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FAME 2012
Sur la route de Marseille, chronique d'un drôle de pélerinage

Mots clés : FAME, forum alternatif mondial de l'eau, Marseille, 2012
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Index du dossier
1. Italie : Victoire de la société civile
2. Tunisie : Éviter le piège de la privatisation
3. Afrique : La privatisation est-elle la solution ?
4. Nouvelles donnes de la mobilisation citoyenne
5. Sur la route de Marseille 2 : Du FME au FAME
6. Sur la route de Marseille 1
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VICTOIRE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE EN ITALIE
L’eau ne fera pas le beurre des monopoles

Mohamed Larbi BOUGUERRAancien professeur à la faculté des sciences de Tunis
directeur de recherche associé au CNRS
Tunis juin 2011 – H2o septembe 2011

photo Freiburg, août 2011 – ATTAC
université européenne d'été

 

Le 13 juin dernier, en Italie, le référendum populaire, né d’une initiative citoyenne, a dit non à la marchandisation de l’eau et fait mordre la poussière aux politiques néolibérales promues par le gouvernement Berlusconi.

La démocratie participative a ainsi défendu les  biens communs – dont l’eau, bien entendu – qui font saliver les milieux d’affaires. Depuis fin 2009, le gouvernement italien obligeait, au moyen d’un décret, les institutions locales à transformer toutes les sociétés qui géraient le service de l’eau dans la péninsule à attribuer au moins 40 % des actions de ces sociétés à des partenaires privés. Mais l’initiative populaire inscrite dans la Constitution permet aux citoyens d’abroger un décret si 500 000 électeurs demandent un référendum et si la moitié du corps électoral plus un inscrit  prennent part au vote. C’est ainsi que la société civile a remporté cette grande victoire du 13 juin en dépit du fait que les médias aux ordres de Berlusconi et l’establishment en général ont tout fait pour la faire capoter.

Barrer la route aux multinationales de l’eau

La victoire du peuple italien vient confirmer que l’eau est un élément chargé de symboles et de valeurs et qu’elle ne saurait être traitée comme une vulgaire marchandise générant des profits pour les actionnaires des multinationales de l’eau.  L’eau est Vie. Elle fait vivre cette planète – en déployant son magnifique cycle –  depuis son apparition dans le Cosmos il y a 4,5 milliards d’années. Nul ne saurait en être privé pour son incapacité à la payer. La loi du marché est ici une exigence néfaste, contreproductive tant pour le citoyen que pour l’environnement.

Dans le monde aujourd’hui, 95 % des réseaux d’eau sont gérés par la puissance publique car des millions de citoyens refusent de passer sous les fourches caudines des multinationales de l’eau qui n’ont d’yeux que pour le cash flow, la valeur de l’action en bourse et le dividende à distribuer en fin d’année. Du reste, exception faite du Chili, de l’Angleterre et du pays de Galles – qui ont totalement privatisé la gestion de l’eau – aucun État n’a totalement délégué cette fonction capitale à un opérateur privé.  Pour la Tunisie, on a vu en juin 2008, un représentant  des multinationales de l’eau,  être reçu par l’alors Premier ministre, M. Mohamed Ghannouchi, président en outre de la Commission des marchés. C’est là un fait inquiétant car certains veulent,  à tout prix,  exporter les principes de"l’école française de l’eau" et ils emploient à cet égard tous les subterfuges possibles : publicité tapageuse, ciblage des écoliers, des médecins… et surtout conversion des politiques à leurs vues. Or, sur les quatre plus grands groupes mondiaux du secteur de l’eau, trois sont françaises. En France en effet, pour des raisons qui tiennent à l’histoire de ce pays, depuis la Deuxième Guerre mondiale, 8 habitants sur 10 sont desservis par un opérateur privé voire 9 habitants sur 10 dans les grandes agglomérations. Mais les gens luttent et disent : ce bien commun doit être partagé, loin de tout esprit de lucre ou de profit. C’est ainsi que la ville de Paris vient de dénoncer les contrats –  signés par M. Jacques Chirac, alors maire de la capitale – qui la liaient aux entreprises de l’eau. D’autres villes, aussi bien de droite que de gauche, ont fait de même car, dans l’immense majorité des cas, l’eau distribuée par les multinationales est bien plus chère que lorsque le service est assuré par un organisme public. Il en est de même pour l’assainissement des  eaux usées : assuré par le public, il demeure moins cher pour le citoyen. De plus, en France même, on a souvent vérifié cette loi : la privatisation des services de l’eau et de l’assainissement conduit parfois à de graves dérives : opacité, surfacturation… qui ont conduit à de nombreuses "affaires politico-financières". C’est ainsi que le maire de Grenoble,  Alain Carignon a été condamné, en 1996, à quatre ans de prison ferme pour corruption.

Les déboires de la privatisation

Les multinationales de l’eau –  françaises notamment  – face aux rigueurs de la loi "at home" et face aux actions citoyennes, lancent des actions tout azimut  à l’étranger et promeuvent,  avec l’appui  du FMI et de la Banque mondiale, le partenariat public-privé. Il s’agit de mettre à contribution les financements  publics (souvent en partie internationaux) et  d’inventer des mécanismes pour assurer la sécurité des investissements privés car le krach en Argentine, par exemple, a fait perdre plus d’un demi-milliard d’euros à une multinationale française. En 2003, la ville d’Atlanta aux États-Unis a rompu son contrat de 20 ans signé en 1999 avec une autre entreprise française. Pareillement, en 2003 encore, parce que la municipalité de Manille aux Philippines a refusé les hausses de tarif de l’eau, cette même entreprise a du quitter le pays : le prix de l’eau a explosé de 500 % en 5 ans et la qualité de l’eau n’a pas été à la hauteur, choléra et gastroentérite ayant fait des centaines de malades et tué 7 personnes.  En Bolivie, la privatisation de l’eau a conduit à des émeutes sanglantes à Cochabamba. Les multinationales de l’eau ont du aussi se retirer du Vietnam, voire d’Halifax au Canada. En Afrique, des joint ventures d’une multinationale française ont vu le jour au Gabon,  au Niger et au Maroc où la résistance des populations va crescendo.

En Tunisie, bien des zones du pays méritent une meilleure couverture et pour bien des communautés, l’alimentation en eau est un calvaire. Des problèmes sanitaires ont même été signalés par endroit. La Révolution peut et doit mettre fin à ces situations déplorables et dégager les financements nécessaires, d’autant qu’un dinar consenti pour l’eau en rapporte huit au final.  Le pays a assez d’ingénieurs et de techniciens capables de relever ce défi. Ils doivent être mobilisés pour que l’eau  et l’assainissement ne causent  plus de souci à nos concitoyens. Les multinationales de l’eau ne veulent pas d’une clientèle aux moyens modestes et rurale.  Elles visent en priorité les villes et veulent faire des profits. Rappelons enfin que l’Assemblée générale de l’ONU a voté en juillet 2010 que  l’alimentation en eau est un droit. Pour l’heure, ce droit n’est peut être pas opposable aux États mais la résolution de l’ONU a un tel poids moral que nul pays n’a osé voter contre… Seule une poignée de membres s’est abstenue comme les États-Unis et Israël.  L’eau est,  en effet, au premier chef,  une question politique et éthique. 

"Ça s’écrit EAU, mais ça se lit démocratie",  tel était le slogan du référendum italien. Il nous faut  retenir la leçon qui vient de Rome: la société civile exerçant démocratiquement ses droits peut faire échec aux adorateurs du Veau d’Or qui visent la privatisation des biens communs et oublient que, pour le poète Paul Claudel : "l’eau est le regard de la Terre, son appareil à regarder le temps."  La Révolution tunisienne doit garder limpide et propre ce regard. Elle doit résister aux multinationales de l’eau. .

 

 ResSources
  • Forum alternatif mondial de l’eau – FAME 2012


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