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Dessin de tracé de fleuve

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La Grande Inondation

Mots clés : aube, crue centennale, grands lacs de seine, île-de-france, inondation, marne, paris, seine, sequana, yonne, 1910
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Index du dossier
1. La Grande Inondation, 106 ans après la grande crue de 1910
2. L´Île-de-France particulièrement vulnérable au risque de crue
3. Grands Lacs de Seine : des lacs pour protéger la capitale
4. Rendre l´Île-de-France plus résiliente face au risque inondation
 

Paris sous les eaux, Olivier Campagne et Vivien Balzi

L'ÎLE-DE-FRANCE
Particulièrement vulnérable au risque de crue

En touchant l’Île-de-France, une crue exceptionnelle affectera le pays dans son entier.

Près de 830 000 habitants de l’Île-de-France, soit 7,2 % de la population de la région, sont directement menacés par une crue centennale (note : cette estimation de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France, IAU ÎdF, se fonde les données du recensement général de la population de 2006 ; le nombre de 850 000 habitants impactés est aujourd'hui avancé). Les aires urbanisées des départements du Val-de-Marne et des Hauts-de-Seine sont tout particulièrement exposées, ainsi que les 7ème, 8ème, 12ème, 13ème et 15ème arrondissements de Paris. 60 % de cette zone inondable métropolitaine est exposée à un aléa fort à très fort où la hauteur de submersion pourrait dépasser 1 mètre.

100  000 entreprises, regroupant 750 000 emplois (chiffres des derniers travaux de l’IAU ÎdF non encore publiés), seront directement affectées ainsi que de nombreuses institutions officielles, des quartiers d’affaires et des sites patrimoniaux et touristiques de premier plan, de même que les infrastructures de transport, d’électricité et d’eau ainsi que de nombreuses écoles et établissements de santé. L’inondation des postes "sources" et moyenne tension – ou leur coupure préventive pour protéger les installations et faciliter le retour à la normale – privera a minima 2,5 millions d’habitants d’électricité ; par ailleurs, 20 % des stations d’épuration, représentant 85 % des capacités, sont localisées en zone inondable. L’approvisionnement alimentaire, en produits de première nécessité, en hydrocarbures, en argent liquide sera réduit ; les télécommunications seront aussi limitées avec des réseaux saturés ou dégradés. Au total, on estime que plus de 5 millions de personnes auront leur vie quotidienne significativement impactée par ces différents effets dont les répercussions dépasseront largement les seules zones inondées.

 

LES HOMMES. Malgré la forte exposition de l’Île-de-France, l’implantation humaine en zone inondable se poursuit, et ce de façon significative. L’implantation des nouvelles populations s’inscrit très majoritairement dans le cadre des processus de renouvellement et de densification, mais aussi de la mutation du tissu urbain : la requalification de friches industrielles et la construction de nouveaux logements. Dix communes accueillent 55 % de la population nouvelle en zone inondable sur la dernière décennie, parmi lesquelles Alfortville, Issy-les-Moulineaux, Ivry-sur-Seine, Maisons-Alfort, Asnières-sur-Seine et Villeneuve-la-Garenne témoignent des plus fortes évolutions.


Les pertes directes en vie humaine sont peu probables du fait de la lenteur de la crue. Mais de nombreux équipements hospitaliers ou de santé ne pourront continuer leurs activités qu’en mode dégradé ou devront fermer temporairement. Selon le secrétariat général de la zone de défense et de sécurité de Paris, plus de 35 000 lits seront impactés de manière directe et indirecte, en premier lieu dans les hôpitaux Georges Pompidou et de la Pitié-Salpêtrière (ce nombre correspond au scénario d’une crue équivalente à celle de 1910 ; pour une crue R1.15 ce sont 78 000 lits qui seraient impactés en totalisant les établissements desoins et les établissements médicaux-sociaux). Les opérations majeures devront être déprogrammées à l’avance et les malades les plus sévères, nécessitant des soins particuliers à l’instar des grands brûlés, seront évacués hors de l’agglomération parisienne.

Les institutions de l’État auront à faire face aux mêmes perturbations que les citoyens. De nombreux bâtiments clés du fonctionnement de l’État se trouvent en zone inondable ou de fragilité électrique : le palais de l’Élysée, l’Assemblée nationale, le palais de justice et la préfecture de police sur l’Île de la Cité, le ministère de l’Économie et des Finances à Bercy, celui des Affaires étrangères au quai d’Orsay, la préfecture de région, de même que le futur siège de l’état-major de l’armée française à Balard dans le 15ème arrondissement ainsi que plusieurs casernes de la brigade des sapeurs pompiers de Paris. Assurer la continuité de leur activité même en mode dégradé sera essentiel pour le bon fonctionnement de l’État. Une crise prolongée aurait des répercussions nationales si ces institutions se trouvaient empêchées de conduire leurs activités dans une période où leur action sera particulièrement requise.

Au niveau des collectivités locales, plusieurs mairies, le siège du conseil général du Val-de-Marne, de nombreux bâtiments publics qui assurent des services publics essentiels auprès des populations seront aussi touchés et pourront difficilement assurer leurs missions, notamment les services sociaux.

Le secteur industriel francilien est également vulnérable aux inondations de la Seine, et le secteur automobile en particulier. L’Île-de-France est la première région industrielle française avec 392 000 emplois salariés et c’est le secteur de l’automobile et du transport qui en est le premier employeur. Peugeot et Renault comptent parmi les dix plus gros employeurs (publics et privés confondus) de la région. Ces entreprises, de même que Snecma et Dassault se sont implantées historiquement le long des berges de la Seine, et verraient le fonctionnement de leurs usines affecté par la crue. Les chaînes d’approvisionnement, dont ces entreprises industrielles dépendent fortement seront aussi perturbées par l’impact sur les différents réseaux critiques. Les répercussions en chaîne de ces interruptions pourront avoir un impact plus large sur leurs nombreux sous-traitants et clients, en France et à l’étranger. Les inondations qui ont touché la ville de Bangkok en 2011 ont ainsi eu de sérieuses conséquences sur l’industrie automobile japonaise qui y a implanté de nombreuses usines.

 

LES ENTREPRISES. Les PME représentent 85 % des entreprises présentes dans la zone inondable. Elles pourront être sévèrement atteintes par les conséquences d’une crue pouvant entraîner de nombreuses faillites si elle dure. Lors de l’ouragan Sandy, 70 000 PME ont ainsi fait faillite à New York. De nombreux hôtels aussi sont concernés puisque 13 % des chambres de la région sont situées en zone inondable et 30 % d’entre elles en zone de vulnérabilité électrique. Cela concerne plus particulièrement les hôtels de catégorie supérieure de Paris intramuros. Une crue majeure dont les effets dureront plusieurs mois mettra à mal la saison, les touristes préférant réserver dans ces conditions vers une autre destination. L’impact des catastrophes sur les recettes touristiques d‘un pays peuvent être significatives : selon l‘Office national du tourisme japonais, le nombre de visiteurs étrangers au Japon a diminué de 50 % dans les mois qui ont suivi la catastrophe de Fukushima ; les inondations de Bangkok ont entraîné une perte supérieure à 3 milliards de dollars pour le secteur touristique, de même que les trois ouragans successifs de 2005 et l’épidémie de H1N1 ont largement réduit les recettes touristiques au Mexique.

 
Les dommages environnementaux d’une inondation de la Seine pourront être majeurs. Les usines de traitement des eaux usées de l’agglomération parisienne se trouvent toutes le long du fleuve et leurs niveaux de protection pourront être dépassés, entraînant à la fois leur arrêt et donc le rejet des effluents directement dans le fleuve, mais aussi l’inondation de leur zone de stockage d’effluents. Lors de l’ouragan Sandy, ce sont plus de 40 millions de mètres cubes d’eaux usées qui furent rejetés directement dans le milieu naturel. Des atteintes à l’environnement pourront aussi provenir de la présence de sites industriels importants, notamment de type règlementé par les directives européennes SEVESO ou IPPC, tels que ceux situés dans la boucle de la Seine à Gennevilliers ou à Vitry-sur-Seine (dépôts d’hydrocarbures et de produits inflammables). L’Île-de-France abrite 34 sites "Seveso haut", dont certains localisés en zone inondable. Les nombreux sites et sols pollués de la région, situés le long du cours de la Seine, ainsi que les sites de stockage de déchets entraîneraient également une pollution importante du milieu naturel s’ils étaient inondés.

 

LE PATRIMOINE. Le musée du Louvre, le musée d’Orsay et le musée du quai Branly ponctuent les berges de la Seine qui sont classées au patrimoine mondial de l’UNESCO. Lors des inondations de Prague en 2002, de nombreux chefs d’oeuvre culturels, et notamment le quartier médiéval Mala Strana classé au patrimoine de l’UNESCO, se sont retrouvés sous la boue et furent très endommagés. Des archives et bibliothèques historiques aux livres précieux furent aussi touchées : 2 000 mètres cubes de documents ont été congelés dans un entrepôt frigorifique en périphérie de la capitale afin de les conserver en vue de les restaurer.

 

TROIS SCÉNARIOS ont été définis autour de la crue de 1910 en utilisant les résultats du modèle hydraulique ALPHEE utilisé par la Direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie – Île-de-France (DRIEE) et l’établissement public territorial de bassin Seine Grands Lacs. Ces scénarios ne prennent pas en compte les effets des quatre barrages-réservoirs situés en amont du bassin, qui permettre de réduire le niveau de l’eau à Paris de près de 70 centimètres.
Scénario 1 
Le débit de la crue atteint 80 % du débit de 1910

La Seine atteint une hauteur de 6,90 mètres à l’échelle d’Austerlitz et eaux restent hautes près d’une semaine.
Grâce à des protections locales bien maintenues, l’eau reste majoritairement contenue par les berges et les murs de protection de la Seine dans les grandes zones urbanisées. La crue affecte toutefois plus de 100 000 personnes et inonde 30 000 habitations en grande banlieue à l’amont et à l’aval de Paris. Entreprises et équipements publics sont aussi touchés par des impacts directs causant des pertes d’exploitation ainsi que la perturbation localement des réseaux d’assainissement, d’électricité et de transport (la ligne du RER C notamment) pour deux semaines additionnelles au minimum.
Ce scénario est légèrement inférieur mais représentatif des crues historiques de janvier 1924 et 1955.
Scénario 2
Le débit de la crue atteint 100 % du débit de 1910

La Seine atteint une hauteur de 8,15 mètres à l’échelle d’Austerlitz et les eaux restent hautes près de deux semaines.
Paris est protégée par ses berges et murettes, mais les départements de la petite couronne ne le sont pas, et l’eau y déborde sur de larges zones. Plus de 600 000 habitants sont directement affectés essentiellement dans les départements des Hauts-de-Seine et du Val-de-Marne et près de 100 000 habitations sont inondées. La préservation du cœur de l’agglomération permet néanmoins de restaurer la plupart des fonctionnalités métropolitaines, un à deux mois après la fin de la période de crise.
Scénario 3
Le débit de la crue atteint 115 % du débit de 1910

La Seine atteint une hauteur de 9,11 mètres à l’échelle d’Austerlitz et les eaux restent hautes près de quatre semaines par endroit.
À Paris, les berges et murettes ne permettent plus de contenir l’eau dans plusieurs quartiers intramuros de la ville, et de larges zones de l’agglomération se retrouvent sous les eaux. 1 000 000 de personnes sont directement affectées. Le réseau électrique est interrompu pour près de 1,5 million de clients particuliers et professionnels, l’eau potable n’est plus distribuée ou seulement avec une qualité détériorée pour près de 6,5 millions d’habitants au total. Le réseau de transport public souterrain est largement endommagé et interrompu pendant une longue période et le passage de la rive droite à la rive gauche de la Seine est impossible. La plupart des habitants de l'Île-de-France voient leurs conditions de vie sévèrement dégradées pendant plusieurs mois. L’activité économique s’interrompt quasiment pendant plusieurs semaines et met des mois avant que des conditions de vie normales permettent aux habitants de retourner travailler au niveau d’avant la crise. Entretemps de nombreuses PME ont fait faillite alors que de grandes entreprises ont délocalisé provisoirement leurs activités.
Pour développer des stratégies de préparation à la crise dans le cadre du dispositif ORSEC, la préfecture de police et son secrétariat général de la zone de défense et de sécurité utilisent cependant quatre scénarios régionaux : R0.6 (60 % des débits de 1910), R0.8 (80 %), R1 (100 %) et R1.15 (115 %). L’étude sur ce débit supérieur de 15 % au débit maximum observé en 1910, permet d’intégrer les aménagements du lit de la Seine et les quatre barrages-réservoirs situés en amont de la capitale. Ce débit produirait une crue presque équivalente en surfaces inondées à celle de 1910, correspondant aux "plus hautes eaux connues" (PHEC). L’intérêt de ce scénario R1.15 est d’étudier le cas d’une submersion des systèmes de protection, généralement fondés sur le niveau de la crue 1910 (8m62 à Austerlitz). En effet, pour une hauteur sensiblement supérieure à celle de 1910, il y a un véritable effet de seuil qui entraînerait une augmentation significative des impacts, notamment pour l’eau potable, puisqu’on passerait alors de quelques milliers de personnes privées d’eau à près de 5 millions.

Les dommages de la catastrophe ont été estimés dans le rapport de l’OCDE entre 3 et 30 milliards d’euros pour les dommages directs selon les scénarios d’inondation, assortis d’une réduction significative du PIB qui atteindra sur 5 ans de 1,5 à 58,5 milliards d’euros. La réduction de l’activité des entreprises causée par l’inondation impactera significativement la demande en main d’œuvre jusque 400 000 équivalents temps plein dans le cas extrême. Même si le rebond d’activité réduira certains de ces effets rapidement après une année, les conséquences dommageables d’une crue majeure de la Seine se feront sentir à long terme et peser sur les finances publiques. Dans le cas où l’impact dépasserait les réserves disponibles pour y faire face, via le régime d’indemnisation pour les catastrophes naturelles CatNat, l’État sera conduit à jouer pleinement son rôle de garant de dernier ressort. Pour y parvenir il aura le choix entre l’émission d’un emprunt d’État ou la mise en place d’un impôt exceptionnel.


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Visiau-Risques – L’outil SIG Visiau-Risques a été développé par l‘IAU ÎdF.
Disponible en ligne pour les professionnels, il contient de nombreuses informations détaillées sur les enjeux exposés et précise les zones d’aléa fort et d’aléa faible. Cet outil a notamment permis à l’institut d’estimer précisément le nombre de personnes, d’entreprises et d’emplois concernés par le risque d’inondation avec une restitution fine à l’échelle des communes.
Visiau Île-de-France / Risques naturels et technologiques / Inondations

 

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Baignade interdite – Application cartographique développée par l'IAU ÎdF.
L'outil permet d'obtenir une série d'informations sur les zones inondables en Île-de-France : niveaux d'eau ; superficie communale inondable ; équipements, résidents et habitations impactés. L'application croise deux catégories de données : d’une part celles disponibles en open data (communes, gares ferroviaires, établissements de santé, établissements du 1er et 2nd degré, le fond OpenStreetMap) et, d’autre part, celles de l'IAU ÎdF.

 

Paris sous les eaux, Olivier Campagne et Vivien Balzi