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Pierre HUBERT – AISH

Mots clés : aide publique, coopération, développement, eau, Sahel, sécheresse
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Sahel, la sécheresse est finie

l’interview de Pierre HUBERT
ingénieur de l’École Centrale, docteur es Sciences
maître de recherches à l’École des Mines de Paris et
secrétaire général de l’Association Internationale des Sciences Hydrologiques – AISH


propos recueillis par Martine LE BEC
Sources Nouvelles, IRC – octobre-novembre 2005
H2o – décembre 2005

 

La sécheresse sahélienne serait déjà achevée et ce depuis le milieu des années 1990. Comment le démontrez-vous ?

Les analyses que nous avons effectuées à partir de la série des débits annuels du fleuve Sénégal ont  révélé une "cassure", entre 1993 et 1994. Replacée à l’échelle des 50 dernières années, cette cassure est un signal très net et qui ne laisse aucun doute : le bassin du fleuve Sénégal est depuis cette date entré dans une phase de relative humidité. Le bassin du fleuve Sénégal s’étant par le passé révélé un bon indicateur pour l’ensemble de la région, on peut raisonnablement penser qu’il en est de même pour le Sahel dans son ensemble.

L’Afrique de l’Ouest a, ces dernières années, enregistré un certain nombre de crues importantes comme en témoignent par exemple les inondations à Dakar. Il y a eu des pluies significatives et, qui plus est, le retour des criquets ce qui est particulièrement significatif : si les criquets reviennent, c’est qu’ils ont de quoi se nourrir et qu’il y a donc au moins un minimum d’humidité. Mais dans l’absolu, pouvait-on estimer la sécheresse achevée ? La question s’est posée à partir de 1999, 2ème année humide après 1994. Deux études, publiées en 2002, fournissaient des réponses opposées mais en invoquant aussi chacune la nécessité d’un plus grand recul.

Partant de là, nous avons décidé de reprendre l’étude de la série chronologique du fleuve Sénégal, maintenant longue de 100 ans (1904-2003), déjà entreprise en 1989 et en 1998 sur des séries évidemment plus courtes. Cette étude nous a permis de mettre en évidence les mêmes schémas que précédemment : une première période de sécheresse dans les années 1910, suivie d’une période relativement humide dans les années 1920, puis une nouvelle sécheresse à partir de 1939-1940, et de nouveau une période humide entre les années 1950 et 1960 avant de retomber, en 1969-1970, dans la sécheresse.


Avec une nouvelle "rupture" courant des années 1990 ?

Exactement. Nous avons en effet raffiné notre méthodologie de "Segmentation de série" qui consiste en son découpage en autant de sous séries homogènes ("stationnaires" dans le jargon statistique) que possible. Ici, Cette procédure de segmentation a été appliquée à toutes les sous séries allant de l’année 1904 à l’année i, i variant de 1905 à 2003, mais aussi à toutes les sous séries allant de l’année i à l’année 2003, i variant de 1904 à 2002. Les résultats reportés dans une figure mettent "naturellement" en évidence des cassures, au premier rang desquelles les cassures principales comme celle des années 1921-1922, correspondant sur le fleuve Sénégal à une augmentation du débit, celle de 1938-1939 (diminution de débit), celle de 1949-1950 (augmentation) ou celle encore de 1967-1968 (diminution). Mais à côté de ces cassures principales apparaissent d’autres cassures qui ne sont pas accidentelles ou anecdotiques et qui, au contraire, se répètent dans des voisinages relativement étendus de part et d’autre des extrémités de la série. Il existe par exemple une telle cassure entre 1910 et 1911, dans des voisinages allant de 1904 à pratiquement 1940, qui témoigne d’une aggravation locale de la sécheresse du début du 20ème siècle. À l’opposé de la série, deux cassures se retrouvent dans des voisinages de 2003 remontant jusqu’en 1945 : une première en 1976-1977 marquant une aggravation de la dernière sécheresse, mais aussi une seconde, en 1993-1994, marquée par une augmentation des débits.


La méthode permet-elle d’affirmer à coup sûr le retour d’une phase d’humidité ?

Ce résultat qui se manifeste à l’échelle des 50 dernières années nous semble suffisant pour supposer que nous sommes effectivement entrés depuis maintenant une dizaine d’années dans une nouvelle phase climatique à l’échelle du bassin du fleuve Sénégal. Ce retour ne résout cependant pas tous les problèmes, car l’humidité s’accompagne de nouveaux risques ; nous avons évoqué les inondations, et les invasions de criquets. Est-ce que les structures agricoles et sociales qui ont été profondément marquées par la phase de sécheresse ayant débuté vers 1970, seront à mêmes de tirer avantage de ce cadeau du ciel… Nous laissons ici la place aux spécialistes du développement. .

 

 ResSources
L’Hôte Y., Mahé G., Somé B., Triboulet J.P., "Analysis of a sahelian annual rainfall index from 1896 to 2000; the drought continue", 2002, Hydrological Sciences Journal 47(4), 563-572.
Ozer P., Erpicum M. Demarée G. and Vandiepenbeeck M., "The sahelian drought may have ended the 1990’s, discussion of ‘analysis of a sahelian annual rainfall index from 1896 to 2000; the drought continue’ by L’Hôte et al.", 2002, Hydrological Sciences Journal 48(3), 489-496.