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Expédition 7e Continent : Du plastique du fond des océans aux nuages

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Dossier de
la rédaction de H2o
  
26/10/2019

L'ONG Expédition 7e Continent a été créée sur deux objectifs : la pédagogie en sensibilisant le grand public, les politiques et industriels à la problématique que représente la pollution par le plastique ; la science afin de mieux comprendre cette pollution et les mécanismes qui la constitue en allant notamment dans les gyres océaniques. Ce second objectif associe le CNRS et c’est sous la direction de la chimiste Alexandra Ter-Halle, directrice scientifique de l'association et chercheuse au CNRS au sein du laboratoire des interactions moléculaires et réactivités chimiques et photochimiques (IMRCP, unité mixte CNRS et de l’Université Toulouse III - Paul Sabatier), que l'association a pu mettre en évidence lors des missions de 2014 et 2015 la présence de nanoplastiques dans les océans. Ses recherches se concentrent désormais sur 3 axes : la fragmentation des déchets plastiques, le transfert et le transport des micro et nanoparticules et la transformation dans la biomasse. Toutes ces avancées sont rendues possible grâce au soutien de partenaires. 

Après 5 ans à effectuer des missions sur les océans de la planète pour comprendre ce sujet, Alexandra Ter-Halle fait remarquer que si l'on voit énormément de macro déchets dans les océans, ces derniers proviennent principalement des emballages à usage unique destinés à être utilisés seulement quelques minutes. Cela tombe sous le sens et il devient urgent de mobiliser les industriels et les consommateurs pour changer nos modes de production et de consommation. Toutefois, l'objectif de la mission 2019 en Méditerranée a été de ce se concentrer sur la pollution plastique invisible à l'œil nu. Comme le mentionne la chercheuse, "la documentation sur les microplastiques, dont la taille est comparable à celle de miettes de pain existe dans la littérature scientifique depuis maintenant 40 ans. À l'inverse, si l'on se place à l'échelle du micron avec des échantillons 1 000x plus petits, du diamètre d'un cheveu ou des nanoplastiques, 1 million de fois plus petits, très peu de documentation existe et tout reste encore à découvrir." Les 4 scientifiques et les 4 marins du bord ont donc embarqué des outils adaptés à chaque gamme de taille. De la pince à épiler pour les particules visibles à l'œil nu au filtre à air pour les plus petites particules pouvant rejoindre l'atmosphère. Un grand travail est également nécessaire pour comprendre la nature et le comportement chimique de ces plastiques. "Ce n'est encore qu'une hypothèse mais il est possible que les processus d'oxydation, d'érosion et de vieillissement du plastique en mer conduise à des modifications des propriétés chimiques qui modifierait la nature même de ces plastiques", explique Alexandra Ter-Halle. Effectivement, d'un point de vue biologique, dès qu'un plastique arrive en mer il se retrouve colonisé par de la matière organique puis par des bactéries. Si la vie est particulièrement active sur ces plastiques, chaque espèce n'en fait pas le même usage, explique Jean-François Ghiglione, chercheur au CNRS au sein du laboratoire d'océanographie microbienne (LOMIC, unité mixte de Sorbonne Université et du CNRS). "Nous utilisons aujourd'hui des outils de biologie moléculaire pour analyser leur ADN et comprendre leurs interactions avec le plastique [...] Il faut imaginer que ces plastiques, avec une durée de vie de plusieurs centaines d'années pour certains, représentent de formidables radeaux pour les espèces. Il s’agit de voir si les plastiques se dégradent dans la nature et comment la biologie y contribue. Nous avons déjà réussi à montrer que certaines espèces se nourrissent de plastique. Toutefois, ce mécanisme de dégradation est beaucoup trop lent pour constituer une solution au plastique." Un autre questionnement concerne le comportement physique de ces plastiques en mer. Comme l'explique Marie Poulain-Zarcos, doctorante à l’IMRCP, dès que la mer est agitée et que les plastiques sont à des échelles petites, toute une mécanique des fluides entre en jeu. Ils subissent ainsi un transport vertical contrôlé par un équilibre entre leurs caractéristiques intrinsèques, la poussée d'Archimède et les turbulences. L’étude de ces mécaniques sur le terrain est essentielle car les modèles réalisés aujourd'hui en laboratoire se basent sur des plastiques de forme sphérique. Yann Ourmières, chercheur au sein du laboratoire de recherche océanographique MOI, explique la manière dont la mission a étudié la répartition des plastiques sur différentes échelles de profondeur. "C'était la première fois que nous utilisions une mini rosette sur un bateau pour échantillonner des nanoparticules. Ce type de dispositif permet d'obtenir les caractéristiques précises de l'eau jusqu'à 150 mètres de profondeur (salinité, profondeur et température) et en les mettant en lien avec les concentrations en plastique d'établir un profil complet de la colonne d'eau." Ces études restent néanmoins difficiles : il s'agit d'étudier des particules nanométriques qui sont transportées par des courants dont l'échelle peut varier jusqu'à plusieurs centaines, voire milliers, de kilomètres d'autant que si dans les grands gyres océaniques la dynamique des courants est assez simple, en Méditerranée, ce ne sont pas du tout les mêmes interactions qui se produisent. Des eaux "neuves" rentrent par le détroit de Gibraltar font le tour de la mer et ressortent par ce même détroit mais cette fois à plus de 200 mètres de profondeur. Les plastiques les plus "légers", qui flottent facilement, ont en conséquence du mal à s'évacuer. C’est ce qui fait que la Méditerranée accumule beaucoup de plastiques.

Mais tout un autre volet de recherche concerne aujourd'hui la pollution de l’air. Cette recherche est conduite par Boris Eyheraguibel et Pierre Amato, chercheurs à l’Institut de chimie de Clermont-Ferrand (ICCF). Des filtres et des pompes à haut débit, encore non commercialisées, ont été ainsi installées sur le bateau. L'objectif à terme est de démocratiser ce type d'échantillonnage relativement innovant. En échantillonnant ainsi la phase atmosphérique les chercheurs vont pouvoir modéliser l'échange entre la colonne d'eau, la surface et l'air.

La force de l’Expédition 7e Continent réside dans la pluridisciplinarité des profils embarqués, permettant de travailler à la fois sur la biologie, la physique et la chimie de la pollution plastique. Les échantillons vont circuler dans tous les laboratoires impliqués. Les résultats n’ont pas encore été extrapolés et corrigés, toutefois la zone de la mer des Baléares apparaît extrêmement polluée avec une concentration forte de la pollution du fait des courants. Comme il le précise : "C'est dans ce type de zones que nous pouvons faire le lien entre la chimie, la physique et la biologie et où une approche pluridisciplinaire prend donc tout son sens." Pour Patrick Deixonne, fondateur et directeur de l’expédition, cela ne fait aucun doute : "Nous n'en sommes encore qu'au début des connaissances sur le sujet. Il faut arrêter de déresponsabiliser le citoyen avec des solutions qui ne tiennent pas la route et continuer de faire avancer la science !"

Photo : Cartographie de la pollution plastique dans le océans
Expédition 7e Continent

 

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