H2o Magazine

L'eau en montagne & changement climatique

Mots clés : changement climatique, eau, montagne, États généraux, Megève
Dossier de
Jean-François DONZIER
  
July 2010
201007_montagne_itl.jpg

L'EAU EN MONTAGNE
Une nouvelle gouvernance imposée par le changement climatique

Les régimes hydrauliques de tous les grands fleuves européens, venant des montagnes, sont en train de se modifier. À quelques semaines des États généraux de l'eau en montagne, organisés à Megève du 22 au 24 septembre, Jean-François Donzier détaille les problématiques.

Jean-François DONZIER

directeur général de l'Office international de l'eau – OIEau
secrétaire technique permanent du Réseau international des organismes de bassin – RIOB
photographies agence Zoom – Ville de Megève

H2o – juillet 2010

 

Tous les grands fleuves européens, l’Èbre, le Rhône, le Pô, le Rhin, le Danube, la Vistule, etc., et leurs principaux affluents prennent leur source en montagne et ont un régime principalement nivo-glaciaire, caractérisé par, d'ue part, des précipitations sous forme de neige pendant la période froide, permettant une limitation naturelle des écoulements et donc des inondations en automne et en hiver, et, d'autre part, un déstockage pendant la période chaude, avec la fonte des neiges et des glaciers, permettant d'alimenter les étiages estivaux, principalement en aval, dans les grandes plaines européennes.

Les montagnes apportent aujourd’hui une contribution essentielle aux débits de tous ces grands fleuves européens, de 34 % du débit annuel total du Rhin, 41 % de celui du Rhône jusqu’à 53 % du débit du Pô, soit en moyenne de 2 à 6 fois plus que leur surface relative par rapport à celle de chacun des bassins. Ainsi par exemple, même si seulement 11 % du bassin du Rhin se trouve dans les Alpes, celles-ci assurent donc 34 % du débit annuel, mais surtout plus de 50 % du débit en été, lorsque l’eau est particulièrement demandée, notamment par les agriculteurs irrigants, et que les précipitations sont faibles. Aujourd’hui, entre le printemps et l’été, la fonte des neiges et des glaciers des Alpes françaises représente environ 15 000 milliards de m3 par an qui viennent en soutien d’étiage.

En période de sécheresse en plaine, ce serait une catastrophe pour des régions entières que le "robinet" des eaux de montagne se tarisse. Or, la Commission européenne a déjà identifié 33 bassins qui sont affectés par des pénuries d’eau.  Ils couvrent une superficie de 460 000 km2, soit 10 % de celle de l’Union Européenne et 83 millions d’habitants y résident soit 16,5 % de la population de l’UE.

La Commission européenne estime que le nombre de régions de l’UE et de populations touchées par la sécheresse a augmenté de + 20 % et que 17 % de la population européenne ont souffert de sècheresse plus ou moins marquées entre 1976 et 2006. L’une des plus grandes sécheresses est survenue en 2003 affectant plus de 100 millions d’européens et le tiers du territoire de l’UE, causant plus de 8 700 milliards d’euros de pertes à l’économie.

 201007_montagne_01.jpg

 

Les montagnes sont les châteaux d'eau de l'Europe

Elles jouent un rôle stratégique dans la gestion de l’eau douce.  Les précipitations sont très variables d’une zone à l’autre : par exemple en France, elles sont de plus de 2 000 mm/km2 dans les Alpes du Nord contre seulement 650 mm/km2 dans les Alpes du Sud.

Mais, les montagnes européennes sont d’ores et déjà parmi les premières victimes du changement climatique. Les rapports du GIEC – Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, de l’Agence européenne de l’environnement de Copenhague, de la Commission européenne, de la Convention alpine à Vienne et du Groupe interministériel sur l’impact du changement climatique sont alarmants. La température moyenne  des Alpes a augmenté en un siècle de plus du double du réchauffement terrestre global, soit de + 1,5 °C à 2,0 °C alors que celle de la Terre s’est élevée en moyenne de + 0,74 à + 0, 81 °C et celle de l’Europe de + 1,2°C.  Les modèles projettent une augmentation de température dans les Alpes d’ici à 2100 comprise entre + 2,6 et + 3,9 °C. Le réchauffement pourrait être significativement plus élevé en haute montagne pour atteindre + 4,2 °C au dessus de 1 500 mètres.

1994, 2000, 2002 et 2003 ont été les années les plus chaudes et les plus sèches depuis 500 ans…

Aujourd’hui, il y a encore 5 150 glaciers dans les Alpes, couvrant quelque 2 909 km2. Or, les glaciers alpins, qui ont déjà perdu entre 20 et 30 % de leur volume depuis 1980, pourraient encore régresser de 30 à 70 % de leur volume d’ici à 2050 ; quasiment tous les plus petits d’entre eux auraient alors disparus !  Les glaciers des Pyrénées ont perdu 80 % de leur surface depuis 1850 et ceux des Alpes 40 % en moyenne. Les langues glaciaires remontent en altitude de 60 à 140 mètres pour seulement une augmentation de  + 1 °C de température.

Si le total annuel des précipitations ne devrait pas varier beaucoup, par contre leur répartition saisonnière sera fortement modifiée, avec une augmentation en hiver et au printemps – les précipitations tombant alors de plus en plus sous forme de pluie plutôt que de neige –, et une forte diminution de ces précipitations en été. On observerait une diminution du nombre de jour de couverture de neige de 40 % au nord-ouest des Alpes et de 70 % au sud-est. Les chutes de neiges se réduiraient de - 36 %  en moyenne et de - 20 % au dessus de 1 500 mètres ; la fonte des neiges pourrait se produire deux mois plus tôt ; il n’y aurait quasiment plus de chutes de neige en dessous de 500 à 600 mètres d’altitude… La hauteur annuelle moyenne des chutes de neige est passée en 20 ans de 4,20 mètres à 3,30 mètres à Saint-Martin-de-Belleville en Savoie, la température moyenne augmentant dans le même temps de + 2 °C dans le massif de Belledonne.

Le seuil de températures au-delà duquel les précipitations tombent sous forme de pluie, et non de neige, a une importance critique. L’augmentation des températures, et la transformation consécutive de précipitations neigeuses en pluies, va avoir une influence sensible sur le ruissellement et le stockage de l’eau en altitude, et donc sur les débits restitués en été. Ces modifications affecteront certes les montagnes elles-mêmes, mais auront des répercutions, tout autant et peut-être encore plus, pour les régions situées en aval.

Avec la diminution de l’enneigement et la fonte des glaciers, les régimes hydrauliques de tous les grands fleuves européens, venant des montagnes, sont en train de se modifier. Les débits des grands fleuves européens de régime nivo-glaciaire seront sensiblement modifiés : si, dans un tout premier temps, les dédits glaciaires d’été vont augmenter avec l’accélération de la fonte des glaciers, au contraire, on observerait d’ici 2100 une augmentation en moyenne de + 20 % des débits en hiver, mais une réduction de - 17% au printemps et jusqu’à - 55 % des débits en été, surtout au centre et au sud des Alpes. Le niveau des aquifères pourrait aussi baisser de  - 25 % dans les Alpes du Sud.  La fréquence et l’intensité des inondations en automne, hiver et printemps, ainsi que des sécheresses estivales vont singulièrement augmenter. Les autres conséquences du changement climatique en montagne seront :

  • une forte érosion, des glissements de terrains, de gros charriages de sédiments ;
  • une dégradation de la qualité des rivières ;
  • une augmentation de la température de l’eau. 

La modification de la flore et de la faune montagnardes en général et des écosystèmes aquatiques en particuliers pourra à moyen terme remettre en cause les critères descriptifs du "bon état écologique" définis pour les masses d’eau correspondantes dans l’application de la DCE…

La production hydroélectrique pourrait se trouver réduite de 15 % ; le refroidissement des centrales thermiques et nucléaires en piémont et en plaine sera plus difficile ; la navigation fluviale devra s’adapter à de moindres tirants d’eau… La compétition entre les usages de l’eau se fera plus vive, notamment :

  • avec la généralisation de la production de neige de culture, qui deviendra indispensable aux 666 stations de ski alpines actuelles pour assurer une saison d’hiver convenable ;
  • avec le développement de l’irrigation, pour faire face à une plus forte évapotranspiration des végétaux.

Il est indispensable d’identifier très rapidement ces changements et leurs conséquences, bassin par bassin, et d’initier d’ores et déjà les programmes d’actions nécessaires pour s’adapter en amont, comme dans les plaines en aval, en temps utile.

L’Europe compte de nombreuses chaînes de montagnes, dans la plupart des pays européens, mis à part le Danemark, les Pays-Bas, Malte et les pays baltes (étude NORDREGIO de janvier 2004). Les cordillères espagnoles, les Pyrénées, les Alpes, les Balkans, les Carpates, dans l’Union Européenne élargie, les zones de montagne couvrent en moyenne 35,5 % du territoire total et plus de 90 % en Norvège ou en Suisse. 94,3 millions d’Européens vivent en montagne.

Ces montagnes d’Europe sont vitales pour les populations du continent, à de nombreux égards ; elles ont été décrites comme étant "la colonne vertébrale écologique de l’Europe".

Dans les zones méditerranéennes, notamment dans la péninsule ibérique, l’Italie du Sud, la Grèce et les Balkans ou la Côte d’Azur, l’eau de montagne est une ressource stratégique pour l’eau potable, pour le développement, indispensable en particulier de l’irrigation, voire du tourisme. En France, rappelons-nous que l’eau des Alpes du Sud – Durance / Verdon, transférée par le canal de Provence ou le canal de Marseille, sécurise la desserte en eau brute de Marseille et de toute la région côtière jusqu’à Toulon !

Il faut aussi tenir compte de ce que plus de 50 % des fleuves (150), lacs (50) et aquifères (170) sont transfrontaliers dans les Alpes et que leur gestion rationnelle ne peut être assurée que de façon conjointe et intégrée par l’ensemble des pays riverains, comme l’impose désormais la Directive cadre européenne sur l’eau – DCE.

 201007_montagne_02.jpg

 

Un phénomène commun à tous les massifs du monde

Tous les grands fleuves du monde et leurs principaux affluents prennent leur source en montagne.

L’Himalaya est, après l’Arctique et l’Antarctique, le premier réservoir d’eau douce continental de la planète et alimente les principaux fleuves asiatiques : le Gange, l’Indus, le Brahmapoutre, le Salouen, le Sutlej, le Mékong, le Chang Jiang (Yangtsé), le fleuve Jaune, qui d’ailleurs sauf le Gange prennent tous leur source sur le plateau tibétain en Chine. Ensemble ces fleuves contribuent à l’alimentation en eau de plus de deux milliards d’habitants…

Un rapport de la Banque asiatique de développement estime que plus de 1,6 milliard de personnes seront affectés par l’impact sur l’eau du changement climatique dans le massif Hindu-Kush-Himalaya. Si à l’est du massif, c’est encore la mousson qui assure la majorité des écoulements des fleuves, à l’ouest du massif, la fonte estivale des glaces représente aujourd’hui plus de 50 % du débit de l’Indus à cette saison.  Or, on estime qu’au cours des cinquante dernières années, les glaciers du plateau tibétain ont perdu 82 % de leur superficie et que les deux tiers d’entre eux pourraient avoir disparu en 2050. La masse totale de glace pourrait avoir diminué de 70 % d’ici la fin du siècle.

Le World Glacier Monitoring Service – WGMS, confirme dans son dernier rapport annuel que les glaciers du monde continuent à fondre à un taux rapide et historiquement inédit et précise que ceux situés à des altitudes relativement faibles dans les Andes, les Alpes et les Pyrénées sont immédiatement menacés.

L’aménagement, le développement et la protection des montagnes sont donc des enjeux considérables à l’échelle mondiale, notamment pour la régulation des ressources en eau douce.

Les zones de montagne couvrent 24 % de la surface terrestre des continents et 26 % de la population mondiale environ y habite si l’on inclut celle qui vit à proximité immédiate en piémont ou dans les basses vallées. Mais, une proportion bien plus importante de la population mondiale dépend des biens et services fournis par ces zones, en particulier l’eau, qui peut être vitale pour l’agriculture, les communautés et les industries situées à des centaines, voire à des milliers de kilomètres de ces montagnes. Dans les zones de montagne, de faibles changements climatiques à l’échelle mondiale peuvent  entraîner des bouleversements majeurs pour les conditions environnementales locales. Il est fort probable que ceux-ci auront des répercussions considérables sur  l’agriculture et la sylviculture, mais aussi sur le régime des eaux.

Les écosystèmes de montagne sont des indicateurs très sensibles des changements climatiques. Les montagnes se caractérisent par une grande variabilité climatique et les conditions changent rapidement et sur de faibles distances ; il existe de nombreux microclimats selon la pente et l’altitude, l’exposition au soleil et aux vents dominants et bien d’autres facteurs. Du fait de la difficulté d’accès et de la faible densité de population, souvent de leur localisation en zones frontalières, la collecte des informations hydrométéorologiques y reste insuffisante et parfois encore inexistante.

C’est pourquoi, compte tenu de leur rôle stratégique pour la gestion de l’eau, l’Organisation météorologique mondiale a recommandé de développer un réseau plus dense d’observation dans ces zones de montagne qu’elle désigne aujourd’hui comme "la plus noire des boîtes noires du cycle hydrologique mondial" ! – Blackest of the black boxes in the World Hydrological Cycle

Il faut se donner très vite les moyens d’élaborer les scenarii permettant de comprendre mieux les évolutions et d’aider à faire les arbitrages et d’objectiver les choix qui vont s’imposer à tous. Selon le GIEC, le manque d’eau pourrait concerner entre 1 100 et 3 200 milliards de personnes dans le monde d’ici la fin du siècle si les températures devaient augmenter de 2 à 3 °C… Les zones touchées par la sécheresse vont s’étendre et dans ces conditions il devient prioritaire de concevoir des stratégies efficaces d’adaptation au risque de sécheresse. 


201007_montagne_itl_6.jpg 

LES MONTAGNES, zones de risques naturels

 

Avec la pente et le relief, conjugués avec une végétation souvent rase et fragile du fait d’un climat plus rude, les montagnes sont des zones d’intense érosion et de concentration rapide des eaux, qui forment les crues et inondations qui pourront être ravageuses pour les parties basses des bassins et les plaines.

L’effet est d’autant plus dévastateur que les zones plates de fonds de vallées sont étroites et encaissées entre les pentes des versants, et que s’y concentrent les infrastructures, les zones d’activités et les habitations, et que l’urbanisation n’y est pas suffisamment contrôlée… d’où l’importance des plans d’exposition aux risques naturels !

Ces situations peuvent être aggravées sous l’effet des activités humaines :

  • le surpâturage et la déforestation dans beaucoup de pays du sud, qui favorisent l’érosion et les glissements de terrain ;
  • l’imperméabilisation des sols par les constructions, les aires de stationnement et les routes, en particulier dans les zones de fort développement urbain et touristique, qui empêche l’infiltration de l’eau dans le sol et intensifie le ruissellement ;
  • la mise en culture des prairies dans certaines zones.

Mais aussi, à l’inverse, l’abandon des secteurs les plus difficiles par la population et les activités économiques traditionnelles, comme le pastoralisme, avec pour conséquences la destruction ou l’absence d’entretien des ouvrages hydrauliques collectifs, les terrasses et drainages en particulier, et le retour à la friche…

C’est aussi en montagne que se "produisent" les alluvions (débris de la montagne se déposant à l’aval), qui vont se sédimenter en plaine, pouvant entraîner des dommages au fonctionnement des milieux (colmatage des frayères, pollutions diffuses).

Avec le changement climatique ces risques vont s’aggraver et se manifesteront par des crues brutales pouvant aller jusqu’à provoquer des morts, des glissements de terrain, des effondrements de cavités ou des éboulements rocheux pouvant provoquer des dommages au bâti et la coupure des infrastructures et notamment de voies de communication (routes et voies ferrées) en montagne.

La grande sensibilité des montagnes aux changements climatiques peut très vite mettre à mal les protections, les espaces bâtis et les infrastructures, plus particulièrement les routes et les voies ferrées, et provoquer ou accentuer des catastrophes naturelles, telles que les inondations, les glissements de terrain et les avalanches.

Dans les zones urbanisées des fonds de vallées et de plaine, il faudra se préoccuper du dimensionnement des réseaux d’assainissement pour pallier l’augmentation du risque d’inondations dues aux eaux pluviales.

Ces phénomènes sont d’autant plus dangereux que les orages sont plus violents et que les bassins de concentration amont sont plus pentus et qu’ils débouchent directement sur des zones basses peuplées ou industrialisées, comme c’est le cas en zones méditerranéennes. Nous avons tous en mémoire les crues torrentielles cévenoles du Gard ou de l’Hérault ou celles de Vaison-la-Romaine… et tout récemment du Var.

Dans ces montagnes méditerranéennes, le risque d’inondations – flash flood, va augmenter avec la fréquence et de la violence des orages d’automne et de printemps éclatant en pluies torrentielles sur des bassins versants très courts et pentus, et sur des sols secs et dénudés incapables de les absorber, d’autant que leur imperméabilité aura été augmentée par les défrichements, la conversion des terres agricoles, les constructions, le goudronnage des voies et stationnements et  les infrastructures… Mais il n’y là rien d’étonnant car depuis l’antiquité, il est bien connu que ces fleuves côtiers méditerranéens se caractérisent par des crues violentes suivies d’étiages sévères ! 

201007_montagne_itl_3.jpg

UNE COMPÉTITION de plus en plus vive entre les usages de l'eau

 

L’augmentation des besoins en eau des hauts bassins, couplée aux effets du changement climatique, oblige à s’interroger sur le partage de l’eau disponible en amont des bassins et sur la disponibilité des ressources pour l’aval.

Les stratégies des populations, voire des pays, peuvent être concurrentes : par exemple, l’Égypte en aval du Nil est entièrement dépendante du développement des pays d’amont, mais, à l’inverse, la Turquie, avec le "Grand Projet d’Anatolie", contrôle entièrement les eaux du Tigre et de l’Euphrate. Il en est de même de la Chine en amont de plusieurs très grands fleuves transfrontaliers qui prennent leurs sources sur son territoire, notamment sur le plateau tibétain.

Jusqu'à quand pourra-t-on en même temps en été notamment, pendant  les années sèches :

  • sécuriser l’adduction d’eau potable des villes, des villages et des zones touristiques ;
  • stocker de l’eau dans les barrages en attente pour produire de l’électricité "renouvelable" quand on en aura besoin, c’est-à-dire en hiver, pendant la pointe de consommation électrique ;
  • maintenir un "débit réservé" d’étiage pour préserver la faune et la flore aquatiques (débit écologique) et permettre la libre remontée des poissons migrateurs (saumon, etc.) ;
  • donner de plus en plus d’eau aux agriculteurs qui en auront de plus en plus besoin pour irriguer leurs cultures ;
  • assurer suffisamment d’eau dans les torrents pour la pratique des "sports d’eau vive", canoë-kayak, rafting, nage en eau vive, "canyoning", etc., pour développer le tourisme estival ;
  • le cas échéant, transférer de l’eau depuis des bassins "riches en eau» vers des bassins déjà déficitaires et à quelles conditions – cf. le débat sur le Plan national hydrologique espagnol !

... Et même en hiver, concilier la fabrication de neige de culture et les besoins en eau potable des touristes, quand l’étiage est le plus souvent observé, en janvier ou février en haute montagne.

Plus particulièrement, le tourisme hivernal fondé sur le ski deviendra difficile à assurer en moyenne montagne, engendrant ainsi des pertes économiques pour les communes et les entrepreneurs et créant une demande encore plus forte de séjours dans  les stations situées à de plus hautes altitudes.

Au cours des dernières années, l'enneigement sur l'ensemble des massifs montagneux a déjà diminué de façon significative. Face à ce constat, les stations de ski ont dû investir dans des équipements de production de neige artificielle – 46 millions d'euros en France en moyenne annuelle. Ce déploiement de "canons à neige" assure potentiellement une fréquentation régulière – pour encore combien de temps ? – pendant la saison touristique, mais a des impacts sur le milieu naturel montagnard.

Utilisés autrefois seulement pour améliorer certains passages de pistes ou permettre aux touristes de regagner la station les skis aux pieds, la neige de culture assurent désormais l'enneigement de la plupart des pistes de la mi-décembre à avril. Par exemple, ces "canons à neige" ou "enneigeurs", comme on dit aujourd’hui, garantie des débuts et fins de saisons de stations de ski, consomment d’énormes quantités d’eau à l’époque d’étiage d’hiver en haute montagne (janvier-février), quand les besoins en eau des communes touristiques sont aussi au plus haut, avec l’arrivée de dizaines de  milliers de touristes ! Le développement de ces équipements de production de neige de culture, observé ces dernières années, qui permet de garantir la viabilité économique des stations de sports d’hiver, n’est pas sans répercussion sur la ressource en eau durant l’hiver, même si, à la fonte des neiges, les volumes utilisés retournent au milieu naturel. Pour illustrer ce sujet, une étude de l’agence de l’eau a recensé 162 stations de sports d’hiver dans le bassin Rhône-Méditerranée-Corse, essentiellement réparties dans sept départements : l’Isère, la Savoie, la Haute-Savoie, les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes, les Alpes-Maritimes, les Pyrénées-Orientales. 85 % de ces stations du bassin Rhône-Méditerranée-Corse posséderaient de telles infrastructures d’enneigement artificiel. Les surfaces enneigées représentent en moyenne 15 % des surfaces skiables, avec des variations de 5 à 60 % selon les stations.

Les canons sont pour le moment installés surtout en dessous de 2 000 mètres. Cela correspond à l’altitude des petites stations, au "pied des pistes" ou au "retour station" des grandes stations. Pourtant, la part des équipements située à haute altitude n’est pas négligeable et on peut penser qu’à terme, ce ne seront plus seulement les bas de stations qui seront équipés mais la totalité des surfaces.

La consommation "théorique" est de 1 m3 d’eau pour 2 m3 de neige fabriquée. La consommation d’eau observée sur la saison 1999-2000, pour les 119 stations équipées du bassin Rhône-Méditerranée-Corse, est de 10 millions de m3. Ce volume représente 19 % du volume annuel prélevé par les collectivités correspondantes, pour leur usage d’eau potable. C’est ainsi l’équivalent de la consommation annuelle d’une ville de 170 000 habitants.

Par ailleurs, si on s’intéresse à la consommation d’eau rapportée à l’hectare enneigé, les données disponibles conduisent à un ratio de 4 000 m3 à l’hectare. On peut alors la comparer à ce qui est constaté pour d’autres usages, l’irrigation par exemple, à titre de référence, on citera le ratio observé pour l’irrigation du maïs en Isère : environ 1 700 m3 à l’hectare.

Il y a encore un quart des stations (37 stations), qui prélèvent de l’eau directement dans les torrents, ce qui représente environ 3 millions de m3 d’eau. Une station de ski de Rhône-Méditerranée-Corse possède un forage dédié à l’alimentation du réseau de neige de culture, qui représente un volume de 80 000 m3. La solution la plus utilisée pour les stations est la création de retenues collinaires, qui permettent de disposer, de façon immédiate, d’un grand volume d’eau. Ainsi, les exploitants peuvent fabriquer de grandes quantités de neige, dès que les conditions de froid sont favorables. Près de la moitié des stations (70 stations) sont équipées de tels stockages pour un volume utilisé de 5 millions de m3 d’eau par an. La fabrication de neige à partir de retenues collinaires présente l’avantage de "décaler" dans le temps le prélèvement dans les cours d’eau, on évite ainsi la sollicitation de la ressource au moment de l’étiage. Cependant il est certain que ces retenues posent d’autres problèmes environnementaux : les zones susceptibles de pouvoir accueillir de tels aménagements en montagne sont rares. Le plus souvent ces zones plates sont des zones humides, par ailleurs soumises à une réglementation visant à leur préservation. De plus, une attention particulière doit être portée aux risques de rupture de ces barrages, qui pourraient poser des problèmes aux communes situées en contrebas.

La principale utilisation de l’eau en montagne reste l’eau potable. Mais l’hiver, les populations des communes touristiques de montagne peuvent être multipliées jusqu’à dix pendant certaines périodes de vacances de haute saison. Les besoins en eau sont donc considérables et parfois critiques en raison de la rareté de la ressource à cette époque. Les résultats de l’enquête de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse mettent en évidence que plus du tiers des communes étudiées sont confrontées à des problèmes d’alimentation en eau en saison hivernale. Les raisons invoquées sont diverses : ressources insuffisantes du fait de l’étiage en haute altitude, faibles rendements des réseaux, neige de culture. Cette dernière cause est tout de même assez rare.

Les volumes annuels prélevés restent généralement compatibles avec les besoins des milieux naturels sollicités. Cependant, la situation peut être différente si on raisonne sur les quatre mois que dure la saison (période d’étiage) ou encore si on étudie les répercussions sur un rythme journalier, voire horaire.

Si la situation actuelle ne paraît pas trop alarmante du point de vue de la ressource en eau, elle pourrait le devenir dans le futur, du fait de la poursuite de l’expansion de production de neige de culture, qui est annoncée dans les prochaines années.

La neige de culture devient un enjeu stratégique pour de nombreuses stations et même le facteur de survie économique de certaines, situées à basse altitude. Elle était essentiellement exploitée jusqu’à présent dans l’esprit de compenser le manque de neige naturelle, c’est-à-dire à des altitudes basses à moyennes. Maintenant, c’est le plus souvent un objectif de "tout neige" : enneigement artificiel de la plupart des pistes qui est visé, afin de stabiliser au maximum la fréquentation et donc le chiffre d’affaires des stations.

Enfin, compte tenu de l’amélioration constante des performances technologiques pour la fabrication de neige de culture, l’approvisionnement en eau tend à devenir le principal facteur limitant de la production, après les conditions de température, dont l’élévation va considérablement perturber l’économie des stations de basse altitude, empêchant aussi cette production de neige artificiellement.

Il est absolument nécessaire de suivre attentivement l’évolution de la situation des ressources en eau en montagne, si on n’a pas envie que la régulation se fasse par la catastrophe !

D’ores et déjà en Espagne on observe une diminution de - 7 % du débit moyen des fleuves, avec pour conséquences des restrictions de l’irrigation et une augmentation du prix de l’eau potable dans plusieurs grandes villes dont Madrid (+ 0,40 euros par m3)… Dans le monde, plus de 1,7 milliard d’êtres humains vivent dans des zones de stress hydrique, beaucoup de grandes villes ont épuisé leurs ressources de proximité et doivent s’approvisionner de plus en plus loin, en créant des conflits d’usage avec les régions avoisinantes.    

Une très grande partie de l’eau prélevée dans le monde et même en Europe n’est pas mesurée, ni même enregistrée par les autorités. Aujourd’hui dans l’UE, la DCE exige la mise en œuvre d’un contrôle systématique des prélèvements d’eau.

En France, le GIEC estime qu’à partir de 2030 à 2050, le déficit en eau à l’étiage estival pourrait varier entre 500 millions et 3 milliards de m3, notamment dans les régions françaises déjà classées comme déficitaires, avec un déficit moyen estimé à environ 2 milliards de m3 par an. Le coût de ce déficit serait chiffré entre 5 et 10 milliards d’euros… Ce chiffre important n’est cependant pas énorme, car il ne représente que 2 % de l’ensemble des ressources renouvelables en France, mais évidement bien plus rapporté aux étiages des seules régions concernées,  qui sont déjà en situation de déficit structurel aujourd’hui en étés secs. La création raisonnée de réserves supplémentaires ou des transferts depuis d’autres bassins pourraient être envisagés dans le cadre d’un dialogue de toutes les parties prenantes… mais celui-ci sera sans doute difficile ?

201007_montagne_itl_5.jpg 

UNE QUALITÉ des eaux et des milieux aquatiques en baisse

 

Ce n’est pas parce que l’eau est bouillonnante qu’elle est propre : les sources et les torrents d’altitude peuvent aussi être pollués par les alluvions, par l’élevage ou l’activité humaine !

On s’est surtout préoccupé, dans les décennies passées, des "points noirs" en aval des grands fleuves, des grosses pollutions industrielles ou urbaines des plaines, mais sur les petites "rivières à truites" d’altitude, qui sont encore, Dieu merci, en assez bon état, l’effet des aménagements, de l’industrie, du tourisme ou de l’élevage est proportionnellement plus dégradant, du fait de débit généralement faible, surtout en périodes d’étiage.

Des problèmes ponctuels mais persistants d’assainissement, liés ou non à l’activité touristique, ou des pollutions diffuses (nutriments, bactériologie), liées aux élevages (bâtiments, gestion des effluents, abreuvage) ou à la filière laitière (fromageries, porcheries) s’exercent encore sur de petits cours d’eau avec une incidence aggravée par les étiages naturellement faibles, pénalisant les usages les plus exigeants (AEP et loisirs nautiques). Du fait le plus souvent de l’absence de zones classées comme "vulnérables" et de la petite taille des élevages, le Programme de maîtrise des pollutions d’origine agricole n’a pas toujours eu de développement assez significatif en zone de montagne. Pourtant les besoins de stockage des effluents d’élevage sont importants du fait de la durée réduite de la fenêtre climatique pendant laquelle les épandages sont possibles, et de la relative rareté des terrains épandables.

Il faut signaler l’existence de pollutions métalliques, surtout liées à la géochimie naturelle des roches, mais pouvant être localement aggravées dans les anciens secteurs miniers. L’impact, dans certaines vallées, des activités d’industrie lourde traditionnelle, métallurgie, aciers spéciaux, chimie du carbone, explosifs… peut être significatif.

L’Arc alpin et les autres massifs touristiques connaissent encore des problèmes de pollution principalement dus à leur forte fréquentation de masse et à la concentration des touristes dans les stations et sur de courtes périodes. La neige de culture n’a, semble-t-il, pas d’impact sur la qualité de l’eau des ressources. Toutefois, une certaine vigilance est maintenue car les connaissances acquises, à propos des additifs, sont encore limitées.

Le changement climatique aura aussi un effet sur l’élévation de la température moyenne de l’eau ; notamment durant les étiages estivaux.

Cependant, l’impact le plus marquant provient des aménagements créés sur les "masses d’eau" de montagne : barrages hydro-électriques, seuils, endiguements, … sont ainsi principalement concernés les bassins du Doubs, de l’Ain, des Alpes du Nord, de l’Isère, du bas-Dauphiné et de la Durance.

Les milieux aquatiques et les zones humides montagnards sont caractérisés par leur richesse et leur densité, on constate leur recul ou leur dégradation ou la détérioration de leurs fonctionnalités sur de vastes territoires, du fait d’atteintes diffuses – drainage, re-calibrage de petits, voire très petits cours d’eau, etc. Mais surtout, la plupart des rivières et torrents alpins ont été canalisés ou endigués au cours des siècles et de nombreux barrages et seuils ont interrompu le passage longitudinal  et la continuité des écoulements. Il ne subsiste qu’un tout petit nombre de rivières naturelles dans les Alpes.  Sur les 12 300 kilomètres de rivières alpines françaises, 3 500 kilomètres sont assez fortement modifiés, dont 1 000 kilomètres sans doute de façon irréversible. Ces aménagements ont un fort impact sur l’hydromorphologie et ont pour conséquences la réduction du transport naturel des sédiments, l’érosion du lit des rivières en aval, l’abaissement des nappes, des difficultés de remontée des poissons migrateurs et une perte de biodiversité.

Les systèmes naturels  de rivières sont rares dans les Alpes et ceux qui subsistent doivent être protégés pour assurer la conservation d’espèces animales et végétales en danger  et la continuité doit être rétablie pour assurer la remontée des migrateurs. Il ne faut pas oublier que les rivières alpines se jettent dans la Méditerranée, la Mer Noire et la Mer du Nord…

201007_montagne_itl_2.jpg

L’IMPORTANCE STRATÉGIQUE des lacs de montagne

 

Il y a 27 lacs dans les Alpes françaises, dont neuf sont naturels (9) notamment les 5 plus grands lacs – Léman, Annecy, Le Bourget, Paladru, Aiguebellette, qui avec une superficie de 660 km2 représentent un volume de 94 000 milliards de m3 et 18 sont artificiels (18) pour une superficie de 88 km2 et une capacité seulement de 3 800 milliards de m3, dont 1 300 milliards pour le seul lac de Serre-Ponçon.

Le rôle des lacs alpins pour fournir de l’eau en aval en période sèche va être de plus en plus important, mais aussi limité par des capacités relativement réduites et par la défense des intérêts des populations qui vivent sur leurs rives. Un grand nombre de lacs naturels ont déjà été régulés depuis longtemps pour garantir des niveaux compatibles avec les activités qui se sont développées sur leurs rives et aussi déjà avec les intérêts de l’aval.

Les lacs artificiels ont une capacité de retenue de 1 800 milliards de m3 dans le bassin du Rhin, 1 900 milliards de m3 dans le bassin du Danube et 5 200 milliards de m3 dans celui du Rhône. Ramenés aux débits continus annuels ces capacités de stockage ne représentent que  57m3/seconde sur 1 060 m3/seconde de débit moyen annuel du Rhin à Bâle, 60 m3/seconde sur 1 940 m3/seconde du débit moyen du Danube à Vienne et 165 m3/seconde sur 1 700 m3/seconde du débit moyen du Rhône à Beaucaire….

Si ces volumes de stockage ne sont pas négligeables, ils ne peuvent jouer qu’un rôle très limité pour équilibrer ces débits moyens d’une année sur l’autre : ils ont cependant une importance primordiale dans la régulation de la production électrique (énergie propre), dans la garantie d’approvisionnement en eau à l’étiage et dans le maintien de débits écologiques minimaux. Cependant, vu le petit nombre de sites encore potentiellement équipables, il faut avant tout miser sur l’optimisation des réservoirs existants et sur de nouvelles installations de pompage de régulation, si tant est que cela soit compatible avec la Directive cadre sur l’eau. Les lacs ne pourront donc jouer qu’un rôle "d’atténuateur" et les populations d’aval devront prioritairement trouver la solution à leurs problèmes par une régulation de leur propre demande.

L’eau est également une richesse économique de la montagne.

Dès le Moyen Âge en Europe, les moulins à eau ont permis l’installation dans les hautes vallées de l’industrie, notamment des métaux, renforcée dès le début du 20ème siècle par la proximité de l’hydroélectricité (aciers spéciaux, aluminium, chimie du carbone, etc.). Traditionnellement, les activités manufacturières dans les zones de montagne se sont localisées à proximité des sources d'énergie et des ressources minières, ou bien s’appuient sur un savoir-faire local développé grâce à la pluriactivité agricole.

L’eau de montagne est une source stratégique de production d’énergie électrique en Europe. Dans les Alpes, un grand nombre de sites ont déjà été équipés depuis un siècle et produisent l’électricité, qui est utilisée non seulement dans les pays alpins, mais qui est également exportée bien au-delà par le réseau européen. La production hydroélectrique a une importance déterminante en période de pointe de consommation. Il y a 554 usines de plus de 10 mégawatts dans les Alpes, correspondant à un total de 45 883 MW, dont 128 usines en France correspondant à 12 552 MW et 9 000 MW en dehors du cours du Rhône lui-même.

En Allemagne, 60 % de la production hydroélectrique vient de la seule Bavière où il y a 4 210 installations dont 762 dans les Alpes. Si l’on ne retient que les installations supérieures à 50 mégawatts, on ne compte plus dans les Alpes françaises que 19 grands barrages, 6 usines de basse chute, 6 en continue sur les rivières et 4 ouvrages de compensation. La "Chaîne de la Durance" permet par exemple de mobiliser 2000 mégawatts en quinze minutes environ, soit l’équivalent de 1,5 à 2 tranches nucléaires ! Les Alpes produisent 20 terrawattheures/an soit 4% de la production électrique française de 535 TWH/an, dont 12 % sont d’origine hydraulique. Si cela peut paraitre minime il faut se rappeler que ce potentiel est stratégique car il peut être mobilisé en période de pointe de consommation.

La Loi sur l’eau de 2006 introduit de nouvelles règles concernant la limitation de l’impact écologique et les débits réservés, qui devront être appliquées avant 2014. Dans le bassin du Rhône presque tous les sites aménageables  sont déjà aménagés : un seul projet est déposé dans la Romanche pour remplacer 6 ouvrages de basse chute par un seul aménagement de haute chute. L’amélioration des installations existantes devrait permettre d’augmenter la production de + 2 TWH/an dans le bassin du Rhône.

Dans les Alpes dans leur ensemble, on estime qu’il n’existe plus que quelques rares sites qui soient encore aménageables sans causer des dommages supérieurs à leur intérêt pour la production. Dans d’autres régions de montagne, de nombreux sites ont également été équipés pour l’installation de groupes hydrauliques, mais un grand nombre de sites sont encore équipables potentiellement dans le monde. La construction et l’exploitation des usines hydroélectriques causent indiscutablement des dommages aux rivières et aux zones humides, mais produisent sans  émission de gaz à effet de serre.

Les coûts environnementaux sont souvent très élevés. Parmi les conséquences répertoriées, on peut citer les effets sur les quantités de sédiments charriés ou sur le renforcement de l’érosion ou la dégradation de la biodiversité le long des berges, ou encore des modifications du microclimat et des phénomènes d’eutrophication au sein des réservoirs. Dans tous les cas il sera nécessaire d’augmenter les exigences écologiques pour minimiser les effets et protéger les dernières rivières naturelles. Ces mesures devront être envisagées au niveau du bassin tout entier et pas seulement sur le seul site d’aménagement, dans le cadre d’un schéma directeur, et intégrer aussi les petites installations et les microcentrales.

Pour ces raisons, pour toute la France, un accroissement  seulement 13,4 TWH/an, soit 19 %, des capacités de production d’électricité hydraulique, serait possible dans l’avenir, principalement avec l’amélioration des sites existants déjà. Le ministère chargé de l’écologie et de l’énergie prévoit en France un objectif d’amélioration de  + 3TWH/an pour l’hydroélectricité d’ici à 2020.

Les zones de montagne jouent un rôle crucial dans l’alimentation électrique, particulièrement en matière de centrales hydrauliques, mais dans certains pays également avec d’autres types de centrales électriques. En Autriche, en Belgique, en Suisse, en Grèce et en Suède, toutes les centrales électriques hydrauliques sont situées dans des massifs de montagne ; cette proportion est également importante dans d’autres pays (Allemagne et Roumanie : 80 % ; Italie : 60 %). Cette tendance n’est guère surprenante étant donné que les chaînes de montagne offrent les conditions topographiques nécessaires (hauteurs de chutes) pour exploiter ce type de centrales.

Cependant, si l’on examine d’autres formes de production d’énergie, quelque 50 % de l’ensemble des centrales électriques fonctionnant au gaz, au pétrole et au charbon en Autriche sont situées dans des zones de montagne ; en Grèce la part s’élève à quelque 75 %, et en Bulgarie à environ 80 %. Des centrales nucléaires sont également situées dans des zones de montagne : deux sur trois en Suisse, six sur dix en Espagne. Une des raisons de cette implantation est la disponibilité d’eau de refroidissement.

Manifestement, l’approvisionnement en électricité est un des rôles majeurs des zones de montagne à travers l’Europe. Mais, avec le changement climatique, la production hydroélectrique, pourrait se trouver réduite de - 15 %
. La Suisse estime que par rapport à l’année 1990, sa production hydroélectrique devrait baisser  de - 7 % en 2035, - 11 % en 2050 et - 22 % en 2100 du fait du changement climatique et prévoit la nécessité d’introduire plus de flexibilité dans l’exploitation des chaines d’ouvrages, notamment en été.

Le refroidissement des centrales thermiques et nucléaires en piémont et en plaine sera plus difficile du fait de l’augmentation de la température de l’eau des rivières dans lesquelles elles s’approvisionnent. Pour l’énergie thermique les marges de progrès sont faibles en matière de refroidissement des centrales et il y aura donc un risque en cas de canicules de ne plus pouvoir respecter les normes actuelles de température maximales de l’eau des rivières. Il faudra vraisemblablement réexaminer les règles de fonctionnement de nos grandes réserves hydroélectriques par chaînes d’ouvrages au vu des nouveaux enjeux énergétiques et des besoins de soutien accru des étiages en plaines.  On risque en tout cas de connaître des conflits d’usage accrus avec l’hydroélectricité.

Cependant avec le développement de la climatisation en été et une moindre utilisation du chauffage électrique en hiver, nous risquons aussi de voir se produire un pic de consommation électrique  en été à un moment ou le rendement des centrales et du réseau  est moins efficace. Cette moindre efficience des systèmes de refroidissement se retrouvera aussi dans l’industrie.

Les aménagements hydroélectriques en montagne permettent en quelque sorte un stockage d’électricité "virtuelle" quand il y a des surplus de production en Europe et de produire quand la demande augmente : ils fonctionnent comme des "accumulateurs", notamment bien sur pour les installations de "compensation par pompage". Leur rôle devient de plus en plus important pour l’équilibre du système européen de distribution d’électricité.

Les "eaux-vives" deviennent aussi un nouveau "gisement" pour l’économie des sports et des loisirs –  rafting, canyoning, canoë-kayak, nage en eau-vive, etc. – qui sont autant de créneaux pour les stations touristiques de montagne, comme à Megève, où un projet ambitieux de revalorisation va permettre de développer la fréquentation d’été. Avec le changement climatique le tourisme d’été devrait voir sa fréquentation augmenter dans les montagnes européennes. Mais à l’inverse il y a un risque évident pour l’avenir  du tourisme hivernal.

On estime que la rentabilité des aménagements de domaines skiables est assurée par 100 jours d’enneigement par an et que cette limite se situe dans les Alpes entre 1 200 et 1 300 mètres d’altitude. Pour chaque degré d’augmentation de température, cette limite pluie/neige remonte de 150 mètres d’altitude. À la fin du siècle, il pourrait ne plus y avoir au sud-est des Alpes que 11 jours d’enneigement  en hiver et 4 jours au printemps ; au sud-ouest des Alpes on tomberait à 40 jours d’enneigement en hiver et 28 jours au printemps. À 700 mètres d’altitude, un réchauffement de + 1 °C entrainerait une réduction de 30 jours de l’enneigement. Pour un réchauffement de + 4 °C la durée d’enneigement serait réduite de  50 % à 2 000 mètres et de - 95 % en dessous de 1 000 mètres !

Dans toutes les Alpes il n’y a déjà que 599 stations de ski sur un total de 666 qui sont encore naturellement skiables. Avec un réchauffement de  + 1 °C il n’y en aurait plus que 500 et seulement 404 pour un réchauffement de + 2 °C…  Il y a 143 domaines skiables dont l’enneigement est fiable dans les Alpes françaises : il n’y en aurait plus que 123 avec un réchauffement de 1 °C, 96 avec + 2 °C et seulement 55 pour un réchauffement de + 4 °C !

En France, la montagne accueille chaque année 20,8 millions de touristes français et 2,9 millions de touristes étrangers, représentant 175 millions de nuitées, soit un potentiel économique considérable.

Enfin, il n’est plus nécessaire de parler du marché désormais mondial des eaux minérales et thermales, dont la plupart des sources sont en montagne ou à leur piémont immédiat.

201007_montagne_itl_4.jpg

L’adaptation de la gestion de l'eau aux effets  du changement climatique
UNE URGENCE MONDIALE

 

À supposer que l’humanité puisse réduire sensiblement demain les émissions de gaz à effet de serre, les effets néfastes du changement climatique ne continueraient pas moins à se faire sentir pendant  de nombreuses décennies. Le changement climatique apparaît donc désormais inéluctable. Une de ses premières conséquences sera une modification des cycles hydrologiques.

Même si des mesures ambitieuses étaient prises au niveau international par tous les pays pour réduire sensiblement leurs émission de gaz à effet de serre, l’effet sur le climat ne sera perceptible au mieux que vers la fin du siècle. Les changements des précipitations et des cycles hydrologiques sont eux déjà engagés et seront sans doute sensibles d’ici à 2040 ou 2050, c'est-à-dire en moins d’une génération : il faut donc réagir vite, avant qu’il ne soit trop tard et il est clair que le seul contrôle des rejets de gaz sera insuffisant pour modifier cette évolution dans les délais.

Il est donc indispensable de travailler à l’adaptation aux conséquences du changement climatique et en particulier, s’agissant des organisations de bassin, des politiques de gestion des ressources en eau, en prenant en compte les éléments nouveaux du changement climatique. Il faut notamment évaluer rapidement, selon divers scénarios, les conséquences hydrologiques de ce changement.

Ces effets se cumulent aux importantes pressions d’ores et déjà liées à la croissance démographique, à l’urbanisation et au développement.

Le réchauffement climatique est un "multiplicateur de menaces", aggravant les situations difficiles et accroissant les tensions, même dans les régions stables !

Si les gaz à effet de serre sont responsables du réchauffement climatique, l’eau douce en est la première victime ! Il est donc indispensable de travailler dès à présent à l’adaptation des politiques et mécanismes de gestion des ressources en eau pour faire face aux effets du  changement climatique. Nous devons donc apprendre à anticiper les dégâts et à prendre les mesures nécessaires pour  empêcher ou pour le moins minimiser leurs effets négatifs, bref nous adapter. Une action rapide permettra de réduire les coûts et les dommages.

La "solidarité amont-aval" doit être renforcée

Il faut mieux reconnaître le rôle des montagnes pour la collectivité dans son ensemble et mieux aider les montagnards, dans le cadre de politiques intégrées des bassins, pour qu’ils puissent assurer la gestion des territoires, des écosystèmes et des ressources en eau des massifs, et réaliser les équipements intégrés nécessaires en amont, pour continuer à protéger l’aval contre les risques et à fournir aux plaines de l’eau abondante et de qualité, dont elles auront de plus en plus absolument besoin ...

Pendant des millénaires, et même si depuis le 19ème siècle l’hydroélectricité, l’industrie et le tourisme s’y sont développés notamment en Europe et en Amérique du Nord, la gestion de l’eau et des sols en montagne a été principalement gouvernée par les intérêts agro-sylvo-pastoraux, qui constituent encore une part importante de leurs économies. Aujourd’hui l’heure est venue de repenser la gestion des eaux et des sols de montagne en tenant compte, sans doute prioritairement, des contraintes stratégiques de l’approvisionnement en eau des populations et des économies agricoles, industrielles et touristiques des piémonts et des plaines en aval, sur la base de principes de solidarité, de compensation, de rétribution des services rendus  par les écosystèmes montagnards et les habitants qui en assurent la gestion. C’est une des principales stratégies à adopter prioritairement pour prévenir le risque de stress hydrique de continents entiers !

Conservation et stockage des ressources en eau,  aménagement des versants et des sols pour retenir l’eau durant les précipitations, gestion du couvert végétal et forestier, protection des zones humides, zonages de protection, etc., les nouvelles politiques d’aménagement du territoire devront concourir à optimiser les réserves d’eau disponibles  pour la communauté et prévenir les risques naturels. Ces mesures auront un coût important et il faudra convaincre les propriétaires fonciers, les communautés montagnardes, les aménageurs que la production et le stockage de l’eau douce est au moins aussi important que les activités actuelles. Il faudra pour cela mettre en place des mécanismes institutionnels et financiers permettant le paiement des services rendus dans les hauts bassins versants par leurs principaux  bénéficiaires habitants en aval.  Il est en particulier indispensable de développer les études pour mesurer la contribution réelle de l’eau à l’économie et au développement humain, bref donner une valeur "monétaire" aux ressources en eau, pour être capable d’établir le vrai bilan cout / efficacité de leur gestion.

La gestion de l’eau, qui dans les instances internationales n’est encore considérée que comme un sous-objectif secondaire du développement durable ou de la lutte contre la pauvreté et dans nos économies développées comme un simple volet la protection de l’environnement, doit devenir une priorité politique à part entière, compte tenu des enjeux qu’elle représente pour l’avenir de l’humanité.

En France, la Loi Montagne de 1985 avait ouvert timidement la voie, notamment en ce qui concerne les quotas d’énergie réservée aux zones de montagne et en renforçant la politique de massifs. Le système français des agences de l’eau ouvre aussi une possibilité de solidarité entre l’amont et l’aval de leurs bassins.

Faire dès maintenant l’apprentissage de la vulnérabilité

L’incertitude actuelle ne doit pas être une raison pour l’inaction. Les actions et la recherche doivent être menées de front et simultanément. L’adaptation doit être "flexible" et les mesures à prendre rapidement doivent être "adaptables" si les conditions changent encore ou si l’évolution ne se fait pas comme prévue. De toute façon améliorer la "résilience" des montagnes et de leurs écosystèmes est vital pour la régulation future des ressources en eau en Europe et quasiment partout dans le monde.

Il faut développer des stratégies "gagnant / gagnant" et lancer tout de suite des programmes de mesures "sans regret", dont la mise en œuvre sera de toute façon indispensable dans tous les scenarii envisageables, dès lors que l’eau est indispensable à quasiment tous les secteurs dont le développement dépend de sa disponibilité et de sa qualité. La planification doit se faire au niveau des bassins des grands fleuves et reposer sur une forte coopération intersectorielle et aussi internationale quand les bassins sont transfrontaliers.

Mais au-delà des mesures  de préservation, c’est sans doute tout un mode de relation à notre consommation de l’eau qu’il va falloir changer pour mieux contrôler la demande,  être plus économe et moins pollueur, mieux préserver les écosystèmes aquatiques, etc. Il faudra aussi que nos sociétés sachent accepter une part de risque face à l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des inondations et des sécheresses contre lesquelles, il ne sera pas possible d’assurer un "risque zéro" : c’est ça l’apprentissage de la vulnérabilité, mais ce "risque zéro" n’a jamais été atteint, il faudra vivre avec de façon plus consciente qu’aujourd’hui !

La Directive cadre européenne sur l’eau

L’Union Européenne, avec la Directive cadre sur l’eau, dispose d’un outil juridique de pointe : c’est la première fois au monde que 29 pays (27 pays membres + la Suisse et la Norvège) s’engagent à mettre en place d’ici à 2015, 2021 et 2027 un dispositif aussi ambitieux et complet, visant au "bon état écologique" de l’essentiel des "masses d’eau" européennes.

Plusieurs États membres de l’Union Européenne élaborent d’ores et déjà des stratégies nationales d’adaptation ; dès 2011, un Centre européen d’information sur les effets du changement climatique devrait voir le jour et la Commission européenne proposera en 2013 une stratégie commune, dont les mesures sur l’eau devront être intégrées dans les prochains plans de gestion et programmes de mesures 2015-2021 de la Directive cadre sur l’eau.

S’attaquer aux conséquences du changement climatique en particulier à la rareté de la ressource en eau et aux sécheresses est déjà une priorité affichées de la politique régionale de l’UE pour la période 2007-2013. Le cadre prévoit de soutenir des investissements d’infrastructures liées à la gestion de l’eau (stockages, distribution, traitement), le développement de technologies propres permettant une utilisation rationnelle de l’eau ainsi que des mesures de prévention des risques. Il reste essentiel de faire en sorte que l’octroi des fonds soit subordonné à la preuve préalable du recours à des mesures visant à économiser l’eau et à garantir son utilisation rationnelle…

Maintenant il faut passer à l’acte et mettre en place les actions concrètes qui s’imposent d’urgence : le congrès international de Megève présentera des expériences de terrain, qui marchent et donnent des résultats, qui peuvent être généralisés ou dont on peut s’inspirer pour progresser.

Il est d’ores et déjà clair que le coût collectif de l’inaction serait considérable et qu’il faut réagir au plus vite pour s’adapter avant qu’il ne soit trop tard !

201007_montagne_itc.jpg

États généraux de l´eau en montagne
Une nouvelle gouvernance de l'eau en montagne s'impose pour faire face au changement climatique
EURO-RIOB 2010
Gestion intégrée des hauts bassins versants – 3ème congrès international
22-24 septembre 2010, Megève – France

 

 ResSources

201009_Eau_Montagne.gif 

  • Le site Internet L'eau en Montagne
  • Réseau international des organisme de bassin – RIOB
  • Office international de l'eau – OIEau
  • Association nationale des élus de montagne – ANEM
  • Ville de Megève
  •