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L'eau en montagne & changement climatique

Mots clés : changement climatique, eau, montagne, États généraux, Megève
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Dossier de
Jean-François DONZIER
  
July 2010
Index du dossier
1. Les montagnes, châteaux d´eau de l´Europe
2. Les montagnes, zones de risques naturels
3. Une compétition de plus en plus vive entre les usages de l´eau
4. Une qualité des eaux et des milieux aquatiques en baisse
5. L´importance stratégique des lacs de montagne
6. L´adaptation de la gestion de l´eau aux effets du changement climatique, une urgence mondiale
7. Les États généraux de l´eau en montagne
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L’adaptation de la gestion de l'eau aux effets  du changement climatique
UNE URGENCE MONDIALE

 

À supposer que l’humanité puisse réduire sensiblement demain les émissions de gaz à effet de serre, les effets néfastes du changement climatique ne continueraient pas moins à se faire sentir pendant  de nombreuses décennies. Le changement climatique apparaît donc désormais inéluctable. Une de ses premières conséquences sera une modification des cycles hydrologiques.

Même si des mesures ambitieuses étaient prises au niveau international par tous les pays pour réduire sensiblement leurs émission de gaz à effet de serre, l’effet sur le climat ne sera perceptible au mieux que vers la fin du siècle. Les changements des précipitations et des cycles hydrologiques sont eux déjà engagés et seront sans doute sensibles d’ici à 2040 ou 2050, c'est-à-dire en moins d’une génération : il faut donc réagir vite, avant qu’il ne soit trop tard et il est clair que le seul contrôle des rejets de gaz sera insuffisant pour modifier cette évolution dans les délais.

Il est donc indispensable de travailler à l’adaptation aux conséquences du changement climatique et en particulier, s’agissant des organisations de bassin, des politiques de gestion des ressources en eau, en prenant en compte les éléments nouveaux du changement climatique. Il faut notamment évaluer rapidement, selon divers scénarios, les conséquences hydrologiques de ce changement.

Ces effets se cumulent aux importantes pressions d’ores et déjà liées à la croissance démographique, à l’urbanisation et au développement.

Le réchauffement climatique est un "multiplicateur de menaces", aggravant les situations difficiles et accroissant les tensions, même dans les régions stables !

Si les gaz à effet de serre sont responsables du réchauffement climatique, l’eau douce en est la première victime ! Il est donc indispensable de travailler dès à présent à l’adaptation des politiques et mécanismes de gestion des ressources en eau pour faire face aux effets du  changement climatique. Nous devons donc apprendre à anticiper les dégâts et à prendre les mesures nécessaires pour  empêcher ou pour le moins minimiser leurs effets négatifs, bref nous adapter. Une action rapide permettra de réduire les coûts et les dommages.

La "solidarité amont-aval" doit être renforcée

Il faut mieux reconnaître le rôle des montagnes pour la collectivité dans son ensemble et mieux aider les montagnards, dans le cadre de politiques intégrées des bassins, pour qu’ils puissent assurer la gestion des territoires, des écosystèmes et des ressources en eau des massifs, et réaliser les équipements intégrés nécessaires en amont, pour continuer à protéger l’aval contre les risques et à fournir aux plaines de l’eau abondante et de qualité, dont elles auront de plus en plus absolument besoin ...

Pendant des millénaires, et même si depuis le 19ème siècle l’hydroélectricité, l’industrie et le tourisme s’y sont développés notamment en Europe et en Amérique du Nord, la gestion de l’eau et des sols en montagne a été principalement gouvernée par les intérêts agro-sylvo-pastoraux, qui constituent encore une part importante de leurs économies. Aujourd’hui l’heure est venue de repenser la gestion des eaux et des sols de montagne en tenant compte, sans doute prioritairement, des contraintes stratégiques de l’approvisionnement en eau des populations et des économies agricoles, industrielles et touristiques des piémonts et des plaines en aval, sur la base de principes de solidarité, de compensation, de rétribution des services rendus  par les écosystèmes montagnards et les habitants qui en assurent la gestion. C’est une des principales stratégies à adopter prioritairement pour prévenir le risque de stress hydrique de continents entiers !

Conservation et stockage des ressources en eau,  aménagement des versants et des sols pour retenir l’eau durant les précipitations, gestion du couvert végétal et forestier, protection des zones humides, zonages de protection, etc., les nouvelles politiques d’aménagement du territoire devront concourir à optimiser les réserves d’eau disponibles  pour la communauté et prévenir les risques naturels. Ces mesures auront un coût important et il faudra convaincre les propriétaires fonciers, les communautés montagnardes, les aménageurs que la production et le stockage de l’eau douce est au moins aussi important que les activités actuelles. Il faudra pour cela mettre en place des mécanismes institutionnels et financiers permettant le paiement des services rendus dans les hauts bassins versants par leurs principaux  bénéficiaires habitants en aval.  Il est en particulier indispensable de développer les études pour mesurer la contribution réelle de l’eau à l’économie et au développement humain, bref donner une valeur "monétaire" aux ressources en eau, pour être capable d’établir le vrai bilan cout / efficacité de leur gestion.

La gestion de l’eau, qui dans les instances internationales n’est encore considérée que comme un sous-objectif secondaire du développement durable ou de la lutte contre la pauvreté et dans nos économies développées comme un simple volet la protection de l’environnement, doit devenir une priorité politique à part entière, compte tenu des enjeux qu’elle représente pour l’avenir de l’humanité.

En France, la Loi Montagne de 1985 avait ouvert timidement la voie, notamment en ce qui concerne les quotas d’énergie réservée aux zones de montagne et en renforçant la politique de massifs. Le système français des agences de l’eau ouvre aussi une possibilité de solidarité entre l’amont et l’aval de leurs bassins.

Faire dès maintenant l’apprentissage de la vulnérabilité

L’incertitude actuelle ne doit pas être une raison pour l’inaction. Les actions et la recherche doivent être menées de front et simultanément. L’adaptation doit être "flexible" et les mesures à prendre rapidement doivent être "adaptables" si les conditions changent encore ou si l’évolution ne se fait pas comme prévue. De toute façon améliorer la "résilience" des montagnes et de leurs écosystèmes est vital pour la régulation future des ressources en eau en Europe et quasiment partout dans le monde.

Il faut développer des stratégies "gagnant / gagnant" et lancer tout de suite des programmes de mesures "sans regret", dont la mise en œuvre sera de toute façon indispensable dans tous les scenarii envisageables, dès lors que l’eau est indispensable à quasiment tous les secteurs dont le développement dépend de sa disponibilité et de sa qualité. La planification doit se faire au niveau des bassins des grands fleuves et reposer sur une forte coopération intersectorielle et aussi internationale quand les bassins sont transfrontaliers.

Mais au-delà des mesures  de préservation, c’est sans doute tout un mode de relation à notre consommation de l’eau qu’il va falloir changer pour mieux contrôler la demande,  être plus économe et moins pollueur, mieux préserver les écosystèmes aquatiques, etc. Il faudra aussi que nos sociétés sachent accepter une part de risque face à l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des inondations et des sécheresses contre lesquelles, il ne sera pas possible d’assurer un "risque zéro" : c’est ça l’apprentissage de la vulnérabilité, mais ce "risque zéro" n’a jamais été atteint, il faudra vivre avec de façon plus consciente qu’aujourd’hui !

La Directive cadre européenne sur l’eau

L’Union Européenne, avec la Directive cadre sur l’eau, dispose d’un outil juridique de pointe : c’est la première fois au monde que 29 pays (27 pays membres + la Suisse et la Norvège) s’engagent à mettre en place d’ici à 2015, 2021 et 2027 un dispositif aussi ambitieux et complet, visant au "bon état écologique" de l’essentiel des "masses d’eau" européennes.

Plusieurs États membres de l’Union Européenne élaborent d’ores et déjà des stratégies nationales d’adaptation ; dès 2011, un Centre européen d’information sur les effets du changement climatique devrait voir le jour et la Commission européenne proposera en 2013 une stratégie commune, dont les mesures sur l’eau devront être intégrées dans les prochains plans de gestion et programmes de mesures 2015-2021 de la Directive cadre sur l’eau.

S’attaquer aux conséquences du changement climatique en particulier à la rareté de la ressource en eau et aux sécheresses est déjà une priorité affichées de la politique régionale de l’UE pour la période 2007-2013. Le cadre prévoit de soutenir des investissements d’infrastructures liées à la gestion de l’eau (stockages, distribution, traitement), le développement de technologies propres permettant une utilisation rationnelle de l’eau ainsi que des mesures de prévention des risques. Il reste essentiel de faire en sorte que l’octroi des fonds soit subordonné à la preuve préalable du recours à des mesures visant à économiser l’eau et à garantir son utilisation rationnelle…

Maintenant il faut passer à l’acte et mettre en place les actions concrètes qui s’imposent d’urgence : le congrès international de Megève présentera des expériences de terrain, qui marchent et donnent des résultats, qui peuvent être généralisés ou dont on peut s’inspirer pour progresser.

Il est d’ores et déjà clair que le coût collectif de l’inaction serait considérable et qu’il faut réagir au plus vite pour s’adapter avant qu’il ne soit trop tard !