Magazine H2o | 3. Une compétition de plus en plus vive entre les usages de l´eau | L'eau en montagne & changement climatique | Infrastructures-Développement durable

Dessin de tracé de fleuve

Accueil > Dossiers > Infrastructures > L'eau en montagne & changement climatique
logo lien vers www.lemeeb.net

L'eau en montagne & changement climatique

Mots clés : changement climatique, eau, montagne, États généraux, Megève
Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
Dossier de
Jean-François DONZIER
  
July 2010
Index du dossier
1. Les montagnes, châteaux d´eau de l´Europe
2. Les montagnes, zones de risques naturels
3. Une compétition de plus en plus vive entre les usages de l´eau
4. Une qualité des eaux et des milieux aquatiques en baisse
5. L´importance stratégique des lacs de montagne
6. L´adaptation de la gestion de l´eau aux effets du changement climatique, une urgence mondiale
7. Les États généraux de l´eau en montagne
201007_montagne_itl_3.jpg

UNE COMPÉTITION de plus en plus vive entre les usages de l'eau

 

L’augmentation des besoins en eau des hauts bassins, couplée aux effets du changement climatique, oblige à s’interroger sur le partage de l’eau disponible en amont des bassins et sur la disponibilité des ressources pour l’aval.

Les stratégies des populations, voire des pays, peuvent être concurrentes : par exemple, l’Égypte en aval du Nil est entièrement dépendante du développement des pays d’amont, mais, à l’inverse, la Turquie, avec le "Grand Projet d’Anatolie", contrôle entièrement les eaux du Tigre et de l’Euphrate. Il en est de même de la Chine en amont de plusieurs très grands fleuves transfrontaliers qui prennent leurs sources sur son territoire, notamment sur le plateau tibétain.

Jusqu'à quand pourra-t-on en même temps en été notamment, pendant  les années sèches :

  • sécuriser l’adduction d’eau potable des villes, des villages et des zones touristiques ;
  • stocker de l’eau dans les barrages en attente pour produire de l’électricité "renouvelable" quand on en aura besoin, c’est-à-dire en hiver, pendant la pointe de consommation électrique ;
  • maintenir un "débit réservé" d’étiage pour préserver la faune et la flore aquatiques (débit écologique) et permettre la libre remontée des poissons migrateurs (saumon, etc.) ;
  • donner de plus en plus d’eau aux agriculteurs qui en auront de plus en plus besoin pour irriguer leurs cultures ;
  • assurer suffisamment d’eau dans les torrents pour la pratique des "sports d’eau vive", canoë-kayak, rafting, nage en eau vive, "canyoning", etc., pour développer le tourisme estival ;
  • le cas échéant, transférer de l’eau depuis des bassins "riches en eau» vers des bassins déjà déficitaires et à quelles conditions – cf. le débat sur le Plan national hydrologique espagnol !

... Et même en hiver, concilier la fabrication de neige de culture et les besoins en eau potable des touristes, quand l’étiage est le plus souvent observé, en janvier ou février en haute montagne.

Plus particulièrement, le tourisme hivernal fondé sur le ski deviendra difficile à assurer en moyenne montagne, engendrant ainsi des pertes économiques pour les communes et les entrepreneurs et créant une demande encore plus forte de séjours dans  les stations situées à de plus hautes altitudes.

Au cours des dernières années, l'enneigement sur l'ensemble des massifs montagneux a déjà diminué de façon significative. Face à ce constat, les stations de ski ont dû investir dans des équipements de production de neige artificielle – 46 millions d'euros en France en moyenne annuelle. Ce déploiement de "canons à neige" assure potentiellement une fréquentation régulière – pour encore combien de temps ? – pendant la saison touristique, mais a des impacts sur le milieu naturel montagnard.

Utilisés autrefois seulement pour améliorer certains passages de pistes ou permettre aux touristes de regagner la station les skis aux pieds, la neige de culture assurent désormais l'enneigement de la plupart des pistes de la mi-décembre à avril. Par exemple, ces "canons à neige" ou "enneigeurs", comme on dit aujourd’hui, garantie des débuts et fins de saisons de stations de ski, consomment d’énormes quantités d’eau à l’époque d’étiage d’hiver en haute montagne (janvier-février), quand les besoins en eau des communes touristiques sont aussi au plus haut, avec l’arrivée de dizaines de  milliers de touristes ! Le développement de ces équipements de production de neige de culture, observé ces dernières années, qui permet de garantir la viabilité économique des stations de sports d’hiver, n’est pas sans répercussion sur la ressource en eau durant l’hiver, même si, à la fonte des neiges, les volumes utilisés retournent au milieu naturel. Pour illustrer ce sujet, une étude de l’agence de l’eau a recensé 162 stations de sports d’hiver dans le bassin Rhône-Méditerranée-Corse, essentiellement réparties dans sept départements : l’Isère, la Savoie, la Haute-Savoie, les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes, les Alpes-Maritimes, les Pyrénées-Orientales. 85 % de ces stations du bassin Rhône-Méditerranée-Corse posséderaient de telles infrastructures d’enneigement artificiel. Les surfaces enneigées représentent en moyenne 15 % des surfaces skiables, avec des variations de 5 à 60 % selon les stations.

Les canons sont pour le moment installés surtout en dessous de 2 000 mètres. Cela correspond à l’altitude des petites stations, au "pied des pistes" ou au "retour station" des grandes stations. Pourtant, la part des équipements située à haute altitude n’est pas négligeable et on peut penser qu’à terme, ce ne seront plus seulement les bas de stations qui seront équipés mais la totalité des surfaces.

La consommation "théorique" est de 1 m3 d’eau pour 2 m3 de neige fabriquée. La consommation d’eau observée sur la saison 1999-2000, pour les 119 stations équipées du bassin Rhône-Méditerranée-Corse, est de 10 millions de m3. Ce volume représente 19 % du volume annuel prélevé par les collectivités correspondantes, pour leur usage d’eau potable. C’est ainsi l’équivalent de la consommation annuelle d’une ville de 170 000 habitants.

Par ailleurs, si on s’intéresse à la consommation d’eau rapportée à l’hectare enneigé, les données disponibles conduisent à un ratio de 4 000 m3 à l’hectare. On peut alors la comparer à ce qui est constaté pour d’autres usages, l’irrigation par exemple, à titre de référence, on citera le ratio observé pour l’irrigation du maïs en Isère : environ 1 700 m3 à l’hectare.

Il y a encore un quart des stations (37 stations), qui prélèvent de l’eau directement dans les torrents, ce qui représente environ 3 millions de m3 d’eau. Une station de ski de Rhône-Méditerranée-Corse possède un forage dédié à l’alimentation du réseau de neige de culture, qui représente un volume de 80 000 m3. La solution la plus utilisée pour les stations est la création de retenues collinaires, qui permettent de disposer, de façon immédiate, d’un grand volume d’eau. Ainsi, les exploitants peuvent fabriquer de grandes quantités de neige, dès que les conditions de froid sont favorables. Près de la moitié des stations (70 stations) sont équipées de tels stockages pour un volume utilisé de 5 millions de m3 d’eau par an. La fabrication de neige à partir de retenues collinaires présente l’avantage de "décaler" dans le temps le prélèvement dans les cours d’eau, on évite ainsi la sollicitation de la ressource au moment de l’étiage. Cependant il est certain que ces retenues posent d’autres problèmes environnementaux : les zones susceptibles de pouvoir accueillir de tels aménagements en montagne sont rares. Le plus souvent ces zones plates sont des zones humides, par ailleurs soumises à une réglementation visant à leur préservation. De plus, une attention particulière doit être portée aux risques de rupture de ces barrages, qui pourraient poser des problèmes aux communes situées en contrebas.

La principale utilisation de l’eau en montagne reste l’eau potable. Mais l’hiver, les populations des communes touristiques de montagne peuvent être multipliées jusqu’à dix pendant certaines périodes de vacances de haute saison. Les besoins en eau sont donc considérables et parfois critiques en raison de la rareté de la ressource à cette époque. Les résultats de l’enquête de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse mettent en évidence que plus du tiers des communes étudiées sont confrontées à des problèmes d’alimentation en eau en saison hivernale. Les raisons invoquées sont diverses : ressources insuffisantes du fait de l’étiage en haute altitude, faibles rendements des réseaux, neige de culture. Cette dernière cause est tout de même assez rare.

Les volumes annuels prélevés restent généralement compatibles avec les besoins des milieux naturels sollicités. Cependant, la situation peut être différente si on raisonne sur les quatre mois que dure la saison (période d’étiage) ou encore si on étudie les répercussions sur un rythme journalier, voire horaire.

Si la situation actuelle ne paraît pas trop alarmante du point de vue de la ressource en eau, elle pourrait le devenir dans le futur, du fait de la poursuite de l’expansion de production de neige de culture, qui est annoncée dans les prochaines années.

La neige de culture devient un enjeu stratégique pour de nombreuses stations et même le facteur de survie économique de certaines, situées à basse altitude. Elle était essentiellement exploitée jusqu’à présent dans l’esprit de compenser le manque de neige naturelle, c’est-à-dire à des altitudes basses à moyennes. Maintenant, c’est le plus souvent un objectif de "tout neige" : enneigement artificiel de la plupart des pistes qui est visé, afin de stabiliser au maximum la fréquentation et donc le chiffre d’affaires des stations.

Enfin, compte tenu de l’amélioration constante des performances technologiques pour la fabrication de neige de culture, l’approvisionnement en eau tend à devenir le principal facteur limitant de la production, après les conditions de température, dont l’élévation va considérablement perturber l’économie des stations de basse altitude, empêchant aussi cette production de neige artificiellement.

Il est absolument nécessaire de suivre attentivement l’évolution de la situation des ressources en eau en montagne, si on n’a pas envie que la régulation se fasse par la catastrophe !

D’ores et déjà en Espagne on observe une diminution de - 7 % du débit moyen des fleuves, avec pour conséquences des restrictions de l’irrigation et une augmentation du prix de l’eau potable dans plusieurs grandes villes dont Madrid (+ 0,40 euros par m3)… Dans le monde, plus de 1,7 milliard d’êtres humains vivent dans des zones de stress hydrique, beaucoup de grandes villes ont épuisé leurs ressources de proximité et doivent s’approvisionner de plus en plus loin, en créant des conflits d’usage avec les régions avoisinantes.    

Une très grande partie de l’eau prélevée dans le monde et même en Europe n’est pas mesurée, ni même enregistrée par les autorités. Aujourd’hui dans l’UE, la DCE exige la mise en œuvre d’un contrôle systématique des prélèvements d’eau.

En France, le GIEC estime qu’à partir de 2030 à 2050, le déficit en eau à l’étiage estival pourrait varier entre 500 millions et 3 milliards de m3, notamment dans les régions françaises déjà classées comme déficitaires, avec un déficit moyen estimé à environ 2 milliards de m3 par an. Le coût de ce déficit serait chiffré entre 5 et 10 milliards d’euros… Ce chiffre important n’est cependant pas énorme, car il ne représente que 2 % de l’ensemble des ressources renouvelables en France, mais évidement bien plus rapporté aux étiages des seules régions concernées,  qui sont déjà en situation de déficit structurel aujourd’hui en étés secs. La création raisonnée de réserves supplémentaires ou des transferts depuis d’autres bassins pourraient être envisagés dans le cadre d’un dialogue de toutes les parties prenantes… mais celui-ci sera sans doute difficile ?