permis aux ingénieurs de la Cie d'Orléans d'araser à la cote 33 (et non 35) le crête des murs de protection de la voie, offrant ainsi un passage à l'eau et l'accès à la gare et aux rues sans autre obstacle. Idem pour la ligne des Invalides où les ingénieurs de la Cie de l'Ouest bénéficièrent de la même tolérance. Pour le cas du métro Nord-Sud, l'ingénieur estime que l'on n'a pas prévu le franchissement de la brèche ouverte par les travaux. En surpassant la crête de la ligne d'Orsay, le fleuve allait se déverser dans le puits technique pour envahir le tunnel, jusqu'à la place du Havre. Nous avons vu que cette explication était controversée, donnant lieu à d'autres versions, dont une incriminait même une rupture de l'égout de la Bièvre. Le constat le plus vraisemblable reste celui de l'ancien lit du fleuve, relevé, avec l'apport, non essentiel, du tunnel.

Sur le sujet sensible des égouts (donc du réseau Belgrand), deux opinions concordent : celle de monsieur Colmet d'Aâge, membre de la commission technique de la Ville, qui affirme, le 4 février, que le réseau s'est parfaitement comporté, avec une seule rupture, celle de rue Richepanse, provoquée par une galerie en construction passant SOUS l'égout et dont les boisages avaient cédé.  Le rapport Picard ne dit pas autre chose, soulignant que la résistance des égouts a été irréprochable, et que s'ils avaient cédé, les conduites en fonte de distribution de l'eau auraient été disloquées. Conclusion, les égouts ont limité l'étendue du désastre.

À propos du rapport Picard – Document de référence établi après l'inondation par une commission sous la direction d'Alfred Picard (ingénieur X-Ponts qui fut le directeur de l'Exposition universelle de 1900),  le rapport Picard examine point par point les différents impacts du phénomène. En voici quelques remarques et conclusions :

  • Les ponts ont parfaitement tenu malgré la violence des remous et l'abondance des matériaux charriés.
  • Les gadoues de seize arrondissements ont été envoyées vers quatre usines de traitement de la périphérie ; des entrepreneurs ont aussi enlevé des ordures pour les vendre à des cultivateurs à titre d'engrais. Il y a eu des pratiques regrettables de rejets directs dans le fleuve.
  • Le chemin de fer des Invalides, avant que l'eau ait atteint son niveau de 1876, a subi des infiltrations ; si la ligne a pu hâter l'inondation des artères voisines, elle n'a toutefois pas contribué à élargir la zone inondée. Constat identique pour la ligne d'Orsay.
  • Presque partout, la cause déterminante a été la SURÉLÉVATION DE LA NAPPE AQUIFÈRE DU SOUS-SOL, avec des pressions dépassant les facultés de résistance, SOURCE D'INFILTRATIONS impossibles à pomper.
  • Le Métropolitain, dans aucun quartier, n'a transmis ou aggravé l'inondation. 
  • Deux grandes lignes de chemin de fer seulement ont été coupées (Orléans et Lyon).
  • Les communications télégraphiques et téléphoniques ont été très gravement perturbées, seul le réseau pneumatique a bien résisté.
  • La crue n'a épargné aucun des six secteurs de distribution électrique. La distribution du gaz d'éclairage a été coupée pour 30 000 abonnés (sur 631 500) et a occulté 5 800 appareils publics (sur 53 600).

Plusieurs solutions préventives sont évoquées dans le rapport, mais nous retiendrons une remarque particulière. Lors de la crue, les sols forestiers étaient déjà saturés mais ils ont représenté une protection efficace contre les érosions et les affouillements. Et, comme le fit remarquer un botaniste observateur de la crue dans Le Petit Journal du 4 février 1910, "la Seine a charrié beaucoup de bois (arbres, bûches, tonneaux, pavés, poutres planches, caisses…) ce qui fait réfléchir sur la progression régulière du déboisement. Or, la forêt est par excellence le régulateur du sec et de l'humide (…) la forêt rafraichit sans détruire, l'arbre lui-même est un réservoir admirablement organisé et retient jusqu'à 46 % des eaux de pluies (…) les bois rythment avec méthode la fonte des neiges, les cours des ruisseaux et des rivières, retiennent les terres (…) déboisez, et les crues auront libre cours…"  

Il faudra attendre le 16 mars 1910 pour que la Seine retrouve son lit normal, une cote inférieure à 2,50 mètres. Il faudra beaucoup plus de temps pour que l'assainissement des constructions touchées soit assuré. Le rapport Picard n'avance aucune estimation du coût. On a parlé de 450 millions de francs or pour le seul département de la Seine. Si l'on prend par exemple les taux de majoration des rentes viagères, pour 2015, il faudrait multiplier cette somme par 106 428,20. .

 

Sortie de Paris au viaduc du Point-du-Jour (doc. archives de la préfecture de police de Paris)

 

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