H2o Magazine


Johannesburg – septembre 2002
De Johannesburg à Kyoto : les enjeux

Mots clés : accès à l'assainissement, accès à l'eau, développement durable, eau, Johannesburg, Objectifs du Millénaire pour le Développement, OMD, ONG, politiques
Dossier de
Martine LE BEC et Nicole MARI
  
August 2002
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De Johannesburg à Kyoto : les enjeux

 

par Martine LE BEC-CABON

 

C'est à l'arraché et finalement contre d'importantes concessions sur le dossier de l'énergie que l'objectif Eau – initié par la Déclaration du Millénaire des Nations Unies – aura été confirmé à Johannesburg, à savoir réduire de moitié, d'ici à 2015, la proportion de personnes qui n'ont pas accès à l'eau. Dixit l'objectif Assainissement – initié par la Conférence ministérielle de Bonn, et qui visait à réduire pareillement de moitié le nombre de gens ne disposant pas d'installation d'assainissement ; l'assainissement redevient un "besoin fondamental", au même titre que l'eau, l'énergie, la santé, la sécurité alimentaire ou la protection de la biodiversité, mais sans objectif chiffré. Dixit aussi – comme on s'y attendait – du concept du droit à l'eau.

Nombreux sont ceux qui avaient sincèrement imaginé que Johannesburg allait plancher sur les actions à mettre en oeuvre pour réaliser les deux objectifs de la Déclaration du Millénaire et de la Conférence de Bonn. Le Plan se contentera d'encourager "des partenariats entre les secteurs public et privé fondés sur des cadres réglementaires établis par les gouvernements". C'est le fameux PPP – partenariat public privé – par ailleurs si décrié par certains et – qui plus est – ici défini dans des termes on ne peut plus "accomodants" pour tous, responsables publics, financiers et industriels.
 

PPP : partenariat public-privé
une solution qui laissera "en carafe" plusieurs milliards d'êtres humains

Le calcul est simple :

  • actuellement 1,1 milliard (voire 1,3 milliard) de gens n'ont pas d'accès à l'eau potable ; "si rien n'est fait", ils seront 2 ou 3 milliards d'ici 25 ans", déclarait en substance Gérard Mestrallet, P-Dg de Suez, interviewé par Richard Arzt, journaliste à RTL, le 23 août 2002 (texte de l'interview). Il s'agit même d'une hyptothèse basse, alors que les experts estiment aujourd'hui que 55 % de la population mondiale souffrira d'un stress hydrique grave d'ici 2032, date anniversaire du Sommet de Rio, soit 4,5 et quelques milliards de personnes sur une population mondiale qui s'élèvera alors entre 8,2 et 9,5 milliards d'habitants (sources : rapport GEO-3 du Programme des Nations Unies et statistiques du US Census Bureau) ;
  • actuellement aussi, si le secteur privé – si soupçonné d'ambitions démesurées – ne dessert en eau potable que 5 % de la population mondiale, son ambition réelle ne s'étire guère au-delà des 15 ou 20 % (estimations avancées par Daniel Marcovitch, parlementaire français, rapporteur de la loi sur l'eau, à l'occasion de l'Université de l'Eau de Créteil, et confirmées par Gérard Payen, Dg de Suez, invité au débat – voir le compte rendu de H2O : Université de l'eau – débat La bataille de l'eau, en ligne depuis mais 2002) ;
  • à supposer que le PPP puisse s'appliquer à l'ensemble de la population mondiale, indépendamment d'une quelconque situation "privilégiée" – hypothèse fort improbable – ; à supposer aussi que le PPP puisse s'étendre à des micro-entreprises locales... Dans tous les cas, on peut objectivement estimer que ce sont entre 2,5 et 3,5 milliards de personnes – soit la moitié de la population mondiale actuelle – qui souffriront d'ici 2032 d'un véritable "abandon".

Sans remettre en cause le bien-fondé ou non de ce fameux PPP, les décideurs internationaux peuvent-ils se limiter à l'ébauche d'une solution qui objectivement à toutes les chances de s'avèrer à moyen-terme très insuffisante ? Pierre Kohler, ministre de l'Environnement du canton du Jura suisse a fait part de son sentiment de honte. "Près de 200 conférences ont été consacrées à l'eau sans qu'il en sorte des plans d'actions concrets", a-t-il confié au quotidien Libération à l'issue de la sixième séance plénière du Sommet. "Il faut que le sujet fasse l'objet d'un vrai débat politique mondial, comme pour le climat ou la biodiversité. Or on reste incapable de confier la gestion de l'eau à une institution internationale. C'est toujours le même show, qui fait de nous les complices d'envolées lyriques. Peut-être que, finalement, les responsables politiques et économiques ne s'intéressent qu'à l'aspect financier de l'eau."

11 milliards de dollars d'investissements annuels contre 180 milliards qui seraient nécessaires – sur environ 10 ans

Comme l'a rappelé Gourisankar Gosh, du Conseil pour l'assainissement et l'approvisionnement en eau, les besoins de financement peuvent être estimés à 180 milliards de dollars par an, alors que seulement 11 milliards par an sont actuellement consacrés à l'eau et à l'assainissement (soit l'équivalent des dépenses chaque année consacrées en Europe à l'achat... de crèmes glacées). Rappelant que dans la plupart des pays, les riches ont accès le plus souvent à une eau subventionnée, il a évalué l'investissement moyen par habitant dans le monde en développement à une fourchette allant de 5 à 20 dollars en fonction de la particularité des pays (le nombre d'habitants et la facilité d'accès à l'eau).

Qui va alors payer pour les plus pauvres ?

Il ne reste qu'à espérer au moins un début de réponse au prochain Forum mondial de l'eau. Le Conseil mondial de l'eau et le Partenariat mondial (Global Water Partnership) ont en tout cas lancé une discussion sur le Virtual Water Forum (worldwaterforum.org / session "Financing water services for the poor" avec James Winpenny et Daniel Valensuela comme modérateurs). Toutes vos suggestions sont les bienvenues.

C'est aussi à chacun de faire en sorte – que face à l'évidente défaillance des gouvernements – le jeu démocratique proposé ne se transforme pas en marché de dupes. .

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1972-2002 : trente années de rendez-vous internationaux

 

synthèse par Martine LE BEC-CABON
H2o – juillet 2002

 

Face aux inégalités d'accès et aux risques croissants d'épuisement des ressources en eau, de multiples rencontres internationales se sont tenues depuis la fin des années 1970 qui, si elles n'ont souvent réussi qu'à limiter les dégâts, ont néanmoins permis de prendre conscience de la complexité des enjeux, et en particulier de la nécessité de développer une "vision mondiale de l'eau". 

 

1977
Conférence de Mar del Plata
Des experts lancent les premiers cris d'alarme à la Conférence internationale sur l'eau que les Nations Unies organisent à Mar del Plata (Argentine). Cent cinquante nations sont représentées et cette conférence initie la Décennie pour l'eau potable et l'assainissement – DIEPA.
1981-1990
Décennie de l'eau potable et de l'assainissement
La DIEPA visait mettre en place, avant 1990, une eau potable accessible à chacun en quantité et qualité suffisantes ainsi que des structures de base. Les résultats de cette décennie seront bien en-deçà des espérances. Les besoins financiers ont été sous-estimés. La crise économique et l'accroissement accéléré de la population ont compliqué la situation. La DIEPA n'a réussi qu'à limiter l'accroissement des besoins dû à l'accroissement démographique. Elle a obtenu des améliorations en milieu rural, mais n'a pas fait face à l'urbanisation galopante de cette période. Le principal avantage obtenu par cette Décennie est d'avoir fait prendre conscience de la complexité des projets concernant l'eau.
 06-1990
Consultation de New Delhi
Des centaines d'associations soucieuses d'une plus juste répartition de l'eau signent la Charte de Montréal qui proclame le droit d'accès à l'eau potable comme un droit fondamental de l'homme. "L'accès à l'eau étant une condition fondamentale de survie, nous affirmons que toute personne a le droit d'avoir accès à l'eau en quantité suffisante afin d'assurer ses besoins essentiels. Par conséquent, priorité doit être donnée au milliard et demi de personnes qui n'ont pas encore accès à l'eau potable. Le droit à l'eau et à l'assainissement est indissociable des autres droits de la personne".
 09-1990 Consultation de New Delhi
Le comité directeur de la DIEPA et le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement), organisent la Consultation mondiale sur l'eau potable et l'assainissement à laquelle participent cent cinquante-cinq pays. Cette conférence prend acte de l'impossibilité de couvrir les besoins en eau de toute la population s'il n'y a pas de participation financière des usagers. L'eau ne peut plus être considérée comme un bien gratuit. L'eau a un coût économique et social. Les usagers doivent participer financièrement à ce service. Cette conférence met en place un programme "Eau salubre 2000" dont l'objectif est de permettre un accès à l'eau potable pour tous à l'aube du troisième millénaire.
 01-1992 Conférence de Dublin
Les États se réunissent pour une conférence préparatoire à Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED) sur le thème eau et environnement. Quatre principes directeurs sont alors approuvés : une bonne gestion de l'eau prend en compte la protection des écosystèmes naturels ; l'eau a une valeur économique et devrait être reconnue comme un bien économique ; la gestion, la mise en valeur des ressources en eau doivent associer usagers, planificateurs et décideurs à tout échelon ; les femmes jouent un rôle primordial dans l'approvisionnement, la gestion et la préservation de l'eau. Cette conférence propose par ailleurs la création d'un conseil mondial de l'eau ainsi que la mise en pratique d'une taxe "pollueur-payeur".
 06-1992 Sommet de Rio de Janeiro
Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement
Deuxième grand rendez-vous de la communauté internationale après Stockholm, le 1er Sommet de la Terre sera marqué par le lancement de l'Agenda 21, dont le chapitre 18 est consacré à la protection de l'eau douce. Sept domaines d'activité sont proposés, dont la gestion intégrée des ressources hydriques.
Agenda 21
 1994 Conférence ministérielle de Noordwijk
Cette conférence, qui va rassembler aux Pays-Bas plus de 80 ministres et des représentants de 20 institutions internationales et des représentants d’ONG, vise à formuler un programme d’actions à soumettre à la commission du développement durable, en charge du suivi des résolutions adoptées lors de la CNUED (Rio, juin 1992). La conférence orientera ses travaux sur la politique de l’eau et le développement urbain, le rôle de l’information et de l’éducation et l’importance des approches locales.
 1997 1er Forum mondial de l'eau de Marrakech
Initié par le Conseil mondial de l'eau, le premier Forum mondial de l'eau (WWF1 – World Water Forum 1) se concluera par l'adoption du projet de "Vision mondiale de l'eau", dont l'objectif est de préparer au travers de toute une série de réunions et colloques une vision à long terme sur l’eau, la vie et l’environnement.
 1998 Conférence internationale de Paris
Centrée sur le thème Eau et Développement durable, la conférence définira sept points prioritaires ainsi qu'un programme d'actions.
Le compte rendu de h2o
 2000 2ème Forum mondial de l'eau de La Haye
La Déclaration ministérielle qui en sera issue affiche comme objectif : "la sécurité de l'eau au 21ème siècle".
Le compte rendu de h2o
 2000 Déclaration du Millénaire des Nations unies
La Déclaration fixe comme objectif de diviser par deux le nombre de ceux qui n'ont pas accès à l'eau potable d'ici 2015.
Le texte de la Déclaration du Millénaire
 2001 Conférence ministérielle de Bonn
La conférence prolonge l'objectif de la Déclaration du Millénaire en fixant l'objectif de diviser par deux, d'ici 2015, le nombre de gens ne disposant d'aucune installation d'assainissement.
 2002 Sommet de Johannesburg
Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement
L'objectif, initié par la Déclaration du Millénaire des Nations unies, visant à réduire de moitié, d'ici à 2015, la proportion de personnes qui n'ont pas accès à l'eau est confirmé. De manière spécifique, le plan de mise en oeuvre encourage dans le domaine de l'eau des partenariats entre les secteurs public et privé fondés sur des cadres réglementaires établis par les gouvernements.
Le texte du communiqué final
Le compte rendu de la 6ème séance consacrée à la pénurie d'eau et à l'insuffisance des installations sanitaires dans les pays pauvres
 2003 3ème Forum mondial de l'eau de Kyoto
Dates : 16-23 mars
Objectif : réaliser des "engagements durables à résoudre les problèmes de l'eau à l'échelle mondiale".
Conseil Mondial de l'Eau – organisateur des World Water Forums
1972  Conférence de Stockholm
Première conférence de l'ONU à placer l'environnement au centre des débats et à considérer la question de l'eau. La conférence marque aussi la création du PNUE – Programme des Nations unies pour l'Environnement.

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1972-2002-2032 : l'état de la planète, passé, présent et à venir

 

synthèse par Martine LE BEC-CABON
H2o – juillet 2002

 

A la veille du Sommet mondial pour le développement durable, qui se tiendra à Johannesburg du 26 août au 4 septembre 2002, le PNUE, Programme des Nations unies pour l'environnement, a publié le 22 mai son troisième rapport sur l'avenir de l'environnement mondial : GEO-3. Établi par plus de 1 000 experts, le rapport passe au crible les politiques suivies au cours des 30 dernières années, depuis la Conférence de Stockholm de 1972 ayant abouti à la création du PNUE, et dégage 4 scénarios à l'horizon 2032.

La dégradation progressive de l'environnement

En dépit des améliorations qui ont été apportées dans des domaines tels que la qualité de l'eau des rivières et de l'air (surtout significatives en Amérique du Nord ou en Europe), voire même de l'action internationale de reconstitution de la couche d'ozone, l'environnement s'est progressivement dégradé en particulier dans de vastes parties du monde en développement. Cette dégradation de la qualité de l'environnement aggrave en premier lieu la vulnérabilité de la population aux risques naturels que sont les cyclones, les inondations et les sécheresses, mais aussi aux risques d'insécurité alimentaire, de maladies et de modes d'existence non viables à terme. On estime que le nombre de personnes affectées par les catastrophes a augmenté, passant d'une moyenne de 147 millions par an durant les année 1980, à 211 millions par an durant les années 1990. Les pertes financières dans le monde, résultant des catastrophes naturelles, ont été estimées en 1999 à plus de 100 milliards de dollars. La gravité des catastrophes causées par le climat augmente, et certains experts relient cette évolution au changement climatique aux émissions anthropiques. Durant les années 1990, 90 % des victimes de ces catastrophes ont péri par suite des inondations, des tempêtes et des sécheresses. Il ressort que presque toutes les évaluations et projections consignées dans le rapport trouvent leur origine dans le phénomène du réchauffement mondial, dont les effets pourraient perturber gravement les conditions météorologiques au cours des prochaines décennies.

1972-2002 : le passé et le présent

Les terres – En l'espace de 30 ans, l'augmentation de la population mondiale (plus 2,2 milliards d'humains) a exercé une très forte pression sur les sols au point qu'on estime aujourd'hui que 2 000 millions d'hectares de terres, soit 15 % de la surface émergée de la terre (une superficie plus grande que les États-Unis et le Mexique réunis) sont dégradés ; dont 305 millions à tel point qu'aucune remise en état n'est possible. Une irrigation excessive, mal conçue, a aussi contribué à ce que de 10 % des terres irriguées dans le monde (soit entre 25 et 30 millions d'hectares) sont classés comme gravement dégradés par le sel.

L'eau – La moitié environ des fleuves mondiaux sont gravement atteints ou pollués. Environ 60 % des 227 fleuves les plus importants de la planète sont fortement ou modérément fragmentés par des retenues et autres grands ouvrages ayant aussi causé depuis les années 1950, le déplacement de 40 à 80 millions d'hommes. Alors aussi que deux milliards d'hommes, soit un tiers de la population mondiale, sont dépendants des eaux souterraines, le niveau des nappes phréatiques sont dans certaines parties du monde (en Inde, en Chine, dans la péninsule Arabique, mais aussi dans certaines régions de Russie ou dans l'Ouest des États-Unis) devenus extrêment préoccupants ; les prélèvements excessifs ayant parfois entraîner la contamination des zones côtières par l'eau de mer. Alors que 80 pays, représentant 40 % de la population mondiale, souffrent d'un grave manque d'eau, 1,1 milliard de personnes n'ont pas l'eau potable et 2,4 milliards n'ont pas de moyens d'assainissement. Les maladies d'origine hydrique prélèvent un lourd tribut en vies humaines :

  • 4 milliards d'épisodes de diarrhée causant 2,2 millions de morts par an ; 10 % des populations des pays en voie de développement souffrant par ailleurs d'infections intestinales ;
  • 2 millions de décès dus chaque année au paludisme, la maladie affectant près de 100 millions de personnnes ;
  • 6 millions de personnes devenant aveugles par suite du trachome, une maladie oculaire contagieuse ;
  • 200 millions de personnes souffrant de la schistosomiase, une grave maladie parasitaire.

En 1994, on estimait à 37 % la proportion de la population mondiale qui vivait à moins de 60 kilomètres d'une côte, ce qui est plus que l'ensemble de la population mondiale en 1950. De fait, les eaux usées sont devenues la principale source de contamination, en volume, des mers et océans, mais à laquelle il convient d'ajouter les déversements d'hydrocarbures, les rejets de métaux lourds, de polluants organiques persistants (POP) et de détritus divers. L'impact économique de la contamination des mers, mesuré par le coût entraîné par les maladies et par la mauvaise santé, serait de l'ordre de près de 13 milliards de dollars.

Les forêts et la diversité biologique – L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) estime que les forêts, qui couvrent 3 866 millions d'hectares, soit un tiers des surfaces émergées, ont diminué de 2,4 % depuis 1990. C'est surtout l'Afrique qui est touchée où 52,6 millions d'hectares (soit 0,7 % du couvert forestier) ont disparu au cours des 10 dernières années.Si à la fin de 2000, des dispositifs de vérification de la bonne gestion des forêts tels que ceux animés par le Conseil de bonne gestion des forêts, ont certifié comme conforme aux normes de durabilité, l'exploitation de 2 % environ des forêts mondiales ; il s'agit surtout de forêts situées en Amérique du Nord ou en Europe. La détérioration des écosystèmes fait aussi que près d'un quart des espèces de mammifères, soit 1 130, et 12 % des espèces d'oiseaux, soit 1 183, sont actuellement considérées comme menacées d'extinction dans le monde. Dans le milieu, près d'un tiers des stocks de poissons sont en voie d'épuisement, surexploitéspar l'industrie de la pêche dont les subventions atteindraient néanmoins 20 milliards de dollars par an.

L'atmosphère – L'épuisement de la couche d'ozone a atteint des niveaux exceptionnels. En septembre 2000, le trou de l'ozone au-dessus de l'Antarctique couvrait plus de 28 millions de km2. Si à l'issue du Protocole de Montréal (adopté en 1987) la production des principaux chlorofluocarbures (CFC) a désormais été ramenée à des niveaux très bas, dans le même temps, les concentrations de dioxyde de carbone ou de d'autres gaz à effet de serre comme le méthane et les halocarbures augmentent de manière importante.

2032 : des choix pour l'avenir

Parmi les 4 scénarios de prospective, présenté par le rapport, les experts ont défini deux scénarios extrêmes : le scénario Marchés d'abord et le scénario Durabilité d'abord. Le premier prend pour hypothèse le triomphe des forces du marché ; le second met au contraire l'accent sur des changements profonds dans les valeurs et les modes de vie, l'adoption de politiques vigoureuses et la coopération entre tous les secteurs de la société.

Les terres – En 2032, près de 3 % de la superficie émergée seraient construits, dans le scénario Marchés d'abord, dont plus de 5 % de l'Asie et du Pacifique. Le pourcentage peut paraître faible, mais l'impact de l'augmentation de la superficie couverte par les routes, les lignes électriques, les aéroports et autres grandes infrastructures aura un impact beaucoup plus que proportionnel sur la faune et la flore sauvages. Dans le scénario Durabilité d'abord, la superficie construite continue à augmenter, mais diminue légèrement en Amérique du Nord et en Europe, en dessous de 2 %, à mesure que des politiques d'urbanisme mieux conçues, comportant la construction de villes plus ramassées, de superficie plus réduite, sont adoptées.

L'eau – Le nombre de personnes vivant dans des zones souffrant d'un stress hydrique grave, en chiffres absolus et relatifs, augmente dans presque toutes les régions du monde dans le scénario Marchés d'abord. On estime que 55 % de la population mondiale est touchée par le phénomène, contre 40 % en 2002. Les proportions les plus élevées sont observées en Asie occidentale avec plus de 95 %, et dans la région Asie et Pacifique avec plus de 65 %. Dans le scénario Durabilité d'abord, la proportion de personnes vivant dans des régions frappées par un stress hydrique grave reste à peu près constante ou même diminue à la faveur de méthodes de gestion plus efficaces permettant de réduire les prélèvements d'eau, en particulier pour l'irrigation. En Asie occidentale, la proportion reste de l'ordre de 90 %, mais elle diminue de moitié environ aux États-Unis pour ne pas dépasser un cinquième, tandis qu'en Europe elle diminue d'un tiers actuellement à un peu plus de 10 % en 2032.

Les forêts et la diversité biologique – L'expansion rapide des infrastructures, prévue dans le scénario Marchés d'abord, devrait entraîner la poursuite et la destruction, la fragmentation et la perturbation des habitats et de la faune et de la flore sauvages. Plus de 70 % des superficies émergées pourraient être affectées dans le monde, les impacts les plus graves s'exerçant en Amérique latine et dans les Caraïbes (près de 85 %) et les plus faibles en Asie occidentale (un peu plus de 50 %). Dans le scénario Durabilité d'abord, les impacts de la construction d'infrastructures continuent à s'alourdir, puisqu'ils touchent 55 % des zones touchées, bien que la situation se stabilise en 2032. Un peu moins de 60 % des terres en Amérique latine et dans les Caraïbes subissent les effets de ces constructions d'infrastructures en 2032, et un peu plus de 40 % en Asie occidentale.

Les zones côtières et marines – Dans le scénario Marchés d'abord, la charge d'azote – indicateur d'un large éventail de polluants d'origine terrestre – augmente fortement en Amérique latine et dans les Caraïbes, en Asie et dans le Pacifique, et en Asie occidentale. Alors que l'augmentation de la charge d'azote dans les eaux côtières européennes est généralement moins grave, la côte méditerranéenne subit une pression particulière en raison de plusieurs facteurs : la croissance urbaine, un mauvais traitement des eaux usées, l'essor du tourisme et l'intensification des cultures. La situation est préoccupante dans les estuaires de plusieurs grands fleuves comme le Nil ou le Mississipi. Dans le scénario Durabilité d'abord, une meilleure gestion des eaux usées et des eaux de ruissellement se traduit par une augmentation moins importante de la pollution côtière, sauf en Asie occidentale.

L'atmosphère – Les émissions de dioxyde de carbone résultant de la combustion des combustibles fossiles continuent à augmenter, pour atteindre environ 16 milliards de tonnes par an en 2032 dans le scénario Marchés d'abord (contre 6,2 milliards en 1998). A la même date, les concentrations de dioxyde de carbone dans l'atmosphère dépassent 450 ppm (contre 370 ppm actuellement) et progressent pour atteindre probablement 550 ppm en 2050, soit le double des concentrations avant l'ère industrielle. Dans le scénario Durabilité d'abord, les émissions de dioxyde de carbone augmentent également, mais une modification radicale des comportements, alliée à l'introduction vigoureuse de mesures d'amélioration des rendements énergétiques, laissent présager une baisse de ces émissions. En 2032, les émissions mondiales de dioxyde de carbone sont inférieures à 8 milliards de tonnes par an. Cependant, en raison du temps que mettent les phénomènes à se propager dans les systèmes climatiques, les concentrations dans l'atmosphère commencent à se stabiliser vers 2050 seulement.

L'Afrique menacée par un scénario catastrophe

À défaut de mesures rapides et drastiques, l'Afrique est particulièrement menacée. Augmentation rapide de la pollution atmosphérique et aquatique, dégradation des sols, augmentation des sécheresses, pertes de nombreuses espèces sauvages animales et végétales : tel est le scénario dépeint par un second rapport, "l’Avenir de l'environnement en Afrique" (AEA) que le PNUE vient de faire paraître, début juillet, pour le compte de la Conférence ministérielle africaine sur l'environnement (CMAE).

Les pays d'Afrique ont, au cours des trois dernières décennies, souffert de divers problèmes – croissance démographique, guerres, haut niveau d’endettement national, catastrophes naturelles et maladies – qui, tous, ont laissé leur trace sur les habitants et le riche environnement naturel du continent. Par ailleurs, de nouvelles menaces, dont certaines commencent juste à se manifester, à l'exemple du changement climatique, de la propagation incontrôlée d’espèces exotiques, de l'expansion anarchique des villes ou de la pollution occasionnée par les voitures et l’industrie, risquent, dans les trente années qui viennent, d'aggraver la pauvreté, la détérioration de l’environnement et l’état de santé de la population. Face à cette situation, de nombreux pays d'Afrique s’efforcent actuellement, au moyen d’initiatives telles que le NEPAD (New Partnership for Africa’s Development – Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique), d’éliminer certaines des causes profondes de ce déclin écologique. Ces actions sont cependant loin d'être suffisantes. Un effort beaucoup plus important de la part de tous les pays concernés, qu'ils fassent ou non partie de la région, est nécessaire pour mettre le continent sur une trajectoire économiquement favorable et écologiquement viable. Il faudrait par exemple, pour ne citer que quelques-unes des interventions requises, réduire encore plus le fardeau de la dette, renforcer l’aide financière, responsabiliser les communautés locales, faire appliquer les accords sur l'environnement, introduire des technologies vertes non polluantes, et accorder aux produits africains un accès équitable aux marchés internationaux.

Climat – Alors que la population et l'économie de la plupart des pays d'Afrique dépendent fortement de l'agriculture pluviale, les données météorologiques rassemblées depuis 1900 montrent, à partir de 1968, une baisse constante de la pluviosité annuelle sur l'ensemble du continent. Il est possible que cette évolution soit due à la pollution atmosphérique causée par les activités humaines.Bien que ne paricipant que très peu aux émissions mondiales de gaz à effet de serre (223 millions de tonnes par an s'agissant des émissions de dioxyde de carbone), l'Afrique se révèle extrêmement vulnérable aux effets du réchauffement de la planète en raison de sa dépendance envers l'agriculture et de l'absence de ressources financières permettant de compenser les pertes ainsi occasionnées. Le golfe de Guinée, le Sénégal, l'Égypte, la Gambie, la façade orientale de l'Afrique et les îles de la partie occidentale de l'Océan Indien sont particulièrement exposés aux élévations du niveau de la mer. Une hausse de 1 mètre suffirait pour inonder des parties étendues du delta du Nil, causer d'importants dégâts à la ville d'Alexandrie, et submerger 70 % des Seychelles.

Pollution atmosphérique – L'Afrique possède le taux d'urbanisation le plus élevé du monde. C'est l'une des principales causes de l'accroissement de la pollution, les autres étant les politiques fiscales qui encouragent l'utilisation de carburants "sales", le brusque accroissement des importations de voitures d'occasion souvent vétustes, et le manque d'efficacité des processus de fabrication industrielle. D'après une étude effectuée au Sénégal, le traitement des affections liées à la pollution causée par les véhicules de transport coûte au pays l'équivalent de 5 % de son PIB. En Afrique du Nord, en particulier dans les villes dotées de raffineries ou de centrales électriques fonctionnant au charbon, la concentration de dioxyde de soufre contenue dans l'air atteint dans bien des cas le double de la norme fixée par l'OMS. Si de nombreux pays se sont dotés de normes et règlements relatifs à la qualité de l'air et à la pollution, le manque de ressources ne leur permet pas de les appliquer effectivement.

Diversité biologique – Alors que le continent possède quelques-unes des régions les plus riches de la planète, l'augmentation de la production forestière, agricole et minière, ainsi que d'autres facteurs comme, la pratique de la culture sur brûlis, le braconnage, l'invasion d'espèces exotiques, la méconnaissance de la valeur des ressources biologiques ou simplement l'inadéquation des mesures d'application des législations relatives à la conservation, sont en train d'accroître la pression sur le milieu naturel. Au total, 126 espèces animales et 120 espèces végétales sont portées disparues. 2 018 autres espèces animales ainsi que 1 771 espèces végétales sont menacées d'extinction. Des initiatives de protection, de conservation et de promotion de l'utilisation durable des ressources biologiques et connaissances traditionnelles africaines sont en cours dans plusieurs pays. Dans de nombreux cas, elles se font en partenariat avec des communautés locales, des tribus ou des opérateurs du secteur de l'écotourisme. Nombreux sont également les pays qui ont ratifié les principales conventions telles que la Convention sur la diversité biologique et la Convention sur le commerce international des espèces sauvages menacées d'extinction. Ainsi, l'Afrique du Nord possède maintenant 102 zones protégées. De 260 en 1989, le nombre des zones protégées d'Afrique australe est maintenant passé à 578.

Milieu marin et zones côtières – D'après le rapport, les riches régions côtières et marines du continent sont en danger, du fait de la pollution, de la surexploitation des ressources, de l'érosion et des impacts potentiels des changements climatiques. Environ 38 % des écosystèmes côtiers tels que les mangroves et les récifs de corail se trouvent sous la menace des aménagements comme, par exemple, les ports, et du développement des établissements humains, qui s'accompagne d'une augmentation des rejets de déchets. Par ailleurs la surexploitation des ressources halieutiques par les flottes de pêche locales et étrangères a provoqué une réduction des stocks au point les dix prochaines années verront un important déclin de l'offre dans toute l'Afrique. En dépit de divers programmes, plans d'action et conventions, le continent manque cruellement de moyens, humains et financiers, mais aussi sans doute d'une véritable volonté d'application effective des règlements. .

 

ResSources
Commander le rapport GEO-3
Earthprint Limited Order Dept. GEO 3
PO Box 119 – Stevenage, Hertfordshire SG1 4TP, Royaume-Uni
Tél. : +44 14 3874 8111 – Fax : +44 14 3874 8844
Prix : 37,50 dollars
Nations unies – Archives Presse
Réf. PNUE/57 pour le rapport GEO-3
Réf. PNUE/63 pour le rapport A


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Préserver l'eau d'ici pour éviter à l'humanité l'au-delà

 

Olivier JACOULET
journaliste, ancien chef d'édition au service mondial de la BBC
ancien porte-parole d'Amnesty International à Londres

H2o – septembre 2002

 

Nouveau raout onusien à Johannesburg en Afrique du Sud : des dizaines de milliers de personnes, des chefs d'État et de gouvernement, des experts se sont une nouvelle fois mis au chevet de la planète pour tenter de laisser à nos descendants une terre à peu près dans l'état où nous l'avons trouvée en y apparaissant. Ont-ils eu le courage et le temps de se jeter à l'eau pour tenter d'élaborer une véritable stratégie de développement durable de l'eau ? Pas vraiment, le problème est difficile et les enjeux multiformes.

L'eau est en effet un milieu complexe et fragile. Elle est inégalement répartie sur terre. C'est le Brésil, pays organisateurs du sommet de la Terre de Rio en 1992, qui possède les plus importantes réserves d'eau naturelle avec quelques 5 670 km3. Qu'elle vienne à manquer ou en trop grande quantité, l'eau devient alors synonyme de mort. En proportion raisonnable, elle assure la survie de tous les êtres vivants. Mais aujourd'hui, plus d'un milliard d'êtres humains n'ont pas accès à l'eau potable. Toutefois et contrairement à ce que l'on croit généralement, l'eau à usage domestique ne mobilise qu'un faible pourcentage des réserves mondiales (8 %). C'est l'irrigation qui pompe le plus ces réserves (70 %).

Hydropolitique

L'enjeu est de taille à tel point qu'on peut parler "d'hydropolitique". Déjà au 7ème siècle avant JC, des cités grecques s'étaient réunies en association et prêter serment de ne pas se priver d'eau mutuellement, même en cas de guerre. L'eau représente depuis toujours en effet un enjeu stratégique et une source de conflits dans le monde, malgré l'existence d'environ 300 traités internationaux beaucoup trop disparates. Comme le souligne Jacques Sironneau dans son ouvrage "L'eau, nouvel enjeu stratégique mondial" (Éditions Économica, 1996), "L'eau apparaît de plus en plus comme un enjeu stratégique générateur de situations conflictuelles entre États, qui demeurent largement dominées par les rapports de forces en l'absence d'une véritable législation internationale dans le domaine".

Plus de 30 % des tracés frontaliers correspondent à des supports hydrographiques, comme par exemple le Rhin qui marque la frontière entre l'Allemagne et la France ou encore les étendues marécageuses du Chatt-El-Arab entre l'Iran et l'Irak. Il y a sur terre à peu près le même nombre de bassins fluviaux que d'États (200). Et, par conséquent, autant de risques de conflits.

Les fleuves, les cours d'eau peuvent servir de barrières naturelles ou au contraire de moyens d'infiltrer un État. On peut aussi polluer, ou menacer de polluer, un cours d'eau en amont pour aller contaminer les populations en aval. En 1943, l'aviation britannique allaient bombarder les barrages allemands qui fournissaient de l'eau et de l'électricité à l'industrie de guerre nazie.

Il existe de nombreux exemples de tensions, de litiges ou de conflits larvés entre États pour le contrôle de zones hydrographiques. Citons : les différents litiges entre la Turquie d'un côté et la Syrie et l'Irak de l'autre à propos de l'exploitation des eaux du Tigre et de l'Euphrate ; les tensions entre l'Égypte, le Soudan, l'Éthiopie et la Tanzanie pour le contrôle et l'exploitation des eaux du Nil ; le désastre écologique de la mer d'Aral et les tensions entre les républiques d'Asie centrale sur l'exploitation de l'Amou-Daria et du Syr-Daria ou encore le futur barrage des Trois-Gorges sur le Yangzi Jiang, en Chine, qui en fera le plus gros barrage du monde.

Au Proche-Orient, c'est la question de l'eau qui domine et qui dominera pour longtemps encore les relations entre les pays arabes et Israël. Boutros-Boutros Ghali, alors ministre égyptien des Affaires étrangères déclarait en 1987 : "la prochaine guerre dans notre région concernera l'eau. Pas la politique". Ses propos faisaient échos à ceux d'Alexandre de Maranches, ancien chef des services secrets français, qui, il y a quelques années, confirmait que l'eau deviendrait une source majeure de conflit au 21ème siècle. Pour sa part, Golda Meir, premier ministre israélien déclarait en 1967, au lendemain de la destruction par Israël d'un barrage syrien du Golan : "Les pays qui tentent de détourner le Jourdain ne jouent pas seulement avec l'eau mais avec le feu". Toutes les relations entre Israël et ses voisins sont sous-tendues par cette question hydropolitique. En 1919, le président de l'organisation sioniste mondiale demandait au premier ministre britannique que les frontières de la Palestine soient déterminées en fonction de considérations hydrographiques. Plus de 75 ans plus tard, le compromis de Taba entre Israël et l'Organisation de Libération de la Palestine, assura à Israël le contrôle temporaire en eau et en électricité de la Cisjordanie.

Aujourd'hui, les conflits sont de plus en plus urbains et frappent de plus en plus les civils. Les installations d'eau deviennent des cibles en violation souvent avec le Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1949, premier document moderne interdisant la destruction, entre autres, des réseaux d'eau potable.
Les dégâts aux installations en eau provoquent l'arrêt du traitement des eaux, des risques de contamination et de maladies (diarrhées, dysenteries, hépatites, choléra) pour les populations civiles. La destruction des installations électriques entraîne la réduction voire l'arrêt de la distribution d'eau potable. En outre, le prix de l'eau augmente, la pression n'est plus suffisante. Les civils sont contraints de sortir de chez eux et d'aller chercher de l'eau dans des camions-citernes s'exposant ainsi aux bombardements et aux tireurs embusqués.

Que faire face à ce constat humainement dramatique ? Bien sûr, en cas de crise, il faut gérer l'urgence : fournir et produire de l'eau propre à la consommation pour les populations sinistrées ; protéger les sources. Lorsqu'au Yémen en 1994, les belligérants voulaient détruire les installations qui alimentaient Aden, la capitale, en eau potable, il fallut négocier ferme pour convaincre les agresseurs de ne pas mettre leurs menaces à exécution. La médiation, la négociation demeurent des armes tout aussi efficace même en temps de guerre. Bien sûr, il faut renforcer les instruments internationaux existants.

La communauté internationale ne doit pas abdiquer devant la tâche qui reste à accomplir, même si les conflits modernes ont souvent lieu en milieu urbain, dans des États en décomposition, et entre des factions autonomes prêtes à tout. Il faut éduquer et convaincre par le biais de sommets, comme celle de Johannesburg et par la pression médiatique des opinions.

Il faut surtout préserver l'eau d'ici pour éviter à l'humanité l'au-delà. .

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Réglementer les possibilités de conflits

 

L'interview de Najib ZEROUALI
ministre de l'Éducation, de la Recherche et de la Formation des cadres – Maroc

propos recueillis par Nicole MARI lors du Symposium international de l'eau de Cannes
H2o – juin 2002

 

Ministre de l'éducation, de la recherche et de la formation des cadres, Président de la commission nationale Unesco au Maroc, récipiendaire du prix international de l'eau et gestion en 2000, Najib Zerouali, qui a participé à la création de la chaire de l'Unesco "Eau et gestion durable", dépeint les méfaits de la sécheresse dans son pays et défend le principe d'une coopération internationale.

 

En quoi l'eau intéresse-t-elle votre ministère ?

D'abord, le Maroc, en matière de politique de l'eau, est un pays qui aujourd'hui constitue un modèle. Nous avons, dans les années 1960, donné une place particulière à la stratégie de l'eau. La politique des barrages, à l'époque, fort critiquée, s'avère aujourd'hui fort heureuse pour un pays qui, depuis quelques années, vit des périodes de sécheresse assez importante. Hassan II avait lancé un appel international car il pensait déjà que l'eau allait poser un problème du fait de sa raréfaction et de son importance vitale. Ensuite, l'eau n'est pas un problème exclusivement d'ingénierie. Aujourd'hui, la politique de l'eau nécessite une multidisciplinarité, dans laquelle l'éducation à l'eau, la communication, la recherche et le développement aussi bien en matière de dessalement et de purification que de recyclage des eaux usées, la possibilité d'aménagement de territoire, la législation et la réglementation sont des domaines qui deviennent fondamentaux pour une gestion durable de cette denrée rare, source de vie.

Quelle est la situation actuelle de l'eau au Maroc ?

Tout dépend des conditions climatiques. Le Maroc est devenu un pays semi-aride, mais les barrages ont atténué les effets de la sécheresse, qui s'est plus répercutée sur l'agriculture que sur l'accès à l'eau potable. Le Maroc, heureusement, a connu des cycles variables avec une alternance de sécheresse et de pluviométrie correcte. Par exemple cette année, il y a eu, à partir du mois de mars, une pluviométrie qui a rempli les barrages, ce qui nous permettra d'aborder, l'année prochaine, relativement armé pour faire face aux difficultés. Le pays étant très conscient des problèmes de l'eau, toute la stratégie nationale est particulièrement orientée vers la gestion des ressources en eau. Mohammed VI a mis en place un Conseil supérieur de l'eau. Une commission interministérielle, présidée par le Premier ministre et dont mon ministère fait partie, inventorie tous les problèmes et les solutions à apporter. Du fait de la sécheresse, les données climatologiques sont en train de changer et il faut réadapter le programme hydraulique en cours à ces nouvelles données.

Ce changement a-t-il eu des effets sur l'agriculture et l'économie ?

Absolument. Le Produit intérieur brut (PIB) agricole représente environ 19 % du PIB national. L'agriculture souffre de la sécheresse. Il faut trouver toutes les alternatives. D'autre part, la sécheresse, en restreignant l'emploi local, a favorisé un exode rural de plus en plus important avec tous les problèmes qui l'accompagnent. Les secteurs concomitants à l'agriculture ont également été touchés. L'effet s'est répercuté sur le taux de chômage et d'une façon importante sur le PIB global. Des réajustements sont nécessaires avec le développement du monde rural, les alternatives en matière de stratégie agricole et évidemment la répartition des ressources hydriques et autres.

Le Maroc a privatisé la distribution d'eau, comment cela se passe-t-il ?

La distribution en zone urbaine a été concédée à des sociétés privées, notamment Vivendi Universal, La Lyonnaise des eaux et Aredal. Dans le monde rural, l'ONEP, l'Office national de l'eau potable, continue à être le principal fournisseur et distributeur. Pour maintenir un certain équilibre des prix, l'eau est payée par tranches sociales : inférieur à 25 m3 par mois, 25 à 60 m3, au dessus de 60 et au dessus de 150 m3. Pour les tranches les plus basses, l'eau n'est pas chère du tout, de manière à permettre un paiement du m3 adapté aux conditions sociales. Même la privatisation de la distribution a pris en compte l'aspect social de manière à faire payer aux économiquement faibles un prix très bas.

Les transferts d'eau sont la nouvelle marotte des institutions internationales. Quelle est la position du Maroc à ce sujet ?

C'est un problème très délicat. A un moment ou un autre, ces transferts vont devenir nécessaires, puisque l'eau est une ressource naturelle. Si elle se raréfie, elle va poser un problème de survie. Mais l'approche de ces transferts doit tenir compte de la solidarité de la coopération internationale. Comme je l'ai dit, il y a deux ans, il faut mettre en place un droit international de l'eau qui réglemente les possibilités de conflits. Les fleuves communs à plusieurs pays font l'objet de conventions entre pays voisins. Or, va se poser à un moment la nécessité de transferts vers des pays non-voisins, qui peuvent être sources de conflits, d'hégémonie ou de toutes autres utilisations abusives. D'où l'importance de la mise en place d'une réglementation internationale.

Avez-vous déjà songé à la possibilité d'acheter de l'eau comme l'Égypte l'envisage avec le Japon ?

Non. Aujourd'hui, l'orientation du Maroc est d'utiliser ses propres ressources. Le pays dispose de 3300 kilomètres de côtes. Par conséquent, une place particulière est donnée à la recherche en matière de dessalement de l'eau de mer. En cas d'échec de cette orientation, le Maroc se tournera peut-être vers d'autres solutions. Pour l'instant, il est important que la communauté internationale se rassemble autour de ce problème. Dans la région MENA, allant du Maroc jusqu'à la péninsule arabe, qui est la plus exposée à la raréfaction de l'eau, existe au niveau des ministres de l'enseignement supérieur l'idée de regrouper la coopération dans le domaine de la recherche scientifique autour de la dessalinisation. Avez-vous déjà initié une coopération avec les pays voisins ? Oui. Nous avons une coopération importante avec la Tunisie. D'autres sont en train de se mettre en place, puisque le problème de l'eau s'internationalise. Comme il commence à devenir une priorité à l'échelle mondiale, le domaine de la coopération dans l'eau s'élargit de plus en plus. .

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Les transferts d'eau seront source de conflits

 

L'interview de Matoug Mohamed MATOUG
président du National Scientific Research Board – Libye

propos recueillis par Nicole MARI lors du Symposium international de l'eau de Cannes
H2o – juin 2002

 

Ancien ministre libyen de l'éducation et des sciences, président du National Research Board, Matoug Mohamed Matoug décrit la situation de l'eau en Libye et les solutions adoptées pour assurer les besoins. Il dénonce les transferts d'eau et prône la coopération régionale.

 

Quelle est la situation de l'eau en Libye ?

Celle d'un pays pauvre en eau. Reconnaissant ce fait, Mouammar al-Kadhafi, notre Guide, a dans les années 1970, non seulement pour la Libye mais pour tous les pays arabes, organisé des réunions avec des experts agricoles et hydrauliques. Nous avons fait des études et établi une stratégie en trois points sur le long terme : la production d'eau avec le dessalement de l'eau de mer, le traitement des eaux usées et la gestion des ressources par la création d'un corps de gestion efficace de l'eau. Le Guide a également décidé de transporter l'eau du sud vers les villes côtières du nord, qui utilisent 70 % de l'eau pour les besoins de l'agriculture et 30 % pour des besoins industriels et domestiques. Ainsi est né le projet de la grande rivière artificielle, qui permet de puiser dans les nappes aquifères pour plus de 50 ans. La production est assurée par les autorités nationales et la gestion par les autorités locales. Aujourd'hui, nous effectuons des recherches pour augmenter notre savoir, nous étudions les nouvelles technologies et la possibilité d'utiliser l'énergie solaire pour le dessalement. Notre objectif est de sécuriser l'avenir sur l'eau.

Quels sont les besoins de la population ?

La Libye consomme 2 millions de m3 par jour pour ses besoins domestiques et industriels et 3,4 millions pour l'agriculture et l'irrigation. Pour ces besoins, nous allons consommer en 20 ans les volumes de la Grande rivière. Nous utilisons déjà cette eau en agriculture pour lutter contre l'intrusion des sels marins dans les sols agricoles. Globalement 90 % des besoins du pays sont satisfaits. Nous avons d'autres projets de barrages, notamment ceux de Tobrouk et de Tcherbou.

Quel est le coût global du projet pharaonique de la Grande rivière ?

Environ 16 milliards de dollars, qui ont été notamment financés par les taxes sur les produits importés, à l'exception des produits alimentaires. De plus, 25 à 30 % du budget de recherche du gouvernement est alloué pour développer de nouvelles techniques de désalinisation et de traitement de l'eau. Globalement, le gouvernement consacre 20 % de ses ressources au secteur énergétique.

Que pensez-vous de la politique de transfert d'eau défendue par la Banque mondiale ?

L'eau est un bien dont tout le monde a besoin. C'est une erreur de l'évaluer comme un bien commercial et d'en faire un enjeu de transfert. Nous devons établir une loi qui dit que tout le monde a droit à l'eau. L'eau est essentielle à la vie. Si vous n'avez pas de pétrole, vous pouvez avoir du bois pour vous chauffer ou vous éclairer. Vous pouvez vivre sans lumière, mais pas sans eau. La technologie de l'eau est un business, mais l'eau, en tant que bien, non. Les pays doivent utiliser leurs ressources naturelles et ensuite, se partager les ressources régionales. Les transferts d'eau doivent se faire dans le cadre d'une coopération économique et non dans une simple transaction financière. Vendre de l'eau va faire naître ou envenimer les désaccords entre pays et entre populations et sera source de conflits. Un pays peut fermer les vannes et tuer des milliers de gens. Regardez ce qui se passe entre la Turquie, la Syrie et l'Irak.

Songez-vous développer dans ce secteur la coopération régionale ?

Dans le milieu des années 1990, les pays arabes et d'autres pays du continent ont reconnu le problème de l'eau. Mais aucune stratégie arabe ou régionale n'a été mise en place. C'est encore juste un rêve, dont nous espérons la réalisation. Des projets existent néanmoins d'échanger de l'eau entre le Tchad, le Soudan, l'Égypte et la Libye, mais l'eau n'est pas propre. Avec la Tunisie, également, des projets sont à l'étude. Nous avons aussi entamé des négociations avec la Tunisie et l'Algérie pour pomper ensemble l'eau du bassin commun de Bagadès, au sud de l'Arabie. Depuis cinquante ans, ce bassin est utilisé par les Algériens et les Tunisiens pour irriguer les palmeraies de la région.

Avez-vous initié des projets avec des États africains ?

Oui, plusieurs projets initiés par la Libye sont à l'étude. Notamment de prendre de l'eau au Congo et de l'apporter dans d'autres pays africains. Il y a des projets pour relier l'eau des rivières et créer une sorte de pipeline, d'aqueduc des pays producteurs d'eau vers ceux qui en manquent. Nous pensons également pour résoudre les problèmes de sécheresse du Sahel, mettre en place, sur le pourtour méditerranéen, des grandes usines de dessalement de l'eau de mer et transporter l'eau vers de grandes unités dans les pays du Sahel. Ces idées sont à développer. .

 

ResSources
État de l'eau en Libye
L'interview de Omar SALEM
– General Water Authority (Libye)
Le projet GM-MR
L'eau, cadeau du désert – reportage H2o

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Le conflit d'intérêts est l'ennemi du développement

 

L'interview de Gérard CHETBOUN
vice-président de Tams – États-Unis

propos recueillis par Nicole MARI lors du Symposium international de l'eau de Cannes
H2o – juin 2002

 

Vice-président de Tams, société américaine d'ingénierie-conseil, en charge de l'Afrique, Gérard Chetboun explique, à travers la situation de l'Éthiopie, les conflits d'intérêts issus du partage de l'eau et des nécessités conjointes de développement.

Quelle est la spécificité du problème de l'eau en Éthiopie ?

L'Éthiopie doit faire face à des problèmes courants d'utilisation des eaux. Elle a un problème d'autant plus grave qu'elle jouit d'une grande disponibilité de l'eau. Mais du fait de certains accords, comme le principe d'Helsinki, elle ne peut exploiter ses eaux sans un accord préalable avec les pays en aval, l'Égypte et le Soudan. Le principe d'Helsinki dit que quand un pays exploite une certaine quantité d'eau, il est difficile de réduire cette quantité même si ce pays bénéficie d'un niveau de développement assez avancé. Ce principe fixe la demande telle qu'elle est aujourd'hui. Par conséquent, il pénalise les pays non encore développés, qui doivent entamer des négociations pour augmenter leur demande. Or, dans la mesure où l'Éthiopie se développe, elle le fera au détriment de certaines quantités d'eau qui ne vont pas arriver en Égypte. Donc, il y a conflit d'intérêts et il est indispensable, avant tout développement, d'arriver à des accords entre les pays en amont et en aval.

Pourquoi ?

Le conflit est l'ennemi du développement. Sans accords, il est aujourd'hui difficile à l'Éthiopie de trouver des fonds d'investissements. Les bailleurs de fonds et la Banque mondiale refusent dans ces conditions d'accorder des prêts. Ainsi chaque pays est condamné à trouver un accord pour obtenir des financements et une aide internationale.

Quels sont les ressources et les besoins en eau de l'Éthiopie ?

C'est peut-être le pays qui a le plus de ressources. Il a la densité la plus forte au monde de potentiel de sites économiquement valables de centrales hydroélectriques. Mais dans la réalité, le pays a souffert pendant plusieurs années d'un système politique inadapté à son développement et qui l'a fait reculer cinquante ans en arrière. Il doit maintenant faire face à des critères de développement différents de ceux qui ont eu cours pendant cette période d'économie planifiée. Aujourd'hui, le pays s'est ouvert à une économie de marché. Donc, dans la mesure où l'eau est le pilier du développement et qu'elle est disponible, le pays théoriquement peut accéder au développement. Pour cela, il a besoin d'investissements qui, et c'est un cercle vicieux, ne sont valables que si l'eau disponible est utilisée en accord avec les pays en aval. C'est une situation assez curieuse.

Ce qui signifie que l'Éthiopie aujourd'hui manque d'eau ?

Non. Personne ne meurt de soif dans le pays. L'Éthiopie ne manque pas d'eau, mais de moyens d'utiliser cette eau. C'est pourquoi nous avons mis sur pied un projet intégré de développement d'une région, Baro Akobo, commandité par Addis Abeba afin de lui servir de base dans les négociations futures avec les pays en aval. Son coût global avoisine les 2,5 milliards de dollars sur 30 ans.

La situation est-elle identique pour l'Égypte et le Soudan ?

Non. L'Égypte bénéficie d'un certain développement. Mais elle a toujours des problèmes d'eau car elle est dépendante des pays en amont. 80 % des eaux utilisées viennent d'Éthiopie. Son niveau de développement dépend de ses ressources en eau, qui ont atteint aujourd'hui, un pic. L'Égypte ne peut plus développer davantage. Elle a des contraintes. Elle risque de ne plus avoir d'eau. Si les pays en amont se développent, ils le feront au détriment de l'Égypte. Ces pays ne peuvent s'en sortir qu'au moyen d'accords.

Comment s'accorder si le développement de l'un est tributaire de celui de l'autre ?

Il y a toujours des concessions à faire. Le conflit d'intérêt est très fort. L'Égypte ne peut pas renoncer à poursuivre son développement et à réaliser ses projets, dont celui d'aménager une mer intérieure à l'ouest d'Assouan. Pour le Soudan, la situation est différente, car le pays est beaucoup moins développé et a moins de projets.

Ce conflit d'intérêt peut-il dégénérer en une guerre de l'eau ?

Officiellement, les pays ont la volonté d'arriver à un accord, mais dans quelle mesure ? On ne peut pas refuser à l'Éthiopie le droit de se développer.

Dans ce contexte les transferts d'eau ne vont-ils pas alimenter les conflits ?

Non. Le transfert d'eau par définition répond à une demande de développement et prévoit un accord entre pays vendeur et pays bénéficiaire. Il apporte une stabilité régionale et politique. Quand les intérêts s'entremêlent, il est plus facile de maintenir la paix avec le respect des traités. Le transfert est la solution d'avenir pour régler les problèmes d'eau. Le seul moyen d'éviter les tensions entre les pays est l'interconnexion, qui permet un développement durable. .

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La solution passe par la concurrence et les subventions croisées

 

L'interview de Bernard COLLIGNON
directeur de Hydroconseil – France

propos recueillis par Nicole MARI lors du Symposium international de l'eau de Cannes
juin 2002 © h2o.net

Directeur de Hydroconseil, bureau d'études spécialisé dans les domaines de l'hydraulique et du développement sur les aspects de gestion, d'appui aux opérateurs locaux avec pour cible, les populations à bas revenus des petites villes et des zones péri-urbaines, Bernard Collignon livre son expérience africaine et brosse un tableau de la situation de l'eau sur le continent.

En tant qu'observateur particulier de l'Afrique, comment jugez-vous la situation de l'eau ?

Le service de l'eau s'est fortement dégradé dans les années 1970 et 1980, les compagnies des eaux n'ont plus investi alors que la population urbaine a doublé en 12 ans. Le taux de couverture des besoins s'est effondré. En 1990, la donne a changé avec l'irruption des opérateurs privés locaux et internationaux, qui, à l'exception de la Côte d'Ivoire, étaient quasiment absents en Afrique. Il y en a aujourd'hui de plus en plus : de grands groupes internationaux dans les grandes villes et des petites entreprises locales dans les petites villes ou dans des niches de marché, des quartiers ou des segments de population mal alimentés. Aujourd'hui, la situation a tendance à s'améliorer dans les secteurs de l'eau et de l'énergie, mais peu dans celui de l'assainissement.

Pourquoi ce secteur reste-t-il déficitaire ?

Pour des raisons techniques, et parce que l'assainissement est surtout autonome. Les gens consomment très peu d'eau, et les densités de populations ne sont pas fortes. La plupart des familles possèdent leurs propres fosses septiques. C'est une affaire privée, l'artisan construit la fosse et le camion la vidange. Il est impossible de faire fonctionner un égout dans ces conditions-là et de monter une politique publique d'amélioration de l'assainissement autonome. Au Burkina-Faso néanmoins, l'État est intervenu de manière efficace avec un très bon programme d'assainissement financé sur fonds propres. Ce pays, l'un des plus pauvres du monde, n'ayant pas d'argent pour financer des latrines chez tout le monde, a décidé d'octroyer une aide, une "carotte", qui représente 10 à 20 % du montant des latrines. Le principe est simple : les familles ont droit à la subvention, si elles achètent un modèle amélioré sur le plan sanitaire et environnemental. L'aide ne représente pas toujours le surcoût engendré par le modèle amélioré, mais c'est une incitation à tirer les standards vers le haut. La réponse des usagers a été très positive. 50 % des familles de Ouagadougou sont entrés dans le système. La subvention est entièrement financée par une surtaxe sur le prix de l'eau, c'est-à-dire que l'eau finance l'amélioration de l'assainissement. C'est assez classique, l'originalité est d'utiliser cette méthode pour financer les améliorations de l'assainissement autonome.

Quels sont les autres exemples de réussite dans ce secteur ?

La success story, c'est la SODECI en Côte d'Ivoire. Cette compagnie a le meilleur taux de connexion, soient 9 branchements pour 100 habitants, ce qui signifie que pratiquement chaque famille dispose d'un branchement. C'est, en même temps, une compagnie suffisamment rentable pour financer sur fonds propres une bonne partie de ses investissements, comme les extensions de réseau, sans dépendre des bailleurs de fonds. Alors que la plupart des sociétés d'eau africaines n'investissent que sur de l'argent pas cher, des prêts concessionnels ou des dons internationaux. La SODECI jouit à la fois d'un bon service, d'un bon niveau d'autofinancement et d'un très bon système de subventions croisées entre la capitale et les petites villes. Elle dessert 544 villes, c'est-à-dire autant que toutes les autres compagnies de la région. Par comparaison, EDM au Mali dessert 16 villes et SNDE en Mauritanie, 12. La SODECI est capable de desservir des petites villes où elle est déficitaire en limitant les frais. L'argent perdu est récupéré par une augmentation du tarif national. Ce système de subvention croisée est la solution pour alimenter les zones désertiques et les habitats isolés. Mais il ne peut être organisé que si un gouvernement fait jouer la solidarité grâce à un fonds spécial alimenté par un petit pourcentage des factures d'eau. C'est une péréquation, qui ne marche que quand 90 % de la population peut payer le supplément afin que les 10 % restant bénéficient d'un service de l'eau.

Et les échecs flagrants ?

D'abord, les pays, ou le taux de couverture est inférieur à 3 ou 4 pour 100 habitants. Là, une famille sur 5 est connectée. C'est le cas du Mali, du Niger et du Tchad. Personne ne peut dire qu'il y a un service de l'eau puisque la plupart des gens n'y ont pas accès. Ensuite, les pays où il y a un réseau et des connexions mais pas d'eau dedans, comme en Algérie ou au Kenya, où le service de l'eau ne marche absolument pas. Les entreprises publiques n'ont pas de stratégie de recouvrement de facture. Les tarifs, fixés par l'État à un niveau trop bas, pas réaliste, ne couvrent pas le coût d'exploitation. Résultat : le service se dégrade.

Comment analysez-vous ce qui s'est passé aux Comores où Vivendi a reçu beaucoup d'argent pour un service qu'il n'a pas rendu et a fui, bénéfices réalisés, devant la colère des usagers ?

Les Comores sont un exemple très intéressant, car c'est un processus qu'on essaye de répliquer dans d'autres pays avec les contrats DBL, Design, Build and Lease, où un opérateur est appelé pour concevoir, construire et gérer. Le point faible de ce contrat est d'attirer une entreprise qui veut simplement faire de la marge sur les travaux. Rien ne garantit qu'elle aura envie d'assurer le service derrière, souvent peu rentable. C'est ce qu'a fait Vivendi. Les Philippins appellent ce type de contrat : DBR, Design, Build and Remove. Mais ce n'est pas un problème de compagnies privées, mais de banques d'investissements, comme la Banque mondiale, qui, ayant des procédures de décaissements très lourdes à mettre en œuvre, n'investissent que tous les 20 ans. Alors que dans le service de l'eau, on investit tous les ans. Le mécanisme international de financement déséquilibre les contrats par l'espérance de revenus entre la construction et l'exploitation. Dans un réseau en très mauvais état, les investissements de départ sont très forts et le marché de travaux peut représenter l'équivalent de 20 années de recettes d'exploitation. Les enjeux sont tellement disproportionnés, que quand une compagnie obtient le contrat de travaux, il y a toujours le risque qu'elle ne soit pas intéressée par l'exploitation.

Quelle est la solution ?

Je ne vais pas parler de solution, mais d'ingrédients. L'ingrédient de base, c'est la concurrence, c'est l'élément vital. Le secteur privé ne peut jouer un rôle intéressant que s'il est sous le feu de la concurrence au niveau de la production, des marchés publics et de la distribution. Il existe des exemples de mise en concurrence régulière dans certaines villes, où les concessions sont accordées par quartier pour une durée de 5 ans. Les résultats des compagnies opérant dans les quartiers différents sont mis en balance lors du prochain appel d'offres. Sans compétition, pour maintenir un bon niveau de service, les gouvernements sont obligés de mettre en place des organismes de régulation. Ce qui relève du rêve dans des pays africains confrontés à la corruption et où la loi ne règne pas. Par contre, la concurrence est un instrument de régulation naturelle qui marche partout.

Ce système concurrentiel existe-t-il en Afrique ?

Oui, en Somalie. Toute personne, qui veut fournir de l'eau, est libre d'investir, de construire un forage, de poser des tuyaux et d'avoir des clients. Il y a peu de contraintes légales, mais un risque politique fort que les opérateurs privés mesurent. Ils ne cherchent pas de l'argent facile, mais une vision sur l'avenir et la certitude de ne pas être exproprié. C'est le grand risque dans ce secteur. Les opérateurs s'en protègent par leur clientèle. Il y a un exemple étonnant en Mauritanie, où 200 petits concessionnaires ont des contrats de délégation de gestion d'un mois, toujours renouvelés. Ces contrats sont rarement cassés, car le faire équivaudrait pour un responsable politique à prendre le risque de couper l'eau. Tant que le service marche, le contrat aussi.

Quelle est votre position sur le prix de l'eau ?

L'ambiguïté vient du terme "eau", alors que nous parlons du service et de la fourniture d'eau. C'est réellement une matière première avec tout ce que cela implique de travail humain. Le débat est pollué par la symbolique. Pour une ménagère africaine, l'eau n'a jamais été quelque chose de pur et de gratuit, c'est de la sueur qu'elle va chercher à la borne fontaine et c'est de l'argent. Elle achète de l'eau et fait des arbitrages chaque matin, selon l'argent dont elle dispose, entre acheter l'eau ou perdre du temps à aller le chercher. C'est le cercle vicieux de la pauvreté. Pour les pauvres, l'accès aux services de base est cher et laisse moins de temps pour sortir de la pauvreté. Pour cette ménagère, l'eau n'est pas un bien social, c'est une marchandise. Elle ne refusera pas de payer un porteur, qui peut même être son fils. Porteur d'eau est un métier de pauvre.

Quelle est la part de revenu qu'un ménage africain consacre à l'eau ?

De l'ordre de 1 %. L'eau génère, de la même manière, environ 1 % des emplois informels. Un chef de famille consacre, en milieu urbain, 10 % de ses revenus à tout ce qui concerne la maison, l'eau, l'électricité, les impôts fonciers, etc. Plus il se rapproche du centre ville, plus c'est cher, mais plus il sera près du travail avec plus de chance de mieux gagner sa vie. C'est un arbitrage que fait une famille, si elle a beaucoup d'actifs. Quand, dans un quartier, l'eau n'est pas chère, souvent par compensation, les loyers le sont. Le propriétaire fait du bas prix de l'eau un argument pour attirer des familles aux revenus plus élevés. C'est d'ailleurs la grosse difficulté des programmes d'amélioration des bidonvilles. Quand vous apportez, dans un bidonville, l'eau, l'électricité et la voirie, les loyers s'envolent et vous chassez les habitants les plus pauvres. C'est systématique.

Les pauvres se trouvent donc dans une impasse ?

Pas nécessairement. Au Burkina Faso, en 1982, Sankara a sorti un décret qui stipule que tout habitant de Ouagadougou est légalement propriétaire de l'endroit où il habite. Cela n'a rien coûté au gouvernement et, du jour au lendemain, tous les gens ont été régularisés. On est passé d'un trait de plume de 40 % d'habitat illégal à 0 %. Ces gens, devenus propriétaires, ont amélioré leur habitat. Cela a remarquablement marché.

Où est, selon vous, le problème de l'eau en Afrique ?

Le problème, c'est que les grands absents des débats sont les municipalités. En France, vous n'imaginez pas de parler d'eau sans les maires. En Afrique, on le fait. On négocie un contrat avec la banque, le gouvernement et l'entreprise internationale. C'est heureusement en train de changer avec la montée en puissance des collectivités locales. Car s'il y a bien quelqu'un qui peut faire de la régulation, ce sont les élus municipaux, plus perméables à l'opinion publique que les administrations nationales car plus proches. Le processus de décentralisation des pouvoirs, qui se met en place en Afrique, est, en ce sens, une belle opportunité pour l'avenir. .

 

ResSources
Les opérateurs indépendants de l’eau potable et de l’assainissement dans les villes africaines, par Bernard COLLIGON Marc VÉZINA – article publié par H2o.

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Pour une dynamique de concertation Nord-Sud-Sud solidaire et mutuellement profitable

 

Chedli FEZZANI
secrétaire exécutif de l'Observatoire du Sahara et du Sahel – Tunisie

propos recueillis par Martine LE BEC-CABON
Atelier international de l'UNESCO sur les aquifères africains – Tripoli, juin 2002



L'OSS, dont la naissance a coïncidé avec le sommet de Rio est l'une des rares organisations auxquelles l'Agenda 21 fait explicitement référence comme institution à caractère novateur. L'organisation, qui dès sa création s'est concentrée sur la connaissance des ressources naturelles et la capitalisation des savoirs, a depuis 1997 complètement recentré ses programmes, en vue d'apporter le soutien nécessaire aux processus nationaux et sous-régionaux de mise en oeuvre de la Convention sur la Lutte contre la Désertification (CDD). C'est à ce titre que l'OSS a mis sur pied un dispositif d'observation et de suivi de l'environnement (le programme DOSE) au sein duquel un réseau d'observatoires de surveillance écologique à long terme est d'ores et déjà opérationnel dans 11 pays africains (Algérie, Cap Vert, Égypte, Éthiopie, Kenya, Mali, Maroc, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tunisie). Au-delà de la collecte d'informations sur l'état des ressources et sur la dynamique de la désertification, le programme développe des outils de mesure de l'impact des activités humaines ainsi que divers outils d'aide à la décision. Par ailleurs, un autre programme, le programme SID/SISEI, développé en partenariat avec l'Institut des Nations Unies pour la Formation et la Recherche, a permis la mise en place des premiers portails internet, dédiés aux politiques environnementales. "Les divers outils que nous avons élaborés – systèmes d'information, indicateurs, tableaux de bord – visent en premier lieu à permettre aux institutions et États de disposer d'informations fiables sur la dégradation des ressources et d'engager en toute connaissance de cause les actions de prévention, de correction et de renforcement adéquates", explique Chedli Fezzani, Secrétaire exécutif.

Le programme Aquifères

Parmi ses programmes de gestion durable, l'OSS a entre autre lancé le programme "Aquifères des grands bassins". Centré autour de la gestion concertée des ressources en eau non renouvelables de la zone sahélo-saharienne, ce programme vise à favoriser la mise en place, par les pays, de stratégies et d'outils communs de gestion concertée des aquifères partagés. Il s'est initialement concentré sur les deux grands systèmes nord-africains : le système aquifère du Sahara septentrional (SASS), partagé par l'Algérie, la Tunisie et la Libye, et couvrant une superficie d'un million de km2 et le système aquifère nubien, plus connu par sa superficie (2 millions et quelques de km2) et partagé entre la Libye, l'Égypte, le Soudan et le Tchad. L'observatoire a notamment publié une monographie du système nubien à l'appui des diverses recherches effectuées pendant vingt ans par l'Université de Berlin. Son travail s'étend aujourd'hui aux autres aquifères sahélo-sahariens : le bassin des Illumenden, partagé par le Niger, le Nigeria et le Mali, ou encore le bassin côtier sénégalo-mauritanien, essentiel pour le développement agricole local.

Une conscience nouvelle de bassin partagé

"La connaissance de ces systèmes, notamment subsahariens était restée très vague, souvent tronquée aux limites politiques des États et globalement très éparpillée", explique Chedli Fezzani, "Les informations relevaient aussi le plus souvent des compagnies pétrolières ou minières (comme cela a été le cas pour le bassin Taoudani, partagé entre l'Algérie, le Niger et le Mali, et longtemps exploité pour l'uranium) ; mais elles ne remontaient jamais jusqu'aux États ou institutions nationales concernés pour des projets de développement". En comblant ces lacunes, les projets développés dans le cadre de l'OSS leur donne l'occasion de se rapprocher et de se concerter. Ils contribuent par là à l'émergence d'une conscience de bassin partagé. L'effort permet aussi in fine de stabiliser les populations de ces régions – leur milieu naturel, condition première d'une politique de développement maîtrisé.

Un partenariat Sud-Sud solidaire

Initialement fondée sur l'idée du partenariat Nord-Sud, l'approche de l'OSS s'ancre aujourd'hui dans une dynamique de concertation Nord-Sud-Sud "solidaire" et "mutuellement profitable". L'action très forte de l'Observatoire en Afrique du Nord s'étend d'ores et déjà sur une large partie de l'Afrique de l'Ouest ; mais elle va aussi progressivement se développer en Afrique de l'Est, à l'appui notamment d'une coopération plus active avec l'IGAD, l'Autorité Intergouvernementale pour le Développement (regroupant Djibouti, l'Éthiopie, l'Érythrée, le Kenya, la Somalie, le Soudan et l'Ouganda). L'organisation a par ailleurs été sollicitée par d'autres pays ou groupes de pays intéressés par le modèle de Suivi-Évaluation développé par conjointement développé avec le CILSS, dont la Chine ou encore le GRULAC, Groupe de pays d'Amérique latine et des Caraïbes. Sur la problématique de l'eau en Afrique, le modèle de gestion des aquifères mériterait sans doute d'être aussi dupliqué sur les eaux de surface. "Le Nil, le Niger, le Zaïre ou le Zambèze, l'Afrique dispose d'important potentiels de développement, mais là encore très mal maîtrisés", constate Chedli Fezzani, "Des commissions existent, qui sont insuffisamment opérationnelles ou qui manquent de moyens. Il faudrait les renforcer, adapter leurs structures. C'est là tout le drame des institutions scientifiques africaines, démesurément rigides et figées. Fondées il y a vingt ans pour combler une insuffisance nationale, la majorité d'entre elles sont aujourd'hui sclérosées. Y remédier supposerait néanmoins de réformer toute une ancienne classe de managers et d'imposer comme niveaux critère d'excellence, la compétence et l'engagement d'être au service d'une autre vision de l'Afrique telle que celle prônée par l'UA et le NEPAD". Le propos est clair et sans détour. .

 

OSS – Observatoire du Sahara et du Sahel
 

L'Observatoire du Sahara et du Sahel – OSS, a présenté à Johannesburg ses dix ans d'action. Très engagée dans les problématiques de l'eau en Afrique, l'organisation a développé une approche pragmatique aujourd'hui en passe de se dupliquer dans d'autres régions d'Afrique ou du globe.

Basée à Tunis, l'OSS compte parmi ses membres : 20 pays africains, 4 pays européens (Allemagne, France, Italie, Suisse) plus un certain nombre d'organisations sous-régionales à l'instar du Comité inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS), de l'Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD), de l'Union du Maghreb Arabe (UMA) ou de la Communauté des États Sahélo-Sahariens (CEN-SAD), auxquelles se sont jointes plusieurs institutions des Nations Unies dont l'UNESCO, l'UNITAR et le Secrétariat de la UNCCD.

Observatoire du Sahara et du Sahel

 

ResSources
WSSD – World Summit on Sustainable Development, Johannesburg
Nations unies – Archives Presse
Réf. PNUE/57 pour le rapport GEO-3
Réf. PNUE/63 pour le rapport A